Avion repeint en vert par des militants de Greenpeace pour dénoncer le greenwashing. Mars 2021.

« Si ma grand-mère avait des ailes, ce serait un avion vert » : Flou sémantique et greenwashing

Avion repeint en vert par des militants de Greenpeace pour dénoncer le greenwashing. Mars 2021.

Si l’on me demandait si la transition vers une aviation verte est possible, il me semble que le plus sage serait de répondre : « Cela dépend de ce que l’on appelle transition, de ce que l’on appelle vert et de ce que l’on appelle aviation1… »
Suivant le cadre que l’on se fixe alors la réponse peut varier de « clairement oui » à « absolument pas » avec tout un éventail de nuances entre les deux. Dans cet article nous allons donc proposer de considérer différentes définitions à travers lesquelles nous posons la question de la transition vers une aviation verte.
En plus de faire le point sur l’impact écologique de l’aviation et ses perspectives d’avenir, cet article vise à appeler à la prudence face à l’ambiguïté cachée des mot – ambiguïté dont certains peuvent largement tirer profit. Dévoyer le sens d’un mot c’est aussi ce que l’on appelle l’« effet paillasson », vous pouvez retrouver un article du Cortecs à ce sujet.

Est-il possible de faire…

… un appareil volant qui n’émet pas de carbone pendant son vol ?

Oui et cela existe déjà plus ou moins. On peut penser tout d’abord aux « avions solaires », des appareils recouverts de panneaux photovoltaïques fournissant de l’énergie solaire. Ceux-ci sont testés depuis les années 1970 mais le modèle le plus performant en est probablement le Solar Impulse (I & II) qui aux dernières nouvelles est capable de transporter qu’une seule personne à une vitesse d’environ 80 km/h. On est loin des 4 milliards de passagers annuels.

On peut aussi évoquer les planeurs qui, une fois lancés, profitent des courants pour voler et n’utilisant aucun moteur n’émettent effectivement aucun gaz à effet de serre.

Les avions volant avec des huiles de friture ne rentrent pas vraiment dans cette catégorie : d’une part parce que celles-ci émettent du carbone (certes, en plus faible quantité) d’autre part parce qu’elles sont nécessairement mélangées avec du kérosène classique.

Jean-Baptiste Djebbari, alors ministre délégué chargé des Transports, se félicite d’un vol-test utilisant des huiles de cuisson faisant miroiter la promesse d’une aviation verte. Voir cet article de Révolution Permanente qui dénonce ce greenwashing.

… un avion avec des passagers qui n’émet pas de carbone pendant son vol ?

Alors là c’est déjà plus compliqué : les vols précédents ne peuvent transporter qu’une seule personne (ou à peine plus) et il y a un gouffre à franchir avant de pouvoir utiliser ces solutions pour des vols commerciaux. On peut identifier au moins trois obstacles majeurs pour y parvenir : trouver les solutions technologiques pour pouvoir transporter une masse très importante (ce qui est a priori impossible pour l’avion solaire 2 ou le planeur par exemple), rendre le prix du vol économiquement viable et obtenir les certifications nécessaires.
Certes on en est loin mais en théorie rien ne l’empêche. Toutefois il semble pertinent de se demander à quel date et à quel coût ces innovations pourraient être accessible ?
Les deux géants de l’aviation Boeing et Airbus ont annoncé la date de 2035 pour leurs premiers vols commerciaux bas-carbone. Le premier grâce à des agrocarburants, le second avec de l’hydrogène3. Notons ici deux choses : premièrement, cette annonce est probablement davantage influencée par son impact marketing et politique que par une réelle prédiction technologique. Deuxièmement, la réalisation de cet objectif ne peut se faire qu’au prix d’énormes moyens financiers et de choix politiques privilégiant le secteur aérien sur d’autres secteurs4.
Au vu de l’urgence climatique en cours, envisager d’utiliser l’aviation actuelle pendant encore une quinzaine d’années semble relativement déraisonnable.

… un avion avec des passagers qui n’émet pas de carbone pendant tout son cycle de vie ?

Reprenons l’exemple du planeur : certes en vol il n’émet aucun gaz à effet de serre mais encore faut-il le lancer. Il y a deux moyens pour cela : le treuillage ou le remorquage par un autre avion. Dans les deux cas ce sont des opérations qui demandent beaucoup d’énergie.

De la même manière, imaginons qu’il soit possible de faire des avions transportant des passagers qui volent en émettant peu (ou pas) de carbone. Est-il possible que l’ensemble des opérations en amont et en aval soient également peu émettrices ?

Cela pose en premier lieu la question de la création des vecteurs d’énergies, à savoir agrocarburant ou hydrogène. Pour le premier se pose, entre autres, la question de la déforestation et de l’utilisation des sols qui détruiraient des potentiels puits de carbone. Pour le second, la question de l’hydrogène décarboné reste aussi un défi à résoudre5.

D’autre part, le transport de ces carburants, la construction et le démantèlement des avions, la construction et la gestion des aéroports ainsi que de toutes les infrastructures physiques et logistiques sont d’autres défis pour parvenir à des vols émettant peu de carbone sur l’ensemble du cycle de vie.

… une aviation entièrement bas-carbone ?

Lorsque Airbus annonce le début de ces vols commerciaux bas-carbone pour 2035, il faut rappeler que cela ne concerne que ses vols les plus courts. D’après Carbone 4, seuls les vols inférieurs à 1500 km seraient concernés, ce qui représente 6 % des émissions de l’aviation. Toujours d’après cette source, pour les vols plus longs il faudrait attendre 2040 ou 2045, et la part de l’hydrogène en 2050 pourrait n’atteindre que 10 % des carburants utilisés…

… une aviation entièrement bas-carbone inscrite dans une société bas-carbone ?

Quand bien même, il serait possible d’avoir une aviation avec une empreinte carbone relativement faible, pour toute sa flotte et en considérant les éléments en amont et en aval (ce qui rappelons-le serait trop tardif, trop cher et en fait hautement improbable), pourrait-elle s’inscrire dans une société elle-même bas-carbone ?

Autrement dit, si l’on ne considère plus l’aviation comme un système isolé mais comme le rouage d’un système plus global, avec ce que ce secteur demande et ce qu’il implique, peut-on espérer atteindre des émissions carbone basses ?

C’est une question sur laquelle a travaillé Vincent Mignerot et qui montre qu’aujourd’hui il n’y a aucune preuve qu’il soit possible de se passer des énergies fossiles6. Au contraire, selon lui, dans notre système économique et politique, les liens entre le secteur aérien et le reste du système ne feraient que déplacer le problème. Les économies d’énergies faites au sein du sous-système « aviation » seraient en réalité déplacées à l’extérieur, voire pire elles pourraient contribuer à augmenter les dépenses énergétiques totales7.

Ainsi même une aviation bas-carbone, de part les interactions qu’elle entretient avec le reste de notre système économique, ne permettrait en aucun cas d’obtenir un système globalement bas-carbone.

… une flotte entière d’avions qui ne nuit pas aux conditions de vie ?

Voilà enfin la question qui est probablement la plus pertinente. Étant donné que la réponse aux questions précédentes est très probablement non et qu’elles sont des conditions nécessaires à cette question-là, on pourrait presque faire l’économie de développer ici.
Mais si l’on ne se contente pas de considérer l’empreinte carbone et que l’on envisage la possibilité d’une aviation ayant un impact « acceptable » sur le vivant en général et sur les humains en particulier, on se heurte à de nouveaux obstacles. En premier lieu le tourisme de masse qu’induit l’aviation est néfaste pour les écosystèmes ainsi que pour les populations et les cultures locales8.
D’autre part, les inégalités liées à l’aviation sont une grande injustice sociale9. Pour une justice sociale, il faudrait – en plus des défis précédents – réfléchir à une aviation accessible équitablement pour tous.

Différents cadres dans lesquels on peut parler d'avion vert.
Différents cadres dans lesquels on peut parler d’avion vert.

À qui profite le crime ?

Le plus souvent, quand on utilise ou que l’on entend le terme d’« avion vert », on ne distingue pas les différentes définitions que cela peut recouvrir. Ainsi suivant le contexte, l’un pensera à un prototype réduisant l’empreinte carbone alors que l’autre pensera à une flotte complète avec une empreinte écologique nulle. D’où l’importance d’éclaircir nos propos quand on discute de termes potentiellement ambigus comme ici.
Cette confusion peut être analysée d’un point de vue de notre système cognitif et de notre traitement du langage (possiblement que nous nous satisfaisons en partie de cette ambiguïté pour pouvoir conserver nos habitudes vis-à-vis de l’avion). Mais il semble plus pertinent de l’analyser d’un point de vue plus global. Que ce soit dans le traitement médiatique, dans les annonces politiques ou dans les discours d’industriels, il semble que jouer sur ces ambiguïtés linguistiques soit un ressort plutôt efficace de ce que l’on peut appeler du greenwashing.

Il y a tout intérêt de ce point de vue-là à annoncer un avion vert pour 2035 sans trop s’étaler sur ce dont on parle et également sur les moyens pour y arriver.

Pour approfondir

Cet article s’inscrit dans un travail plus global sur l’esprit critique et l’écologie. Concernant l’aviation en particulier, vous pouvez retrouver un panorama des enjeux actuels dans la vidéo ci-dessous.

« Faut-il vraiment vraiment vraiment arrêter l’avion ? » sur Enfin, peut-être

L’idée de cet article est née d’une discussion avec Vincent Mignerot où l’on s’est rendu compte que l’on ne disait pas tout à fait la même chose quand on parlait de transition vers un « avion vert ». Merci à lui pour son regard sur cet article.
Pour accéder à des références beaucoup plus pointues sur l’avion et le climat je vous invite à consulter les rapports Aviation et Cli

Agenda Cortecs & co

Vous trouvez ici les diverses interventions du Cortecs à venir ou passées.

Février 2023

Conférence Écologie et Esprit critique pour l’inauguration de la collection écocitoyenneté – Nicolas Martin

Quand : le 11 Février, à 16h.
Où ? Médiathèque de Blagnac (31700).

Infos : https://medialudo.blagnac.fr/node/content/nid/339125

Conférence Esprit Critique pour les luttes sociales et écologistes avec l’Union Communiste Libertaire – Nicolas Martin & Sohan Tricoire

Quand : le 18 Février, à 17h
Où ? Maison des Syndicats de Saint Gaudens (31800).

Janvier 2023

Formation pour les services civiques du Talus à Marseille – Jérémy Attard

Quand : les 12 et 13 Janvier
Où ? Marseille.

Formation « Connaissance du métier de la recherche » pour les Master IA et ID3D – Jérémy Attard

Quand : Mois de Janvier
Où ? Université de Lyon 1.

Mai 2022

Science et pseudo sciences : Comment s’y retrouver ? Université du Temps Libre – Jérémy Attard

Quand : Le 5 Mai à 14h30
Où ? Aix-Marseille Université, Site Schuman. Bâtiment Pouillon, Amphi Dumas.

Infos : https://utl.univ-amu.fr/enseignements-a-aix-provence

Table ronde : Communicateurs scientifiques : sommes-nous utiles ? AFCAS Congrès – Nicolas Martin

Quand : Journées des 11 et 12 Mai. Table ronde le 12 à 15h00
Où ? En ligne. Université Laval.

Infos : https://www.acfas.ca/evenements/congres

Mars 2022

Biais cognitifs et scepticisme scientifique, à l’occasion de la préconférence du 15eme Congrès de la Médecine Générale – Nicolas Martin

Quand : Le 23 Mars
Où ? Palais des Congrès à Paris

Infos : https://fayrgp.org/nos-evenements/preconferences/#preconf2022

Janvier 2022

Cours à l’Université du Temps Libre – Jérémy Attard

Quand : tous les lundis du mois de Janvier
Où ? Université Aix-Marseille (campus Schuman, Aix-en-Provence)

Cours Zététique, esprit critique et autodéfense intellectuelle – Jérémy Attard & Denis Caroti

Quand : Tous les mercredis matin 8h-10h, à partir du 19 Janvier.
Où ? Université de Nîmes, L1 Psychologie.

Cours Sciences et esprit critique – Jérémy Attard & Denis Caroti

Quand : Lundi 24 Janvier, à 16h
Où ? Université Claude Bernard (Lyon 1)

Réouverture du Eurêkafé à Toulouse

Quand : courant Janvier !
Où ? 5 impasse de la Colombette, Toulouse

Infos ici sur le site du café : https://www.eurekafe.fr/

Septembre 2021

Table ronde Esprit critique et éducation – ateliers animés par Denis Caroti et Nicolas Martin

Quand : Samedi 18 Septembre, à 16h
Où ? Centre de congrès et d’exposition DIAGORA 150 Rue Pierre Gilles de Gennes 31670 Labège

Et en ligne : https://www.rec2021.com/?playlist=6c2214d&video=ff1c1d0

Tout public.

Soirée zététique à Toulouse – Nicolas Martin

L’invité est l’auteur de BD, Meybeck qui nous parlera de biodynamie

Quand : Mardi 28 Septembre
Où ? Toulouse

Juillet-Aout

C’est les vacances !

Juin 2021

Programme des manifestations passées à venir prochainement

Mai 2021

Conférence Éducation à l’esprit critique et zététique,
par Denis Caroti :

Quand ? Mercredi 26 Mai, 11h.
Où ? École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (Enssib) de Lyon, dans le cadre de journées d’études autour de l’éducation aux médias et à l’information.
Public : étudiants et médiateurs en EMI de tous horizons (bibliothécaires, enseignants, journalistes, etc.)

Conférence Développer l’esprit critique. Pourquoi et comment faire ? par Denis Caroti :

Quand ? Jeudi 20 Mai, 12h15.
Où ? BU du campus de Luminy, Marseille.
Tout public.
https://www.youtube.com/watch?v=R5kfb2wzs7w

Conférence La Nature et ses dérives, par Denis Caroti :

Quand ? Lundi 17 Mai, 18h30.
? en ligne, UPOP Marseille.
Tout public.
à visionner ici ! https://youtu.be/kKRXXiZxUb0