Dialogue sur l'effet Pangloss

Ce dialogue a été réalisé par le groupe de doctorants-minoteurs de l’atelier CIES Zétéclips 2010 pour illustrer l’effet Pangloss (pour plus de détail sur le raisonnement panglossien, voir Outillage Critique). Il fait l’objet d’un vidéoclip visionnable ici (version longue, version courte) réalisé par Nicolas Berthier, Axelle Davidas, Cyrille Martin et Marion Sevajol. Direction Richard Monvoisin.
Ci-dessous, le dialogue qui orne la voix off de la version longue.


Personnages
– p pour panglossien-ne
– z pour zététicien-ne 

Pangloss nous accroche

Point d’effet sans cause (dans le meilleur des mondes possibles) 

Les girafes introduisent l’effet pangloss

p Plus d’1.5 million d’espèces ont été répertoriées, et on estime qu’il en existe au moins  cinq millions différentes ! Cette diversité est vraiment incroyable lorsqu’on pense à toutes les spécificités qu’ont dû développer ces espèces…

z C’est-à-dire ?

p Et bien par exemple, le cou de la girafe a été allongé pour lui permettre de manger les feuilles les plus hautes des arbres. Cela lui a permis de survivre dans la savane, alors que si son cou n’avait pas été allongé, il n’y en aurait plus de nos jours.

z Non, le cou de la girafe n’a pas été agrandi dans un objectif précis. C’est simplement que les girafes aux cous les plus longs étaient avantagées pour se nourrir, et se reproduisaient donc plus facilement que les autres. De génération en génération, seules les girafes les plus adaptées à la savane, c’est-à-dire celles qui avaient un grand cou, ont transmis efficacement ce caractère à leurs descendants. On peut penser que les girafes ont été sélectionnées naturellement selon le critère héréditaire qu’est la taille du cou.

La théorie de l’évolution introduit le finalisme

p Humm, comment peux tu en être sûr ?

z C’est la seule explication scientifique validée : la théorie de l’évolution, introduite par Darwin, est le résultat d’une démarche scientifique, alors que ton raisonnement se base sur une hypothèse finaliste.

p Une hypothèse finaliste ? Je ne comprends pas.

L’archer explique le finalisme

z Imagine un archer les yeux bandés qui décoche une flèche. Elle va se planter dans le mur en face. Une personne découvrant cette flèche pourrait faire l’hypothèse qu’un archer l’a décochée en visant cet endroit précis, comme si il y avait une cible. Cet objectif d’atteindre un endroit précis est une hypothèse finaliste, et en plus erronée puisque l’archer avait les yeux bandés.La cible n’existe pas forcément, l’archer non plus, et, encore plus important, la volonté de viser n’est pas une bonne hypothèse pour expliquer la position de la flèche.

z Quand tu considères que l’objectif à atteindre, pour la girafe, c’est d’avoir un long cou, et qu’on aurait dirigé l’évolution de la girafe dans cette direction, tu fais le même raisonnement que la personne qui découvre la flèche…

Behe introduit la complexité irréductible

p D’accord, l’état actuel de la girafe ne permet pas d’en déduire une volonté quelconque d’atteindre cet état, et en plus tu me dis qu’un processus de sélection naturelle explique très bien son long cou. En revanche, j’ai entendu parler un biologiste, Michael Behe, qui dit que cette sélection naturelle n’explique pas tout, en prenant pour argument la complexité irréductible de certains systèmes biologiques.
 
z Je ne connais pas…
 
p Ce biologiste explique qu’il existe des systèmes irréductiblement complexes : ils sont composés de plusieurs parties ajustées et interagissantes qui contribuent chacune à sa fonction, alors que l’absence d’une quelconque de ces parties empêche le fonctionnement du système complet.

La tapette à souris explique la complexité irréductible

p Pour l’illustrer, on peut prendre une tapette à souris. Chaque élément du piège a un rôle précis
dans son fonctionnement :

– Le fromage attire la souris et fait office de détente : il permet donc de déclencher le mécanisme quand la souris est sur le piège ;
– La tige est comme une gâchette qui libère l’abattant ;
– Qui lui, sert bien sûr à attraper la souris ;
– Le ressort actionne l’abattant ;
– Et finalement, le socle maintient le tout en place grâce à des fixations, et permet de placer le piège n’importe où.

Si l’un des éléments constitutifs du piège est enlevé, alors le piège ne fonctionne pas : c’est ce qui définit la complexité irréductible d’un système.

z Ok, mais en quoi ce principe contredit-il la théorie de l’évolution ?

L’argument de complexité irréductible soutient l’hypothèse finaliste

p Pour être le résultat d’une évolution, tout système doit pré-exister sous une forme plus simple, alors qu’il n’existe pas de systèmes précurseurs plus simple pour un système de complexité irréductible.

z Et pourquoi pas ?

p Michael Behe explique qu’un tel système ne peut pas être fonctionnel, puisque chacun de ses éléments est indispensable. Autrement dit, il ne peut pas exister de tapette à souris ne possédant qu’une partie des éléments initiaux qui permette tout de même d’attraper des souris.

p Un système précurseur non fonctionnel ne présente aucun avantage sélectif et ne serait donc pas forcement conservé. C’est-à-dire que la personne qui détient une tapette à souris qui ne fonctionne pas, aura autant de souris chez elle que son voisin qui n’a pas de tapette du tout. De cette façon, les personnes possédant une tapette à souris qui n’attrape rien auront plutôt tendance à s’en débarrasser, et plus personne ne posséderait de tapette.

p Cela prouve que le premier système apparu était un système fonctionnel complexe et donc que chaque élément a été façonné pour contribuer au bon fonctionnement du système complet. Il n’y a pas d’évolution possible de cette tapette à souris puisqu’il n’y en a pas de fonctionnelle pouvant évoluer en une tapette actuelle.

p Il y a donc obligatoirement un concepteur qui est derrière l’invention du système. Et ce piège a
effectivement été inventé pour attraper des souris.

p Pour revenir aux systèmes biologiques, on peut prendre l’exemple de l’oeil : il est tellement complexe qu’il a forcement été conçu tel quel dans l’objectif de permettre la vue, ce qui contredit la théorie de l’évolution.

z A mon avis tu te trompes : il peut exister un système précurseur fonctionnel à un tel système.
Je peux par exemple te proposer une évolution de la tapette à souris qui contredit cette hypothèse.

L’argument de complexité irréductible dans la tapette à souris

z On peut partir d’un morceau de fil métallique courbé et maintenu ouvert. La plupart des souris font tomber le piège ou arrivent à s’en défaire. Pourtant, il vaut mieux avoir celui ci que pas du tout.

z Ajouter un ressort à ce piège donne plus de force à la fermeture.

z Avec un appât, le piège est rendu encore plus efficace en attirant les souris. 

z Les pièges précédents doivent être soigneusement calés contre un mur ou un autre objet. La fixation au sol du ressort permet de l’utiliser partout où le sol le permet, et les souris ne pourront plus le renverser.

z La fixation du ressort à un morceau de bois est encore mieux, car on peut déplacer le piège et
l’utiliser n’importe où dans la maison.

z Modifier la forme de l’abattant augmente ses chances de toucher la souris. L’extrémité libre de
l’abattant est trop lâche pour attraper une souris, alors que s’il se referme pour passer dans les torsions du ressort, l’abattant devient efficace sur tous ses côtés.

z Le positionnement doit être fait de façon très précise dans ce piège. L’ajout d’un autre morceau de fil de fer rend plus facile sa fixation et son déclenchement. Quand une souris pousse la tige, le coin de l’abattant est libéré et la tapette actionnée. Par effet de levier, la tige nécessite moins de force pour déclencher le piège.

z La partie verticale du fil est inutile et peut même gêner la trajectoire de l’abattant. Raccourcir cette partie rend le piège moins coûteux et plus efficace. On voit dans cette étape que le système précurseur peut avoir plus d’éléments que l’actuel, autrement dit le système précurseur n’est pas forcément plus simple. Cette modification a des effets secondaires non négligeables : la tige, par exemple, était une amélioration facultative car le piège pouvait fonctionner sans, mais devient maintenant nécessaire suite à la modification des autres éléments.

z En positionnant le bout de la tige sous le fromage plutôt que sous le coin de l’abattant, une souris déclenchera plus sûrement le piège en mangeant le fromage.

z Il est plus facile et reviendra moins cher d’utiliser un fil de fer ordinaire pour l’abattant, et unautre pour le ressort. Dans le système précurseur, un seul élément tient deux rôles, celui deressort et celui d’abattant. Dans ce système, chaque élément remplit une fonction unique et nécessaire, ce qui, étape par étape, rend le système irréductiblement complexe.

z En conclusion, en proposant un modèle d’évolution de la tapette à souris, j’ai montré comment un système très simple peut évoluer pour finalement devenir d’une complexité irréductible.

L’argument de complexité irréductible dans l’oeil

p Ok, ton exemple est pas mal pour ce qui concerne la tapette à souris, mais est ce que tu penses pouvoir appliquer le même raisonnement pour un système biologique aussi complexe que l’oeil ?

z Je suis d’accord avec toi, l’oeil est un organe complexe et extrêmement spécialisé… Comment une telle structure a-t-elle pu résulter de la sélection naturelle ? Et bien, l’oeil primitif (ou « eye spot »), était retrouvé chez les organismes unicellulaires comme par exemple le stigmate chez Euglena. Le point rouge que l’on peut apercevoir permet de détecter la présence ou l’absence de lumière. Il est composé de protéines appelées photorécepteurs. Ces molécules sont de la même famille que des protéines déjà présentes chez nos ancêtres les bactéries. Cet « eye spot » représente un avantage sélectif, car il permet chez les organismes utilisant l’énergie solaire de rester dans des zones lumineuses, ou à l’inverse être protégé dans un endroit obscur.

z Une amélioration de cet « eye spot » chez les organismes pluricellulaires aboutit à la formation d’un « proto eye » permettant de détecter la direction de la lumière. En effet, une cavité contenant des cellules photo-réceptrices se forme : les rayons lumineux n’atteignent plus la totalité des cellules. Ce stade d’évolution de l’oeil est visible chez les vers plats comme le planarian.

z Au fur et à mesure que l’incurvation se fait plus forte, détecter la direction de la lumière devient
plus précis, jusqu’au stade « chambre noire » où les images peuvent être perçues. L’oeil du Nautile en est une illustration.

z La prolifération de cellules transparentes recouvrant la partie ouverte de l’oeil est un avantage sélectif qui permet à celui-ci d’éviter toute contamination.

z Cette couche de cellules transparentes protectrices va se diviser en deux membranes puis se
remplir d’un liquide ce qui facilite le transport d’oxygène et de nourriture jusqu’à ces cellules. La simple introduction de liquide entre ces deux membranes va avoir pour conséquence la formation d’une lentille bi-convexe. Ainsi les rayons lumineux seront focalisés, et donc la « quantité de lumière » perçue sera augmentée. Les lobopodes, des vers à pattes vivant il y a 500 millions d’années, possédaient ce type de lentille primitive. Pouvoir focaliser la lumière permet d’avoir une meilleure perception dans l’obscurité, l’acquisition de ce trait de caractère leur a permis de se réfugier plus profondément.

z À partir de cette ébauche primitive, l’évolution de l’oeil continue. On aboutit à la formation de la cornée, qui est une couche protectrice, et de l’iris qui permet de régler l’orifice d’entrée de la lumière. Cela rend avantageux un agrandissement de l’oeil et lui permet de s’adapter aux variations de luminosité.

z Chaque élément composant l’oeil a évolué en fonction des espèces et de l’environnement dans lequel elle se trouve, pour aboutir à la formation d’une grande diversité d’yeux spécialisés.Ainsi, on retrouve plusieurs types de photo-récepteurs très spécialisés permettant la détectionde différentes couleurs, ce qui explique que les insectes peuvent détecter les UV alors que leshumains non. Selon le même principe, les différentes formes de rétines et d’iris reflètent la spécialisation d’un oeil, que ce soit son adaptation à un milieux aquatique ou non, ou à un milieux plus ou moins lumineux.
Il a été prouvé que ces évolutions sont le résultat d’une succession de mutations aléatoires qui ont permis aux différentes espèces de mieux survivre dans leur milieu, où d’en coloniser de nouveaux. Il est important de comprendre que la majeure partie des mutations aléatoires apparaissant ne représentent pas un avantage sélectif. La complexité et la diversité des différents types d’yeux existants appuient la théorie de la sélection naturelle. Une multitude d’yeux différents pour des environnements, des utilisations et des adaptations à des milieux différents.

Conclusion sur les hypothèses finalistes

z Tes arguments sont faux, mais en plus, ils soutiennent que l’évolution est un processus dirigé, et donc soutiennent une hypothèse finaliste. Ça revient à essayer de prouver qu’un archer aurait visé l’endroit atteint par la flèche alors qu’en fait elle a été tiré au hasard, ou que l’oeil a été conçu pour voir.

Et faire une hypothèse finaliste sous prétexte que l’on ne sait pas expliquer quelque chose ne découle pas d’une démarche scientifique mais d’une croyance, et ne peut donc pas contrer la théorie scientifique de l’évolution.

z L’utilisation d’arguments finalistes pour soutenir des thèses pseudo-scientifiques contre la théorie de l’évolution est répandue. Par exemple aux États Unis, des personnes ont voulu orienter les programmes scolaires en faveur de ces croyances, appelées le dessein intelligent. Heureusement, la justice américaine a conclu, durant le procès de Dover, que le dessein intelligent ne doit pas être enseigné en tant que théorie scientifique.

L’effet Pangloss

z Certains zététiciens appellent ce biais de raisonnement l’effet Pangloss, du nom d’un personnage dans Candide. Il déclare qu’il n’y a point d’effet sans cause et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cela sous entend qu’une volonté ayant pour finalité le meilleur des mondes l’a amené à son état actuel…

Générique

  • Nous entendons parfois…
  • C’est la fatalité.
  • J’ai découvert les numéros du loto grâce à mon intuition.
  • Les Africains ont le rythme dans la peau.
  • Sommes-nous fait pour travailler ?
  • La nature est bien faite : pour preuve, le nombre d’or se retrouve un peu partout.

Ils ont affirmé…
J. Gautheret, Le Monde, 14/01/2010
« Haiti, la malédiction.
« C’est un pays […] qui semble depuis plus de deux siècles condamné au malheur. »
R. Chauvin, Nos pouvoirs inconnus, 1997

« Les forces en action dans l’univers sont très précisément calculées pour permettre l’apparition de l’homme […]. »

N. Sarkozy, Discours de Dakar, 26/07/2007

« Dans cet univers où la nature commande tout, […] l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. »

Retrouvez le rapport complet des doctorants, ainsi que la description de cet atelier.

RM