Effet boule de neige – le frustule extraterrestre de Wickramasinghe

La fabrique du scoop est un vice multiforme, et la reprise du scoop tout cru par d’autres médias un art stupéfiant. L’effet boule de neige décrit très bien ce mécanisme lors duquel quelqu’un reprend une information sans chercher à la mettre en doute. L’histoire du journalisme en est truffée. L’une des plus intéressantes du moment est probablement celle du frustule de Chandra Wrickramasinghe, d’une part par ses implications (une vie extraterrestre), d’autre part par la leçon qu’elle donne aux journalistes et aux vulgarisateurs : si l’on ne connait pas les processus de publication, les biais classiques et les traquenards du milieu, il est très difficile de ne pas prendre une vessie pour un frustule.
 
La plume de Pierre Barthélémy remplit ici son office. Merci à l’auteur d’avoir accepté de voir son texte reproduit.
Les notes adjointes sont celles de Richard Monvoisin.

Des chercheurs croient avoir trouvé une trace de vie extraterrestre

C’était, jeudi dernier, à la « une » du site Internet du quotidien The Independent : des chercheurs britanniques affirment détenir la preuve de la vie extraterrestre. Normalement, toutes les chaînes d’information du monde auraient dû interrompre leurs programmes pour donner la nouvelle et les rotatives de tous les journaux se seraient arrêtées, le temps pour les rédacteurs en chef de faire changer les plaques. Impossible pour un média digne de ce nom de rater ce scoop répondant à une des plus anciennes questions de l’humanité : sommes-nous seuls dans l’Univers ou pas ? Toutefois, au lieu de cette furia planétaire, il y a eu quelques reprises à droite ou à gauche et l’histoire a fait pschitt…

S’agit-il d’un nouveau complot de l’establishment politico-médiatique destiné à étouffer un scoop prouvant une bonne fois pour toutes que les soucoupes volantes existent ? Non. Mais avant d’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas, voici les informations de base. Une équipe britannique emmenée par Milton Wainwright, du département de biotechnologie et de biologie moléculaire de l’université de Sheffield, a publié dans le Journal of Cosmology une étude relatant une curieuse découverte effectuée dans la stratosphère. Le 31 juillet dernier (la date est importante), ces chercheurs ont lâché un ballon-sonde au-dessus de Chester, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il était équipé d’un dispositif simple, un tiroir télécommandé dont l’ouverture a été déclenchée lorsque le ballon a atteint 22 kilomètres d’altitude. La boîte est restée ouverte pendant plus d’un quart d’heure, alors que l’ascension se poursuivait. Elle a été refermée à 27 km d’altitude. Puis le dispositif expérimental a été décroché du ballon et est tranquillement redescendu accroché à un parachute.

L’étude en question précise que le tiroir avait été scrupuleusement nettoyé avant le vol de façon à s’assurer que rien ne viendrait « polluer » la récolte dans la haute atmosphère. Pour les mêmes raisons, les chercheurs avaient installé une protection censée empêcher que des particules situées sur le ballon ne tombent dans la boîte. Une fois celle-ci récupérée, son contenu a été passé non pas à la loupe mais au microscope électronique à balayage. Et là, les scientifiques ont eu la surprise de découvrir la minuscule structure qui figure en photo au début de ce billet.

Pour les auteurs de l’article, cela ressemble fort à un « squelette » de diatomée, ces algues unicellulaires qui s’entourent d’une petite boîte de silice, le frustule. Simplement, comment cette chose a-t-elle bien pu se retrouver à 25 kilomètres d’altitude, se demandent ces chercheurs, puisqu’ils excluent toute contamination de leur dispositif expérimental ? Deux solutions s’offrent à eux, expliquent-ils. Ou bien ce morceau de frustule de seulement quelques micromètres de long appartient à une micro-algue terrestre et il vient d’en bas, ou bien il provient de l’espace et il s’agit d’une preuve de vie extraterrestre. L’étude se résume ensuite à une argumentation qui consiste à démontrer qu’aucun mécanisme terrestre connu ne peut expliquer la présence d’un frustule de diatomée à cet endroit de la stratosphère. Aucun avion, aucune tempête, n’a pu l’apporter si haut. Seule une puissante éruption volcanique aurait eu le pouvoir de la propulser à cette altitude mais d’éruption aussi importante il n’y a pas eu depuis un moment. Or, ajoutent les chercheurs, selon un modèle atmosphérique datant de 1968, une particule de la taille et de la densité de ce morceau de frustule retombe au sol à la vitesse minimale d’un mètre par seconde et ne peut rester en suspension dans la stratosphère.

On en arrive donc au raisonnement suivant, que Sherlock Holmes aurait adoré : une fois toutes ces hypothèses terrestres écartées, la seule explication qui demeure, l’origine extraterrestre, est forcément la bonne. Dans The Independent, Milton Wainwright ne s’embarrasse pas de prudence en disant qu’il est « convaincu à 95 % » que cette structure vient du cosmos. Le communiqué de presse de l’université de Sheffield, qui a accompagné la parution de l’étude, est encore plus affirmatif : « Notre conclusion est que la vie arrive continuellement sur Terre depuis l’espace, que la vie n’est pas restreinte à cette planète et qu’elle n’en est certainement pas originaire », dit un Milton Wainwright visiblement conquis par la théorie de la panspermie. Il ajoute que si la Terre est perpétuellement arrosée par cette vie cosmique, sans doute transportée par les pluies cométaires qui donnent les étoiles filantes, « il nous faudra complètement modifier la façon dont nous voyons la biologie et l’évolution. De nouveaux manuels devront être écrits ! »

Alors, révolution darwino-copernicienne ou pas ? Il faut reprendre les choses point par point. Et commencer par le dispositif expérimental : on nous dit par exemple que le fameux tiroir a été nettoyé par… flux d’air et tamponnage à l’alcool. Soit. Mais rien n’est précisé sur son étanchéité ni sur les précautions prises à son ouverture. Ensuite, le frustule : l’équipe n’a visiblement pas pris la peine de demander son avis à un spécialiste des diatomées pour savoir à quelle espèce terrestre il pouvait appartenir. De plus, avant de se lancer dans leur série d’hypothèses, les chercheurs auraient pu commencer par l’analyse isotopique de cette micro-structure afin de déterminer si elle était oui ou non d’origine terrestre (le communiqué de presse évoque d’ailleurs cette expérience). Il y a aussi la chronologie de l’étude : le vol du ballon-sonde a eu lieu le 31 juillet et l’étude a été acceptée par la revue le 9 août. On est sans doute très près du record du monde de l’expérience la plus rapidement analysée, retranscrite, envoyée et acceptée. Ce qui pose bien sûr la question de ladite revue.

Qui est un tant soit peu familier du sujet sait que le Journal of Cosmology n’est pas vraiment une revue scientifique sérieuse. Il s’agit d’un repaire de chercheurs partis en croisade pour la théorie de la panspermie1. Le principal meneur de ce mouvement s’appelle Chandra Wickramasinghe2 (université de Buckingham) dont il se trouve qu’il est à la fois rédacteur en chef du Journal of Cosmology et… co-auteur de l’étude sur la diatomée stratosphérique ! On comprend mieux la vitesse à laquelle le journal, qui pratique soit-disant le peer-review, a accepté cet article. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Chandra Wickramasinghe sévit dans ce domaine car il a déjà, à plusieurs reprises, affirmé avoir trouvé des diatomées dans des météorites, ce qui a été à chaque fois réfuté. Il a également assuré que des virus comme celui de la grippe ou du SRAS provenaient de l’espace… Si l’on met tout cela bout à bout et si l’on ajoute qu’une découverte aussi importante que la preuve de la vie extraterrestre paraîtrait obligatoirement dans une revue prestigieuse, on saisit pourquoi la planète médiatique n’est, dans son ensemble, pas tombée dans cet énorme panneau jeudi 19 septembre. Et on a d’autant plus de mal à comprendre comment un journal plutôt sérieux comme The Independent s’est fait enfumer… sans compter une flopée de suiveurs non-vérifieurs comme La Tribune de Genèvela BBC ou le Times of India3.

Pierre Barthélémy

  1. La panspérmie est une théorie controversée selon laquelle les premiers organismes ne seraient pas nés de la matière minérale de la soupe primitive, mais bien d’une « vie » extraterrestre, d’un ancêtre cosmique, pour reprendre un terme consacré. Ce scénario se calque à la théorie d’un univers stationnaire de Fred Hoyle… qui fut le mentor de Wickramasinghe (point suivant).
  2. Nalin Chandra Wickramasinghe (1939-) est un personnage tout à fait fascinant. Pierre Barthélémy n’a pas la place de dire qu’outre être soutien à la dérive sectaire Sokka Gakkaï, ayant co-signé un livre avec son fondateur, Wickramasinghe est connu pour des positions qu’on pourrait qualifier de mystiques.Il fut avec Hoyle l’un des contestataires de l’Archaeopteryx, qu’ils qualifièrent de canular dans Archaeopteryx, the Primordial Bird: A Case of Fossil Forgery (1986). Dans l’affaire McLean v. Arkansas, en 1981 devant statuer sur la constitutionnalité d’un enseignement équilibré évolutionnisme / créationnisme, Wickramasinghe fut le défenseur du créationnisme.
  3. Voici les manchettes, comme autant de travaux pratiques.

BBC

Life on Earth ‘came from space’ say scientists

20 September 2013 Last updated at 11:39 BSTScientists at the University of Sheffield believe they have found evidence that life on Earth originated in space. The research suggests that Earth is constantly bombarded by microbes from outer space, which arrive on comets and meteors.Therefore life on Earth began when the planet became habitable enough for the microbes to survive and evolve.

Dr. Milton Wainwright, who is leading the study, told BBC Radio 5 live’s Up All Night: « We believe that life did not form from chemistry here on earth, it came from space… which has major implications for Darwin’s theory. »

Times of India

Alien life found on balloons after meteor shower

Kounteya Sinha, TNN Sep 20, 2013
LONDON: British scientists announced on Thursday that they have found alien life on Earth.
A team of scientists from the University of Sheffield led by Milton Wainwright from the department of molecular biology and biotechnology found small organisms that could came from space after sending a specially designed balloon 27km into the stratosphere during the recent Perseid meteor shower.
 

The balloon was launched near Chester and carried microscope studs which were only exposed to the atmosphere when the balloon reached heights of between 22 and 27km. The balloon landed safely near Wakefield.

The scientists then discovered that they had captured a diatom fragment and some unusual biological entities from the stratosphere, all of which are too large to have come from Earth.

Wainwright said the results could be revolutionary. « If life does continue to arrive from space then we have to completely change our view of biology and evolution, » he said. The scientists said stringent precautions had been taken against the possibility of contamination during sampling and processing, and said the group was confident that the biological organisms could only have come from the stratosphere.

Wainwright said, « Most people will assume that these biological particles must have just drifted up to the stratosphere from Earth, but it is generally accepted that a particle of the size found cannot be lifted from Earth to heights of, for example, 27km. The only known exception is by a violent volcanic eruption, none of which occurred within three years of the sampling trip. »

« In the absence of a mechanism by which large particles like these can be transported to the stratosphere we can only conclude that the biological entities originated from space. Our conclusion then is that life is continually arriving to Earth from space, life is not restricted to this planet and it almost certainly did not originate here, » he said. The group’s findings have been published in the Journal of Cosmology.

The team is hoping to extend and confirm their results by carrying out the test again in October to coincide with the upcoming Haley’s Comet-associated meteorite shower when there will be large amounts of cosmic dust. It is hoped that more new or unusual organisms will be found.

 

Tribune de Genève

Les extraterrestres ont-ils débarqué en Angleterre?

Par Anne-Elisabeth Celton.  20.09.2013

Des scientifiques affirment avoir découvert à Wakefield en Angleterre des organismes provenant de l’espace. Il s’agirait de la première preuve de vie extraterrestre sur terre.

Cette découverte va-t-elle changer le cours de l’histoire? Des scientifiques de l’Université de Sheffield affirment avoir trouvé à Wakefield (West Yorkshire) des preuves de vie extraterrestre, informe The Telegraph. Au mois d’août, ils ont lancé un ballon spécialement conçu à 27 km au-dessus de la surface de la terre lors d’une pluie d’étoiles filantes dite des Perséides. Objectif: prélever des échantillons via des capteurs déclenchés uniquement entre 22 et 27 km. A son retour, le ballon a atterri à Wakefield. Surprise: l’équipe découvre dessus des organismes microscopiques mais d’une taille bien trop grande selon eux pour faire partie de notre système.

Théorie de l’évolution à revoir

Pour le professeur Milton Wainwright, il s’agit d’une découverte révolutionnaire. «Des particules de cette taille ne peuvent être transportées dans la stratosphère en dehors d’un mécanisme exceptionnel comme par exemple une violente éruption, qui n’a pas eu lieu», explique-t-il. «Ces entités biologiques ne peuvent donc provenir que de l’espace. Notre conclusion est que la vie n’est pas limitée à cette planète. Si des organismes arrivent sur terre depuis là-haut, cela change notre vision de la biologie et de l’évolution.»

L’équipe fera un nouveau test le mois prochain lors d’une pluie de météorites.

Effet paillasson – En route vers l’infiniment moyen… et au-delà !, par Richard Taillet

Effets paillasson, impact, puits, fabrication artificielle de scoop… les mots possèdent de nombreuses manières de nous induire en erreur dans nos représentations. Nous défendons l’idée dans nos pages que penseurs, vulgarisateurs et enseignants critiques ont tout intérêt à choisir des termes non ambigus pour discuter, échanger ou débattre. Le lexique scientifique est censé proposer des mots ne possédant qu’un seul sens, une seule acception. Est-ce toujours vrai ? Cet article, intitulé En route vers l’infiniment moyen… et au-delà ! et publié le 10 septembre 2013 sur le blog Mots de science (reproduit ici avec l’accord de l’auteur, Richard Taillet1, de l’Université de Savoie), nous montre comment, si le diable se cache dans les détails, il peut se cacher également dans les mots les plus convenus, comme infini. Et s’il y explique qu’il « saoule sans arrêt [s]es collègues avec ça« , nous ne pouvons que lui dire : continuez, Monsieur Taillet.
Précision : les notes incrustées dans le texte sont de Richard Monvoisin, et n’engagent pas l’auteur.

 

CorteX_Richard_TailletEn route vers l’infiniment moyen… et au-delà !! 

Richard Taillet, dans Mots de science, 10 septembre 2013

« De l’infiniment grand à l’infiniment petit ! », « Voyage entre les deux infinis »… Qui n’a pas entendu ces expressions censées nous faire rêver (?), dans le cadre de conférences, d’articles de vulgarisation, ou dans la bouche de scientifiques s’exprimant dans les médias ? L’infiniment grand est censé évoquer l’astrophysique, la cosmologie, alors que l’infiniment petit renverrait à la physique des particules, des constituants élémentaires. Ces termes sont surtout infiniment dénués de sens. Ils n’apportent aucune lumière sur l’activité des scientifiques, ni sur leurs sujets d’étude, ni sur rien du tout d’autre d’ailleurs. Un astrophysicien étudie des objets qui peuvent être grands, très grands, voire très très grands (à l’échelle humaine). Le physicien des particules étudie des objets qui sont petits, voire très petits (à l’échelle humaine)… Mais je n’ai absolument jamais entendu aucun scientifique employer les termes infiniment petit ou infiniment grand lorsqu’il s’adressait à un de ses pairs.

« Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour [l’Homme] invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. », écrivait Blaise Pascal dans les Pensées2. La science moderne a justement su ramener l’étude de l’Univers d’une part, et celle des particules d’autre part, à des échelles finies. Un des grands succès de la cosmologie est de pouvoir parler de la taille de l’Univers de manière quantitative : l’échelle pertinente est la dizaine de milliards d’années-lumière pour l’Univers visible. De même, la physique des particules permet d’associer une taille aux particules (en insistant un peu, certes, car un physicien des particules commencera par vous parler d’échelle de masse ou d’énergie, puis seulement de taille si vraiment vous le poussez à bout).

L’infini, quand il se présente en physique, joue un rôle important dans le développement des théories : il révèle d’éventuelles pathologies, ou en tout cas pose des questions importantes aux théoriciens (les infinis associés à l’horizon des événements d’un trou noir ont joué un rôle crucial dans la compréhension de la structure de l’espace-temps entourant ces objets et de la signification des coordonnées en relativité générale, la théorie qui permet de les décrire, tandis que les infinis de la théorie quantique des champs continuent d’empêcher les physiciens de dormir).

La conjonction des expressions « l’infiniment petit » et « l’infiniment grand » présente aussi un autre risque : la tentation d’en déduire que ce serait un peu la même chose finalement, qu’ils finiraient par se rejoindre3. C’est poétique, mais ça ne correspond à rien de scientifique. Certes l’étude de la cosmologie fait intervenir des notions avancées de physique des particules, mais pour des raisons totalement étrangères à toute mysticité de deux infinis qui auraient l’envie cosmique de ne faire qu’un.

J’ai régulièrement l’occasion de faire ces remarques à des collègues physiciens (traduire par « je saoule sans arrêt mes collègues avec ça« ) et plusieurs me répondent de façon polie que c’est du pinaillage, qu’au contraire il faut employer ces expressions « infiniment grand », « infiniment petit », car le « grand public » les connaît et peut s’y accrocher.

Décidément, non !

Notre rôle de scientifique vulgarisateur, si l’on accepte cette double casquette, est justement de fournir des points d’accroche solides, en particulier au niveau du vocabulaire. Quelle confiance accorder aux idées transmises par les scientifiques si déjà le choix des mots décrivant les concepts est déclaré de seconde importance ?

Richard Taillet

  1. Richard Taillet, du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de Physique Théorique (LAPTH) (page personnelle) est également l’auteur de plusieurs cours, du L1 au M1, en libre accès sur le site de ballado-diffusion de l’Université de Grenoble.
  2. Blaise Pascal, Pensées, ouvrage à forte consonance religieuse, publié à titre posthume après 1662, dont le contenu est en ligne ici.
  3. À l’instar des deux « extrêmes », gauche et droite en politique qui se rejoindraient. De même que pour les infinis physiques, les extrêmes en politique ne se rejoignent que si l’on prend pour prémisse la scène politique comme un cercle continu.