Initiation à la démarche critique des étudiants en kinésithérapie pendant les stages de formation clinique : retour d'expérience

Depuis une dizaine d’années, différents organismes nationaux et internationaux soulignent le développement croissant du recours aux pratiques de soins non conventionnels par la population. Le recours à ces pratiques n’est parfois pas sans risque pour la santé physique et mentale des patients, en particulier lorsqu’elles sont « porteuses de dérives sectaires »1.

L’ensemble des professionnels de santé est concerné par cette problématique notamment les kinésithérapeutes. En effet, nous pensons que les modalités de prise en charge (proximité physique, durée des soins, etc…) exposent particulièrement ces professionnels confrontés à une offre de formation continue pléthorique1 et à un retard, en France, en terme de recherche clinique2. Il semble donc crucial que les professionnels aient un regard critique vis-à-vis de la littérature scientifique et des pratiques de soins non conventionnels afin d’assurer des soins de qualité3.

En réponse à cela, certains enseignants de l’Institut de formation de l’école de kinésithérapie de Grenoble et de l’Université Joseph Fourier ont choisi de dispenser des enseignements d’esprit critique aux étudiants kinésithérapeutes afin de leur donner des outils pour les aider à faire le tri parmi toutes ces pratiques4. L’esprit critique, comme la méthodologie scientifique, n’est à ce jour pas inscrit au programme officiel de la formation5.

Nous fûmes parmi les premiers étudiants kinésithérapeutes à recevoir ces enseignements. Les considérant comme essentiels pour toute personne travaillant en tant que professionnel de santé, nous avons tenté de nous faire le relai de ces enseignements en proposant une initiation à la démarche critique auprès d’étudiants kinésithérapeutes lors de leurs stages de formation clinique. Nous allons dans cet article vous présenter la manière dont nous avons procédé ainsi que notre retour sur cette expérience. Nous espérons fournir ainsi des idées à tous les kinésithérapeutes et autres professionnels de santé qui souhaiteraient se lancer dans le même type de démarche. Cela permettra également aux étudiants stagiaires que nous avons rencontrés d’avoir le contenu de l’intervention à disposition.

Procédure d’intervention

a. Caractéristiques générales

Public : étudiants kinésithérapeutes en 1ère, 2ème et 3ème année.

Lieu : centres de rééducation.

Taille des groupes : de 2 à 8 étudiants.

Durée de l’intervention : 30 minutes.

b. Support pédagogique

Nous avons créé un texte qui portait sur une thérapie de notre invention : la phanérothérapie. Nous avions pensé au départ à la capillothérapie. Seulement après une rapide recherche sur internet nous nous sommes rendus compte que cette thérapie existait déjà. Nous avons alors pensé à la phanérothérapie (les phanères étant les productions de l’épiderme : cheveux, ongles etc.) pour laquelle nous ne trouvions à l’époque aucune occurrence (printemps 2013). À ce jour, deux occurrences sortent sur la première page du moteur de recherche Google lorsque nous entrons « phanérothérapie » mais ne renvoient pas à une thérapie existante.

Dans ce texte, nous avons glissé les différents arguments qui nous paraissent récurrents lorsque quelqu’un tente de faire la promotion d’une thérapie.

Voici le texte en question (voir plus bas pour une analyse de ce document) :

La phanérothérapie.

Une technique efficace en kinésithérapie

Les fondements théoriques de la phanérothérapie s’appuient sur l’importance des phanères dans le corps. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre. Il existe différentes techniques en terme de rythme, d’intensité, de grattage ou de pianotage.

Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral. Cette méthode a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les Indigènes du Pacifique : Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyés après quelques séances. Beaucoup de gens affectés de douleurs depuis des années sont allés mieux dans les semaines qui ont suivi leur séance de phanérothérapie. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

Séance de phanérothérapie
Séance de phanérothérapie

c. Déroulement de l’intervention

Étape préliminaire : invitation des étudiants et définition d’un lieu sans annoncer le sujet de la présentation.

Étape 1, confrontation: distribution du texte + consignes « Lisez et essayez de relever dans ce texte, par rapport à la thérapie qui vous est présentée, les éléments qui vous interpellent ou vous intéressent et pourquoi. »

Étape 2, recueil : tour de table. Nous interrogeons un à un les étudiants et notons les éléments « saillants » de leur discours sur un tableau si disponible.

Étape 3, analyse : nous expliquons aux étudiants que le texte est de notre invention. Nous reprenons leurs propos notés lors de l’étape 1 puis pointons et explicitons les différents arguments glissés dans le texte. Nous échangeons.

Voici une analyse du texte distribué. Celle-ci était réalisée à chaque intervention lors de cette étape, mais de manière non formalisée. Nous avons aussi inséré les principales remarques des étudiants lors de l’étape 2 que nous avons encore en mémoire ; nous n’en n’avons pas tenu un compte précis.

Point 1. L’absence de mention de la source du document.

Ceci permet d’aborder l’importance de l’origine de l’information6.

Remarques des étudiants : aucun n’a posé de questions concernant la source du document distribué, ce qui est pourtant fondamental à toute démarche critique.

Point 2. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre.

Ici, notre idée fut de créer un sentiment de cohérence ainsi que de conférer une aura de scientificité à la technique en introduisant un terme scientifiquement bien défini, réflexe7dans un contexte, lui, dénué de signification précise8. Nous pensons retrouver ici une des caractéristiques de l’imposture intellectuelle telle que définie par Sokal et Bricmont9.

Remarques des étudiants : c’est la partie du texte qui a soulevé le plus de questions et de remarques. Les étudiants ont systématiquement demandé plus de détails théoriques et pratiques sur la technique, comme « que sont les circuits réflexes de second ordre ? ». Ils semblaient accorder beaucoup d’importance à la cohérence théorique de la technique, sans pour autant la remettre en question. Certains ont même fait un rapprochement avec les réflexothérapies, ce qui semblait donner pour les étudiants un certain crédit à la technique « Ah oui c’est un peu comme en réflexologie plantaire en fait ! »

=> Nous avons essayé d’évoquer le fait que ce n’est pas parce qu’une technique est cohérente et conforme aux connaissances anatomiques et physiologiques actuelles qu’elle est efficace. Nous avons aussi donné des exemples de techniques ou médicaments dont l’efficacité est étayée alors qu’il n’existe que des hypothèses concernant ses modalités d’action (ex : le paracétamol10).

Point 3. Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës.

Nous proposons à ce stade des prétentions importantes et imprécises (quelles pathologies ? Quel type de patient ? Quelle taille de l’effet11 ? etc.). Elles doivent alerter le lecteur. Ce sont en effet des affirmations de type scientifique.12 qui porte sur un effet thérapeutique. À ce titre, nous nous attendons à trouver les études scientifiques qui étayent ces propos. Tout autres type d’arguments doivent inviter à la vigilance.

Remarques des étudiants : quelques-uns nous ont demandé plus de précisions sur les indications de la phanérothérapie, les trouvant un peu vagues. Mais aucun n’a été choqué par la démesure des prétentions thérapeutiques.

=> Nous avons approuvé leurs remarques sur le caractère vague et prétentieux de ces indications, en insistant sur le fait qu’ils risquaient d’y être fréquemment confrontés au cours de leur pratique future13.

Point 4. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral.

Nous utilisons ici un argument d’autorité14 à deux niveaux. Le premier niveau se décline en deux facettes : la hiérarchie sanitaire (le médecin est prescripteur de l’intervention du kinésithérapeute) et la hiérarchie institutionnelle (médecin chef). Le deuxième niveau concerne ce que nous qualifions d’argument de l’expérience qui intervient comme un dérivé de l’argument d’autorité (thérapie pratiquée 20 ans en libéral).

Point 5. Elle a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les indigènes du pacifique Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Nous avons ici un argument d’historicité ainsi qu’un appel à l’exotisme.

Remarques des étudiants : certains ont fait remarquer qu’il était bizarre qu’il n’aient jamais entendu parler de la phanérothérapie si elle était pratiquée depuis si longtemps. Mais selon eux, une des explications pourrait en être que c’est parce qu’elle a été pratiqué sur d’autres continents, et que cela n’est pas parvenu jusqu’à chez nous. Le parallèle a été fait une fois avec la médecine traditionnelle chinoise (MTC) dont « on entend parler depuis pas longtemps alors qu’elle est pratiquée et efficace depuis des millénaires là-bas ».

=> Nous avons préféré ne pas rebondir sur la MTC au risque de nous éloigner du propos et des arguments purement rationnels. Nous avons alors pensé qu’il est plus efficace de rester centré sur la phanérothérapie et de ne pas ouvrir les échanges sur des sujets connexes, au risque de provoquer un effet boomerang15.

Point 6. Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances.

Ceci est un appel aux témoignages.16

Remarques des étudiants : certains nous ont demandé s’il y avait aussi des témoignages négatifs. Mais aucun n’a remis en cause la validité de ce type d’argument. Certains ont même ajouté : « De toutes façon il n’y a qu’à essayer pour se faire son opinion ». Dans une certaine mesure, cette allégation confère au témoignage personnel une valeur supérieure à celle du témoignage d’autrui. Or, c’est oublier que vu de l’extérieur, ce témoignage personnel ne fera que s’ajouter aux autres, ne lui conférant aucun caractère particulier.

Point 7. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

C’est aussi une prétention très importante. Nombreux sont les médicaments ou actions thérapeutiques susceptibles d’entraîner des effets secondaires (tous ?). Pour le vérifier, il suffit de jeter un œil sur les petites notices à l’intérieur des boites de médicament. Une allégation de cette nature doit donc éveiller la suspicion. Même si nous ne prétendons pas impossible qu’il existe des traitements sans risque iatrogène, une affirmation telle que celle-ci ne peut se contenter d’être simplement déclarée gratuitement. Elle nécessite une évaluation scientifique.

Remarques des étudiants : aucune à ce sujet. Pourtant cette prétention est au moins aussi importante que l’effet bénéfique d’un traitement.

Point 8. Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

C’est d’après nous le seul argument qui doit retenir notre attention. Seulement, nous avons besoin des références bibliographiques qui ne sont pas mentionnées17. Cet élément permet de faire le pont avec les étudiants vers la nécessité d’être capable d’analyser un article scientifique dans le domaine de la santé18.

Remarques des étudiants : ce n’est pas la partie du texte qui a déclenché le plus de réactions. Certains étudiants nous ont tout de même dit qu’il faudrait regarder un peu plus en détail ces études.

=> Nous en avons profité pour leur demander comment ils s’y prendraient pour trouver ces études, sur quelles bases de données ils chercheraient… Peu d’étudiants connaissaient la Medline, Pedro, Google Scholar ou Science Direct, même pour les étudiants de dernière année ayant bien avancé la rédaction de leur mémoire de fin d’étude.

Point 9. de manière plus générale, nous avons entendu ce type de remarque : « Il suffit d’essayer sur un ou deux patients, et s’ils trouvent que ça marche et bien c’est bon ».

Sans rejeter le fait qu’expérimenter soi-même une technique puisse concourir en partie à sa validation personnelle, l’expression « Il suffit » nous paraît démontrer une absence de mesure dans le poids à attribuer à l’expérience personnelle, une méconnaissance des différents éléments pouvant conduire le couple praticien/patient à conclure à tort à une efficacité propre de l’acte thérapeutique délivré et à une occultation de l’importance de s’appuyer, s’il elles existent, sur des données scientifiques probantes.

Étape 4 : nous présentons les enjeux de la démarche critique, les faits qui nous ont conduit à proposer cette intervention et récoltons les courriels des étudiants afin de leur proposer les liens suivants, pour approfondir :

  • Vidéos sur les médecines non conventionnelles
  • Fiche illustrée présentant des sophismes
  • Article sur l’effet placebo
  • Memoire de l’un de nous sur une thérapie manuelle

100_9800Retour d’expérience

Il nous a paru difficile d’initier une démarche critique en si peu de temps. Nous pensons toutefois cette durée suffisante pour satisfaire au modeste objectif d’une simple mise en contact avec la démarche critique.

Nous tenons à souligner qu’à la vue des réactions des étudiants à notre texte et des arguments utilisés lors des échanges, nous restons convaincus du bien-fondé de ce type de démarche.

En ce qui concerne l’étape 1 de l’intervention, nous avons eu du mal à déterminer quelles consignes donner sans induire un doute quelconque chez les étudiants par rapport à l’aspect canular de la thérapie. Les étudiants semblaient être particulièrement surpris quand nous leur annoncions que le document et la thérapie étaient de notre invention. À titre anecdotique, nous avons eu une réaction du type « je ne vais plus jamais regarder mes ongles de la même façon ».

Un commentaire critique d’un étudiant concernant notre texte nous est apparu pertinent. Celui-ci nous indiqua que le fait que nous nous incluions dans la présentation de la thérapie rendait difficile pour lui d’être trop critique lors du premier temps d’échange. Voici les lieux du problème : « Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé » et « Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyé après quelques séances. » Nous proposons donc les modifications suivantes : « Elle a été introduite par le médecin chef du centre de rééducation des Zarénides en Suisse19. » et « Ce médecin présente beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances. »

Concernant la taille du groupe, plus elle fut importante (8) moins nous eûmes l’impression de faire passer un message efficace. Nous souhaitions en effet échanger et non faire un cours magistral. En disposant de 30 minutes seulement, il était difficile de donner la parole de manière à peu près égale à 8 personnes différentes, et nous avions tendance à plus nous écarter du sujet. Si nous refaisions une intervention de ce type, nous privilégierions un groupe de 3 à 4 personnes.

Nous présentons en annexe un court questionnaire que nous avons envoyé aux étudiants quelques mois après notre intervention afin d’apprécier – au doigt mouillé – son influence.

Conclusion

Même si nous aimerions tester un autre type d’intervention à l’avenir, nous n’excluons pas de refaire celle-ci. En effet, satisfaire en si peu de temps au simple objectif de créer un premier contact avec la démarche critique nous apparaît aujourd’hui suffisamment important au regard des enjeux sous-jacents plutôt que de ne rien proposer du tout. Par contre, réaliser quelque chose de plus long ou en plusieurs sessions est délicat car les stages des étudiants kinésithérapeutes sont relativement courts, interviennent dans un cadre de scolarité court également (3 ans) et dense qui fait que les étudiants sont très sollicités. L’idéal serait évidemment d’avoir directement des cours d’esprit critique en école de kinésithérapie dans un contexte de formation rénové et augmenté20.

Annexes

Le questionnaire

Nous avons réalisé un questionnaire anonyme21 que nous avons envoyé à tous les étudiants quelques mois après l’intervention.

Après coup, nous avons regretté d’avoir réalisé ce questionnaire qui souffre de nombreux biais et dont on ne peut rien retirer. Il ferait cependant un bon support pour qui souhaiterait s’entraîner à trouver les limites méthodologiques d’un questionnaire.

Les questions posées furent les suivantes.

Questions fermées :

1) Suite et à cause de cette intervention, vos idées sur la kinésithérapie ont-elles été modifiées?

2) Suite et à cause de cette intervention, vos comportements professionnels ont-ils été modifiés?

3) Suite et à cause de cette intervention, vos choix de formation et d’exercice (secteur d’activité, patientèle, etc.) ont-ils été modifiés?

Réponses proposées :

Pas du tout modifiés ; Peu modifiés ; Modifiés en partie ; Modifiés de manière conséquente ; Complètement modifiés.

Question ouverte :

D’une manière générale, comment avez-vous jugé cette intervention ?

Résultats du questionnaire

Réponses aux questions fermées

Sur les 21 étudiants interrogés, 9 ont répondu dans les temps après les deux relances. Voici leurs réponses :

 

Pas du tout modifiés

Peu modifiés

Modifiés en partie

Modifiés de manière conséquente

Complètement modifiés

Total

1) Idées sur la kinésithérapie

1

1

6

1

0

9

2) Comportements professionnels

1

6

2

0

0

9

3) Choix de formation et d’exercice

2

2

4

1

0

9

Total

4

9

12

2

0

27

Réponses à la question ouverte

Nous avons mis entre parenthèses les réponses aux questions fermées de chaque étudiant dans l’ordre indiqué dans le tableau.

Étudiant (conséquente, partie, partie) : « intéressante, nous montre qu’il faut se renseigner et consulter les dernières revues bibliographiques pour s’améliorer et juger de l’efficacité de chaque méthode »

Étudiant (partie, partie, peu) : pas de réponse

Étudiant (partie, peu, partie) : « intéressante et formatrice car elle remet en cause pas mal de techniques et cela n’a absolument pas été abordé en cours. »

Étudiant (partie, peu, partie) : « Intéressante. L’esprit critique, je l’utilise tous les jours mais sans vraiment m’en rendre compte ni savoir explicité mes doutes face à certaines affirmations. Grâce à cette intervention, j’ai des arguments pour étayer mes « intuitions », je sais quelles questions poser. »

Étudiant (partie, peu, peu) : « Modifie la vision de la profession, mais peu la pratique (enfin sauf si on fait de l’écoute tissulaire). J’admets cependant être plus sceptique aujourd’hui quant à certaines techniques que l’on nous propose, que ce soit à l’école ou en stage. Je m’intéressais déjà à approfondir certaines connaissances dans le sens de la critique avant votre intervention, je ne peux pas dire que vous ayez provoqué chez moi l’envie de m’y intéresser ; en revanche je peux dire que vous m’y avez encouragé et avez sûrement accéléré l’acquisition d’un certain scepticisme scientifique. »

Étudiant (pas, pas, pas) : « Bonne, mais rien de nouveau, l’esprit critique existe en tout »

Étudiant (partie, peu, conséquente) : « intervention bien amenée, réfléchie, construite, et intéressante. Seul bémol, attention à ne pas faire passer cette intervention comme « une parole à répandre », presque un dialogue « sectaire » (j’exagère, mais c’est pour être compris) on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession. »

Étudiant (peu, peu, partie) : « Je ne m’attendais pas à ce qu’on aborde ce sujet alors que c’est un sujet très intéressant et malheureusement pas abordé pendant notre scolarité. »

Étudiant (partie, peu, pas) : « J’ai trouvé l’intervention intéressante. Ce que j’ai retenu: développer un esprit critique quant aux articles et publications qu’on lit, ne pas croire tout ce qu’on lit, vérifier les sources des articles. »

Nous souhaiterions répondre à ceci : on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession

Douter d’une technique n’implique pas nécessairement de ne pas la pratiquer et nous pensons que c’est ici que se niche le malentendu. Le doute en tant que fin, qui débouche sur une suspension du jugement systématique n’est bien sûr pas satisfaisant car cela implique qu’aucune action concrète n’est jamais réalisée. C’est le doute en tant que démarche que nous prônons en sachant pertinemment que dans nombre de cas, malgré les doutes, il faudra passer à l’action. Ceci dit, il est essentiel de ne rien considérer comme acquis et de perpétuellement se questionner, douter, critiquer, remettre en cause l’état de l’art. Cela n’implique donc pas de « ne plus croire en rien » mais de se dire que, peut-être, notre profession d’aujourd’hui ne ressemblera plus du tout à celle de demain et de ne pas s’accrocher à des pratiques pour de mauvaises raisons.

 

Nelly Darbois et Albin Guillaud

 

  1. www.fifpl.fr
  2. Cleland J (2006), Examen clinique de l’appareil locomoteur : Tests, évaluation et niveaux de preuve. Ed Masson ; Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, Répondre aux besoins de santé et garantir la qualité des soins par une formation et un exercice rénovés (2010)
  3. Ibid
  4. Pinsault N., Monvoisin R., Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, Grenoble, PUG, 2014, pp26-27.
  5. Le programme actuel de la formation date dans sa rédaction originale de 1963 : JORF du 3 avril 1963 page 3182, Décret du 29 mars 1963 accessible ici en fac-similé. Il y a eu depuis quelques modificatifs tels que l’arrêté du 23 mai 2011.
  6. Quelques illustrations ici.
  7. Voir par exemple ici
  8. Les concepts de stimulations réflexes des phanères et de circuits réflexes de second ordre n’ont, à notre connaissance, aucune signification scientifique.
  9. Sokal A., Bricmont J., Impostures intellectuelles, Paris, Odile Jacob, 1997, p37.
  10. Pendant longtemps, on a utilisé efficacement le paracétamol sans connaître ses modalités d’actions. Voir cette revue de littérature : Jozwiak-Bebenista M, Nowak J, Paracetamol : mechanism of action, applications and safety concern, Acta Poloniae Pharmaceutica – Drug Research, Vol. 71 No. 1 pp. 11-23, 2014.
  11. Nous disons ici que la taille de l’effet correspond au différentiel entre les valeurs d’un critère de jugement avant traitement et après traitement. Si le critère de jugement, par exemple, est la douleur mesurée par une Échelle Visuelle Analogique et que celle-ci est de 5/10 avant traitement et de 6/10 après traitement, la taille de l’effet sera de 1. Voir ici pour plus de précisions concernant la taille de l’effet (page 7).
  12. Pour une définition d’une affirmation de type scientifique, voir ici
  13. Voir parmi une multitude d’exemples, le site d’un fabricant de matériel pour kinésithérapeutes, ou celui d’une formation -la biokinergie – proposée, entre autres, aux kinésithérapeutes.
  14. Pour approfondir sur l’argument d’autorité voir par exemple ici ou .
  15. Cook J., Lewandowsky S., (2011), The Debunking Handbook. St. Lucia, Australia: University of Queensland. November 5. ISBN 978-0-646-56812-6. [http://sks.to/debunk]. Traduit en français, disponible ici.
  16. Pour approfondir, voir par exemple la thèse de Richard Monvoisin en libre accès ici (pages 232 à 236).
  17. Sur l’intérêt des références bibliographiques voir .
  18. Voir par exemple ici ou  (Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations de la Haute Autorité de santé.) ou encore lire Vandeweerd JM., Saegerman C., Guide pratique de médecine factuelle vétérinaire – De la preuve scientifique à la décision clinique, Alphen-su-le-Rhin, 2009, Les Éditions du Point Vétérinaire, 195 pages
  19. Ce centre n’existe pas.
  20. Voir par exemple Pinsault, 2013.
  21. Questionnaire réalisé et hébergé grâce au site : http://www.mon-enquete-enligne.fr/