Vidéo – Science et liberté d’expression : de Voltaire à Chomsky, avec le physicien et essayiste Jean Bricmont

Souvenez-vous : menaces de sabotage, tentatives d’intimidation, requête pour annulation auprès des instances universitaires… Voici enfin en ligne la plus orageuse de toutes les conférences du CORTECS : Science et liberté d’expression : de Voltaire à Chomsky, par le physicien et essayiste Jean Bricmont, réalisée le 1er avril 2015 à l’université de Grenoble dans le cadre du cycle présenté par le CORTECS « Connaissances censurées ? Sciences et liberté d’expression ».  Pourtant, si vous cherchez du soufre, du sang et du négationnisme, vous risquez d’être déçus. Mais au moins, contrairement à certains contempteurs, vous pourrez juger les propos de J. Bricmont sur pièces et non sur fantasme.

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L’exposé examine les limites imposées à la liberté d’expression en France. Il questionnera la pertinence des lois réprimant l’incitation à la haine et la négation de l’histoire, et leur pertinence dans ce qu’elles sont censées combattre. Sera montré au moyen d’exemples que ces lois mènent à un certain arbitraire dans leur application concrète. La philosophie de l’exposé s’inspire de l’idée suivante : la réponse aux « discours de haine » se fera par plus de discours, pas par moins.

Première partie : conférence

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Seconde partie : débat

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Pour des commentaires de l’intervenant lui-même sur cette conférence, vous pouvez regarder ici.

Bibliographie

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La République des censeurs de Jean Bricmont, édition de l’Herne (2014).

Tintin raciste, que ce soit au Congo ou en Amérique – Jugement au Canada

Nous avons parlé de Hergé à plusieurs occasions dans nos travaux. Récemment, lors de notre premier exposé du cycle « Connaissances censurées ? » à l’Université de Grenoble Alpes, le CORTECS a apporté des exemples de censures explicites ou implicites sur des supports artistiques. La bande dessinée a été l’objet de maintes critiques, des Pieds Nickelés aux super-héros de Marvel, sur lesquelles nous reviendrons dans un article spécifique. En attendant, Hergé, en toute cohérence avec son époque, fit de Tintin un réceptacle à clichés et stéréotypes racistes. Que ce soit chez les Soviets, au Congo, dans la version journal de L’étoile mystérieuse où se loge une stupéfiante série de cases lourdement caricaturales sur les Juifs, ou dans Tintin en Amérique, il y a matière à travaux pratiques scolaires.

CORTECS_Tintin_Amerique_poeleCela crée parfois des remouds juridiques intéressants, et c’est à notre avis une bonne chose, non que des ouvrages soient censurés ou mis à l’Index prohibitorum, mais qu’ils soient au contraire disponibles, si possible avec des mises en garde, des notices critiques pour les jeunes et moins jeunes, notices qui pourraient justement mettre en évidence que le racisme se loge parfois dans le recoin des BD les plus anodines (et dans les films les plus communs ! Voir par exemple notre article ici).

En attendant, voici de la matière à modeler pour enseignant du secondaire, avec cet article du 19 mars 2015 du journal Le Monde.

Après « Tintin au Congo », « Tintin en Amérique » jugé raciste au Canada

CORTECS_Tintin_Amerique_ChevalDes « Peaux-Rouges » qui capturent Tintin et veulent le scalper : ce genre de représentation véhiculée dans Tintin en Amérique ne cesse d’agacer certains membres de la communauté amérindienne. Des habitants de Winnipeg, capitale francophone de l’ouest canadien, ont ainsi obtenu que la librairie Chapters de leur ville retire l’album de ses rayons dimanche 15 mars… temporairement.

« Je crois que l’album alimente les stéréotypes. Les Indiens sont présentés comme des êtres sauvages et dangereux. Cela fait écho au racisme que nous subissons », estime ainsi une des plaignantes, l’avocate et activiste Leslie Spillett interrogée par Radio Canada.

La librairie a fini par remettre en vente le livre, un des premiers albums d’Hergé, publié au début des années 1930, jugeant qu’un tel sort ne devait être réservé qu’à des livres qui font la promotion de la violence ou qui contiennent de la pornographie infantile. Une porte-parole de Chapters a toutefois reconnu que Tintin représentait « une mentalité dépassée ».

Certains habitants de Winnipeg appellent maintenant au boycott de la librairie tant qu’elle continuera à vendre l’album.

Des albums « nourris des préjugés de son temps »

Dans la foulée, les bibliothèques publiques de la ville ont décidé de retirer la bande dessinée de leurs rayonnages. Dans un communiqué publié sur le site de Radio Canada, la direction explique que la décision avait déjà été prise en 2007 mais que les livres avaient été remis dans les collections « par erreur ».

Le biographe d’Hergé, Benoît Peeters, qualifie toute cette polémique de « grotesque » dans une interview au Figaro.fr. Selon lui, Tintin prend plutôt la défense des autochtones contre « des yankees à la recherche de pétrole ». « Hergé [mort en 1983] disait que les premiers Tintin étaient nourris des préjugés de son temps, de la société belge où il vivait. Il ne pouvait pas voyager, se documentait à peine », rappelle-t-il.

En décembre 2012, après une longue bataille juridique, la cour d’appel de Bruxelles avait estimé que l’album Tintin au Congo, qui date aussi des années 1930 et qu’Hergé lui-même avait qualifié de « péché de jeunesse », ne contenait pas de propos racistes et n’était pas une « œuvre méchante ».

Pétition contre la censure dans les bibliothèques universitaires

Nous relayons ici une campagne qui nous parait faire sens. Précisons qu’aucun.e membre du CorteX n’a jamais lu l’ouvrage en question, mais en tant que dépôt d’ouvrages controversés, il nous semble logique, quitte à mettre une notice à l’intérieur du livre, qu’il est contraire à l’investigation rationnelle des faits de bloquer l’accès à des ouvrages, pour déplaisants qu’ils soient.

 

Pétition contre la censure maccarthyste dans les bibliothèques universitaires adressée au président de l’université de Paris 1, M. le Professeur Philippe Boutry

 Un lecteur de la bibliothèque Pierre Mendès France de l’Université de Paris 1 Sorbonne ayant récemment proposé l’achat de l’édition française de l’ouvrage de Geoffrey Roberts, professeur à l’université de Cork en Irlande, « Les guerres de Staline », paru en 2014 aux éditions Delga, ouvrage publié en 2006 par les Editions de l’université Yale, s’est attiré la réponse suivante :

« L’ouvrage proposé, bien qu’écrit par un universitaire, ne nous semble pas a priori présenter la neutralité historique et scientifique nécessaire à son éventuelle intégration dans nos rayons. Les autres titres publiés par l’éditeur non plus ».

La direction de cette bibliothèque, contactée, tant sur l’ouvrage incriminé que sur les conditions à remplir par un éditeur pour que ses ouvrages puissent être acquis, a accumulé les réponses évasives. Une consultation des rayons consacrés à l’histoire de la Russie soviétique (puis URSS) au XXème siècle a montré que, depuis plus de quinze ans, ont été systématiquement achetés les ouvrages de publicistes propagandistes, tels Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, même de négationnistes avérés, tel Ernst Nolte. Dans la même période, n’ont pas été acquis les ouvrages scientifiques publiés en français tels ceux d’Arno Mayer, Michael Carley, Alexander Werth (dont le célèbre ouvrage La Russie en guerre, réédité en 2011, demeure absent), etc.

Cette censure est révélée dans un contexte particulier. Par exemple, à l’occasion de la célébration du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, le ministre des Affaires étrangères polonais Grzegorz Schetyna a soutenu, le 21 janvier 2015, pour justifier la non-invitation de la Russie, que c’était les Ukrainiens et non l’armée soviétique qui avaient libéré le camp d’extermination. Le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, avait affirmé le 8 janvier, sans être davantage contredit, que l’Union Soviétique avait agressé l’Allemagne en juin 1941.

Ces contre-vérités grossières n’ont provoqué aucune réaction officielle. Cette passivité n’est possible qu’en raison du manque de connaissance historique de l’opinion publique, résultat, entre autres, de la censure qui s’est étendue jusque dans les institutions universitaires. Longtemps tacite ou sournoise, celle-ci atteint désormais un niveau tel qu’une bibliothèque de Paris 1 Sorbonne ne se dissimule plus pour justifier l’interdit frappant un universitaire reconnu et tout le catalogue d’un éditeur progressiste.

Nous exigeons que soit mis fin à cette violation caractérisée de la déontologie scientifique et que la bibliothèque Pierre Mendès France de l’Université de Paris 1 Sorbonne respecte le pluralisme des publications scientifiques mises à la disposition des étudiants et autres usagers. Ceci vaut pour cette bibliothèque comme pour toutes les autres bibliothèques universitaires.

Non à la censure maccarthyste dans les bibliothèques universitaires !

Paris, 3 février 2015

Godefroy Clair, ingénieur d’études à l’université Paris 8
Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine, université Paris 7
Aymeric Monville, directeur des éditions Delga

Le dossier complet sur cette censure et la correspondance y afférente est disponible sur http://www.historiographie.info/debats.html