Géraldine Fabre

Conférence "Géologie & géologie-fiction", par Géraldine Fabre – Grenoble, 1er décembre 2010

altDans le cours Zététique & autodéfense intellectuelle destiné aux L1 et L2 de sciences, nous avons la chance de programmer la conférence de Géraldine Fabre Géologie & géologie-fiction le 1er décembre 2010 : seront abordées sous l’angle critique les formations géologiques faisant penser à des civilisations perdues, des traces de civilisations outre-espace, mais aussi toutes les fantasmagories autour des pierres, que ce soit la kryptonite de Superman ou la théorie de la litothérapie.

Ouvert à tous.

Mercredi 1er décembre à 17h, Direction des Licences Sciences & Techniques, Université Joseph Fourier.


Figure resplendissante d'intelligence, grâce à la barbe.

Vulgarisation – Le jeu des 20 pièges, comment éviter les arguments d’autorité ?

Fiche pédagogique – Le jeu des 20 pièges, comment éviter les arguments d’autorité ?

« Quand un être humain obtient un Ph. D (un doctorat), il se produit dans son cerveau une mutation qui l’empêche de prononcer les deux phrases : « je ne sais pas » et « je me suis trompé ».

James Randi

Copain vous raconte qu’un Ami lui a dit avoir lu dans Moisi que le célèbre Duschmoll, professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields, auteur prolifique de centaines de publications scientifiques, réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « On a tout distordu » et auteur du livre « Du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires en vente chez tous les bons marchands, a déclaré récemment : « je dis que blablaabla ! » ; ce qui

Version 1 : confirme l’intuition du sage aborigène visionnaire Oum l’Ancien, ̶ qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin̶ , et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris il y a des siècles.

Version 2 : vient bouleverser les lois de la physique et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein, un des plus grands défis à la science depuis Copernic. Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla, ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance.

Reprenons l’assertion en la tronçonnant :

(1) Copain

(2) vous raconte qu’un Ami lui a dit

(3) avoir lu dans Moisi

(4) que le célèbre Duschmoll,

(5) professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields,

(6) auteur prolifique de centaines de publications scientifiques,

(7) réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « on a tout distordu »

(8) auteur du livre « du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires

(9) en vente chez tous les bons marchands,

(10) a déclaré récemment « je dis que blablabla »

Version 1 :

(11) Ce qui confirme l’intuition du sage aborigène

(12) visionnaire Oum l’Ancien,

(13) -qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin,

(14) et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris

(15) il y a des siècles.

Version 2 :

(16) Ce qui vient bouleverser les lois de la physique

(17) et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein,

(18) un des plus grands défis à la science depuis Copernic

(19) Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla,

(20) ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance

(1) Copain

Qui est-il ? Est-il compétent sur le sujet ? Tient-il à vous plaire / à vous déplaire ? Y a-t-il une relation hiérarchique entre vous ? Un conflit d’intérêt ?

Facette Z : la compétence de l’informateur est fondamentale.

(2) vous raconte qu’un Ami lui a dit

L’Ami est-il une source généralement fiable ? (Attention : c’est bien, mais pas suffisant)

Facette Z : un, mille témoignages ne sont pas une preuve.

Faisceau de preuves : plusieurs demi-preuves ne font pas une preuve.

Effet boule de neige possible syndrome de l’ADUA (Ami d’un ami) ou de l’HQAVHQAVO (Homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours)

Facette Z : l’origine de l’information est fondamentale

Utiliser l’argument de Hume sur les miracles

(3) avoir lu dans Moisi

Vérifiez ce qu’est le magazine Moisi.

Argument d’autorité, effet vitrine version « lu dans le journal ».

Facette Z : un mot écrit n’est pas auto-validant

Ultra-méfiance sur les journaux et les magazines : la science est généralement publicitarisée

Super-méfiance sur les revues scientifiques sans comité de lecture

Grande méfiance sur les revues au facteur d’impact faible

Méfiance encore même dans les grandes revues scientifiques (se rappeler la fusion froide, ou l’affaire mémoire de l’eau)

Facette Z : l’origine de l’information est fondamentale

Vérifier également les annonceurs du journal (on ne mord pas la main qui nous nourrit)

(4) que le célèbre Duschmoll,

Argument d’autorité, effet vitrine médiatique

Starification – Duschmoll occupe-t-il sa place médiatique par sa compétence, ou par d’autres paramètres ? (charisme, phrases-slogans, etc.)

(5) professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields,

Vérifier si le titre / la médaille valident une compétence (professeur universitaire ≠ professeur des écoles ≠ « qui professe »)

Prétendre à un doctorat n’est pas suffisant (exemples d’Elisabeth Teissier, des frères Bogdanov)

Vérifier si l’Institut Bétombe existe, est universitaire, fonctionne, n’est pas une coquille vide – car « institut » ne valide rien de précis

(6) auteur prolifique de centaines de publications scientifiques,

Ne pas confondre articles dans Libération ou dans Science & Vie et articles scientifiques (dans des peer-reviews)

Attention : on peut écrire des centaines de mauvais articles

On peut aussi plagier des centaines de mauvais articles sur d’autres ou sur des étudiants, voire sur son fils (comme Bernouilli)

Effet Matthieu, « À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. »

(7) réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « on a tout distordu »

Compétence à l’aune des médias (Hubert Reeves, Yves Coppens)

Pseudo-compétence à l’aune des médias (Frères Bogdanov)

Effet paillasson sur la discipline (Nicolas Hulot n’est pas écologue, mais écologiste)

Sensationnalisme (les médias préfèrent l’iconoclastie, exemple : les climatosceptiques)

(8) auteur du livre « du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires

Effet vitrine

Effet Panurge : ce n’est pas parce que le livre est vendu à 300 000 ex. qu’il faut suivre

Double effet cigogne : qu’il ait été vendu ne signifie pas qu’il ait plu, et qu’il ait plu ne signifie pas qu’il soit bon (exemple : John Gray, Les hommes viennent de Mars… , ou Jacques Salomé)

(9) en vente chez tous les bons marchands,

Effet vitrine de librairie, tête de gondole

(10) a déclaré récemment « je dis que blablabla »

A-t-il effectivement dit cela ? Vérifier que le journaliste a bien retranscrit. Attention aux coupes et aux éductions : il arrive que la phrase soit sortie de son contexte, ou que la vraie déclaration « je dis que blablabla est une foutaise » se transforme en « je dis que blablabla ».

Version 1 :

(11) Ce qui confirme l’intuition du sage aborigène

Effet « vieux sage de l’antiquité »

Lecture à rebours – raisonnement panglossien

Argument exotique : on mise sur l’exotisme de l’origine, et sur les représentations populaires (Orient, Tibet, Aborigènes, etc) qui frôlent le primitivisme

(12) visionnaire Oum l’Ancien,

Syndrome Jules Verne

(13) – qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin ,

Effet vieux pot

(14) et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris

Argument ad populum

Passéisme, argument d’historicité

(15) il y a des siècles.

Argument de la nuit des temps

Version 2 :

(16) Ce qui vient bouleverser les lois de la physique

Argument ad novitatem

Scénarisations Scoop / révolution

Prudence dans l’interprétation : blablabla est-il confirmé par d’autres chercheurs ?

(17) et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein,

Accentuation lapidaire

(18) un des plus grands défis à la science depuis Copernic.

Scénario du défi

Baignoire d’Archimède

Analogie à justifier (N’est pas révolution copernicienne qui veut – exemple de Freud)

(19) Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla,

Description paranoïaque : scénario de la thèse qui dérange les scientifiques

Distorsion épistémologique : hormis dans le contexte de Berthelot (syndrome du poulpe) ou dans celui de Lyssenko (« science officielle »), la science n’a pas de tradition de ce type.

Garder à l’esprit que :

« Quand les experts sont unanimes, l’avis opposé ne peut être considéré comme certain »

« Quand les experts ne sont pas d’accord, aucun avis ne peut être considéré comme certain »

« Quand les experts se disent perplexes, le non-spécialiste sera sans doute bien avisé de suspendre son jugement » (Bertrand Russell)

(20) ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance.

Syndrome Galilée : Galilée n’a pas été brûlé, n’a pas été un martyr de la science – ni martyr, ni de la science, mais du clergé.

Ce TP a été construit pour le cours Zététique & autodéfense intellectuelle consacré à la critique des médias scientifiques et notamment de la presse de vulgarisation.

Richard Monvoisin

Pour aller plus loin : un groupe de doctorants-moniteurs du CIES de Grenoble ont réalisé un Zétéclip sur l’effet blouse blanche, en prenant pour exemple les frères Bogdanov. Voir ici.

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Thèse de Richard Monvoisin – Pour une didactique de l’esprit critique

Libre service ! On trouvera ici Pour une didactique de l’esprit critique – Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifques dans les médias, la thèse de didactique des sciences de Richard Monvoisin, soutenue à L’Université Joseph Fourier de Grenoble le 25 octobre 2007.

La thèse à télécharger :
Télécharger

Sujet – Le développement et l’enseignement d’outils zététiques à partir des défauts de la vulgarisation et de la médiatisation des sciences.
Pour les étudiants / journalistes / enseignants, elle contient un certain nombre d’effets et de biais de raisonnement, de mises en scènes médiatiques de la science, et présente quelques fiches pédagogiques.

Cette thèse a été soutenue devant un jury composé de :
CorteX_H.BrochHenri Broch, professeur de physique et directeur du laboratoire de zététique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis (co-directeur de thèse).
Patrick Lévy, professeur de médecine, directeur de recherche à l´Institut du Sommeil etCorteX_Patrick_Levy de la Vigilance et directeur du laboratoire Hypoxie-Physiopathologie (HP2) de l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1 (co-directeur de thèse).
CorteX_Claudine_KahaneClaudine Kahane, professeur d’astrophysique moléculaire à l’Observatoire de Grenoble de l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1.
Jean Bricmont, professeur de physique théorique de l’Unité de physique théorique et deCorteX_Bricmont physique mathématique à l’Université Catholique de Louvain (rapporteur).
CorteX_guillaume_lecointreGuillaume Lecointre, professeur du département « Systématique et Evolution » au Muséum national d’Histoire Naturelle, Paris (rapporteur).

Pour toute question, suggestion, correction, correspondance avec l’auteur : Richard.Monvoisin@univ-grenoble-alpes.fr

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Crédits photos
– Dr Monvois : Eric Bevillard
– Annonce de thèse : François B

Strawman, ou technique de l’épouvantail

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire l’interlocuteur en erreur.

L’épouvantail

«L’Homme de paille, strawman »

Méthode : travestir d’abord la position de son interlocuteur de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire cet épouvantail en prétendant ensuite avoir réfuté la position de l’interlocuteur.

Exemples :

 – Les évolutionnistes affirment que la vie sur Terre est apparue par hasard. Mais comment un être humain ou un éléphant pourraient apparaître de rien, de nulle part ?

– Les adversaires de l’astrologie prétendent que les astres n’ont pas d’influence sur nous. Allez donc demander aux marins si la Lune n’a pas d’influence sur les marées !

– En critiquant l’efficacité de l’acupuncture vous balayez dédaigneusement d’un revers de la main la culture asiatique.

 On peut utiliser d’autres mécanismes sophistiques pour créer cet épouvantail, de sorte qu’il soit facilement réfutable.

Avec un reductio ad hitlerum, par exemple : vous adhérez en somme à des théories eugénistes.

Une attaque ad hominem par association : vous invoquez Voltaire et ses écrits sur l’égalité des Hommes en oubliant soigneusement sa participation au commerce d’esclaves.

Matériel

     

« La grande erreur, la bêtise, serait de dire : ce phénomène nous ne le comprenons pas, donc il n’existe pas, …c’est anti-scientifique… »

Le professeur Montagnier attribue ici une position fictive et grossière à d’éventuels détracteurs puis la qualifie d’anti-scientifique. Il y a détournement flagrant du débat dans la mesure où aucun phénomène n’a pu être observé, il n’est donc pas possible de le comprendre : il est refusé non parce qu’il n’est pas compris, mais parce qu’il n’est pas observé.

  • Nicolas Sarkozy, le 15 septembre 2016, dans « l’émission politique », sur France 2 (envoyé par le camarade Franck Villard, de l’Observatoire zététique)

Télécharger ici

N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

NG

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Pétition de principe

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

 La pétition de principe

«petitio principii »

Méthode : consiste à faire une démonstration qui contient déjà l’acceptation de la conclusion, ou qui n’a de sens que lorsque l’on accepte déjà cette conclusion.

Exemples :

– La psychogénéalogie est une thérapie efficace puisque cette méthode aide les gens à aller mieux.

Il y en a de nombreuses formes :

Par insinuation : Nous ouvrons aujourd’hui le procès d’un ignoble meurtrier.

Par insinuation interrogative : Vous allez me dire que les lois physiques existent indépendamment de la volonté de Dieu?

Par analogies : Au même titre qu’une maison a besoin d’un architecte, il est évident que l’univers a besoin d’un Créateur.

Par raisonnements en boucle : Jésus est né d’une vierge. Comment cela serait-il possible sans l’intervention divine ? Que la réponse soit oui ou non, l’interlocuteur a déjà affirmé explicitement l’existence d’une volonté divine.

La forme du répulsif anti-girafe : le répulsif anti-girafe fait fuire les girafes. Comment le sait-on ? Regardez autour : il n’y a aucune girafe !

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N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

Nicolas Gaillard

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Faux dilemme

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

Le faux dilemme

Méthode : consiste à n’offrir que deux alternatives déséquilibrées en omettant toute autre alternative pourtant possible. Il peut s’agir de réduire le choix à deux alternatives qui ne sont pas réellement contradictoires. Au final, le choix est confisqué et la décision étriquée.

Exemples :

L’argument de G. W. Bush : Ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous

Si tu n’es pas ceci, alors tu es comme ça, si tu n’es pas contre, tu es pour, si tu n’es pas pour le complot du 11/9 tu es pro-Bush… nous avons là un mode de pensée assez primitif où il n’y a pas de troisième, de quatrième ou cinquième voie, non, c’est le yin yang, le noir et le blanc, le lumière-ténèbres du manichéisme perse du IIIe… En fermant les yeux, on entendrait résonner la voix de Michel Fugain : Qui c’est qui est très gentil (les gentils) Qui c’est qui est très méchant (les méchants).[1]

C’est un sophisme très rependu, souvent utilisé pour opposer le moins pire au pire :

– Marcher pieds nus ou acheter des chaussures fabriquées par des enfants en Chine ?

– La guerre en Irak ou laisser le champ libre au totalitarisme ?

– L’interdiction du voile ou l’extrémisme religieux ?

– Le Pen ou Chirac ?

– L’axe du bien ou celui du mal ?

Le faux dilemme fonctionne également avec deux propositions négatives, qui, de la même façon réduisent les choix. On appelle ce faux dilemme le « ni-ni ». « Ni pute ni soumise » en est le meilleur exemple. Le ni-ni sent parfois le brun. Il se cache par exemple dans « La France, aimez-la ou quittez-la ! » du Front National, transformé en « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » par De Villiers.

Cette stratégie est redoutable car elle oriente sournoisement le débat en le simplifiant en un unique antagonisme. Mais celui-ci n’est qu’apparent : le fait que deux propositions soient compétitives ne signifie pas forcément qu’elles soient contradictoires. Le faux dilemme crée l’illusion d’une « compétitivité contradictoire ». Dans l’affirmation « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », on peut trouver des arguments acceptables pour ne pas être « avec eux » sans pour autant « être contre eux » : il n’y a pas contradiction.

Enfin, les deux hypothèses compétitives peuvent se révéler toutes les deux fausses !

Exemple dans les médias:

– Le Figaro du 28/01/10 présente en une un titre évocateur : « 9 Français sur 10 pour une réduction des dépenses publiques »

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L’article fait référence à un sondage de l’IFOP et indique que « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) 92% des enquêtés privilégient de réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) ». Passons ici sur l’origine de la commande de ce sondage et son utilisation très orientée [2] pour nous intéresser à la formulation de cette question sous forme de faux dilemme :

Question 2 : « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) quelle solution faut-il selon-vous privilégier ?

1/ « Réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) » ou la seule autre option proposée :

2/ « Augmenter les prélèvements obligatoires (impôts locaux, impôts sur le revenu) »

Ce faux dilemme oriente soigneusement la réponse en interdisant toute autre solution, comme par exemple : la suppression des niches fiscales et des exonérations de cotisations sociales des entreprises, l’augmentation de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, le rétablissement de l’impôt sur les successions, l’augmentation de l’ISF, etc. On évite également de préciser les domaines de réduction de dépenses publiques comme la défense et l’armée plutôt que les aides sociales. Ainsi présenté ce faux dilemme permet d’affirmer l’écrasante majorité de réponses 1, et appuyer fallacieusement le propos de fond de l’article, du journal, du propriétaire du journal, etc.

– Un exemple rigolo de faux dilemme dans le dernier « Pirates des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence » de Rob Marshall, 2011.

N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

NG

[1] Le culboto, l’effet bof et autres ni-ni, Richard Monvoisin, La Traverse N°1

[2] Voir le brillant article sur ce sondage de l’Observatoire des médias, sur le site ACRIMED action-critique-médias.

Cette ébauche du monde de sophisme est basée, entre autre, sur la fiche « Petit recueil de 18 moisissures argumentatives« .

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Non sequitur

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

Non sequitur

« qui ne suit pas les prémisses »

Ce raisonnement est un syllogisme, où deux prémisses composent une logique pour aboutir sur une conclusion valide. C’est le principe d’énoncés très connus tel que :

  • Tous les hommes sont mortels
  • Socrate est un homme
  • Donc Socrate est mortel

Méthode : tronquer un raisonnement logique du type :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or B est vrai,
  • Donc A est vrai.

Ou l’inverse :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or A est faux,
  • Donc B est faux.

Dans le sophisme Non sequitur, la conclusion est tirée de deux prémisses qui ne sont pas logiquement reliées, même si elles peuvent êtres vraies indépendamment l’une de l’autre. On crée alors l’illusion d’un raisonnement valide.

Exemples :

– Le monde est d’une prodigieuse perfection, à l’image de l’œil humain.

– Il est fort probable qu’une intelligence supérieure soit en jeu dans l’élaboration de l’univers. Le hasard ou une quelconque théorie de l’évolution des espèces ne peuvent donc être les seuls responsables de cette perfection.

– Tous les consommateurs d’héroïne ont commencé par le haschisch. Tu fumes du haschisch, donc tu vas finir héroïnomane.

– Française des Jeux : 100% des gagnants auront tenté leur chance. décomposé en non sequitur: tous ceux qui ont gagné ont joué. Donc si tu joues, tu gagnes

– On m’a dit « Si tu ne manges pas ta soupe, tu finiras au bagne », or je mange ma soupe, donc je n’irai pas au bagne.

Exemple amusant dans Sacré Graal des Monty Python :

   

– Les sorcières brûlent ; On brûle également le bois: Donc les sorcières sont faites en bois.
– Les sorcières sont faites en bois ; Le bois flotte, comme les canards : Donc si une personne pèse le même poids qu’un canard, c’est bien une sorcière !

Exemple dans la BD de Bourgeon Les passagers du vent, T3 – le comptoir de Juda.

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Exemple plus compliqué:

Freud déclarant dans son auto-présentation que la psychanalyse est le contenu de sa vie, et d’autre part que son travail s’inscrit dans l’esprit du nouveau judaïsme, on est alors tenté de faire un amalgame entre le personnage de Freud, le Freudisme, la psychanalyse et le judaïsme. Il y a donc un suspicion permanente d’un antisémitisme dissimulé dans la critique du freudisme :

– Vous critiquez la psychanalyse freudienne. Freud était juif, vous êtes donc antisémite.

En avril 2010, Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, tient un propos similaire dans une interview au Nouvel Observateur. « Il y a bien souvent en France une jonction inconsciente entre antifreudisme, racisme, chauvinisme et antisémitisme, fondée sur la haine des élites et le populisme […] Les éternels complots et affabulations attribués aux psychanalystes sont douteux : on voit l’œil, la main et le nez de Freud partout… »

Un extrait du developement de Michel Onfray sur ce sophisme (2mn15′)

Développement entier (17mn12′) 
N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme. 

NG
 

Le sophisme

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur. Voici quelques sophismes terriblement efficaces et très répandus…

Le Non sequitur

« qui ne suit pas les prémisses »
Ce raisonnement est un syllogisme, où deux prémisses composent une logique pour aboutir sur une conclusion valide. C’est le principe d’énoncés très connus tel que :

  • Tous les hommes sont mortels
  • Socrate est un homme
  • Donc Socrate est mortel

Méthode : tronquer un raisonnement logique du type :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or B est vrai,
  • Donc A est vrai.

Ou l’inverse :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or A est faux,
  • Donc B est faux.

Dans le sophisme Non sequitur, la conclusion est tirée de deux prémisses qui ne sont pas logiquement reliées, même si elles peuvent êtres vraies indépendamment l’une de l’autre. On crée alors l’illusion d’un raisonnement valide.

Exemples :

– Le monde est d’une prodigieuse perfection, à l’image de l’œil humain.

– Il est fort probable qu’une intelligence supérieure soit en jeu dans l’élaboration de l’univers. Le hasard ou une quelconque théorie de l’évolution des espèces ne peuvent donc être les seuls responsables de cette perfection.

– Tous les consommateurs d’héroïne ont commencé par le haschisch. Tu fumes du haschisch, donc tu vas finir héroïnomane.

– Française des Jeux : 100% des gagnants auront tenté leur chance. décomposé en non sequitur: tous ceux qui ont gagné ont joué. Donc si tu joues, tu gagnes

– On m’a dit « Si tu ne manges pas ta soupe, tu finiras au bagne », or je mange ma soupe, donc je n’irai pas au bagne.

Exemple amusant dans Sacré Graal des Monty Python :

– Les sorcières brûlent ; On brûle également le bois: Donc les sorcières sont faites en bois.
– Les sorcières sont faites en bois ; Le bois flotte, comme les canards : Donc si une personne pèse le même poids qu’un canard, c’est bien une sorcière !

Exemple dans la BD de Bourgeon Les passagers du vent, T3 – le comptoir de Juda.

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Exemple plus compliqué:

Freud déclarant dans son auto-présentation que la psychanalyse est le contenu de sa vie, et d’autre part que son travail s’inscrit dans l’esprit du nouveau judaïsme, on est alors tenté de faire un amalgame entre le personnage de Freud, le Freudisme, la psychanalyse et le judaïsme. Il y a donc un suspicion permanente d’un antisémitisme dissimulé dans la critique du freudisme :

– Vous critiquez la psychanalyse freudienne. Freud était juif, vous êtes donc antisémite.

En avril 2010, Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, tient un propos similaire dans une interview au Nouvel Observateur. « Il y a bien souvent en France une jonction inconsciente entre antifreudisme, racisme, chauvinisme et antisémitisme, fondée sur la haine des élites et le populisme […] Les éternels complots et affabulations attribués aux psychanalystes sont douteux : on voit l’œil, la main et le nez de Freud partout… »

Un extrait du developement de Michel Onfray sur ce sophisme (2mn15′)

Développement entier (17mn12′)

Le faux dilemme

Méthode : consiste à n’offrir que deux alternatives déséquilibrées en omettant toute autre alternative pourtant possible. Il peut s’agir de réduire le choix à deux alternatives qui ne sont pas réellement contradictoires. Au final, le choix est confisqué et la décision étriquée.

Exemples :

L’argument Bush : Ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous

Si tu n’es pas ceci, alors tu es comme ça, si tu n’es pas contre, tu es pour, si tu n’es pas pour le complot du 11/9 tu es pro-Bush… nous avons là un mode de pensée assez primitif où il n’y a pas de troisième, de quatrième ou cinquième voie, non, c’est le yin yang, le noir et le blanc, le lumière-ténèbres du manichéisme perse du IIIe… En fermant les yeux, on entendrait résonner la voix de Michel Fugain : Qui c’est qui est très gentil (les gentils) Qui c’est qui est très méchant (les méchants).[1]

C’est un sophisme très rependu, souvent utilisé pour opposer le moins pire au pire :

– Marcher pieds nus ou acheter des chaussures fabriquées par des enfants en Chine ?

– La guerre en Irak ou laisser le champ libre au totalitarisme ?

– L’interdiction du voile ou l’extrémisme religieux ?

– Le Pen ou Chirac ?

– L’axe du bien ou celui du mal ?

Le faux dilemme fonctionne également avec deux propositions négatives, qui, de la même façon réduisent les choix. On appelle ce faux dilemme le « ni-ni ». « Ni pute ni soumise » en est le meilleur exemple. Le ni-ni sent parfois le brun. Il se cache par exemple dans « La France, aimez-la ou quittez-la ! » du Front National, transformé en « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » par De Villiers.

Cette stratégie est redoutable car elle oriente sournoisement le débat en le simplifiant en un unique antagonisme. Mais celui-ci n’est qu’apparent : le fait que deux propositions soient compétitives ne signifie pas forcément qu’elles soient contradictoires. Le faux dilemme crée l’illusion d’une « compétitivité contradictoire ». Dans l’affirmation « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », on peut trouver des arguments acceptables pour ne pas être « avec eux » sans pour autant « être contre eux » : il n’y a pas contradiction.

Enfin, les deux hypothèses compétitives peuvent se révéler toutes les deux fausses !
Exemple dans les médias:
– Le Figaro du 28/01/10 présente en une un titre évocateur : « 9 Français sur 10 pour une réduction des dépenses publiques »
CorteX_Sophisme_FigaroCorteX_Sophisme_Figaro2

L’article fait référence à un sondage de l’IFOP et indique que « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) 92% des enquêtés privilégient de réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) ». Passons ici sur l’origine de la commande de ce sondage et son utilisation très orientée [2] pour nous intéresser à la formulation de cette question sous forme de faux dilemme :

Question 2 : « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) quelle solution faut-il selon-vous privilégier ?

1/ « Réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) » ou la seule autre option proposée :

2/ « Augmenter les prélèvements obligatoires (impôts locaux, impôts sur le revenu) »

Ce faux dilemme oriente soigneusement la réponse en interdisant toute autre solution, comme par exemple : la suppression des niches fiscales et des exonérations de cotisations sociales des entreprises, l’augmentation de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, le rétablissement de l’impôt sur les successions, l’augmentation de l’ISF, etc. On évite également de préciser les domaines de réduction de dépenses publiques comme la défense et l’armée plutôt que les aides sociales. Ainsi présenté ce faux dilemme permet d’affirmer l’écrasante majorité de réponses 1, et appuyer fallacieusement le propos de fond de l’article, du journal, du propriétaire du journal, etc.

– Un exemple rigolo de faux dilemme dans le dernier « Pirates des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence » de Rob Marshall, 2011.

[dailymotion id=xmmgr4]


Reductio ad hitlerum

« déshonneur par association »
Méthode : disqualifier un adversaire en le comparant à un personnage honni du passé comme Hitler, Mussolini, Pol Pot…

Par extension, le déshonneur par association peut s’immiscer lorsqu’on opère une catégorisation fallacieuse des arguments présentés : iI s’agit de rattacher l’argumentaire à un concept, un courant, une doctrine qui est connue pour être en elle-même négative, réfutée, inadmissible, immorale.

Si le sophisme reductio ad hitlerum apparaît rarement sous la forme « vous avez le même argument qu’Hitler », il est plutôt présent aujourd’hui comme une tactique de déshonneur par association en faisant un rapprochement avec la politique de ces personnages. L’évocation subtile d’une période historique, fasciste ou nazie par exemple, discrédite l’interlocuteur et l’exclut de la discussion, évidement sans développer une argumentation valide. On suppose alors que l’argument est identique à un concept et que ce dernier est largement réfuté.

Exemple : 

– Voyons, si tu adhères à la théorie de Darwin, alors tu cautionnes la « sélection » des espèces, donc le darwinisme social et l’eugénisme, ce qui rappelle certaines heures sombres…

– Vous ne pouvez pas être aussi manichéen/rationaliste/spiritualiste…

– Cette position est pour ainsi dire du bolchevisme/fascisme/nationalisme/totalitarisme, avec ce que l’on connaît de ses conséquences dramatiques…

– Vous critiquez [xxx] exactement comme Jean-Marie Le Pen.

Exemple dans les médias :

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 – Interview de Carla Bruni dans l’Expresse du 13 février 2008. Elle fait référence au site du Nouvel Observateur et déclare : « si ce site avait existé pendant la guerre, qu’en aurait-il été des dénonciations de juifs »

– Jean-François Copé accuse Martin Hirsch de se livrer à un « exercice de délation » à propos de son dernier ouvrage consacré aux conflits d’intérêts dans le gouvernement. Dimanche Soir politique sur Itélé /France Inter, le 26 septembre 2010:

{avi}CorteX_Sophismes_Cope_Hirsch_dimanche_politique{/avi}

– Discours du 26 novembre 2009, Christian Estrosi, Ministre de l’Industrie et maire de Nice, estime qu’un débat sur l’identité nationale en Allemagne durant les années 30 aurait pu permettre d’éviter « l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne ». Difficile ensuite de refuser le débat sans être assimilé au régime nazi :

[dailymotion id=xgs88o]

– Roschdy Zem, invité à s’exprimer sur la loi HADOPI sur le téléchargement, au 13h de France2 le 26 avril 2009 : « Les seuls cas où la culture a été gratuite, c’est les cas où il y avait une politique de dictature, sous le IIIe Reich, sous la Roumanie de Ceausescu : la culture gratuite n’existe pas » :

[dailymotion id=xgs899] 

Le déshonneur par association peut se glisser parfois dans des endroits inattendu, comme dans cette interview de Périco Légasse, critique gastronomique de Marianne, dans l’émission Service Public sur France Inter, le 11 novembre 2010. « [la cuisine moléculaire] c’est le fascisme ! […] c’est une dictature de la pensée. »


La pétition de principe

«petitio principii »
Méthode : consiste à faire une démonstration qui contient déjà l’acceptation de la conclusion, ou qui n’a de sens que lorsque l’on accepte déjà cette conclusion.
Exemples :

– La psychogénéalogie est une thérapie efficace puisque cette méthode aide les gens à aller mieux.

Il y en a de nombreuses formes :

Par insinuation : Nous ouvrons aujourd’hui le procès d’un ignoble meurtrier.

Par insinuation interrogative : Vous allez me dire que les lois physiques existent indépendamment de la volonté de Dieu?

Par analogies : Au même titre qu’une maison a besoin d’un architecte, il est évident que l’univers a besoin d’un Créateur.

Par raisonnements en boucle : Jésus est né d’une vierge. Comment cela serait-il possible sans l’intervention divine ? Que la réponse soit oui ou non, l’interlocuteur a déjà affirmé explicitement l’existence d’une volonté divine.


La pente savonneuse

«Développement abusif des conséquences ou La pente glissante, La porte ouverte…»

Méthode : développer les conséquences négatives d’un argument de façon excessive. Le but est de réfuter cet argument en démontrant que si on l’accepte, alors on accepte également ses possibles conséquences négatives. Les conséquences risquées sont ainsi envisagées et présentées comme dramatiques, catastrophiques, écœurantes, immorales, etc. C’est une scénarisation focalisée sur des conséquences inadmissibles, de la sorte on ne peut pas y souscrire.

Exemple :

– Si l’humain descend du singe où va-t-on ? C’en est fini de la morale !

– Si les distributeurs de préservatifs sont autorisés au lycée, on cautionne alors les rapports sexuels des jeunes. C’est l’incitation à la débauche, l’avènement de la bestialité !

– Les thérapies cognitives, c’est la porte ouverte au Prozac et à la Ritaline pour les enfants.

– Si les aides sociales sont étendues, cela va inciter les gens à ne plus rien faire et l’économie sera fragilisée. Les inégalités seront alors de plus en plus marquées. C’est risquer l’effondrement de notre système économique.

– Mettre en doute le fonctionnement démocratique d’une société est la porte ouverte à l’anarchie et au chaos le plus total.

– Régulariser les sans-papiers ouvrira inévitablement un appel d’air qui renforcera l’immigration irrégulière vers notre pays.

Exemple dans la BD de Bourgeon Les passagers du vent, T4 – L’heure du serpent.
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Trouvaille de Christophe Michel, alias Chrismich, de Chambéry

  • « Si on commence a vouloir dépénaliser le cannabis, bientôt on légalisera le mariage homosexuel. A quand la CorteX_Jacques_Alain_Benistidépénalisation du viol, voire la légalisation du viol ?« 

Signé Jacques-Alain Bénisti, député UMP, pendant un débat politique sur la chaine LCP le 23 juin 2011
en audio:

[dailymotion id=xjhcbj]

L’épouvantail

«L’Homme de paille, strawman »

Méthode : travestir d’abord la position de son interlocuteur de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire cet épouvantail en prétendant ensuite avoir réfuté la position de l’interlocuteur.

Exemple : 

– Les évolutionnistes affirment que la vie sur Terre est apparue par hasard. Mais comment une être humain ou un éléphant pourraient apparaître de rien, de nul part ?

– Les adversaires de l’astrologie prétendent que les astres n’ont pas d’influence sur nous. Allez donc demander aux marins si la Lune n’a pas d’influence sur les marées !

– En critiquant l’efficacité de l’acupuncture vous balayez dédaigneusement d’un revers de la main la culture asiatique.

On peut utiliser d’autres mécanisme sophistiques pour créér cet épouvantail, de sorte qu’il soit facilement réfutable.

Avec une reductio ad hitlerum, par exemple : Vous adhérez en somme à des théories eugénistes.

Une attaque ad hominem par association : Vous invoquez Voltaire et ses écrits sur l’égalité des Homme en oubliant soigneusement sa participation au commerce d’esclave.

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[2] Voir le brillant article sur ce sondage de l’Observatoire des médias, sur le site ACRIMED action-critique-médias : http://www.acrimed.org/article3304.html.
Cette ébauche du monde de sophisme est basée, entre autre, sur la fiche « Petit recueil de 18 moisissures argumentatives« . 
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Culbuto, effet bof et autres ni-ni

Cet article a été publié en juin 2010 dans La Traverse N°1 (que l’on peut télécharger ici), revue du collectif Les Renseignements Généreux, dans la rubrique « Outils d’autodéfense intellectuelle – équipons-nous en rigolant« .

Aujourd’hui, nous allons nous méfier du culbuto, célébrissme et ancestral jouet au cul lesté et qui, quelle que soit la force qui lui est imprimée, bascule nonchalamment d’un côté puis de l’autre mais finit toujours par se remettre à la verticale.

Appelé aussi poussah, ou ramponneau du nom d’un cabaretier du même nom vers 1700, cet objet est attesté sous forme de petites poupées dans la Chine du quatrième siècle – ce qui a fait dire à des petits plaisantins que lorsque le culbuto oscille, la dynastie Tang. Personne ne sait si les chinois s’énervaient eux-aussi contre cet objet malfaisant, mais force est de constater qu’à toujours revenir à la même position, le culbuto attise une sévère envie d’y mettre des baffes.

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Toutefois, avant d’attiser notre envie de calotter le poussah, faisons quelques petits détours, tout d’abord par ce qu’on appelle l’effet bof.

Effet bof

Imaginons que j’aie deux amis – ce qui est je vous l’accorde très agréable. L’un d’eux me dit :

« moi je crois aux fantômes, je sais que c’est vrai, j’en suis certain » ; le second rétorque « bien sûr que non, les fantômes, ça n’existe pas, j’en suis persuadé ». Que puis-je déduire ? Vraisemblablement, je vais me dire dans mon for intérieur : « Lui, il y croit dur comme fer, l’autre, n’y croit pas, mais dur comme fer aussi… donc raisonnablement, je vais me positionner entre les deux. Fifty-fifty ! ».

Et pourtant, est-ce si raisonnable que cela ? Pensez à une échelle de vraisemblance, allant de 0% quand c’est invraisemblable, et 100% quand c’est archi-sûr. Soit j’ai déjà rencontré un fantôme, Casper, ou le Fantôme Noir l’ennemi de Mickey, et dans ce cas, sous réserve que j’eusse été à jeûn, je dois conclure que je me situe au 100%.

Soit je n’ai jamais vu de mon existence un fantôme, et je n’ai pas le moindre soupçon de preuve de leur réalité. Par conséquent, mon curseur redescendra dramatiquement vers zéro. Très proche de zéro… mais pas zéro ! en vertu de cette injustice flagrante des sciences qui dit qu’il est impossible de prouver l’inexistence de quelque chose, il me sera rationnellement impossible de conclure à l’inexistence des fantômes : il faudrait pour cela que j’eusse été partout, de tous temps, dans tous les vieux châteaux et les vieilles caves, sous tous les lits et dans tous les placards pour en être certain. Proche de zéro mon curseur, donc. Disons, 0,001.

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Mais alors, mon 50/50 n’est pas rationnel du tout ! D’une part je n’ai aucun élément de preuve me permettant de situer pile à 50% ma vraisemblance ; d’autre part, rien ne me permet de poser qu’il y a autant de vraisemblance qu’un fantôme existe qu’un fantôme n’existe pas. Je suis tombé dans l’effet bof, c’est-à-dire que j’ai donné la même probabilité à deux pôles, l’existence et l’inexistence de quelque-chose. Position confortable, donnant la fausse impression d’un juste milieu, d’une bienveillante neutralité, avec la satisfaction d’avoir fait la part des choses tel un Salomon moderne. Pourtant, la meilleure chose que j’aurais eue à faire eut été d’humblement suspendre mon jugement, et en l’absence de plus d’informations, de ne pas me situer sur l’échelle. En clair, fermer ma grande goule.

Chauve n’est pas une couleur de cheveux

Vous allez rétorquer que le fantôme n’est pas un gros enjeu politique au XXIᵉ siècle, ce qui est, il faut le dire, finement observé. Alors remplaçons le fantôme, tout d’abord par Dieu, Allah, Jah, Ganesh, le Flying Spaghetti Monster, bref, une entité sur-naturelle bien balèze.

Entre une personne qui croit dur comme fer en son existence, et une autre qui postule son inexistence, il est fréquent de retrouver une position intermédiaire posant que le sujet est bien trop élevé pour que l’esprit humain puisse trancher, et qu’au fond, chez le croyant comme chez l’athée, il y a peut être un peu de vrai chez tout le monde. On appelle cette position l’agnosticisme. Elle est en quelque sorte l’effet bof en matière de dieu. Elle est tranquille, aussi molletonnée qu’un centrisme politique, et permet de donner une illusion de saine mesure entre deux dangereux extrêmes.

Or, non seulement il ne s’agit pas de deux « extrêmes » ; mais en outre ils ne sont pas équivalents sur le plan de la probabilité.

Expliquons-nous.

Faux extrêmes

Dans les écrits de Nicolas Sarkozy (La république, les religions, l’espérance, 2006) ou du Pape Benoït XVI (Spes salvi, 2007), pour prendre des pensées conservatrices assez suivies en France, l’athéisme est présenté au mieux comme un fanatisme de type religieux, au pire comme un extrémisme idéologique. Et ô sainte horreur ! sans morale, l’athéisme mène forcément à toutes les désespérances et aux caves humides de vos immeubles pour y fumer des joints pendant de répugnantes tournantes.

Pour bien comprendre pourquoi l’idée de religion athée fond comme neige au soleil, empruntons sa théière au philosophe libertaire Bertrand Russell : soit une minuscule théière chinoise en porcelaine qui suit une orbite elliptique entre la Terre et Mars, et qui est tellement petite qu’elle ne peut être observée : même nos meilleurs télescopes n’y parviennent pas. En toute rigueur, il serait logique de douter de cette affirmation, — qui ne peut être réfutée — et de considérer que cette théière n’existe vraisemblablement pas. Pourtant, personne ne se dirait à ce propos « agnosticothéiériste », au risque de passer pour dingue, et l’« athéiérisme » est la position qui remportera certainement le suffrage commun.

Y a-t-il un agnosticothéièriste dans la salle ?

Comme dit le magicien militant James Randi, l’athéisme n’est une croyance que dans la mesure où la non-collection de timbres est un hobby. Et le rationaliste Mark Schnitzius de renchérir : dire que l’athéisme est une religion revient à dire que chauve est une couleur de cheveux.

Oui, on rigole bien chez les athées.

Coût des hypothèses

Venons-en au second point. Quand bien même les deux « extrêmes » existeraient, — par exemple deux hypothèses entre lesquelles notre coeur fait le culbuto — il faudrait les soupeser comme les deux plateaux d’une balance avant de savoir vers laquelle pencher. Si l’un des plateaux est rempli de faits réels, et l’autre d’entités nouvelles et sans masse précise, comme fantôme, esprit, âme ou Dieu, il va être difficile de soupeser1.

Or poser, et « peser » l’existence de quelque-chose de nouveau ne peut se faire comme on pose son cul sur une chaise : lorsqu’un biologiste systématicien recense les espèces, il ne va pas créer une nouvelle case à chaque oiseau rencontré. Il ne va en créer une qu’après avoir bien vérifié que le cui-cui en question ne s’incorpore dans aucune des catégories connues, merle, pinson, mésange, ou boeing 707. Autre exemple , que je dois à mon ami Stanislas Antczak : je mets un chat et une souris dans une boîte, je ferme, je secoue, et je rouvre, et il ne reste plus que le chat.

Hypothèse 1 : la souris s’est téléportée, le chat non, car un chat, ça ne peut pas.

Hypothèse 2 : des extraterrestres de la planète Mû ont voulu désintégrer la souris, mais elle s’est transformée en chat. Le chat, de frayeur, est passé dans une autre dimension par effet tunnel.

Hypothèse 3 : le chat a mangé la souris (sans dire bon appétit, ce qui est mal).

Vous serez d’accord pour dire que l’hypothèse 3 est beaucoup moins « coûteuse » (pardon pour la métaphore économique) pour le champ des connaissances que les deux autres : elle ne postule rien d’autre que la prédation de la souris par le chat, qui est au moins aussi connue que Johnny Halliday, tandis que la 2 par exemple postule une planète Mû, des extraterrestres qui viennent, qui savent désintégrer un chat ce qui n’est pas donné à tout le monde, une souris à superpouvoir qui se transforme en chat, une autre dimension, un chat qui sait y aller et un effet tunnel possible pour des objets macroscopiques et poilus. Ca fait beaucoup, et comme disait mon grand-père, il ne faudrait pas pousser Mémé dans les orties, sinon ça gâte la soupe.

Rasoir d’Ockham

Ainsi, Allah, ou Jéhovah comme entités supérieures ne s’imposeraient que si les effets qu’on leur prête ne pouvaient être expliqués autrement, par rien d’autre de connu. Certes, Dieu est une hypothèse simple, satisfaisante, qui explique tout, mais qui est très onéreuse intellectuellement. Chose amusante, ce principe d’économie des hypothèses est bien plus vieux que ça et date d’au moins Aristote, mais il est couramment attribué à un moine franciscain anglais du XIVᵉsiècle excommunié par le pape de l’époque. Ce prénommé William, que nous autres francophiles chauvins nous sommes empressés de renommer Guillaume parce que enfin voyons quand même, venait d’Ockham, dans le Surrey, en Angleterre, et aurait déclaré un lendemain de cuite entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem, ce qui en moderne veut dire que Les entités (explications et causes) ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire. Comme ce principe, appelé aussi principe de parcimonie, taillait de près les entités comme autant de poils rétifs d’une barbe ou d’un mollet, on l’a appelé le Rasoir d’Ockham. Ce principe ne nous dit rien sur la validité des hypothèses : il dit qu’entre deux hypothèses aussi explicatives l’une que l’autre, on ne sait pas laquelle est juste, mais il vaut mieux choisir la moins coûteuse. Il est extrêmement utile en médecine : face à un patient se présentant fatigué, avec le cou rigide, un mal de tête et un peu de fièvre, il sera plus logique de miser sur une méningite que simultanément sur une mononucléose, des vertèbres endommagées, une tumeur au cerveau et une malaria.

Rasoir d’occase

Ce coupe-chou peut s’avérer aussi utile pour l’analyse des théories dites du complot. Il n’est pas impossible que le 11 septembre soit le fruit d’une orchestration planifiée par les services secrets, moyennant une grande discrétion des complices, tout un tas de précautions et l’effacement de toutes les preuves, ceci afin de déclarer le combat contre l’Axe du Mal et déclencher la deuxième guerre du golfe. C’est un scénario séduisant, surtout quand on est anti-Bush. Mais un peu de culture historique rend assez coûteuse cette hypothèse. Pour ne prendre qu’un exemple, il a suffi pour la première guerre du Golfe en 1990 de payer dix millions de dollars l’une des plus grosses firmes de relations publiques, Hill & Knowlton, pour qu’elle orchestre le changement d’opinion souhaité par G. Bush père, en inventant de toute pièces l’histoire des bébés koweitiens retirés des couveuses par les soldats irakiens et en mettant en scène la fausse infirmière Nayirah, quinze ans, en larmes devant une commission sénatoriale qui fut émue jusqu’à la fibre. La jeune femme, qui s’avéra ensuite être Nayirah Al-Saba, la fille de l’ambassadeur du Koweït, n’avait comble du cynisme jamais mis les pieds au Koweït2. Elle représenta pourtant le happening majeur qui fit basculer l’opinion. Dix millions de dollars d’un côté, quatre mille morts dix ans plus tard… Il est permis de penser que l’hypothèse d’un réel attentat est plus économique intellectuellement, et qu’une campagne de presse type Nayirah est plus économique en vies états-uniennes et en argent.

Faux dilemme

Il m’est déjà arrivé que, disant cela, on me catalogue comme pro-bush. C’est vexant. Ça marque ce qu’on appelle une « stratégie de faux dilemme », que George Bush fils, encore lui, a adoré pour l’occasion en déclarant : « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». Si tu n’es pas ceci, alors tu es comme ça, si tu n’es pas contre, tu es pour, si tu n’es pas pour le complot du 11/9 tu es pro-Bush… nous avons là un mode de pensée assez primitif où il n’y a pas de troisième, de quatrième ou cinquième voie, non, c’est le yin yang, le noir et le blanc, le lumière-ténèbres du manichéisme perse du IIIᵉ… En fermant les yeux, on entendrait résonner la voix de Michel Fugain : Qui c’est qui est très gentil (les gentils) Qui c’est qui est très méchant (les méchants).

Remarque de Sophie de Foucault, lectrice : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, et celui qui n’assemble pas avec moi disperse ». Evangile selon St Matthieu, 12:30.

Petit à petit, l’oiseau fait son ni-ni

Ceci dit, il devient très facile de repérer la fabrication de faux « pôles », de faux « extrêmes », et donc de faux dilemmes entre lesquels il vous faudrait absolument vous situer. Il y en a des super-fastoches : gauche et droite, par exemple, dont l’effet bof répond au doux nom de François Bayrou.

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Cet effet bof ne marche qu’à cause d’une représentation héritée d’août 1789, où à droite siégeaient les partisans du véto royal, clergé, noblesse et aristocrates, et à gauche ce qu’on a appelé le Tiers État, c’est-à-dire tous les autres, sauf les femmes et les immigrés, faudrait quand même pas exagérer.

Et si, plutôt que de prendre cette symbolique, le paramètre de classement était la lutte contre les privilèges, par exemple ? Dans ce cas, la droite serait en bas, la gauche, un poil plus haut, oh, à peine.

Autre exemple un peu plus dur, extrême-gauche et extrême-droite. La République Tchèque vient de dissoudre en février 2010 le parti nazi Dělnické strany de Tomáš Vandas, et ses membres rouspètent sur le fait que bon sang, on nous fait des misères à nous, mais on laisse tranquille les partis d’extrême-gauche. L’illusion vient du mot extrême qui donne l’impression d’une boucle politique aux deux purulentes extrémités, qui se rejoignent telles deux tentacules et s’amalgament autour du principe qu’être extrémiste est forcément affreux, avec de la crasse aux oreilles et un couteau entre les dents. Pourtant, à y bien réfléchir, quand je vois la misère du monde et deux milliards d’humains qui crèvent la gueule dans la poussière, je suis « radicalement » contre. Je ne suis pas modéré. Je suis extrémiste, je veux un changement extrême, et vite. Je suis extrémiste sur les violences sexistes, les discriminations racistes, sur l’injustice des centres de rétention, sur l’utilisation de nos impôts pour financer les roquettes de nos militaires en Afghanistan. Impossible d’être modéré (modéré sous-entend souvent non-violent) devant un viol dans une ruelle. Être extrémiste n’est pas mal en soi, tout dépend de quel extrême on parle. Et entre un extrémisme réclamant la fin de la Françafrique et un extrémisme demandant l’éviction des personnes ne cadrant pas avec les pseudo-critères de l’identité nationale, il n’y a en commun que cette construction médiatique qu’est le mot extrémisme.

Un faux ni-ni

Prenons un cas classique de débat chez les libertaires : le Ni Dieu, ni Darwin.

D’un côté Dieu, hypothèse surnaturelle simple, non-matérielle (on ne palpe pas Dieu), coûteuse, dispensant de toute recherche et qui ne prédit rien. De l’autre Darwin, sous-entendu le darwinisme, une théorie scientifique matérialiste – c’est-à-dire postulant que le monde est matière ou produit de la matière, et non peuplé d’âmes, de fluides cosmiques et de dieux grecs – qui se prête complaisamment à la réfutation. Sauf qu’une stratégie médiatique toute simple portée par la pensée de droite (d’en bas devrais-je dire) et surtout par le christianisme papal a consisté à faire de Darwin et de sa théorie de l’évolution la source du « darwinisme social » qui dit que seuls les plus forts survivent. Seulement Darwin ne dit pas cela : il avance que les espèces les moins adaptées à leur milieu survivent plus difficilement, ce qui n’est pas du tout la même chose et ne fait pas l’éloge de la survie en soi ; d’ailleurs, survivre et «gagner» dans un monde injuste et glauque comme le notre devrait en dire long sur les survivants. Quant au transfert dans le monde social, ce n’est pas Charles Darwin, c’est Herbert Spencer, effectivement fricotant avec l’eugénisme. Comme le dit le proverbe météorologique, qui veut tuer son chien l’accuse de l’orage. En faisant glisser Darwin = darwinisme social = eugénisme nazi, le conservatisme religieux, pape en tête, pouvait non seulement décrédibiliser l’évolutionnisme au profit du créationnisme, et surtout diaboliser la pensée matérialiste qui risquait de repousser Dieu hors de la sphère politique jusque dans ses appartements privés et défraîchis.

Compétitif, contradictoire ?

Le ni-ni nous ramène vite fait au faux dilemme. Et des ni-ni faux-dilemmiques il y en a plein. Ni pute ni soumise est assez connu, mais ce n’est pas un vrai ni-ni faux dilemmique ; non-ingérence, non-indifférence un peu moins : en usage depuis trente ans, c’est le principe du gouvernement français vis-à-vis de la politique du Québec. Il y a aussi ce que la presse espagnole appelle la « génération ni-ni » : « Ni ils travaillent, ni ils étudient. Ils ont moins de 30 ans, ils ont arrêté leurs études en cours de route, et ne cherchent pas activement du travail ».. Ah mon dieu quelle horreur ! C’est La désespérance de la « génération ni-ni », dont nous causait Jean-Jacques Bozonnet dans le journal Le Monde le 25 janvier dernier, merci à lui pour cette contribution majeure.

Mais le ni-ni sent parfois le brun. Il se cache par exemple dans le « La France, aimez-la ou quittez-la ! » du Front National, transformé en « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » par De Villiers, tout en bas lui aussi sur une échelle de lutte contre privilèges et dominations.

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Ni-ni larvé chez De Villiers

Broch le zététicien rétorquerait bien ceci : compétitif ne veut pas forcément dire contradictoire. Je m’explique. Vous vous rappelez la théière de Russell ? Il prétend qu’elle tourne autour de Mars. Mais j’ai tendance à penser quant à moi qu’elle tourne autour de Neptune. Neptune et Mars sont deux hypothèses compétitives, qui s’excluent si j’en prouve une, car si je prouve qu’elle est près de Mars, elle n’est pas près de Neptune (sauf bien sûr s’il y a deux théières, ce qui serait bien fourbe). Elles ne sont par contre pas contradictoires, c’est-à-dire que ce n’est pas parce que j’aurais prouvé qu’il n’y a pas de théière autour de Mars que ça prouvera qu’elle est automatiquement sur Neptune. Dans Ni dieu ni Darwin, on nous crée une compétitivité qui n’est pas contradictoire. Vous suivez toujours ? Pareil pour « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». D’ailleurs les deux hypothèses compétitives peuvent être toutes les deux fausses, voyez ?

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La théière de Russell

Et le Ni dieu, ni maître d’Auguste Blanqui ? Ouf, il n’est ni contradictoire, ni compétitif. Et pour être complet sur les oppressions courantes, j’y ajouterais en plus de la domination cléricale et de la domination de classe, la domination patriarcale, ainsi qu’une quatrième grande domination dont on parle peu, celle de ceux qui détournent la science, l’histoire, et toutes les connaissances à des fins d’écrasement. Cela donnerait « ni Dieu, ni maître, ni patriarcat ni pseudo-science », ce qui ferait… ? Oui oui, un ni-ni-ni-ni-non-faux-quadrilemmique-non-compétitif-non-contradictoire !

Ah on rigole bien chez les libertaires3.

Le biais du monde juste

Un dernier piège pour la route, avatar de l’effet bof : le biais du Monde Juste (just world bias). Je prends un exemple vécu. Un couple hétéro se sépare. Un ami dit « faut dire qu’il était chiant, qu’il était violent ». Automatiquement, quelqu’un dira « oui, mais tout n’est pas tout noir ou tout blanc, elle devait bien avoir ses torts elle aussi ». Quel est le principe ? On partage les torts, en un superbe effet bof de principe, alors que rien n’excluait qu’un maximum de torts ne vienne que de l’un des deux. Dans les cas de violences conjugales, puisqu’on en parle, les coups sont comme les tâches ménagères : ils sont rarement répartis équitablement.

C’est fréquent d’entendre des choses du genre « Tu sais, au fond on n’a que ce qu’on mérite », argument invoqué à chaque fois qu’on veut justifier, naturaliser en quelque sorte un état des choses : si elle s’est fait violer, c’est qu’elle a bien dû le chercher, avec ses froufrous ; si les Juifs ont été persécutés, c’est qu’ils ont bien dû le chercher ; s’il n’a pas de travail, c’est que là, en l’occurrence, il n’a pas bien dû le chercher ; s’il est pauvre, c’est que franchement, il aurait pu se fouler un peu plus, et si les Africains croupissent, c’est parce qu’ils sont de grands enfants pas encore sortis du rythme des saisons. Une sorte de justice céleste, un monde fait de karmas rieurs, où l’on n’a que ce qu’on mérite. Le plus distrayant est que ceux qui rationalisent les injustices de cette manière se posent rarement la question de savoir en quoi ils ont mérité eux, leurs papiers d’identité, l’héritage de leurs parents, la couverture sociale de leur pays ou l’éducation genrée qu’ils ont reçue. Le monde paraît toujours juste aux yeux du vainqueur.

Ainsi, dans un monde peuplé de ni-ni, de faux dilemmes, de faux extrêmes, de contradictions factices, d’effets bof, d’agnosticothéièrisme et de centrisme politique, on se croirait dans la Terre du Milieu de Tolkien. Ces pièges sont autant de formes bien cachées de culbutos mentaux. Ils sont les dandinements de notre cerveau. Débusquons-les, traquons-les, et réservons-leur sans hésitation notre meilleure machine à gifles.

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RM

Pour aller plus loin : un nouveau ni-ni dans le domaine des sciences politiques et sociales (voir Education-specialisée : un ni-ni sur la consommation de drogue)


1 Sauf pour l’âme qui, à cause du médecin MaocDougall, a longtemps pesé quelque chose comme 21 grammes. Mais c’est fini maintenant. Pour en savoir plus, on peut lire l’article de Géraldine Fabre, 21 grammes, le poids d’une âme, publié sur le site de l’Observatoire Zététique.

2 L’affaire fut dévoilée par le journaliste John R. MacArthur, dans l’article Remember Nayira, Witness for Kuwait?, du New York Times du 6 janvier 1992.

3 Un ni-ni justifié a été caché dans ce paragraphe. Sauras-tu le retrouver ?

Biologie – Olivier Brosseau, les créationnismes

Le 12 novembre 2009, l’émission « La Tête au carré » sur France Inter accueillait Olivier Brosseau pour parler du livre Les créationnismes, une menace pour la société française ? co-signé avec Cyrille Baudouin. L’émission, expurgée de ses intros et chansons, est complétée par un reportage de Lucie Sarfaty au salon évangélique de Lognes, avec entre autres une interview d’André Eggen (chercheur en génétique animale à l’INRA et fondateur de l’association créationniste « Au commencement »).

 Le tout est écoutable ici.

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On trouvera nombre d’autres documents audio, de ressources et de liens, sur le site consacré à leur livre.

RM
Pierre Danis