Prodiges et vertiges de l'analogie

Le titre de cet article est un hommage à Jacques Bouveresse, qui a produit un livre revigorant portant ce titre en 1999, aux éditions Raisons d’agir : il y met en évidence chez nombre de penseurs et penseuses le « littérarisme », cette tendance à abuser de l’analogie et du « droit à la métaphore ». Henri Broch a coutume de répéter la facette zététique suivant : l’analogie n’est pas une preuve. Dans cette page, nous recenserons les analogies les plus stupéfiantes. Lorsque ces analogies empruntent à un domaine des concepts et les introduisent sans justification dans un autre, sans que ni les spécialistes du domaine d’origine ni cell·eux du domaine de réception n’y comprennent goutte, alors nous sommes dans ce qu’Alan Sokal et Jean Bricmont qualifièrent il y a une vingtaine d’années d’imposture intellectuelle, que Sokal rend explicite dans cette rediffusion de l’émission Répliques du 11 octobre 1997 sur France Culture. D’autres impostures ont depuis permis de crever quelques baudruches, comme celle de Benedetta Tripodi, que nous avions relayée. Or, comme le dit notre ami Pierre Deleporte, une imposture intellectuelle se fait à deux : cell·ui qui produit la nébulosité, et cell·ui qui la reçoit sans broncher. Alors entraînons-nous.

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Bruno Bonnell, député République en Marche de la 6ème circonscription du Rhône

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La quadrature du cercle étant établie comme impossible, on ne peut en effet être «en même temps» rond et carré. Il existe pourtant une solution géométrique simple : si on projette un cylindre sur deux plans orthogonaux, on obtient tout à la fois un rond et un carré. En ajoutant une dimension d’analyse, en passant du plan à l’espace un problème mathématiquement et apparemment insoluble trouve sa solution, Eurêka !

Cet exemple est une bonne métaphore de la réussite de La République En Marche dont l’axiome audacieux a consisté à rajouter une dimension idéologique supplémentaire à la réflexion politique en panne. Changer de référentiel était nécessaire dans un monde qui s’est complexifié, et a ouvert  les esprits à des solutions politiques nouvelles. CQFD En Marche !

(dans »Le secret du « en même temps » et les alliances paradoxales« , Tribune du 28 février 2018).

CorteX_Bonnell_Quadrature

La charge de la validité de l’analogie revenant à celui qui l’utilise, nous ne devrions pas avoir à faire le travail d’analyse. Néanmoins, voici les points centraux : 

  • Monsieur Bonnell n’a pas saisi le problème de la quadrature du cercle, problème classique antique, qui n’a rien à voir du tout avec ce qu’il raconte sur le cylindre. Il consiste à construire un carré de même aire qu’un disque donné à l’aide d’une règle et d’un compas, or il nécessite de parvenir à faire la racine carrée du nombre π, ce qui est impossible en raison de la transcendance de π . L’insolubilité du problème a été démontrée par Ferdinand von Lindemann en 1882.
  • L’artifice des projections orthogonales du cylindre ne répond pas du tout à cela – ne répond d’ailleurs à rien.
  • L’analogie de M. Bonnell repose sur :

– une dimension topologique en plus crée de nouveaux objets mathématiques

– une dimension idéologique (?) en plus crée La République en marche

  • Enfin, ajouter une dimension ne revient pas à changer de référentiel. Après avoir fâché les mathématicien·nes et les politistes, il fâche maintenant les physicien·nes.

Vidéo Disputatio n°2 – Souffrance animale et expérimentation thérapeutique

Après la première mouture de disputatio, réalisée en octobre 2016 (voir ici : Vidéo – Disputatio n°1 – L’art du débat rationnel), nous avons remis le couvert le mardi 21 novembre 2017 sur un thème fréquent de nos enseignements liés à la philosophie morale : la souffrance animale se justifie-t-elle moralement dans le cadre de l’expérimentation thérapeutique ? Nos invités furent le pharmacologue Christophe Ribuot et le militant égalitariste Yves Bonnardel. L’événement, qui rassembla environ 350 personnes, fut filmé par les bons soins de Fabien La Rocca, et mis en forme par Djamel Hadji, tous deux membres de l’équipe audiovisuelle de l’Université Grenoble-Alpes. L’événement fut dédié au réseau libre-penseur Mukto-Mona. Il n’y eut aucun travail de coupe dans le document. A déguster sans modération.

Déroulement

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Christophe Ribuot

Le plan du soir fut le même que pour la première fois, et nos consignes sont données dans le début de la vidéo.

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Yves Bonnardel, et la juge Nelly Darbois
Nicolas Vivant
Nicolas Vivant
  • Puis 20/20/10/10 : tirage au sort de la partie qui commence, puis 20minutes de présentation pour chaque partie, puis 10 minutes de réponses aux arguments de la partie adverse.
  • Système d’arbitrage : deux juges de touche ont la possibilité d’arrêter le débat si une entourloupe argumentative est déployée.
  • Vérification des faits (fact checking) : en cas d’utilisation d’une donnée chiffrée, possibilité de vérifier en direct la valeur de la donnée.
  • Enfin le public a eu la possibilité de transmettre ses propres questions par SMS (nous réfléchissons à un système permettant d’archiver ces questions par un autre procédé).
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Richard Monvoisin, Julien Peccoud et Albin Guillaud

Faisant l’analyse de l’événement, le principal regret fut dans le fait que le débat s’est quelque peu « croisé », et non opposé. Par contre le débat fut dans la forme de haute tenue, et le nombre d’interventions assez faible du jury en est témoin.  Voyez plutôt ci-dessous.

Christophe Ribuot met son diaporama à disposition en pdf : ici.

Les vidéos

Premier round

Deuxième round

Troisième round

Quatrième round

Résultats du test

Avec l’aide de Timothée Guilhermet et de Timothée Gallen, nous avons dépouillé les 207 résultats exploitables. Nous avons posé les hypothèses suivantes :

  • H1: Il y a une différence significative entre les scores avant et les scores après le débat chez les personnes du public
  • H2 : les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de l’âge du public (avec l’hypothèse que plus une personne est âgée, moins elle tend à changer d’avis). Aussi avons-nous trié trois populations : moins de 18 ans, 18-34, et 35 ans et plus.
  • H3 : les Les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles.

Nous avons dépouillé en attribuant -1 jusqu’à -5 aux positions du non, et +1 à +5 aux position du oui. Tous les résultats sont tronqués à trois décimales.

Le résultat est… décevant.

La moyenne générale est avant débat de -0.789 ; après débat, de -0.756. Nous avons commencé par tester la normalité de la distribution, et comme celle-ci n’était pas normale, nous avons ensuite fait un test de Wilcoxon signé pour comparer les résultats avant et après. Aucun résultat significatif sur l’effet général, donc H1 n’est pas validée.

Moyenne des moins de 18 ans : avant débat: -0.571 ; après débat: -0.035.

Moyenne des 18-35 ans : avant débat: -1.175 ; après débat: -1.221.

Moyenne +35 ans avant débat: -0.625 ; après débat: -0.729.

La même méthode (normalité puis Wilcoxon) a été utilisée, en testant les moins de 18 ans, ce qui suffit à compromettre l’hypothèse H2. Les différences entre les scores avant et après le débat ne sont donc pas accrues avec la jeunesse du public, puisque les différences sont non significatives même pour les plus jeunes. H2 n’est donc pas validée.

Pour H3 (les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles), nous avons fait comme suit : soit Delta {+/-i}, la moyenne des différences entre la valeur avant et la valeur après pour les gens ayant répondu i ou-i avant.

On s’attend d’après H3 à :

Delta {0} > Delta {+/-1}  > Delta {+/-2} > Delta {+/-3} > Delta {+/-4}

Voici les résultats tronqués à la 4ème décimale.

Delta {0} = 1.5384

Delta {+/-1} = 1.0243

Delta {+/-2} = 1.0245

Delta {+/-3} = 0.625

Delta {+/-4} = 0.7380

On a donc : Delta {0} > Delta {+/-2}  > Delta {+/-1} > Delta {+/-4} > Delta {+/-3}

Sans aucun test, on constate par simple calcul de la moyenne que l’effet n’est pas présent.

Aucune de nos hypothèses de départ n’a donc été validée. Ainsi va la science. Il est possible que ce soit du fait du « croisement » des argumentaires, et/ou aussi d’un effet de gel des positions sur des sujets aussi affectivement marqués. D’autre part, l’idée du questionnaire a été tardive, et fut construite en peu de temps. Il n’est pas exclu que les résultats soient biaisés, par la forme de la présentation, par celle de la question ou celle des modalités de réponse. Nous ferons notre possible pour améliorer le prototype et enlever cette variable de nos biais potentiels. Gageons que les disputes ultérieures auront un plus fort impact, sinon il nous faudra admettre que ce stratagème pédagogique ne porte pas les fruits escomptés.

Les statistiques ont été traitées par le logiciel (non libre) SPSS par Timothée Guilhermet, Licence 3 de psychologie, et Timothée Gallen, Master 2 philosophie des sciences.

CorteX_disputatio_souffrance_animale_21.11.2017

Merci à Ismaël Benslimane, Julien Peccoud, Nicolas Vivant, Nelly Darbois, Albin Guillaud, Timothée Gallen, Timothée Guilhermet, Fabien La Rocca, Djamel Hadji, Francois B pour le graphisme, Serge Merlin-Forel qui s’est démené pour nous procurer les chaises d’arbitre et les conférenciers qui se sont bien donnés, Christophe Ribuot et Yves Bonnardel. Grand merci à Armand Zvenigorodsky pour la musique spécialement créée pour nous.

Statut philosophique des arguments anti-avortement de la Fondation Jérôme-Lejeune et leur critique

Début 2017, Averil Huck est venue en stage au CorteX, dans les locaux de Grenoble, pour clore sa troisième année de licence de philosophie. Sous la poigne de fer (dans un gant de velours violet) de Richard Monvoisin, elle a effectué un magnifique travail critique sur les productions philosophiquement assez peu digestes de la Fondation Jérôme-Lejeune, réputée pour ses positions radicales anti-avortement. Le voici ci-dessous. En toute fin, on trouvera son rapport de stage, plutôt élogieux, ce qui s’explique de deux façons possibles : soit elle a aimé son séjour avec nous, soit elle a peur de son sadique directeur et de ses pouvoirs de vengeance à distance. En attendant, voici un magnifique travail qu’on attendrait plus volontiers au niveau Master 2.

Introduction

La Fondation Jérôme-Lejeune (FJL) est caractéristique du mélange fréquent, dans le marché cognitif de l’information, entre les croyances religieuses et l’usage d’arguments scientifiques censés appuyer celles-ci. Elle a attiré notre attention du fait de son soutien politique important lors de sa création en 1996, de sa reconnaissance d’utilité publique, et d’un combat idéologique très fort pour « défendre la vie et la dignité humaine »1 et contre l’avortement, combat nourri de la réputation scientifique de son fondateur.

La FJL se distingue aussi par une défense argumentative assez éclectique de son combat, ayant recours à des arguments aussi bien déontologiques que conséquentialistes. La façade destinée au public est moins explicitement religieuse que dans d’autres associations « pro-vie », comme chez SOS Tout-petits, par exemple, où la filiation au catholicisme, notamment aux trois figures de Joseph d’Arimathie2, de Jean-Paul II3 et de Mère Teresa4, est manifeste. Le mélange entre croyances et sciences y est néanmoins tortueux, et c’est pourquoi il va nous falloir étudier le rôle que la FJL donne aux sciences dans un combat qui relève de l’idéologie.

I. Les filiations de la FJL

1) Les prémisses de la FJL : Jérôme et Birthe Lejeune

Afin de comprendre la genèse de cette Fondation, il est nécessaire de présenter les personnes de Jérôme Lejeune, qui en a été la source d’inspiration et de sa femme, Birthe, actrice importante dans sa pérennisation.

Jérôme Lejeune est un médecin chercheur qui a travaillé sur les maladies génétiques avec déficience intellectuelle, dont la trisomie 21. Il a été l’un des trois co-auteur·e·s de la découverte du gène de la trisomie 21, avec Marthe Gauthier et Raymond Turpin en 1959, même s’il en est souvent présenté comme seul découvreur. La FJL a eu pour effet secondaire, volontaire ou non, de centrer cette découverte sur le personnage de Lejeune, au détriment des deux autres acteurs et actrices, alors même que la conduite de la recherche, de même que l’intuition dès les années 1930 de l’origine génétique de ce qu’on appelait alors le mongolisme5 reviennent à Raymond Turpin. Quant au rôle de Marthe Gauthier, il a été artificiellement minimisé. Gauthier est en effet à l’origine des cultures cellulaires in vitro d’un enfant trisomique et a pu observer au microscope le chromosome surnuméraire sur la 21ème paire en mai 19586. Seulement, le laboratoire ne disposant pas d’appareil photo efficace pour en prendre trace, Jérôme Lejeune, alors stagiaire au CNRS, s’est alors chargé de faire les photos dans un autre laboratoire7. L’avis du Comité d’éthique de l’Inserm relatif à la saisine d’un collectif de chercheurs concernant la contribution de Marthe Gautier dans la découverte de la trisomie 21 nous fait savoir que « ces photos lui [J. Lejeune] serviront de support dans les congrès et ses interventions médiatiques », participeront de cette façon à le mettre en avant sur le plan médiatique et à le mettre en premier signataire, en 1959, de Les chromosomes humains en culture de tissus, l’article scientifique rapportant la découverte8.

Jérôme Lejeune a très vite craint que cette découverte ne serve à autre chose qu’à une meilleure connaissance de la maladie et à sa prise en charge. En effet, on a pu rapidement développer des tests prénataux diagnostiquant le gène de la trisomie 21, comme le test de clarté nucale entre la 11ème et la 13ème semaine d’aménorrhée couplée à une prise de sang, qui laissent ainsi le choix aux parents de prendre une décision en connaissance de cause. Jérôme Lejeune s’est donc proclamé « défenseur de la vie », sous-entendant qu’en effectuant de tels diagnostics, on faisait non seulement mourir volontairement des êtres désirant vivre, mais en outre on pratiquait l’orthogénisme  : « je vais être obligé de prendre la parole publiquement pour défendre nos malades. On va utiliser notre découverte pour les supprimer. Si je ne les défends pas, je les trahis, je renonce à ce que je suis devenu de fait : leur avocat naturel. »9. Il s’est par la suite investi de manière très combative dans les débats sur l’avortement et les diagnostics prénataux.

Par ailleurs, en pleine période des discussions sur la loi Veil, Birthe Lejeune organise une pétition contre la légalisation de l’avortement, publiée le 5 juin 1971, et réclamant le respect du serment d’Hippocrate qu’elle interprète comme prescrivant de ne pas pratiquer les avortements. En 1974, Jérôme Lejeune a été conseiller scientifique pour l’association anti-avortement « Laissez-les vivre-SOS futures mères ». Fiammetta Venner explique dans son livre L’opposition à l’avortement, du lobby au commando que cette association est la plus vieille association anti-IVG française. Elle a été créée par la Cité catholique10, via l’Action familiale et scolaire11 et est connue pour avoir organisé un commando en 1990 pour bloquer l’accès à des femmes voulant avorter à l’hôpital de Tournon. Iels12 ont aussi organisé deux congrès anti-IVG à Paris les 24 et 25 mars 1991.

Par ailleurs, il a reçu le titre de « serviteur de Dieu » par l’Église Catholique pour sa « défense de la vie ». Jérôme Lejeune a été membre de l’Opus Dei où il a reçu le titre de « docteur honoris causa »13.

En 1996, deux ans après la mort de J. Lejeune, la FJL est cofondée entre autres par le magistrat Jean-Marie Le Méné, par la propre fille de Jérôme Lejeune Clara Gaymard, née Lejeune, et par son mari Hervé Gaymard, secrétaire d’État de la Santé et de la Sécurité sociale de 1995 à 1997 dans le Gouvernement Juppé. Iels ont demandé à ce que la Fondation soit reconnue d’utilité publique et elle le fut en moins d’un an. Nous savons, de surcroît, qu’au moment de la demande, C. Gaymard était directrice de cabinet de Colette Codaccioni, ministre de la Solidarité entre générations. Le Président de la République, Jacques Chirac, était membre du comité d’honneur de l’association Les amis du Professeur Lejeune (LAPL), association créée en 1994 « pour faire connaître son œuvre et ses découvertes, spécialement dans le domaine génétique, faire éditer et diffuser l’ensemble des textes, ouvrages et conférences qu’il a laissés, et poursuivre son action pour la défense de la vie humaine de son premier instant à son terme »14. Cette association finançait, par ailleurs, d’autres associations anti-IVG15. L’association LAPL se transformera ensuite en Fondation et sera réduite à un site biographique. Il faut admettre que ces liens entre certains membres du Gouvernement et la Fondation soulève le doute quant à l’impartialité dans la décision de reconnaître la Fondation d’utilité publique.

2) Etat des lieux actuel des filiations avec des associations chrétiennes de la FJL

La Fondation Jérôme-Lejeune reprend les combats fixés par son personnage éponyme. Il n’est pas évident, quand on ne connaît pas bien la Fondation de saisir d’emblée qu’elle est intimement liée et proche des valeurs chrétiennes catholiques et qu’elle prend une part importante à la défense des intérêts de l’Église catholique romaine. Ce n’est qu’en s’intéressant au personnage et à l’histoire de Jérôme Lejeune ou aux actions concrètes sur la « défense de la vie » de la Fondation qu’on voit ressortir les valeurs chrétiennes du « respect de la vie ». En consultant leur site internet et les manuels pédagogiques qu’iel ont produit, nous avons pu mettre en lumière certaines filiations.

Tout d’abord, sur le bulletin officiel16qui recense les fondations reconnues d’utilité publique, nous pouvons lire que les missions de la FJL sont au nombre de deux : « Poursuivre l’œuvre du Pr. J. Lejeune : recherche médicale sur les maladies de l’intelligence et génétiques; accueil et soins des personnes, atteintes de la trisomie 21 et autres anomalies génétiques. ». Il n’est pas question de leur troisième mission qui est « défendre le commencement de la vie », « défendre le plus petit d’entre-nous »ou encore « défendre le plus fragile d’entre-nous »17. Par conséquent, la Fondation utilise des dons et des legs pour d’autres actions non reconnues par l’État.

La Fondation fait partie du collectif En Marche Pour La Vie qui regroupe différentes associations : Choisir la vie, Les Survivants, Renaissance Catholique, les Éveilleurs d’Espérance, l’Avant-Garde. On peut donc se rendre compte de l’action militante politique de la FJL, liée à ces associations d’obédience chrétienne. Jean-Marie Le Méné, le président actuel de la FJL, fait de nombreuses apparitions et discours lors des « marches pour la vie » (dernier discours recensé le 22 janvier 2017, au moment de rédiger ces lignes18). Celui-ci a aussi a été auditionné en 2008 et en 2009 dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique par le Conseil d’État et l’Assemblée nationale, ainsi qu’en 2011 par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique.

On peut trouver dans le Manuel Bioéthique des jeunes produit par la FJL des liens vers des sites renseignant les femmes enceintes sur les idées pro-vie en général, sur l’IVG et la parentalité en particulier. Iels citent notamment ivg.net avec le numéro gratuit et sosbebe.org (p. 14). Bien souvent, ce sont des sites qui ne se présentent pas comme pro-vie mais qui partagent ces idées et véhiculent de fausses informations. Ces sites sont considérés depuis la loi Vallaud-Belkacem du 4 août 201419 comme faisant entrave à l’information à l’IVG, et étaient au cœur de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG promulguée le 20 mars 201720.

La Fondation a reçu un prix le 4 mai 2017 appelé le « prix evangelium vitae 2017 » remis par l’Université catholique Notre-Dame dans l’Indiana aux États-Unis pour leurs actions en faveur du « respect de la vie ».

La Fondation est aussi assez prolixe sur les médias. Sur leur site, nous pouvons lire et écouter les différentes tribunes et articles de Jean-Marie Le Méné dans lesquels il s’exprime régulièrement au nom de l’association : Radio Chrétiennes Francophones, Famille Chrétienne, Valeurs actuelles, L’Homme Nouveau, Radio Notre Dame, Le Figaro, La Croix, La Nef, l’agence de presse religieuse Zénit, Libertépolitique.com. Ces radios et journaux ont en commun leur ligne éditoriale de droite conservatrice et pour la plupart chrétienne catholique.

3) Filiations aux autorités catholiques

Certain·e·s adhérent·e·s de la FJL sont en lien étroit avec les institutions catholiques.
Jean-Marie Le Méné est depuis 2009 membre de l’Académie pontificale pour la vie, académie créée en 1994 par le Pape Jean-Paul II. C’est une « institution indépendante » siégeant au Vatican et qui a pour mission « d’étudier, d’informer et de former » au sujet des « principaux problèmes biomédicaux et juridiques relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans le rapport qu’ils ont avec la morale chrétienne et les directives du magistère de l’Église ». Elle est financée en partie par une Fondation créée par le Vatican, la Fondation Vitae Mysterium. Nous savons, en outre, que le Pape François a soutenu le mouvement En Marche Pour La Vie21, tout comme un certain nombre d’évêques français (21 signataires sur environ 80 évêques métropolitains)22.

Intéressons-nous à présent aux positions de l’Église catholique romaine sur les questions de l’avortement. Le Pape Paul VI a rédigé la lettre encyclique Humanae Vitae en 1968 et elle porte « sur le mariage et la régulation des naissances ». Dans cette encyclique, Paul VI exprime les craintes de l’Église quant aux nouvelles questions qui se posent à l’époque. En effet, les débats sont intenses à propos de la liberté sexuelle des femmes, de la planification familiale et de la contraception, tout ceci émancipé de la tutelle patriarcale. Face à ces revendications, l’Église catholique vient renforcer ses valeurs et injonctions sur l’importance du mariage et de la régulation des naissances. Selon leur «  doctrine fondée sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine », un mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme pour toute leur vie et cette union a comme finalité la « génération et l’éducation de nouvelles vies ». Leurs positionnements sont clairs : utiliser la contraception ou avoir recours à l’IVG revient, à « contredire à la nature de l’homme comme à celle de la femme et de leur rapport le plus intime, c’est donc contredire aussi au plan de Dieu et à sa volonté »23. Ils interdisent donc le recours à l’IVG même thérapeutique, les contraceptions et les stérilisations définitives (vasectomie, ligature des trompes). Le seul moyen de réguler les naissances est de suivre le cycle naturel reproducteur qui est l’œuvre de Dieu. Par ailleurs, il faut, selon cette encyclique, éduquer à la chasteté et se dresser contre l’excitation des sens, le dérèglement des mœurs, la pornographie et autres spectacles licencieux.

On peut lire, en outre, dans la bibliographie du Manuel Bioéthique des jeunes l’utilisation de la lettre encyclique Evangelium vitae, écrite par Jean-Paul II, en 1995 et qui porte « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine ». Cette encyclique est présentée comme plus moderne, plus adaptée aux mœurs d’aujourd’hui. Celle-ci est centrée sur le statut de la vie, et de l’embryon, ainsi que sur les atteintes à la vie humaine, à sa dignité, à son intégrité. L’avortement y est considéré comme une menace au même titre que le génocide, l’euthanasie ou le suicide. Le Pape Jean-Paul II y déclare que « l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent »24.

 

II. Les arguments anti-avortement de la FJL

Les philosophes tendent à distinguer deux grandes catégories d’arguments moraux dépendant de leurs fondements idéologiques. Nous distinguerons donc ici les arguments dits déontologiques, qui se basent sur le respect d’un ou de plusieurs devoirs fondamentaux, et les arguments conséquentialistes, qui tendent à jauger moralement les choix en fonction de leurs conséquences globales, positives ou négatives.

1) Arguments déontologiques qui découlent de la morale de Loi naturelle et des encycliques

Intéressons-nous à présent aux arguments développés par la Fondation Jérôme-Lejeune par rapport à l’avortement et essayons d’en évaluer la logique interne. Avant tout, précisons que tous ces arguments reposent sur une triple prémisse :

  • la vie est une notion claire et le fruit d’une volonté transcendante. Elle est présente dès la fécondation et est un don divin sur lequel l’humain·e n’a pas à agir.
  • Dieu a un plan et ses créatures, les humain·e·s, doivent le suivre sans y déroger.
  • La vie de l’embryon doit être comprise comme de valeur égale à toute autre vie humaine et est une vie en propre, séparée de celle de la mère.

Nous avons distingué quatre arguments majeurs. L’avortement est considéré

  • comme meurtre
  • comme dérogation au rôle dévolu à « la mère »
  • comme droit abusif de propriété (dérive du précédent)
  • comme instrument de politique eugéniste.

A) L’avortement comme meurtre

Nous comprenons, à partir des présupposés religieux que nous venons d’exposer, qu’à partir du moment où l’avortement est posé comme un acte allant à l’encontre du plan divin, il est donc par conséquent proscrit. Y recourir équivaut à un meurtre. En effet, avorter, c’est ôter la vie, c’est « un acte de mort » (p. 17). La FJL explique dans le Manuel Bioéthique des jeunes qu’« en avortant son enfant, on choisit pour lui la mort, comme si on avait le droit de tuer. La loi qui donne ce droit semble rendre ce choix acceptable. Et pourtant on commet un acte de mort. Si la justice française ne le reproche plus depuis 1975, la conscience rappelle ce principe fondateur : « tu ne tueras point ». Ce qui est légal n’est pas forcément moral. » (p. 17).

De la sorte, pour proscrire l’avortement et montrer que c’est un acte mauvais, la FJL fait appel au sixième commandement25, regrettant que ce commandement ne fasse pas office de loi, et jugeant l’actualité juridique comme en retard sur la morale : ce qui est moral découle de Dieu, de la Bible – définition archétypale d’une morale déontologique chrétienne – et ce qui est juridique, ce sont les lois humaines, imparfaites et parfois, selon eux, immorales.

À titre accessoire, on trouvera également dans leurs productions ce type de constatation : « tuer son enfant ne peut pas être source de liberté ni d’accomplissement personnel » (p. 16) sous-entendant ici en une forme rhétorique classique dite « de l’épouvantail » (ou strawman) que les femmes qui avortent le revendiquent avec pour seul argument une simple liberté, une simple commodité et que, de l’acte même d’avorter, les femmes en tirent un accomplissement personnel. C’est l’argument standard de « l’avortement de confort », qu’avait défendu Marine Le Pen le 8 mars 2012 sur France 2, déplorant que « [l]es avortements de confort sembl[ai]ent se multiplier ».

B) L’avortement comme dérogation au rôle fixé de femme-mère

L’avortement est considéré comme « une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère ». La Fondation en donne pour preuve « [l]’immense souffrance de la stérilité [qui] montre combien la maternité est constitutive de l’identité féminine »26. La Fondation juge que « la capacité de l’homme et de la femme à être père pour le premier, et mère pour la seconde, est l’une des caractéristiques essentielles de l’identité sexuelle. La grossesse et la maternité sont une part importante de la féminité »27. Dans cette lecture des choses, n’existeraient que deux sexes bien délimités, avec deux « essences » distinctes auxquelles sont assignés des rôles genrés précis (ceux de l’homme et ceux de la femme). Ces deux catégories seraient irréductibles aussi bien sur le plan biologique que social. Le féminin serait per se toujours lié à la reproduction, la maternité, le care, à l’exclusion du masculin. Nous retrouvons dans la seconde citation le lien fait entre sexualité et procréation par l’Église catholique romaine. L’identité sexuelle y est exclusivement définie en rapport direct à la reproduction, évinçant de fait tout autre pratique sexuelle ne servant pas un dessein procréatif.

C) L’avortement comme droit abusif de propriété de la mère sur l’enfant

La FJL répond ici à un argument utilisé par les féministes, dans le cadre juridique de la dépénalisation de l’avortement, qui invoquait « le droit à disposer de son corps ». Elle y répond par l’argument biologique suivant : l’embryon n’est pas une partie de la mère, c’est un être humain à part entière, « le fait d’être abrité et nourri dans le corps de sa mère, ne fait pas de l’enfant in utero un élément du corps de la mère. Il en diffère par toutes ses cellules »28. De ce fait, la mère ne peut pas disposer de l’embryon ou du fœtus comme elle l’entend. Dans le dossier « IVG/IMG » créé par le site www.genethique.org29, l’argument est plus détaillé. « Pourtant, biologiquement, l’enfant n’est pas une partie du corps de sa mère : il en est l’hôte. La preuve en est : l’enfant a un patrimoine génétique distinct de celui de sa mère ; il peut même, en cas de dysfonctionnement du corps de sa mère, produire des anticorps ; il continue à se développer normalement même si la mère est dans le coma, comme le montre la première médicale de ce type répercutée par la presse en octobre 2009 (cf. Synthèse de presse Gènéthique du 12 octobre 2009) »30. Cet argument permet donc à la FJL de proscrire l’avortement, en répondant à un argument juridique par un argument biologique. Afin de cerner les droits des personnes, il est nécessaire de définir les bornes de ce qu’est une personne juridique, c’est-à-dire ayant des droits. Par conséquent, le Droit s’appuie sur la biologie et les avancées scientifiques pour définir la vie et la mort, une personne et une chose, soi et son corps, etc. Pour l’instant, dans le Droit français, un·e enfant obtient la personnalité physique (qui nous donne droits et devoirs) dès la naissance, s’iel est vivant·e et viable. La FJL s’insurge contre cela et voudrait placer le début de la vie à la fécondation afin de garantir des droits à des « personnes potentielles ».

Pour répondre à ce problème, la FJL présente deux solutions « morales », qui sont :

  • garder l’enfant,
  • ou le faire adopter.

Comme on le comprendra, avorter ne fait pas partie de ces solutions. Dans le Manuel Bioéthique des jeunes, la FJL explique à plusieurs reprises que « la meilleure façon d’aider une mère en difficulté n’est pas de l’aider à supprimer une vie mais à résoudre ses difficultés. Si la mère ne peut pas élever son enfant, l’adoption reste aussi un recours pour lui » (p. 17). Iels ajoutent à cela qu’ « [e]n France beaucoup de parents (28 000 en 2008) sont prêts à accueillir un enfant par adoption » (p. 17). Qu’en est-il des grossesses non-désirées suites à un viol ? « La mère doit être bien accompagnée après un tel traumatisme mais tuer l’enfant n’annule pas le drame » (p. 16). « Pourquoi l’enfant […] subirait-il la peine de mort que ne subira pas le criminel ? » (p. 16). Partant, même en cas de viol, les femmes doivent, soit décider de garder l’enfant, soit le·la faire adopter.

D) L’avortement comme instrument d’une forme d’eugénisme

Une autre inquiétude exprimée par la Fondation est celle de l’eugénisme. La FJL explique que 96% des cas de trisomie 21 diagnostiqués aboutissent à un avortement. Jean-Marie Le Méné, dans son livre Les premières victimes du transhumanisme considère que ce sont les personnes trisomiques qui sont victimes d’une sélection artificielle normative, définition même de l’eugénisme de Francis Galton (1822-1911). Jérôme Lejeune parlait de « racisme chromosomique »31. Par ailleurs, nous pouvons lire ceci : « Le diagnostic prénatal est trop souvent utilisé pour surveiller la « qualité » de l’enfant (voire l’éliminer s’il n’est pas conforme à l’attente des parents ou de la société) »32 et « notre société devient de plus en plus intolérante face au handicap et « le mythe de l’enfant parfait » avance… »33. En conséquence, la Fondation craint que les avancées scientifiques (DPN, DPNI, DPI, IVG…) ne fassent dériver notre société vers une société qui classe les humains en personnes acceptables et non-acceptables (les personnes handicapées moteurs et mentaux) et finissent par faire éliminer ces personnes non-acceptables au profit d’enfants « parfaits », sans « défauts ». Leur lutte se place sur la recherche scientifique afin de trouver une thérapie et guérir les personnes trisomiques. Une fois la guérison possible, le critère de la maladie trisomie 21 comme maladie incurable ne pourra plus être invoqué et aboutir à des avortements.

2) Nouveaux arguments de type conséquentialiste

Nous aurions pu faire l’hypothèse selon laquelle la grille de défense des thèses de la FJL était unilatéralement déontologique. Pourtant, en regardant en détail, il semble, sans que nous puissions le dater avec précision, qu’une autre stratégie morale se fasse jour, avec des arguments qui s’aventurent dans l’idéologie conséquentialiste.
Nous avons délimité deux d’entre eux, aussi caractéristiques que récurrents dans la prose de la FJL : l’invocation de la douleur du fœtus, et celle des risques auxquels s’exposent les femmes qui avortent.

A) Le fœtus ressent la douleur dès le deuxième trimestre

« Aujourd’hui on sait tous que le fœtus perçoit la douleur dès le second trimestre de grossesse et sans doute avant (Assises Fond. PremUp, juin 2010). »34. La Fondation nous donne explicitement la source de cette affirmation scientifique. Elle provient d’un colloque, les Assises de la fondation PremUp35, datant de juin 2010 et intitulée « La douleur du fœtus et du nouveau-né prématuré ». Il y est question de la douleur fœtale et des problématiques qui s’y rapportent : comment la mesurer ? Comment la prendre en compte ? Quel est le statut du fœtus et de l’embryon ? etc.
Précisons, néanmoins, que la citation n’est pas exacte. Ayant lu les actes du colloque en intégralité, nous n’avons pas été en mesure de retrouver la phrase telle quelle.

Cet argument implique donc que l’on ne doit pas avorter de peur de faire du mal au fœtus ou à l’embryon car il ressent la douleur. C’est un argument clairement conséquentialiste car ce sont les conséquences de l’acte d’avorter qui sont prises en compte. Nous pourrions aller plus loin encore en disant que c’est un argument utilitariste car il invoque la douleur. L’utilitarisme repose sur un double principe : la maximisation du bonheur et la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents. Ici, la Fondation part du principe que la douleur du fœtus est plus importante que celle d’une mère dans l’évaluation de la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents.

B) Il y a des risques pour les femmes qui avortent : le syndrome post-avortement (SPA)

Une autre manière de décourager les femmes d’avorter, c’est d’invoquer les risques qu’elles courent. L’argument qui revient le plus par rapport aux risques, c’est celui du syndrome post-avortement. « On observe chez beaucoup de femmes qui ont avorté un état dépressif et des désordres divers : culpabilité, perte de l’estime de soi, dépression, désir de suicide, anxiété, insomnies, colère, troubles sexuels, cauchemars sur son bébé qui la hait, qui l’appelle… Le lien avec l’avortement n’est pas toujours fait. Ces conséquences, qui peuvent apparaître tout de suite ou plus tard, sont aujourd’hui bien connues et identifiées sous le nom de « syndrome post-abortif ». Ces symptômes s’amplifient chaque fois que la mère rencontre une femme enceinte, voit un bébé dans un landau, passe près d’une clinique, pense à l’anniversaire de son enfant… Le syndrome « post-abortif » ne se limite pas à la mère. Il est possible qu’il s’étende aux proches : au père, aux frères et sœurs ».

Nous pensons que la FJL fait référence, à la fin de la citation, au « syndrome du survivant » invoqué par les jeunes de l’association les Survivants. Ces jeunes partagent leur choc devant l’affirmation suivante : « nés après [19]75, nous avions 1 chance sur 5 de ne pas voir le jour puisque l’on pratique en France 220 000 avortements pour 800 000 naissances »36. Iels se battent par conséquent contre l’IVG et témoignent du manque qu’iels ressentent : « Nous ne connaîtrons jamais notre sœur ou notre frère arrivé trop tôt ou trop tard ». En plus de cela, la Fondation fait des liens avec des associations et organisations à caractère religieux dans lesquelles les femmes s’expriment par rapport à leur avortement : www.sosbebe.org, www.ivg.net (et le numéro vert), http://www.silentnomoreawareness.org/ sur lequel on peut retrouver cette phrase : « Dans le monde les femmes commencent à témoigner : « si seulement nous avions su » ». Enfin, la Fondation donne des liens vers des maisons d’accueil, Tom Pouce et El Paso (p. 14), cette dernière étant sous l’égide de la Fondation Notre-Dame.

 

III. Analyse critique des arguments

Autant l’analyse des arguments déontologiques ne se fait qu’au prix du décentrage des valeurs fondamentales sur lesquels ils reposent – quels devoirs, envers quelle entité sur-naturelle, etc.– autant l’analyse des arguments conséquentialistes est en soi plus simple, car pour l’essentiel, les faits empiriques confrontent et jaugent les allégations de type scientifique produites par la FJL.
Nous allons donc d’abord faire une brève revue de la scientificité des prétentions, puis nous introduirons le problème central de l’épistémologie de la FJL : l’essentialisme.

1) Vérification des prétentions scientifiques

Une part de l’argumentaire de la Fondation Jérôme-Lejeune repose sur des arguments de type scientifique, c’est-à-dire, pour faire simple, qu’iels affirment des choses sur le monde et que ces affirmations sont testables. Nous avons relevé trois prétentions scientifiques :
a) la notion de « vie » est claire et ne fait plus débat ;
b) le fœtus ressent la douleur ;
c) les femmes courent des risques psycho-pathologiques dus à l’avortement (syndrome post-avortement).

Au vu du militantisme de la Fondation, il nous a paru nécessaire de vérifier si ces prétentions correspondaient réellement à l’état actuel des connaissances scientifiques.

A) Il n’y a plus de débat scientifique sur le statut de la vie

Nous l’avons abordé plus haut (partie II.1.A), la FJL part du principe qu’il n’y a plus de débat en ce qui concerne le statut du début de la vie de l’embryon. Ses représentant·e·s affirment qu’« accepter que la fécondation soit le départ d’un nouvel être humain n’est pas une question de goût ou d’opinion, c’est une réalité biologique. Toutes les preuves scientifiques vont dans ce sens et rien ne peut prouver le contraire. Personne n’en doute sincèrement »37. Or, c’est un débat qui est loin d’être clos. En effet, il existe encore des programmes de recherche, des colloques, des articles scientifiques publiés sur le sujet qui montrent la complexité de poser le point de départ de la vie, et à plus forte raison celle de définir la vie. Le projet de définir ne serait-ce que biologiquement la vie rencontre d’énormes écueils, comme l’a montré Claude Bernard (1878), de même que sur le plan physique (Schrödinger 1944), sans parler des plans axiologiques ou téléologiques qui malgré leur intérêt, ne se soumettent pas à la corroboration de la même façon.
Pour ne prendre que la biologie qui nous occupe ici, Tsokolov (2009), Mullen (2002), Strother (2010) McKay (2004) et tant d’autres ont du mal à s’entendre sur la définition de la vie, depuis les virus et viroïdes jusqu’aux coraux. Quant à dire quand exactement commence un processus qui est mal délimité, c’est une sacrée gageure.

La FJL ne se risque d’ailleurs pas à donner de source d’un quelconque consensus scientifique à ce propos. Ils·elles font le choix arbitraire de placer le début de la vie humaine au moment de la fécondation, c’est-à-dire, au moment où les gamètes fusionnent pour donner une cellule-œuf contenant l’ADN. Pourquoi faire commencer la vie à la fécondation ? Ce n’est pas une hypothèse idiote. Il faut cependant considérer que c’est une hypothèse parmi d’autres et, qu’à ce jour, la communauté scientifique n’a toujours pas tranché.

De cette sorte, la Fondation fait un choix théorique, parmi d’autres, lié à ses convictions chrétiennes où la vie humaine est un don de Dieu, une création faisant partie du plan divin. Avorter revient donc à déroger au plan divin et à pêcher. Chez les militant·e·s anti-avortement, nous assistons fréquemment à la volonté de prouver rationnellement un principe provenant d’une révélation divine, à l’instar de Thomas d’Aquin, au XIIIe s. qui a tenté de prouver rationnellement l’existence de Dieu. L’argument de la fécondation est du même acabit. Mais si l’on se détache de l’idée de création, de divinité, ou de son avatar politique l’intelligent design38, alors il n’y a pas lieu de choisir nécessairement l’hypothèse du début de la vie au moment de la fécondation.

B) La douleur fœtale

La douleur fœtale est un autre argument brandi par la Fondation (partie II.2.A). Est invoqué à l’appui de cette douleur un colloque scientifique, les Assises Prem.Up 2010 pour démontrer que la douleur apparaît « dès le (sic) 2nd trimestre de grossesse et sans doute avant ». Or, à l’évidence, personne n’a démontré quelque chose de ce type lors de ce colloque. Les personnalités présentes ne sont d’ailleurs pas tout à fait d’accord sur le moment où le phénomène de la douleur apparaît pour le fœtus mais il semblerait que « les voies de la nociception (terme qui désigne les voies nerveuses qui conduisent l’information douloureuse de l’organe cible jusqu’au cerveau) sont formées dès la fin du second trimestre de la grossesse. Dès ce terme, le fœtus est capable de percevoir ce type de stimulations. Il est impossible de savoir en revanche ce qu’il ressent exactement, mais il est essentiel de déterminer si ces stimulations peuvent avoir des conséquences immédiates ou à long terme sur le bébé à naître. » (troisième intervenante, Véronique Houfflin Debarge). On peut compléter ceci avec une étude multidisciplinaire : « Les fibres thalamo-corticales commencent à apparaître entre 23 et 30 semaines d’âge gestationnel; d’autre part, l’électroencéphalographie chez le prématuré suggère que les capacités de perception de la douleur ne sont probablement pas fonctionnelles avant 29 ou 30 semaines »39. Rappelons que les IVG sont autorisées en France jusqu’à 12 semaines de gestation, hormis pour les IMG (Interruptions Médicales de Grossesse) qui peuvent être autorisées à la toute fin de la grossesse – ce qui concerne un chiffre assez restreint des avortements. La FJL semble aussi omettre le fait qu’aujourd’hui, on propose aux femmes ayant recours à l’IMG des analgésiques pour fœtus, pour empêcher qu’ils souffrent pendant la procédure. « Lors des gestes fœticides par exemple, réalisés lors des interruptions médicales de grossesse au troisième trimestre de la grossesse, il est nécessaire d’assurer au préalable une anesthésie du fœtus avant d’injecter le produit qui va arrêter sa vie. » (Houfflin Debarge, déjà citée).

C) Le syndrome post-avortement

Plusieurs études40 montrent que le SPA est un mythe créé de toutes pièces, qui démarre en 1987 avec David C. Reardon et son livre, Aborted Women: Silent No More. Il y détaille une étude de psychologie qu’il a menée sur 252 femmes qui aurait prouvé la réalité de ce syndrome. Intéressons-nous à sa scientificité car cette étude présente des lacunes méthodologiques.

Reardon a fait son étude sur 252 femmes faisant toutes partie du groupe « Women exploited by abortion » (WEBA) qui est une association regroupant des femmes regrettant d’avoir avorté. Son échantillon d’étude est non-conforme et biaisé car il devrait impliquer des femmes ayant avorté venant de différents milieux sociaux, de différents avis sur l’avortement. En somme, son échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des femmes et est très orienté vers une souffrance subjective accrue. Ensuite, il n’y a pas de groupe témoin auquel comparer le mal-être ou le bien-être du groupe test. Il aurait fallu pouvoir comparer ce groupe de femmes, avec un autre groupe ayant poursuivi leur grossesse jusqu’au bout de même qu’avec un troisième groupe n’étant pas enceintes et nullipares par exemple. Dans une autre étude, une comparaison a été faite, à deux semaines et six mois après l’avortement (ou l’accouchement), de la santé mentale entre un groupe de femmes ayant avorté et un groupe de femmes ayant poursuivi leur grossesse41. Il n’y a pas eu de résultats prouvant un lien de causalité entre l’avortement et la santé mentale dégradé des sujets. Au contraire, on mesure plutôt du stress avant l’avortement et il peut y avoir plusieurs autres facteurs : « les impacts d’une grossesse non désirée ; l’oppression religieuse et patriarcale ; les facteurs socio-économiques ; les violences envers les femmes; et l’influence négative du mouvement pro-vie. »42. On note aussi un soulagement après l’avortement.

L’auteur utilise par ailleurs une échelle de mesure du bien-être et du mal-être non-officielle. Il semblerait qu’il en ait créé une pour son étude. On peut voir dans son « appendice 2 » le questionnaire qu’il a donné à ses sujets pour évaluer le mal-être qu’elles ont vécu dans la prise de décision d’avorter. Il utilise une échelle de 1 à 5, dans laquelle 1 équivaut à « not at all » et 5 à « very much ». Il y a une case en plus « N-A (non-applicable) et unsure (pas sûre) ». En psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie qui s’intéresse à l’évaluation du bien-être, il existe une échelle, the Subjective Happiness Scale (SHS) ou Échelle de bonheur subjectif. Elle va de 1 à 7 et est l’une des plus utilisées.

Notons en outre que son étude n’est pas une publication scientifique mais un livre best-seller. C’est une étude isolée qui n’a pas été répliquée. Pour qu’une étude amène à un consensus, il faut qu’elle soit répliquée dans différents laboratoires afin de déterminer si le résultat est confirmé ou infirmé. Dans quel cas, elle ne peut être prise en compte. En l’occurrence, il y a eu d’autres études qui ont été revues par des pairs, c’est-à-dire que d’autres spécialistes ont lu et critiqué l’étude avant qu’elle ne soit publiée, et iels ne sont pas arrivé·e·s au même résultat que David C. Reardon (voir études déjà citées).

Enfin, il faut savoir que cette étude est en partie impossible à évaluer car on ne peut pas réfuter le pseudo mécanisme du « refoulement » hérité de la psychanalyse. Une étude scientifique incluse dans un corpus théorique irréfutable n’offre pas la possibilité d’être infirmée expérimentalement dans le cas où elle serait fausse. Ici, l’affirmation selon laquelle des femmes refoulent le traumatisme et qu’elles en souffrent sans le savoir n’est pas testable et, de fait, sort du champ des allégations scientifiques.

             Ainsi, nous avons mis au clair certaines prétentions scientifiques qu’a la FJL et avons pu montrer qu’aucune de ces prétentions ne résistait à la critique. La Fondation fait des recherches en génétique et c’est tout à son honneur. Cependant, elle a tendance à tordre certaines connaissances scientifiques afin de confirmer ses positions morales, positions morales qui ne sont en outre pas confortées par la scientificité des recherches effectuées. Il est notoire qu’un haut degré de scientificité n’augure pas d’un choix moral forcément positif, et le XXe siècle illustre bien cette corrélation illusoire. Nous pouvons en conclure que la rigueur scientifique prônée par la Fondation est une façade qui leur permet d’avoir plus d’autorité et d’audience.

2) Essentialisme

En imputant un rôle « naturel », celui d’être mère, à « la femme », la FJL parle bien d’une seule « nature » qui habite de la même manière chaque femme. « La femme » est vouée à la grossesse et à la maternité. Il en découle qu’avorter est contre-nature. Cette manière privilégiée d’être « femme » serait déterminée par l’appartenance au sexe femelle. La FJL s’inscrit dans une vision dichotomique essentialiste critiquable des êtres humains. En quoi exactement ? Premièrement, la FJL se place dans un cadre de pensée dans lequel il y a une distinction entre le domaine du naturel et le domaine du culturel. Deuxièmement, une causalité entre sexes et rôles sociaux, ou encore entre sexes et genres, est implicitement postulée. Troisièmement, ce cadre de pensée se base uniquement sur ce qu’il présente comme « la biologie ». Rappelons que la FJL est très proche des institutions catholiques chrétiennes, sans toutefois aller jusqu’à invoquer dans ses propres communiqués la Création biblique. Elle passe par la science afin de parler de ce qui est « naturel », sans d’ailleurs prendre le temps de questionner cette notion protéiforme de « nature ». Or, il se trouve que les trois aspects de cette vision essentialiste ont été largement remis en cause depuis la seconde moitié du XXe siècle. Nous allons tout d’abord voir en quoi penser les genres comme déterminés par les sexes est une erreur. Nous mettrons ensuite en évidence des limites en ce qui concerne l’utilisation de la biologie comme base théorique à la description des comportements sociaux du genre humain.

Tout d’abord, la FJL voit une séparation entre un sexe dit « biologique » et un sexe dit « social ». Chez l’humain·e, il y aurait une « partie naturelle » d’où découleraient, dans le « domaine culturel », des rôles sociaux, des comportements, des préférences, des ambitions, des envies, etc. Partant, du fait qu’une personne soit pourvue d’un appareil génital femelle (ou d’un génotype femme), il en découle qu’elle doive se reproduire et s’occuper de la progéniture. De nombreux·ses biologistes, psychologues d’obédience psychanalytique et anthropologues de la première moitié du XXe siècle pensaient décrire un état de fait en corroborant ce modèle, essentialiste et bicatégorisé, dans lequel un génotype / caryotype femme implique un « comportement » de femme (avec les rôles sociaux féminins et maternels coutumiers associés). La lecture qu’offre la FJL présente de multiples similitudes avec cette représentation, comme on peut le lire dans le manuel Théorie du genre : décryptage à l’intention des jeunes : « Le « sexe » désigne la réalité biologique – garçon ou fille – de l’être humain, tandis que le « genre » désigne la dimension sociale du sexe, c’est-à-dire le comportement social d’un homme ou d’une femme en lien avec son sexe biologique ». Cependant, les travaux de féministes de la première vague telles que Simone de Beauvoir ou Ann Oackley ont brisé cette implication. Des années 1950 à la fin des années 1970, elles se sont intéressées aux résultats des recherches en biologie et en sciences humaines et sociales pour entamer une première critique de l’approche causaliste entre sexes et genres et de la distinction entre sexes et genres. De plus, leur démarche avait explicitement des fins de changements politiques et sociaux (droit de vote, accès à la contraception, doit à l’avortement, meilleures conditions de vie, égalité en droits…). Ces auteur·e·s voient une plus grande influence du culturel que du biologique sur les comportements humains. Pour Ann Oackley, au niveau définitionnel, « le mot « sexe » se réfère aux différences biologiques entre entre mâles et femelles : à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence corrélative entre leurs fonctions procréatives. Le « genre », lui, est une question de culture : il se réfère à la classification sociale en « masculin » et « féminin » »43. Le « sexe » est vu comme un invariant tandis que le « genre » est contingent, c’est-à-dire que l’on peut faire changer ces rôles sociaux par l’action politique.
Toutefois, pour certain·e·s féministes des années 1990, dont la sociologue et philosophe matérialiste Christine Delphy44, la critique n’est pas aboutie. En effet, penser un invariant (les sexes) et un variant (les genres) est insuffisant pour fonder un modèle satisfaisant, car cela implique que ce qui définit principalement les êtres humains est leur sexuation. Certain·e·s pourraient en effet penser que ce qui varie arbitrairement (les genres) ne peut définir de manière consistante un groupe d’individus, et donc qu’une catégorisation solide doit faire appel à un invariant, soit le sexe. C’est ce problème pour penser le genre qui amène Delphy à soutenir qu’il y a un impensé dans la plupart des travaux scientifiques et féministes qui est l’« antécédence du sexe sur le genre »45. Ce postulat implicite renvoie à la séparation (somme toute artificielle en bien des points) nature / culture. Notons que cet impensé conduit à ne plus pouvoir penser les genres que comme résultant des sexes. Or, nous ne pouvons pas penser en-dehors de concepts culturellement et historiquement construits. Les travaux d’anthropologues comme Lévi-Strauss ont été remis en cause sur ce point : il n’existe pas d’état naturel de l’humain où son « essence » se traduirait par son sexe. D’un point de vue simplement méthodologique, il est difficile d’affirmer l’existence d’ « essences ». Il faudrait en effet isoler les personnes de leur société afin d’évaluer ces « essences » séparément de l’influence de l’environnement et des interactions avec autrui. De plus, en ce qui concerne le développement cognitif humain, « établir qu’une différence cérébrale est purement biologique et non pas sociale est méthodologiquement impossible : la grande majorité des connexions neuronales se forment après la naissance et la différentiation sexuée du cerveau est donc un processus continu modulé par l’expérience et la société »46. C’est pourquoi nous jugeons à l’aide du rasoir d’Occam47, un principe méthodologique de parcimonie des hypothèses, qu’il est très coûteux de postuler deux essences complémentaires qui déterminent tous nos faits et geste. Nous n’en avons en fait pas l’utilité pour expliquer qu’il y ait des êtres différents les uns des autres et que, de fait, ils ont des rôles différents dans la société. Il est nécessaire de comprendre que les êtres humains sont des êtres sociaux complexes et qu’il faut de ce fait distinguer plusieurs niveaux de description irréductibles les uns aux autres, rendant par là douteux de tout réduire au déterminisme strictement biologique. Surtout, lorsque ce qu’on peut considérer comme étant « le biologique » est l’objet d’une discipline scientifique (la biologie), construite et en évolution, objet par ailleurs différent de ce que la FJL appelle du même nom. Les études de genre (et non pas « la théorie du genre », déformation de type strawman48 utilisée par la FJL) penchent aujourd’hui davantage pour une explication qui combine les interactions avec l’environnement, avec autrui et avec la société sans rejeter pour autant notre héritage biologique. Par conséquent, des auteur·e·s comme Delphy argumentent en faveur de l’utilisation du concept de « genre » au singulier. Il renvoie alors au système de domination qui produit ces catégories de pensée que sont « sexes » et « genres » et qui applique la division, la hiérarchisation et l’hétéro-normativité. C’est pourquoi Delphy soutient que le genre précède le sexe. Cette expression lapidaire veut dire que nous sommes toujours impliqué·e·s dans une culture et que tous les concepts que nous utilisons sont construits. La FJL emploie le terme « genre » au singulier comme indissociable de son « genre » opposé. Les « genres » sont donc toujours pluriels et, pour eux, au nombre de deux : le féminin et le masculin. Ni la bicatégorisation, ni le caractère mimétique du genre par rapport au sexe (c’est-à-dire où sexe mâle va avec masculin et sexe femelle va avec féminin et jamais autrement) ne sont remis·es en cause. On notera que ces postulats non questionnés impliquent une naturalisation de l’hétérosexualité qui participe à normer les comportements à travers les discours.

Il en découle que nous ne pouvons utiliser la biologie pour décrire les interactions humaines sans la replacer dans un contexte socio-historique et politique. Les travaux du philosophe étasunien Thomas Laqueur49 vont dans ce sens. Les sciences s’inscrivent dans le système de genre et participent à la pérennisation voire à la production de concepts, de schémas de pensée binaires et mimétiques. Le « sexe » est aujourd’hui souvent pensé en deux pôles distincts et complémentaires et réduit aux caractères anatomiques (avoir un pénis ou un vagin) ou chromosomiques (XY ou XX). Cette définition ne prend pas en compte les personnes qui ne sont ni mâles, ni femelles, que ce soit sur le plan phénotypique, hormonal, génétique. On range un peu artificiellement ces personnes dans la catégorie dite « intersexe », bien qu’il en existe plusieurs types. Ces personnes représentent environ 1,7% de la population humaine selon Anne Fausto-Sterling50, d’autres estiment qu’elles représentent 1 à 4% de la population humaine51. C’est toutefois un chiffre compliqué à déterminer car nombre de personnes intersexes se font opérer dans les premiers mois de leurs vies, certain·e·s ne s’en rendent même pas compte et d’autres le cachent. De plus, il existe plusieurs niveaux d’évaluation de la sexuation : anatomique, génétique, phénotypique, hormonal et aujourd’hui, on essaie de prendre en compte l’organisation du cerveau. Ces chiffres sont donc des approximations statistiques, et en raison de ces limites, la population intersexe est délicate à nombrer et pourrait de fait concerner encore plus d’individu·e·s. Mais peu importe : une seule personne dans ce cas de figure mériterait une place que la majorité des sociétés ne lui prépare pas. Toutes ces personnes sont marginalisées, entre autres par cette vision binaire encore très répandue et dont la FJL se fait la courroie : elles sont vues comme des « anomalies ». Enfin, dans le champ des études féministes des sciences, rien ne va dans le sens d’une « dichotomie naturelle entre les mâles et les femelles » en tant que « groupes humains biologiquement et clairement séparés »52 car il y a trop de « chevauchements entre les sexes et trop de variations des caractéristiques et capacités à l’intérieur de chaque sexe »53.
Ainsi, quand la FJL invoque des rôles naturels des femmes et invoque leur « sexe », elle tombe dans un essentialisme basé sur le présupposé non examiné que nous avons critiqué plus haut. Nous ne pouvons donc raisonnablement pas invoquer une quelconque « nature » de « la femme » pour interdire l’avortement.

 

Conclusion

En allant analyser en profondeur les prétentions scientifiques de la Fondation Jérôme-Lejeune, nous avons montré que la teneur scientifique de leur discours n’est qu’un paravent pour leur subjectivité morale. En grattant cette première couche, nous réalisons que le ciment de leurs allégations sur l’avortement est composé d’essentialisme, de réductionnisme génétique et de mélange entre prescriptions divines et appels à la nature. Leurs arguments contre l’avortement sont sexistes, mal fondés scientifiquement et imprégnés des recommandations de l’Église Catholique romaine. Ainsi, le rôle qu’était censé jouer la science dans leur discours était un rôle d’autorité, de scientificité, de vernis qui, quand on prend le temps de le gratter avec un ongle un peu dur, se fendille facilement.

Bibliographie

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  • Major et Brenda, « APA Task Force Finds Single Abortion Not a Threat to Women’s Mental Health », American Psychological Association, 2008.
  • Collectif IVP, Avorter, Histoire des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui, Tahin party. Grenoble, 2008.
  • L. Motet et S. Laurent, « Derrière IVG.net, des militants anti-avortement », Le Monde, Paris, p.13, 08-déc-2016.
  • V. Houfflin Debarge, « Douleur et analgésie foetale », Spirale, no 59, p. 69-78, 2011.
  • L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait, et A. Revillard, Introduction aux études sur le genre, De boeck. Bruxelles, 2012.
  • A. Meffre, « Loi sur l’avortement de 1920 », Fabrique de l’histoire, France Culture, 28-nov-2014.

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Le voici.

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Le voilà.

Livre – Parution de "La sécu, les vautours et moi", de R. Monvoisin et N. Pinsault

D’habitude, ce sont les cigognes qui livrent les paquets. Ici, c’est un magnifique vautour qui dépose un nouvel ouvrage qui devrait remplir de bons offices critiques. Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault (qui ont déjà commis ensemble ceci) ont tenté de remédier au fait que nous sommes tou.tes plus ou moins ignares en terme de protection sociale, de Sécu, de mutuelles, d’assurance santé, et poser les équations morales auxquelles notre société doit répondre. Un livre sous forme de dialogue qui, du soin dentaire à la contraception, de la naissance à la mort, vous servira de guide si, comme nous, vous étiez terrorisé-e à l’idée de passer pour une nouille dans un parcours de soin.

Présentation

Marre de ne rien comprendre aux remboursements Sécu, aux mutuelles, Éditions du Détouraux caisses et aux régimes ? Fatigué de choisir entre renoncer à se soigner ou passer pour un abruti au premier guichet venu ? Perdu dès qu’une discussion s’engage sur les aides sociales ou le trou de la Sécu ?
Si la Sécurité sociale n’évoque pour vous que des formulaires runiques, ou des heures d’attente sur des sièges en plastique beige, alors ce livre est pour vous.
Découvrez un Far West impitoyable avec, au milieu des cactus et des buissons qui roulent dans la poussière, des personnages inouïs qui inventent un système qui soigne, qui prévient, qui prend soin… et dans leur sillage une nuée de vautours qui vont tenter de le dépecer et de prélever ce qu’ils peuvent.
Oui, la Sécurité sociale est un western, se la réapproprier un combat militant, et cet ouvrage un livre dont vous êtes le héros. Télécharger la plaquette de présentation

Le prix

Il est bon de savoir à quoi servent les sous que nous donnons quand nous achetons le livre.

  • 35% du prix va au libraire : par conséquent si,  comme nous, vous souhaitez défendre les petites librairies, évitez les grandes centrales d’achat.
  • La diffusion et la logistique représentent environ 15% du prix.
  • L’imprimeur, lui, a coût dépendant du nombre d’exemplaires. Dans notre cas, c’est 2,60 euros, pour l’instant.
  • L’édition et la composition est le fait de la maison d’édition. 1000 euros ont été consacrés à la relecture.
  • Enfin, 6% du prix hors taxe vont aux auteurs. Ici par exemple, les auteurs toucheront autour de 50 centimes chacun par livre.

Ce livre sera rentable pour les éditions si environ 1000 exemplaires se vendent.

Sachant qu’il faut compter environ 20 000e pour une piscine, il faut vendre 40 000 livres pour que Nicolas et Richard puissent s’en offrir une chacun. Pour rappel, les frères Bogdanoff ou Lorànt Deutsch vendent à coups de 100 000 exemplaires, pour une qualité bien moindre.

Mercis

CorteX_Juliette_Mathieu_Bertrand_Bernard_editiondudetourOn ne pense jamais à remercier suffisamment. D’abord, révérence appuyée envers nos deux responsables d’édition, Juliette Mathieu et Bertrand Bernard, merveilleux de patience et d’à-propos. Admirons leur joviaux minois, et posons un genou en terre devant leur travail de forçat.

Sans ordre aucun, merci à

  • l’imprimerie Chirat, de Saint-Just-la-pendue, dans la Loire, qui fait un très bon travail, en plus d’habiter un village au nom mythique.
  • Richard Cousin, alias Yumyum, pour la création graphique. Vous noterez que Richard Cousin n’est pas le voisin de Richard Monvoisin. Richard Monvoisin, lui, n’est pas le cousin, de Richard Cousin.
  • Carole Mathiot a été tellement remarquable dans la correction ortho-typographique  que ça en a été presque humiliant.
  • Julien Cau, qui a fait l’illustration de couverture – au passage, nos excuses envers les vautours, qui sont souvent associés à des comportements réprouvables, alors qu’ils sont des nettoyeurs essentiels de notre environnement.
  • la distribution Sodis, plate-forme Gallimard Flammarion.

Comme dit en introduction, ce livre n’est pas parfait, mais il aurait été miteux et lacunaire sans les lumières de Michel Étiévent, Olivier Reboul, Julien Caranton, Jean-Noël et Vincent Plauchu, Bertrand Ferragut, Oriane Sulpice, Guy Monvoisin, sans compter nombre d’auteurs sur les épaules desquels nous nous sommes juchés. Merci à l’équipe CorteX, notamment Nelly Darbois, Albin Guillaud, Clara Egger, Guillemette Reviron, Denis Caroti, Julien Peccoud, ainsi qu’à Caroline Bordin-Goffin, Matthieu Bordin, Tristan Livain, Chloé Guillard et Luc Moreau.

Bibliographie

Par manque de place, la bibliographie présente dans le livre est réduite au plus directement utile. Il nous parait essentiel de fournir la bibliographie complète de ce qu’il nous a été nécessaire de compulser.

  • Adam O. et Mermet D., Howard Zinn, une histoire populaire américaine, , vol. 1 (film), Les mutins de Pangée, 2015
  • Amossy R., « Les avatars du « raisonnement partagé » : langage, manipulation et argumentation », Repenser le langage totalitaire, Klemperer V. (dir.), CNRS Éditions, 2012.
  • Andrieu C., « Le programme du CNR dans la dynamique de construction de la nation résistante », Histoire@Politique, n° 24, Centre d’histoire de Sciences Po, 2014.
  • Audet M.-C. ; Moreau M. ; Koltun W.-D. ; Waldbaum A.-S. ; Shangold G. : Fisher A.-C. et Creasy G.-W., « Evaluation of contraceptive efficacy and cycle control of a transdermal contraceptive patch vs an oral contraceptive: a randomized controlled trial », Journal of the American Medical Association, 2001.Vol. 285, n°18), pp. 2347–2354.
  • Barsalou J., « La naissance de la IVe République », Le Bulletin de France-Documents, 18 octobre 1946.
  • Balbastre G., Vérités et mensonges sur la SNCF (film), CER SNCF Nord-Pas-de-Calais et Émergences, 2015.
  • Bertrand Y.-A., Home (film), EuropaCorp et Elzévir, 2009.
  • Frédéric Bizard, « Généralisation des complémentaires santé: une mesure avant tout politique! », www.huffingtonpost.fr
  • http://www.huffingtonpost.fr/frederic-bizard/generalisation-des-comple_b_4001682.html
  • Borgetto M., « Les convergences/divergences au sein du système français de protection sociale : quelle portée ? » Borgetto M. ; Ginon A.-S. et Guiomard F. (dir.), Quelle(s) Protection(s) sociale(s) demain ?, Dalloz, 2016.
  • Boual, J.-C., Bref historique de la protection sociale en France, www.associations-citoyennes.fr
  • Bourdrel P., La Cagoule : histoire d’une société secrète du Front populaire à la Ve République, Albin Michel, 1992.
  • Bourgeois L., Solidarité, Armand-Colin, 1896.
  • Brétecher C., Docteur Ventouse, bobologue, t. 1 et 2, Claire Brétecher, 1985, 1986.
  • Bulard M., « L’Assurance maladie universelle en question  », Le Monde diplomatique, avril 2017.
  • Callon J.-É., Les projets constitutionnels de la Résistance, La Documentation française, 1998.
  • Caranton J., Les Fabriques de la « paix sociale » : acteurs et enjeux de la régulation sociale (Grenoble 1842-1938), thèse de doctorat dirigée par Dalmasso A. et Judet P., 2017.
  • Caranton Julien, « À la conquête de la Sécurité ? La Mutualité et les mutualistes à Grenoble (1803-1945)  », Innovation, 2015.
  • http://innovacs-innovatio.upmf-grenoble.fr/index.php?id=304
  • Carles P., La sociologie est un sport de combat, (film), C-P. Productions, 2001.
  • Carpentier J., Journal d’un médecin de ville, Médecine et politique, 1950-2005, Le Losange, 2005.
  • Collombat B., Servenay David (dir.), Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours : Le vrai visage du capitalisme français, La Découverte, 2009
  • Condorcet, N. de, Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales
  • Conseil national de la Résistance, Les Jours Heureux, 1944
  • Crapez M., « De quand date le clivage gauche/droite en France ? », Revue française de science politique, n°1, 1998.
  • Damon J., « Rétrospectives et prospective de la protection sociale », Borgetto M. ; Ginon A.-S. et Guiomard F. (dir.), Quelle(s) Protection(s) sociale(s) demain ?, Dalloz, 2016.
  • Dawkins R., Pour en finir avec Dieu, Robert-Laffont, 2009
  • Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948
  • Delporte C., Une histoire de la langue de bois, Éditions Flammarion, 2009.
  • De Reuck N. et Dutilleul P., On a tué ma mère ! : face aux charlatans de la santé, Buchet Chastel, 2010.
  • Desroche Henri, Solidarités ouvrières. Tome 1: Sociétaires et compagnons dans les associations coopératives (1831-1900), Revue belge de philologie et d’histoire, 1986, Vol. 64, n°2.
  • Département des études, « Complémentaires et opticiens », UFC-Que choisir, mai 2014. Dodet R., « Sécurité sociale : que veut vraiment François Fillon ? », L’Obs, 1er décembre 2016.
  • Dreyfus P., Émile Romanet, père des allocations familiales, Arthaud, 1965.
  • Duval J., Le Mythe du « trou de la Sécu », Raisons d’agir, 2007.
  • Engels F., note au Manifeste communiste, 1888.
  • Étievent M., Ambroise Croizat ou l’invention sociale, Gap, 1999.
  • Étievent M., La sécurité sociale : l’histoire d’une des plus belles conquêtes de la dignité racontée à tous, Gap, 2013.
  • Étievent M., Marcel Paul – Ambroise Croizat : chemins croisés d’innovation sociale, Gap, 2008.
  • Étievent M., Trois vies pour changer l’avenir, (film), Étievent M.
  • Eric Fassin, Gauche, l’avenir d’une désillusion, Textuel, 2014.
  • Feidt (Monseigneur), Note du 4 juin 1986 publiée dans le Directoire canonique et pastoral pour les actes administratifs des sacrements.
  • Fourastié J., Pourquoi nous travaillons ?, PUF,1970.
  • Friot B., « La qualification personnelle pour en finir avec la Sécurisation des parcours professionnels », Réseau salariat, 23 septembre 2011.
  • Friot B., Et la cotisation sociale créera l’emploi, La Dispute, 1999.
  • Friot B., Puissance du salariat, La Dispute, 2012.
  • Halimi S., Quand la gauche essayait, Arléa, 2000.
  • Halioua B., « La xénophobie et l’antisémitisme dans le milieu médical sous l’Occupation vus au travers du Concours Médical », M/s médecine sciences, vol. 19, o 1, 2003.
  • Hessel S., Indignez-vous, Indigène, 2010.
  • Hitchens C., Dieu n’est pas grand, Belfond, 2009.
  • Jarvis, C., The Rise and Fall of the Pyramid Schemes in Albania, International Monetary Fund, 1999.
  • Karel W., La Cagoule : Enquête sur une conspiration d’extrême droite (film), Companie des Phares et des balises, 1999.
  • Kesey, K., Vol au-dessus d’un nid de coucou, Stock, 2013.
  • Kuisel R. F., Le Capitalisme et l’État en France : modernisation et dirigisme au XXe siècle, Gallimard, 1984.
  • Lacroix-Riz A. Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Armand-Colin, 2013.
  • La Hulotte, Vautour fauve, nos 91, 93 et 96
  • Le Crom J.-P. , « Les Assurance sociales  », dans Hesse P.-J. et Le Crom J.-P. (dir.), La Protection sociale sous le régime de Vichy, Presses universitaires de Rennes, 2001.
  • Leclerc P., La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, 1870-1945, tome 2, Association pour l’étude de la Sécurité sociale, 1996.
  • Lehmann C., « De la MNEFà la Mutuelle des Étudiants, à qui profite le crime ? », blog de l’auteur, 2014.
  • https://blogs.mediapart.fr/lehmann-christian/blog/050714/de-la-mnef-la-mutuelle-des-etudiants-qui-profite-le-crime
  • Lemahieu T., « Comment Pierre Gattaz se sucre sur l’argent public? », L’Humanité, 1er juillet 2014.
  • http://www.humanite.fr/comment-pierre-gattaz-se-sucre-sur-largent-public-546073
  • Lignières P., Vade Retro Spermato (film), les Films du Sud, 2011.
  • Lilti T., Hippocrate (film), 31 juin Films, 2014.
  • Manac’h E., « CICE, le casse du siècle », Politis, 21 septembre 2016. https://www.politis.fr/articles/2016/09/cice-le-casse-du-siecle-35410/
  • Marx K., Philosophie, Gallimard, 1994.
  • Mouvement français pour le planning familial, Liberté, sexualités, féminisme : 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes, La Découverte, 2006.
  • Ocelot, M., Kirikou et la sorcière (film), Les Armateurs, 1998.
  • Oudin A., L’Ordre des médecins, Librairie E. Le François, 1941.
  • Pagnol M., Jean de Florette, De Fallois, 2004.
  • Paxton R., La France de Vichy, 1940-1944, Le Seuil, 1973.
  • Péan P., Le Mystérieux Docteur Martin (1895-1969), Fayard, 1993.
  • Penn S., Into the wild (film), Paramount Vantage, 2007.
  • Perret G., La Sociale (film), Rouge Productions, 2016.
  • Perret G., Les Jours heureux (film), La Vaka Productions et Fabrice Ferrari, 2013.
  • Perrin É., « Quand les actionnaires s’en prennent à nos emplois », Cash investigation
  • (émission de télévision), Premières lignes, 3 mars 2015.
  • Pickett K. et Wilkinson R., Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Les petits matins, 2015.
  • Pie XII, dicours devant l’Association catholique italienne des sages-femmes, 29 octobre 1951.
  • Pinçon-Charlot M. et Pinçon M., Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?, illustré par Étienne Lécroart, La Ville Brûle, 2014.
  • Rannou P., L’affaire Durand, Noir et Rouge, 2013.
  • Reynaud H., discours à l’Assemblée nationale, 23 juillet 1949.
  • Rimbert P., « C’était mieux avant », Manuel d’histoire critique, Le Monde diplomatique, 2014.
  • http://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53281
  • Rimbert P., « L’histoire ne repasse pas les plats », Le Monde diplomatique, avril 2012.
  • Romain J., Knock ou le Triomphe de la médecine, Folio, 1972.
  • Rousseau, J.-J., Du Contrat social, 1762.
  • Ruffin F., « Mal dans votre corps social ? Un seul remède : égalothérapie 1/3», entretien avec Wilkinson R., Fakir , février-avril 2014.
  • http://www.fakirpresse.info/mal-dans-votre-corps-social-un-seul-remede-egalotherapie-1-3
  • Valat B., Histoire de la Sécurité sociale (1945-1967) : l’État, l’institution et la santé, Economica, 2001.
  • Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
  • Tabuteau D., 2025 l’Odyssée de la Sécu, Éditions de l’Aube, 2009.
  • Toucas-Truyen P., « La mutualité au risque des femmes (1850-1914) », Bulletin d’histoire de la Sécurité sociale, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité sociale, 2004.
  • Trussell J., « Contraceptive efficacy », Hatcher R. A. et alii. (dir.), Contraceptive Technology, Ardent Media, 2011.
  • Verhaeghe É., Ne t’aide pas et l’État t’aidera : la Sécurité sociale et la mort de la responsabilité, Le Rocher, 2016.
  • Weir, P., Le Cercle des poètes disparus (film), Touchstone, 1989.
  • Zinn H., Une histoire populaire des États-Unis d’Amérique de 1492 à nos jours, Agone, 2003.

Revue de presse

à venir

Séquence pédagogique : mobiliser la raison sur des questions d'éthique – l'extension au numérique du délit d'entrave à l'IVG

Il y a quelques années, le CorteX animait sur les campus montpelliérains et grenoblois des « Midis critiques », occasions de débattre sur des sujets à forte dimension morale (voir par exemple ici). Nous continuons aujourd’hui à mobiliser la pensée critique pour décortiquer des problèmes moraux, au sein notamment de notre stage pour doctorant·e·s « De l’éthique à l’université » ou dans le cadre de l’Unité d’enseignement de sciences humaines à l’Institut de formation en kinésithérapie de Grenoble. Nous explicitons ici notre démarche par le biais d’une thématique ayant fait l’actualité du début de l’année 2017 en France : l’extension du délit d’entrave à l’intervention volontaire de grossesse (IVG).

Partie I – Ressources méthodologiques

CorteX_dufour-argumenterNous présentons en introduction de notre séquence pédagogique ce qui nous semble être le B.A.-BA de l’analyse argumentaire en nous inspirant (avec des adaptations) de l’excellent ouvrage de Michel Dufour, Argumenter – Cours de logique informelle de 2008 chez Armand-Colin. Il est malheureusement très difficile de rendre parfaitement justice à cet ouvrage car le propos, très clair et complet, peut difficilement souffrir de coupes sans être détérioré. Cependant, comme il n’est pas possible pédagogiquement de restituer tout cela sans faire un cours d’au moins trois heures, nous avons tenté d’en extraire la substance moelle pour l’utiliser avec des étudiant·es. Nous ne pouvons que vous recommander d’aller lire cet ouvrage pour approfondir. N’hésitez pas à nous faire partager une séquence pédagogique conduite différemment sur ce même thème.

1) Anatomie d’un argument

Quiconque souhaite défendre une idée, une thèse, une affirmation, doit recourir à l’argumentation. Mais qu’est-ce donc qu’un argument ? Nous commencerons par un peu d’anatomie argumentaire.

Un argument se compose de deux éléments :

  • une ou plusieurs prémisses : ce sont des affirmations dont il est possible de dire en principe si elles sont vraies ou fausses. « En ce moment, il pleut. » « L’espérance de vie à la naissance de la truite est de cinq ans. » « La cohésion d’un groupe est maximale lorsque ce groupe comprend cinq personnes. »
  • une conclusion : c’est l’affirmation que l’on a cherchée à justifier par les prémisses. Elle est le plus souvent introduite par des connecteurs logiques comme « donc », « par conséquent », « ainsi », « dès lors » ou « c’est pourquoi ». Dans le langage courant, il est d’usage, par raccourci, d’appeler « argument » la conclusion ou la prémisse d’un argument (mais pas le bloc « prémisse + argument » dans son entier).

Voici un exemple d’argument, sans doute un des plus célèbres :

Exemple A

Socrate est un homme. (Prémisse 1)

Tous les hommes sont mortels. (Prémisse 2)

Donc Socrate est mortel. (Conclusion)

Voici maintenant un argument constitué d’une seule prémisse :

Exemple B

Le CorteX existe depuis 2010. (Prémisse)

C’est pourquoi il doit continuer à exister. (Conclusion)

Souvent, de multiples prémisses précèdent une conclusion :

Exemple C

Les plagiocéphalies touchent un bébé humain sur dix à la naissance. (Prémisse 1)

Cette pathologie entraîne systématiquement de lourds handicaps moteurs et intellectuels à l’âge adulte. (Prémisse 2)

Les sutures du crâne du bébé humain ne sont pas encore complètement fermées à la naissance. (Prémisse 3)

L’ostéopathie crânienne permet d’agir manuellement sur ces sutures. (Prémisse 4)

L’ostéopathie crânienne appliquée dès les premiers jours de vie permet d’éviter toute séquelle liée à la plagiocéphalie. (Prémisse 5)

Ainsi, il faut permettre de pratiquer l’ostéopathie crânienne dans toutes les maternités. (Conclusion)

Le plus souvent, les prémisses ne seront pas aussi bien découpées et il faudra les démêler. C’est ce que nous avons dû faire dans la deuxième partie de cet article (voir la Partie II – Application des principes méthodologiques de l’analyse argumentaire ci-après).

2) Analyse d’un texte argumentaire

Identification des arguments

Il n’existe pas à notre connaissance de méthode algorithmique infaillible pour mettre  à jour identifier des arguments mais seulement quelques principes. Dufour nous livre certains de ces principes dans son ouvrage. En résumé, il s’agit :

  • d’identifier les conclusions défendues par les auteur·es et leurs prémisses en repérant les connecteurs logiques ;
  • de chercher à les retranscrire fidèlement. En effet, afin d’éviter un épouvantail, il est bon d’être le plus fidèle possible dans la restitutions des arguments. Dans l’idée, il faut s’évertuer à présenter l’argument mieux que son auteur·e ne l’aurait fait lui-même ou elle-même.

Évaluation détaillée des arguments (ou décorticage)

Pour chacun des arguments identifiés, on veillera à :

  • évaluer la valeur de vérité de ses prémisses. Il s’agit de vérifier que chacune d’elles repose sur des données factuelles ou est logiquement cohérente (qu’elle ne contient pas une contradiction), indépendamment de la conclusion de l’argument ;
  • évaluer la justification que chaque prémisse apporte à la conclusion de l’argument.

Dans l’exemple B :

Le CorteX existe depuis 2010. (Prémisse)

Valeur de vérité. Cette prémisse est vraie, si l’on en croit la page de présentation de notre collectif. Selon notre degré d’exigence et les enjeux de l’argumentaire, on pourrait aller plus loin dans la vérification de cette prémisse en allant lire les registres d’enregistrement des associations loi 1901.

C’est pourquoi il doit continuer à exister. (Conclusion)

Justification. Cette prémisse justifie-t-elle la conclusion « C’est pourquoi il [le CORTECS] doit continuer à exister. » ? Il est facile de trouver des situations où il est légitime d’interrompre une habitude qui perdure depuis sept ans. Par exemple, si une personne séquestre son enfant tous les soirs trois heures dans un placard depuis sept ans, il est légitime de dire qu’il serait plus raisonnable d’interrompre cette pratique pour le bien-être de l’enfant. Le fait qu’un processus existe depuis X années n’est jamais suffisant pour justifier la perpétuation de ce processus. Ainsi, bien que la prémisse de départ soit vraie, elle ne justifie en aucun cas la conclusion. C’est une variante du sophisme que l’on appelle argument d’historicité.

Dans l’exemple C :

Les plagiocéphalies touchent un bébé humain sur dix à la naissance. (Prémisse 1)

Cette pathologie entraîne systématiquement de lourds handicaps moteurs et intellectuels à l’âge adulte. (Prémisse 2)

L’ostéopathie crânienne permet d’agir manuellement sur ces sutures. (Prémisse 4)

L’ostéopathie crânienne appliquée dès le premier jour de vie permet d’éviter toute séquelle liée à la plagiocéphalie. (Prémisse 5)

Valeur de vérité. Ces quatre prémisses sont fausses1.

Les sutures du crâne du bébé humain ne sont pas encore complètement fermées à la naissance. (Prémisse 3)

Valeur de vérité. Cette prémisse est vraie2.

Justification. Cette prémisse justifie-t-elle la conclusion « Ainsi, il faut permettre de pratiquer l’ostéopathie crânienne dans toutes les maternités. » ? Non. Seule une prémisse est vraie (la prémisse 3) et elle ne justifie en rien la conclusion.

Évaluation générale d’un argument

L’argument ne sera d’office pas recevable si :

  • toutes ses prémisses sont fausses, ou ;
  • si aucune des prémisses ne justifie la conclusion.

Par exemple, l’argument B n’est pas recevable, parce que son unique prémisse n’apporte pas de justification à la conclusion. L’argument C non plus, puisque sa seule prémisse vraie ne justifie pas non plus la conclusion.

À l’inverse, l’argument sera d’office recevable si

  • au moins une de ses prémisses est vraie, et ;
  • cette même prémisse justifie la conclusion.

Dans les autres cas, il sera plus difficile (mais pas impossible) de trancher comme nous allons le voir par la suite.

Partie II – Application des principes méthodologiques de l’analyse argumentaire

Une fois les quelques conseils méthodologiques généraux présentés, nous utilisons un sujet spécifique pour les mettre en application : l’extension du délit d’entrave à l’IVG.

Choix du sujet et contexte

Logo du groupe « Les survivants » dont le site web lessurvivants.com est classé par de nombreux médias comme réputé hostile à l’IVG.

Dans les années 1990 en France, fut votée une loi interdisant d’empêcher physiquement les femmes d’accéder aux centres d’avortement. En octobre 2016, des député·es proposèrent d’étendre l’application de cette loi aux cas d’entrave « numérique ». Il existe depuis quelques années des sites Internet d’apparence purement informatifs mais dont les contenus révèlent assez vite un parti pris anti-IVG. La finalité de la nouvelle proposition de loi (PPL) était de lutter contre ces sites Internet en les interdisant – d’où la dénomination d’« entrave numérique ». La PPL fit débat au sein de l’Assemblée nationale ainsi que dans la société civile. Elle fut finalement adoptée sous une version modifiée en février 2017.

Voici la PPL initiale :

L’article L. 2223-2 du code de la santé publique 3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«– soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »

Voici la PPL adoptée :

« soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »

Après avoir présenté ces données de contexte, nous rappelons qu’avant de chercher à se positionner, il convient d’identifier clairement quelles sont les différentes questions débattues. On peut par exemple envisager :

  • la question de l’adoption du texte de loi tel que mentionné ci-dessus ;
  • la question de l’adoption d’un texte de loi modifié ;
  • la question de l’interdiction des sites qualifiés d’anti-IVG ;
  • la question de la mise en œuvre de moyens publiques pour diminuer l’audience des sites qualifiés d’anti-IVG ;
  • la question de l’avortement comme droit ;
  • Etc.

Cet étape est indispensable afin d’éviter l’écueil du chevauchement des questions dans le débat. Le tout est de se mettre d’accord dès le début avec le groupe sur la question à débattre et d’insister sur le fait qu’il faudra éviter de sortir de ce cadre sous peine d’un risque d’appauvrissement de la discussion. C’est le rôle de l’enseignant·e de veiller sur ce point tout au long de la séquence pédagogique.

Objectifs et précautions

Cette séquence comprend trois objectifs principaux :

  • illustrer la difficulté de se positionner de manière rapide et tranchée sur ce type de sujet ;
  • repérer et analyser des arguments en apparence rigoureux mais en réalité fallacieux, les sophismes ;
  • permettre de formaliser une démarche rationnelle de réflexion sur un sujet aux forts enjeux moraux.

Comme la thématique peut être houleuse, nous précisons toujours avant d’entrer dans le vif du sujet :

  • que nous allons présenter des documents où figurent des personnes dont l’appartenance à des mouvements politiques ou religieux peut troubler. Il faudra faire attention à bien évaluer les propos des personnes, et non leurs actes antérieurs ou leur rattachement idéologique, pour ne pas tomber dans le déshonneur par association ;
  • qu’être contre la proposition de loi n’entraîne pas forcément le fait d’être contre le droit à l’IVG – deux positions qui peuvent pourtant facilement être associées.

Positionnement préalable

À ce stade, nous demandons à chaque étudiant·e d’écrire de manière anonyme sur une feuille de papier s’il est « pour » ou « contre » cette PPL (l’abstention n’est pas une alternative possible ; nous « forçons » les étudiant·es à jouer le jeu). Nous répéterons cette étape à la fin de la séquence pour voir si l’avis de certain·es a changé.

Lorsque nous avons réalisé ces enseignements, 96% des étudiant·es des 4 sessions que nous avons effectuées étaient « pour » la PPL à cette étape (N=72). 4% étaient « contre ».

Analyse des argumentaires des deux camps

Présentation

Afin de se faire une idée des différent·es actrices et acteurs présent·es dans le débat, et surtout de leur argumentaire pour ou contre la PPL, nous proposons de visionner ou lire six documents. Nous divisons le groupe d’étudiant·es en deux : une moitié du groupe travaillera sur les trois documents « contre », l’autre moitié sur les trois documents « pour ». Nous leur demandons d’extraire les principaux arguments en une trentaine de minutes. En fonction du temps dont nous disposons, et surtout du niveau d’expertise du groupe sur l’outillage de la pensée critique, nous leur proposons également d’extraire les principaux sophismes mobilisés.

  • Extrait d’un débat sur BFM TV de novembre 2016 où Laurence Rossignol, membre du Parti socialiste et ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes se positionne pour la PPL :

  • Intervention de Marion Maréchal-Le Pen, membre du Front national, députée, contre la PPL, à l’Assemblée nationale en novembre 2016 :

  • L’exposé des motifs publié en octobre 2016 de la PPL co-signé par plusieurs dizaines de député·es, lire les pages 4 à 6.

Sélection de sophismes

Ces documents sont tous de bon supports pour s’entraîner à détecter des sophismes, ces structures argumentaires qui semblent valables en apparence bien qu’en réalité défaillantes. Nous les appelons aussi des « moisissures argumentatives » en vertu de leur propension à altérer la plupart des débats, à étouffer des arguments pertinents et à décrédibiliser des discours judicieux sur certains points. Cette étape est souvent un temps très apprécié des étudiant·es et permet de mettre en évidence la fréquence des sophismes. Elle n’est cependant pas auto-suffisante car, s’il est assez aisé de relever des sophismes du côté des « pour » comme des « contre », il faut ensuite savoir identifier et analyser les arguments qui tiennent a priori vraiment la route.

Nous relevons ci-dessous quelques sophismes redondants sur le sujet en question ; la liste est loin d’être exhaustive.

Technique de la fausse piste :

  • « Comme vous le savez peut-être, depuis plusieurs mois, un groupe anti-IVG nommé les Survivants multiplie les actions sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la réalité. Certaines actions vont même à l’encontre de la loi, comme la reprise sans autorisation du jeu Pokémon Go et de ses personnages, ou, plus récemment, un affichage lumineux sur l’Arc de Triomphe pour faire leur propagande. Il y a quelques semaines, ils ont même lancé une campagne diffamatoire à propos du Planning Familial. » (Cécile Pellerin) [La PPL ne cible pas ce type d’actions]

Technique de l’épouvantail :

  • « Leur positionnement [aux porteur/ses des sites anti-IVG] incite à la réflexion, et c’est justement ce qui leur est reproché. Il faudrait qu’ils adoptent d’emblée un positionnement favorable à l’avortement. Or, un sujet si grave ne peut être enfermé dans des postures militantes. » (Monseigneur Pontier)
  • « Faudrait-il nécessairement exclure toute alternative à l’avortement pour être considéré comme un citoyen honnête ? » (Monseigneur Pontier)
  • « L’amendement proposé en septembre par Madame Rossignol a déjà été rejeté par le Sénat, les femmes serait-elles des citoyens de seconde zone, ne méritant pas un accès à l’information sûr et neutre ? Nous aurons la réponse le 1er décembre. » (Cécile Pellerin)
  • « Et puis, il y a, en sous texte, toujours ce même jugement : les femmes qui ont recours à l’IVG sont des meurtrières, égoïstes, leurs actes ne sont motivés que par leur confort. (Cécile Pellerin)
  • « Vous avez l’air d’entretenir les femmes dans une forme de sujétion mentale, vous les prenez pour des femmes complètement stupides. Faut les prendre par la main, faut les protéger d’informations qui ne seraient pas compréhensibles, faut les orienter correctement dans la bonne voie parce qu’elles seraient vulnérables, fragiles, qu’elles n’auraient pas le discernement nécessaire, donc que l’État nounou, protecteur soit là pour leur garantir de faire le bon choix » (Marion Maréchal-Le Pen)
  • « Comment prétendre protéger la liberté de la femme lorsqu’on va lui interdire de poser un choix libre, de discerner, de prendre le temps de la réflexion face à un acte irréversible qui, loin d’interrompre une grossesse vient y mettre fin de manière irrévocable ? » (Cécile Edel)
  • « Comment nier la voix de celles qui viennent témoigner tous les jours sur
    ces sites des conséquences physiques et psychologiques douloureuses qu’elles endurent suite à leur IVG et continuer de soutenir que tout ceci n’est que pur mensonge ? » (Cécile Edel)

Appel au peuple :

  • « Ces sites ont du succès, preuve qu’ils répondent à une attente. » (Monseigneur Pontier)

Attaque à la personne :

  • « Ces extrémistes, pour la plupart du temps religieux, veulent nous en priver. » (Cécile Pellerin)
  • « Vous êtes totalement aveuglé par l’idéologie. » (Marion Maréchal-Le Pen)

Usage de mots à effet impact4:

  • «Texte complètement délirant. » (Marion Maréchal-Le Pen)
  • « Il est scandaleux de vouloir instaurer chez les jeunes (…) » (Cécile Pellerin)

Questions rhétoriques5

  • « Le moindre encouragement à garder son enfant peut-il être qualifié sans outrance de « pression psychologique et morale » ? » (Monseigneur Pontier)

Les procès d’intention6

  • « Que font réellement ces sites visés par le Gouvernement sinon pallier au silence du gouvernement qui, au travers de son site dédié spécifiquement à l’IVG, omet volontairement d’exposer les conséquences physiques et psychologiques de l’IVG. » (Cécile Edel)
  • « Il existe une prolifération importante de sites se prétendants neutres mais en fait anti-IVG, cherchant à tromper les internautes (opinions non clairement affichées, utilisation des codes officiels). » (Assemblée nationale)
  • « Il est scandaleux de vouloir instaurer chez les jeunes, la peur d’un organisme créé pour les aider (…) » (Cécile Pellerin)

Plurium affirmatum

  • « J’ose donc espérer  que, sensible aux  libertés  en cause,  vous  ne laisserez pas  une  telle mesure  arriver à  son terme. » (Monseigneur Pontier) [Sous-entendu l’affirmation suivante : si vous êtes sensible aux libertés en cause, vous ne laisserez pas une telle mesure arriver à son terme. Affirmation qui elle-même présuppose, tel un assortiment de poupées russes, l’affirmation : la présente mesure [la PPL] porte atteinte à certaines libertés.]

Synthèse des arguments

À ce stade, nous demandons aux étudiant·es de chaque groupe de venir écrire sur un tableau (ou un autre support) les principales prémisses contenues dans les documents permettant de soutenir la conclusion « La PPL est justifiée (Il faut voter pour.). » ou « La PPL n’est pas justifiée (Il faut voter contre.). »

La PPL est justifiée (Il faut voter pour.).

La PPL n’est pas justifiée (Il faut voter contre.).

La PPL ne relève pas de la liberté d’expression et d’opinion.

Cette PPL met en cause les fondements de nos libertés, particulièrement la liberté d’expression.

Ces sites détournent les internautes d’une information fiable et objective.

Ces sites fournissent une information exhaustive sur les conséquences d’une IVG et les alternatives à l’avortement, qui ne sont présentées sur aucun document officiel émanant du gouvernement ou des planning familiaux.

Ces sites sont populaires.

Ces sites répondent à une attente.

Ces sites limitent l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement.

La PPL viendra aliéner la liberté de la femme de choisir la vie.

 

La détresse ressentie par les femmes ne pourra plus s’exprimer.

Ces sites cherchent à tromper délibérément.

 

Il est bien sûr possible d’être plus précis dans la synthèse des arguments mais cela nécessite un temps dont nous ne disposons pas forcément en cours avec un grand groupe. À titre d’exemple, voici une synthèse plus fournie des arguments présentés dans un texte du corpus.

On remarquera que la plupart des arguments avancés ne concernent pas la PPL en tant que telle mais le fait d’interdire certains sites Internet. Or, ce n’est pas l’objet de la discussion, qui est bien de trancher « pour » ou « contre » la PPL. C’est un point important sur lequel nous attirons l’attention des étudiant·es.

Analyse des arguments

Une fois la synthèse des arguments réalisés, nous invitons  les étudiant·es à se positionner concernant la valeur de vérité et la justification de chacune des prémisses en leur proposant un nouveau temps de travail en groupes restreints. Un accès à un ordinateur avec une connexion Internet est fortement recommandé pour cette étape.

Certaines des prémisses réunies dans la synthèse seront rejetées sans trop de discussion : 

  • la détresse ressentie par les femmes ne pourra plus s’exprimer. =>  Prémisse fausse. Divers lieux existent pour s’exprimer au sujet de l’IVG et de l’éventuelle « détresse » associée. C’est le cas par exemple des plannings familiaux.
  • Ces sites limitent l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement. => Il y a deux façons de comprendre cette prémisse, une version forte et une version faible. Pour la version forte, ces sites constituent une entrave physique aux femmes souhaitant exercer leur droit de recours à l’avortement. Dans ce cas, la prémisse est évidemment fausse. Concernant la version faible, l’existence de ces sites a pour effet de réduire le taux de recours à l’IVG dans la population. Pour évaluer la valeur de vérité de cette prémisse, il faudrait au minimum avoir des données montrant que la population qui consultent ces sites présente un taux de recours à l’IVG inférieur à celle qui ne les consultent pas. À défaut, le principe de la charge de la preuve et l’utilisation du rasoir de Hitchens7 imposent et permettent, à défaut de juger cette prémisse fausse, de l’écarter de l’argumentation.

D’autres analyses de prémisses nécessiterons un temps plus long d’échange. Assez rapidement, le groupe peut se rendre compte que l’essentiel du débat tourne autour de la question de la liberté d’expression : la PPL est-elle une entrave à la liberté d’expression ? Nous laissons le débat se faire entre les étudiant·es, en veillant à ce que la parole tourne et à ce que chaque personne s’interroge sur la valeur de vérité des affirmations qu’elle émet.

Conclusion

En guise de conclusion, nous demandons à nouveaux aux étudiant·es de se positionner « pour » ou « contre » la PPL, avec toujours pour consigne de ne pas s’abstenir. À ce stade, 65 % étaient « pour », 15 % étaient « contre » et 20 % ont choisi l’abstention malgré la consigne, en répondant ne pas savoir.

Nous ne présentons pas dans le cadre de cette séquence notre argumentation et notre position au sujet de la PPL car ce n’est pas l’objet de l’intervention. Nous insistons plutôt sur l’importance de prendre du recul sur nos positionnements hâtifs face à des sujets délicats et d’exiger ou de fournir les preuves nécessaires pour soutenir les arguments produits. Nous rappelons une nouvelle fois le caractère essentiel du fait de bien délimiter la question dont on souhaite débattre, dans le cas présent la question de la pertinence de la PPL.

Émissions "Sur la route", avec RéZonance

Un soir brumeux, deux individus, Sébastien Roblain et Sylvain Lion ont pointé leur nez dans l’amphi de Richard Monvoisin. Membres de l’association RéZonance (appartenant à la Fédération de l’Audiovisuel Participatif et à Médias Citoyens), ils sortaient d’un stage de L’Orage, avec l’inénarrable cofondateur du CorteX Nicolas Gaillard, et sont venus s’achever à la fac, et mettre un micro poilu à portée de voix de l’autodéfense intellectuelle version locale. Ils en ont tiré deux émissions « politiques », l’une avec Kidora et Nicolas pour l’Orage, et l’autre avec R. Monvoisin, qui dura si longtemps qu’elle a été coupée en deux.

Voilà ce que ça donne.

  • Pour écouter l’Orage et son éducation populaire, allez directement ici.
  • Pour écouter R. Monvoisin1 et la zététique engagée, ci-dessous.

Merci à eux, et bonne route – route que nous recroiserons forcément car dans le préau de la pensée libre il n’y a guère que les menhirs qui ne se rencontrent pas.

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Mayotte : reconfigurations coloniales

Dans le cadre de son mémoire de Master 2 de sciences politiques avec Richard Monvoisin, Jérémy Fernandès Mollien (qui avait déjà fourni du matériel critique sur les mouvements néopaïens) a travaillé sur les droits sociaux à Mayotte. De ce travail sont issus deux papiers : le premier est présenté sous forme de canular, avec une stratégie de rupture, et a été publié dans Le monde libertaire (avril 2017, n°1747) et reproduit ici : Situation dramatique en Lozère (petite leçon de bi-standard social et moral). Le second, très académique, s’appelle Mayotte : reconfigurations coloniales et a été publié le 27 mars 2017 par la revue Mouvements dans sa version en ligne. Nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.

Le 1er janvier 2018, le code du travail sera déclaré applicable sur l’île de Mayotte, après des années de grèves régulières. Vue de l’hexagone, une telle décision semble ahurissante : comment justifier que, même dans un Département d’Outre-Mer (DOM), le code du travail ne soit pas encore en vigueur ? Cette disposition n’est pourtant qu’une des nombreuses normes juridiques qui ne soient pas encore appliquées sur cette île de l’archipel des Comores. Si l’État justifie cette différence dans le droit par la nécessité d’une adaptation aux spécificités de l’île, il est difficile de ne pas y voir les restes de la férule coloniale.

Protectorat Français en 1841, « avant Nice et la Savoie » comme aime le souligner le sénateur Thani Mohamed Soilihi, les habitants de Mayotte choisissent en 1973, au contraire des autres îles des Comores également colonisées, de rester dans la République Française, sous forme départementale. Par la suite, une valse de statuts « particuliers » pour ne pas dire bizarres se succède, sans jamais offrir le statut de département attendu par les Mahorais. En 2009 enfin, plus de 35 ans plus tard, une ultime consultation enclenche le processus de départementalisation de l’île censé, à terme, harmoniser droit commun et droit local mahorais. Pourtant, cinq ans après le début de la départementalisation, les inégalités restent béantes entre Mayotte et la Métropole.

CorteX_kwassa-kwassaTout d’abord, d’ordre économique : à Mayotte, la dépense publique par habitant est de 4700 euros, contre 17300 euros en Métropole1. Les dépenses publiques de santé par exemple par habitant étaient certes, il y a 25 ans, 25 fois plus faibles qu’en Métropole, mais elles demeurent tout de même en 2016 5 fois plus faibles. Le taux de chômage était en 2012 de 36,6% parmi les 15-64 ans, et le taux d’activité de 45,9%. Chez les 15 à 29 ans, le taux de chômage atteignait même 55%. S’il n’est pas aisé d’obtenir des chiffres plus récents, il faut garder à l’esprit qu’en 2005, 92% de la population mahoraise vivait sous le seuil de pauvreté métropolitain2. Deux résidences principales sur trois sont dépourvues du confort de base3. Enfin, en 2005, le revenu moyen d’un foyer mahorais était de 290 euros mensuels. Les revenus de transfert, comme le Revenu de Solidarité Active (RSA), pourraient contribuer à palier une telle différence de conditions de vie entre Mayotte et l’hexagone, mais un important phénomène de non-recours compromet la distribution de cette aide : seuls 4300 allocataires insulaires ont sollicité cette aide en 2014, alors que la CAF tablait sur entre 13000 et 18000 demande lors de l’introduction du RSA sur l’île4.

Les raisons de ce phénomène de non-recours dans un département où la précarité est aussi forte sont multiples : premièrement, les montants du RSA sont minorés à 50% du montant métropolitain5. Ensuite, pour des potentiels allocataires maîtrisant mal le français et n’étant pas forcément au fait des codes administratifs métropolitains, entreprendre de telles démarches administratives est particulièrement difficile. Outre la faible maîtrise de la langue française, la vision du travail social et des questionnaires de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), perçus comme intrusifs,abordent des domaines de la vie sociale, comme le statut marital, que les Mahorais considèrent comme relevant du domaine de la vie privée et ne concernant pas l’administration. Enfin, le travail d’état civil n’a été mené que très récemment, et se procurer les documents nécessaires aux demandes d’aide n’est pas aisé. Non seulement il faut parfois compter jusqu’à 11 mois pour obtenir un rendez-vous à la Préfecture, mais dans un département où l’immigration dite « illégale » est constante, les citoyens mahorais ne sont pas présumés français. Un travailleur social raconte devoir fréquemment aller aux rendez-vous administratifs de ses usagers à leur place, car, étant métropolitain, il pouvait ne mettre que quelques minutes à obtenir des documents qu’eux auraient mis des heures à obtenir. Davantage que les discriminations de guichet, c’est sans doute également la faiblesse des moyens alloués à la départementalisation face à une tâche considérable qui empêche Mayotte d’atteindre le niveau de vie métropolitain, et entraîne une dépendance avec la Métropole.

Les amères déconvenues de la départementalisation

Si certains indicateurs comme la couverture vaccinale ou le taux de scolarisation6 ont connu une nette amélioration, notamment depuis les années 2000 et le processus de départementalisation, ce dernier et plus généralement la tentative d’intégration politique et sociale de Mayotte à l’ensemble politique français, ne se fait pas sans désillusions pour la population mahoraise. Bien que le changement de statut ait été souhaité depuis les années 1970, celui-ci s’est noué depuis 2009 sans grande pédagogie et sans prise en compte des spécificités locales, au détriment tant des citoyens mahorais que des fonctionnaires majoritairement métropolitains chargés de la mettre en œuvre.

Un exemple : l’établissement des zones des « cinquante pas géométriques » près des littoraux a conduit à ce que 90% des villages et 40% de la population mahoraise soient considérés comme résidant sur une zone non-constructible7. En effet, les littoraux des DOM font partie du domaine public naturel, et ne peuvent en conséquence être habités. Ainsi, certains hameaux se sont vus détruits par l’État, et ses habitants délogés, tandis qu’en parallèle, certains Mahorais suffisamment aisés et des Métropolitains ont pu, après un arrangement pécuniaire avec la Préfecture, conserver leur terrain. Beaucoup de Mahorais n’ont pas de tels moyens : si l’État a offert la possibilité de racheter ces terres à bas prix, la somme demandée malgré le rabais excède souvent plusieurs fois le revenu annuel des foyers concernés8. Enfin, certaines familles occupant des terrains au titre de la coutume9 se sont vues demander des impôts fonciers qu’elles ne pourraient jamais se permettre de payer, équivalents, encore une fois, à plusieurs années de revenu.

Les changements dans l’institution judiciaire ont également amené des difficultés d’application. Depuis l’annexion de l’île par la France jusqu’à nos jours, les cadis, juges musulmans, ont joué un rôle d’intermédiaire entre la Métropole et la société mahoraise. Jusque dans les années 2000, ceux-ci disposaient d’une large compétence en matière de droit civil, et encadraient naissances, mariages enterrements et divorces. Les Mahorais pouvaient choisir de sortir de leur juridiction et de s’adresser aux tribunaux de droit commun, en laissant leur statut juridique de droit local au profit du statut de droit commun. La coexistence de ces deux statuts était d’une grande complexité, et beaucoup de Mahorais ne savaient même pas de quel statut ils relevaient. Avec l’imminence de la départementalisation, l’État a, depuis 2003, régulièrement transféré les compétences des cadis aux juges métropolitains. Ces derniers n’apprirent néanmoins généralement ces modifications qu’au dernier moment, et le turn-over des fonctionnaires et la spécificité de la situation mahoraise ont conduit à ce que ces transferts de compétence ne soient pas expliqués aux citoyens de l’île10. Le couplage de cette évolution rapide et d’un manque manifeste de pédagogie instaure de fait un système juridique parallèle, les Mahorais par tradition ou manque d’information continuant à consulter les cadis sur des questions relevant désormais du droit commun. Certes, le Conseil Général mahorais a confié à ceux-ci un rôle de « médiateur social » mais leur rôle réel dépasse de loin leurs attributions légales.

Ainsi, les migrants comoriens, illégaux ou non, s’adressent-ils spontanément aux cadis, dont ils ont des homologues dans leur pays, pour faire valoir leurs droits. Situation tragique où les migrants les plus précaires, ne maîtrisant ni le français ni les arcanes administratifs, passent à côté de leurs droits et ont recours à des arbitrages d’une justice musulmane locale elle aussi désormais illégale.

 

Les pratiques illégales de l’administration française vis à vis de l’immigration comorienne

L’immigration comorienne est l’épicentre de toutes les tensions sociales : la population mahoraise lui attribue volontiers tous les maux de l’île, que ce soit le chômage, la lenteur de l’intégration politique à la France, c’est-à-dire l’harmonisation des institutions politiques mahoraises avec les institutions politiques métropolitaines, l’insécurité, ou encore la propagation de maladies sexuellement transmissibles. Cependant, les populations des autres îles des Comores sont avant tout les victimes de guerres et de conditions de vie misérables largement causées par les mercenaires européens qui déstabilisèrent l’archipel de 1975 à 199611. Vivant dans des conditions de vie extrêmement précaires, les venus des îles d’Anjouan et de Mohéli forment, d’après le représentant du grand cadi de Mayotte, une population invisible de près de 100000 habitants12.

Traqués par la police aux frontières de Mayotte13, Anjouannais et Mohélie voient régulièrement leurs droits bafoués par l’administration française. Alors que la plupart des arrêtés de reconduite à la frontière mettent plusieurs mois à être exécutés en Métropole, et que 24% aboutissent, 94% des arrêtés pris à Mayotte sont exécutés en quelques heures, sans que les éventuels demandeurs d’asile n’aient pu faire valoir leurs droits14. Il faut dire qu’il existe un enjeu politique à cette rapidité: sur les 31377 reconduites à la frontière effectuées en 2012 par la France, 15908 ont eu lieu à Mayotte, soit la moitié. La Police Aux Frontières (PAF), qui doit respecter des quotas d’expulsion, peut arbitrairement depuis 2012, détruire des papiers d’identités qu’un de ses agents jugeraient faux, éliminant une pièce de dossier pourtant nécessaire pour que le nouvel arrivant puisse entamer des démarches pour régulariser sa présence.

Mais les pratiques les plus scandaleuses concernent la prise en charge sociale des mineurs étrangers. En effet, sur les 5682 enfants emprisonnés en France en 2014, 5582 (98%) l’ont été au Centre de rétention administrative de Mayotte, dans des conditions exécrables15. Lorsqu’un enfant arrive sur le sol mahorais accompagné de ses parents il peut légalement être expulsé. Mais beaucoup de mineurs arrivant à Mayotte ont fait seuls la traversée. Lorsqu’elle intercepte en pleine mer des embarcations de migrants, la PAF procède alors à l’invraisemblable : des rattachements fictifs, sélectionnant un adulte présent pendant l’interpellation et lui assignant la charge de l’enfant. Personne ne sait ce qu’il advient de ces enfants une fois renvoyés aux Comores.

Au regard des conventions des droits de l’enfance, un mineur ne peut être en situation irrégulière sur le sol français et a droit à un accès aux soins et à une scolarisation16. Si l’accès à ces droits fondamentaux est parfois aléatoire en Métropole, il est presque inexistant à Mayotte, où les jeunes en situation irrégulière n’ont souvent d’autre alternative que de vivre des poubelles, de larcins ou d’agressions. Un fonctionnaire de la Protection judiciaire de la jeunesse en compte près de 8000 rien que dans la capitale et au moins un tiers d’entre eux auraient subi un viol pendant leur enfance. Pourtant, d’après une étude de l’INSEE, 4 % des mineurs isolés étrangers de Mayotte ont un parent français, et 64% sont nés sur le sol français17.

 

Le maintien d’une société coloniale

Loin d’être une société moyennisée, où la majorité de la population appartiendrait à une vaste classe moyenne, la structure sociale de Mayotte a assurément une forme pyramidale : alors qu’un groupe social de fonctionnaires métropolitains extrêmement bien payés et évoluant dans des entre-soi sociaux et urbains forme l’élite économique de l’île, une petite et émergente classe moyenne mahoraise n’occulte pas la réalité d’une vaste population vivant dans des conditions précaires. Parallèlement, les venus d’Anjouan, résidents de fait, parfois illégalement depuis des décennies, subissent la violente rhétorique anti-comorienne, héritée de l’opposition entre Mayotte et l’État fédéral des Comores depuis l’indépendance de l’archipel. L’été 2016, des comités villageois se sont donnés pour mission de « nettoyer l’île » et d’expulser manu militari quiconque serait perçu comme comorien. Du jour au lendemain, des élèves ont disparu des lycées, des familles entières étaient expulsées, certaines mêmes présentes légalement, sans que la Préfecture ne tente de les en empêcher, ni même ne mette en place un dispositif d’accueil pour les expulsés18. Face à la violence et à la justice sommaire, l’état régalien faillit.

L’erreur d’attribution causale est manifeste : s’il est fréquent d’entendre les Mahorais mettre la lenteur de la départementalisation sur le compte de la présence comorienne, cette lenteur incombe davantage aux gouvernements français s’étant succédés depuis 1976, date à laquelle la population mahoraise avait clairement fait savoir son souhait d’une départementalisation. Au nom du respect des spécificités mahoraises19, Mayotte a dû attendre 35 ans ce statut. Maintenant qu’il est effectif, le gouvernement français actuel n’a paradoxalement pas fait de grands efforts d’adaptabilité aux particularités de Mayotte.

Cette départementalisation « en haillons » peut-être comprise comme l’un des plus récents avatars d’un traitement politique de type colonial. Les standards métropolitains sont présentés comme un idéal à atteindre pour une société dont la culture est très peu mise en valeur par l’institution scolaire, appliquant les programmes élaborés à Paris, et par l’administration, composée principalement de fonctionnaires venus de Métropole, bénéficiant de privilèges conséquents : aide à l’emménagement, salaire majoré, et prime d’éloignement nette d’impôt équivalente à 11,5 mois de salaire. Ces « m’zungus » 20évoluent dans des espaces protégés, cohabitant sans guère rencontrer l’immense majorité mahoraise et les omniprésents « invisibles » comoriens. Le philosophe H. Laurentie définissait ainsi le fait colonial : « une minorité qui s’est superposée à une majorité indigène de civilisation et de comportement différents »21. Difficile, considérant l’application particulière du droit et l’ethnicisation de la société mahoraise, de ne pas y voir au mieux une potentialisation de mécanismes anciens de type colonial, au pire un laboratoire in vivo de la colonisation post-Empire.

Jérémy Fernandes Mollien, Richard Monvoisin

Psycho-sociologie – La bouleversante leçon de discrimination d'Annie Leblanc

La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).
C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…

Ce matériel vidéo fait partie d’un atelier plus vaste sur les discriminations (cf. Richard Monvoisin, Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et la discrimination)
 

Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus deCorteX_Annie_leblanc renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.

Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.

Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (A quel point êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder (version originale également).

Richard Monvoisin

Situation dramatique en Lozère (petite leçon de bi-standard social et moral)

En décembre 2015, après de régulières séries de grèves organisées, l’intersyndicale lozéroise 1 a obtenu de la délégation interministérielle un nouvel acquis: le 1er janvier 2018, l’intégralité du code du travail est enfin déclarée applicable en Lozère.

Dans ce département de France, cette nouvelle est perçue comme une étape majeure dans un long combat pour une égalité de droits formelle entre les Lozériens et le reste de leurs concitoyens. Car malgré tout, la situation demeure préoccupante : s’il y a 25 ans, les dépenses de santé par habitant étaient 25 fois plus faibles en Lozère qu’ailleurs en France, en 2016, elles étaient en 2016 encore 5 fois plus faibles qu’en Essonne ou dans le Calvados. La dépense publique globale y est de 4700 euros par habitant, contre 17 300 euros en moyenne dans le reste de l’hexagone. Le taux de chômage y était en 2012 de 36,6% au sein des 15 – 64 ans, et le taux d’activité y était de 45,9%. 55% de la tranche des 15-29 ans sont au chômage. Il est compliqué de trouver des chiffres récents, tant le monde des sciences politiques s’est peu attaché à analyser ce département isolé et durement impacté. En 2005, 92% de la population de l’ancien Gévaudan vivait sous le seuil de pauvreté : le revenu moyen d’un foyer lozérien n’atteignait que 290 euros mensuels. Seule une résidence sur trois est de nos jours équipée du confort de base, c’est-à-dire un accès à l’eau courante et à l’électricité. Les prestations sociales auraient pu être en mesure d’aider les Lozériens à parvenir à des conditions de vie décentes, mais le non-recours aux prestations sociales y est particulièrement important. Lors de l’introduction du RSA dans le département en 2011, la CAF avait anticipé entre 13 000 et 18 000 demandes, mais en 2014, seuls 4 300 allocataires percevaient cette aide. Une des principales raisons avancées par les sociologues travaillant sur cette question est que le montant du RSA y est minoré de 50% de son montant national, afin de ne pas déstabiliser l’économie locale. Versant éducation, si le nombre d’élèves scolarisés est passé de 56 000 en 2002 à 86 000 en 2012, les résultats du bac sont très en dessous de la moyenne nationale : les candidats aux bacs généraux et technologiques sont 61,3% à obtenir leur diplôme, contre 88,5% dans le reste de la France métropolitaine.

En plus de ces nombreuses inégalités socio-économiques, les pratiques de l’administration lozérienne en matière de gestion des flux migratoires sont particulièrement sévères, et souvent illégales : après une décision de 2012 de la préfecture de Mende, les agents de police ont autorité pour détruire les papiers arbitrairement présumés faux des migrants qu’ils contrôlent, quand bien même ceux-ci constituent un élément important pour procéder à une demande d’asile ou établir la minorité d’un migrant. La vitesse d’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière étonne également : 94% des arrêtés sont exécutés en quelques heures, ce qui empêche les migrants de demander l’asile. Ils n’ont souvent le temps de contacter ni associations ni avocats pour appuyer leurs requêtes. À titre de comparaison, en moyenne les délais d’exécution des reconduites sont de plusieurs mois, le temps de statuer sur les dossiers. Cette efficacité expéditive mène à ce que sur les 31 377 reconduites à la frontière effectuées en France en 2012, 15 908 ont eu lieu en Lozère, et 3 837 d’entre elles concernaient des enfants. Comme ces derniers ne sont en théorie pas expulsables sans être accompagnés d’un tuteur légal, la police de Mende procède fréquemment à des rattachements fictifs, désignant arbitrairement un adulte en situation irrégulière responsable du mineur pour que celui-ci puisse être légalement évincé. Parmi ceux qui ne sont pas expulsés, l’emprisonnement est un sort courant : alors qu’en 2014, 100 mineurs étaient emprisonnés dans le reste de la France métropolitaine, 5 582 enfants et mineurs étaient détenus au centre de rétention de Cubières et dans la prison Séjalan de Mende.

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ERRATUM

Une coquille volontaire émaille cet article. La situation sociale et politique qui est décrite ici n’est pas celle de la Lozère, mais de Mayotte, île de l’archipel des Comores qui est devenu en 2011 le 101ème département français. Toutefois, comme les Mahorais aiment le souligner, Mayotte fait partie de la France depuis 1843, bien « avant Nice et la Savoie ». Seulement, autant son statut de colonie qu’elle quitta en 1946 que les différents sobriquets qui ont été créés entre temps pour l’empêcher d’entamer un processus de départementalisation, sont les témoins d’une volonté, de la part de la métropole, de freiner l’intégration politique de Mayotte. Autant l’application particulière du droit national que la frilosité des ministères à appliquer pleinement les normes métropolitaines témoignent d’une persistance d’une forme moderne d’État colonial. À Mayotte, la minorité de fonctionnaires métropolitains disposent d’importants avantages : salaires doublés, congés supplémentaires ; et habitent dans des zones protégés, les Mzungulands, ghettos à blancs, qui les isolent socialement et urbainement du reste de l’île. Le train de vie de cette petite minorité, au demeurant sans doute dotée de bonnes intentions, contraste avec les conditions de vie précaires des Mahorais, et le traitement inhumain dont font l’objet les migrants venus des autres îles des Comores, qui avaient quant à eux demandé l’indépendance. Depuis novembre 2016, l’île est même en proie à des pénuries d’eau, sans que les médias métropolitains ne s’en émeuvent. Gageons que si la situation décrite ici était celle de la Creuse, du Calvados, du Haut-Rhin ou de l’Ardèche, les réactions seraient bien plus rapides. Hélas, tous les Français en 2017 sont loin d’avoir les mêmes droits.

Jérémy Fernandes Mollien & Richard Monvoisin

CorteX_ML_1787_avril2017

Pour aller plus loin, voir Mayotte : reconfigurations coloniales, des mêmes auteurs, publié en mars 2017 dans la revue Mouvements.

Nous remercions le Monde Libertaire de nous permettre de reproduire cet article, publié en avril 2017 dans leur numéro 1747.


Bibliographie

  • Cosi, France Terre d’asile, Ordre de Malte France, « Centre de rétention administrative toujours plus d’enfants enfermés », extrait du rapport 2014 sur les centres de rétentions administratives, 2014.

  • Carayol R. « Mayotte, une départementalisation à la pelleteuse » Le Monde Diplomatique, n° 687, 2011.

  • Duflo, M. et Ghaem M. « Mayotte, une zone de non droit », Plein Droit, n°100, 2014.

  • Roinsard N., « Conditions de vie, pauvreté et protection sociale à Mayotte : une approche pluridimensionnelle des inégalités », Revue Française des Affaires Sociales, 2014/4.

  • Roinsard N., « Chômage, pauvreté, inégalités : où en sont les politiques sociales à Mayotte ? », Informations sociales, 6/2014.

  • Roinsard N., « Conditions de vie, pauvreté et protection sociale à Mayotte : une approche pluridimensionnelle des inégalités », Revue Française des Affaires Sociales, 2014/4.

Story-tellings et représentations historiques erronées

Il m’arrive (RM) fréquemment de donner à des étudiant.es des thèmes sur les représentations scientifiques erronées dans les fictions. L’Histoire étant une science, il est évident que certaines œuvres réécrivent des pans entiers de ce qu’il s’est concrètement passé. Il arrive que ces réécritures soient du fait du caractère parcellaire des informations disponibles ; mais il arrive aussi et surtout que ces récits narratifs, ces story-tellings, soient des manières de surfer sur les fantasmes et les représentations sociales sur une période. Au gré du temps, et au fil des demandes, j’étofferai le matériel disponible.

Far West américain

CorteX_Bon_brute_truandDébat historiographique pour évoquer les représentations de l’Ouest américain en France, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture, le 29 septembre 2016, co-animée par Victor Macé de Lépinay : du mythe du « bon sauvage » à la conquête de l’Ouest, de Fenimore Cooper à Buffalo Bill, nous cheminons sur les pas des voyageurs, géographes, historiens, écrivains et cinéastes qui ont imaginé un Far West pour Européens. Comment ont évolué les représentation de l’Ouest américain en France ? Quelle place a-t-on donné à l’idée de « frontière » dans notre vision de l’Amérique ? Avec Tangi Villerbu, maître de conférences à l’université de La Rochelle, Jacques Portes, professeur à l’université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis et Mathilde Schneider, conservatrice au Musée franco-américain du Château de Blérancourt.

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Bushido japonais

CorteX_SamuraiLe bushido, littéralement « voie du guerrier », est le code des principes moraux que les samouraïs japonais étaient soi-disant tenus d’observer. Le doute m’avait été mis sur le sujet par Jean-Michel Abrassart dans l’émission ci-dessous, j’ai contacté et parcouru les travaux de Benesch et j’ai donné ce sujet à des étudiant.es intéressé.es. Leur travail est là.

L’émission n°351 de Scepticisme scientifique, croisée avec le podcast Anthrostory, aborde les thèmes suivants :

  • l’origine du Bushido.
  • Le livre Bushido: the soul of Japan, une référence pour beaucoup de pratiquants d’arts martiaux.
  • Le livre Hagakure, de Yamamoto Tsunetomo, autre référence.
  • Un court résumé de l’histoire des samouraïs qui nous aide à mieux comprendre les histoires qu’on nous raconte et leur réalité historique.
  • Un petit clin d’œil au film The last samouraï, sur son historicité et l’idéal qu’il semble défendre.
  • Un micro clin d’œil à la magnifique série Shogun, là aussi pour parler de son authenticité éventuelle.
  • Un autre éclairage sur le positionnement des samouraïs et de leur idéologie, et de savoir quel serait leur positionnement politique actuel.
  • Pourquoi  avoir besoin de croire en l’efficacité d’un art martial et pourquoi lui chercher une origine lointaine ?
  • Pourquoi la question de l’efficacité (et de l’origine de l’efficacité) d’un art martial est important dans sa pratique au jour le jour ?
  • En quoi une idée fantasmée des samouraïs a pu et peut encore aujourd’hui avoir de l’influence sur le Japon ?

Quelques sources :

  • Bushido, l’âme du Japon, par Inazo Nitobe
    Hagakure : Ecrits sur la voie du samouraï, de Yamamoto Tsunetomo
    Inventing the Way of the Samurai: Nationalism, Internationalism, and Bushido in Modern Japan, de Oleg Benesch, historien le plus pointu sur le sujet
    La série Shogun, de Jerry Lyndon (1980)
    Le film Le Dernier samouraï, d’Edward Zwick (2003) à voir pour le stéréotype

Gaulois français

J’ai créé un article spécifique assez complet .

Mayas

Un excellent travail a été proposé par Jonathan, de Anthrostory à cette page-ci.

Je rêve de la recopier ici, mais je préfère vous renvoyer vers son site.

Voici l’émission de radio qui en est tirée.

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Histoire de Paris / de France

Nous avons déjà élaboré des ressources critiques des relectures fantaisistes de Loran Deutsch. Guillaume Guidon a ainsi élaboré

Histoire – peut-on critiquer Loran Deutsch ?

Le métronome de Loran Deutsch, un exemple de pseudo-histoire

Alexis Corbière a quant à lui critiqué les représentations sur la Révolution Française relayées par les jeux vidéos (ici)

Enfin, nous avons reproduit avec l’amabilité de son anonyme auteur Retour sur l’Histoire – Robespierre sans masque

Les Arabes

An American Carol images, pictures, photos and wallpapersNous avions réalisé avec des doctorant.es des travaux sur le sujet

  •  avec Djaml Hadbi sur les stéréotypes sur les Arabes dans les films : les Arabes, souffre-douleurs du cinéma. C’est ici.
  •  avec Andréa Rando-Martin sur Aladdin, de Disney et ses archétypes sexistes et racistes. C’est là.

Les pirates

(à venir)

Les bandits

(à venir)

Louis Mandrin

CorteX_Mandrin
Louis Mandrin blessé par l’assaut des Dragons à Guenand en décembre 1754 © Getty / Keystone-France

Retour sur Louis Mandrin le « capitaine Belle humeur », célèbre en Dauphiné, et abordé ici dans l’émission Autant en emporte l’histoire, de Stéphanie Duncan du 15 janvier 2017.

Ce 26 mai 1755, depuis tôt le matin, 6000 personnes se sont amassées sur la place des Clercs à Valence. Des curieux sont montés sur les toits, dans les arbres, ou sur des gradins de fortune, loués 12 sols pour l’occasion. Au centre de la place, se dresse un grand échafaud de bois. C’est là que, dans quelques heures, sera exécuté Louis Mandrin, le célèbre contrebandier, celui qui depuis deux ans, sur les routes du Dauphiné, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, nargue les fermiers généraux et l’armée du roi. Personne dans la foule ne l’a jamais vu, mais l’on dit que Belle Humeur (c’est son surnom) est beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, l’esprit vif et d’une hardiesse à toute épreuve… On dit aussi qu’il ne quitte pas son grand chapeau bordé de fils d’or. Deux jours auparavant, la commission de Valence, véritable tribunal d’exception, a condamné à mort Mandrin, par le supplice de la roue, la plus grave des peines infamantes. C’est donc ici, devant la foule, que ce 26 mai 1755 va prendre fin la vie tumultueuse de Mandrin. Mais sa mort marque aussi le début d’une légende, toujours tenace aujourd’hui, celle du bandit au grand cœur qui prend aux puissances de l’argent pour redonner aux pauvres.

L’invité de Stéphanie Duncan est l’historien Benoît Garnot.

La fiction

Louis Mandrin, Capitaine Belle Humeur, une fiction de Christine Spianti.

Tarzan

(à venir)