Conférence "Science, imagination et zététique"

Cette conférence d’une durée d’une heure environ a été présentée le mardi 19 octobre 2010 au CIV (Centre International de Valbonne), à Sophia Antipolis.

 

J’ai choisi de séparer cette présentation en trois points essentiellement :

  1. Qu’est-ce que la zététique ? Quels sont les champs traités ? Comment s’y retrouver et avec quels outils d’autodéfense intellectuelle ?
  2. La science pour trier : quelles sont les méthodes et raisonnements simples dont il faut se munir pour exercer son esprit critique face aux affirmations et théories controversées. Quelle place pour l’imagination dans la démarche scientifique ?
  3. Des exemples pris autour du thème de l’histoire des sciences mais aussi dans d’autres domaines très divers insérés au cours de la conférence.

Dans un premier temps, j’ai présenté quelques exemples tirés de phénomènes réputés étranges et « surnaturels » pour expliciter le mot zététique. J’ai pu alors insister sur sa signification en tant que pédagogie à l’esprit critique & autodéfense intellectuelle. En tentant de faire comprendre l’intérêt d’une telle attitude sceptique, j’ai pu introduire quelques principes simples comme la nécessité de recourir à la démarche scientifique, elle-même s’appuyant sur une certaine méthode : qu’est-ce que la science et quel est son champ d’action sont des questions auxquelles j’ai pu apporter des réponses, comme par exemple l’importance de faire le tri entre une affirmation scientifique (la masse de ce chat est de 3,5 kg, les fantômes ça existe) et ce qui ne l’est pas (j’aime bien les crêpes de ma tante, Dieu cesse d’exister tous les mercredis après-midi). J’ai ensuite introduit des propositions de définitions et synonymes pour l’imagination. On peut par exemple lire que « L’imagination peut-être considérée comme l’élaboration par le cerveau d’une idée nouvelle ou d’une image nouvelle, sur la base de ce qui est déjà connu.« 1 Qu’entend-on alors par imagination ? Intuition, invention, création, idée, illusion, rêve, supposition, inspiration, hallucination, pensée, fantaisie, conception, chimère, divagation, spéculation, fabulation, vaticination, etc. ? J’ai décidé de garder ceci :  » Faculté de raisonner, de spéculer, d’inventer, d’élaborer de nouveaux concepts, de nouvelles théories.«  2  Ceci me permettant de conclure à l’importance de l’imagination dans la démarche scientifique : cette dernière, par sa structure bâtie sur l’induction et la déduction intègre naturellement la capacité à produire des hypothèses, des théories, des tests, etc. J’ai par contre beaucoup insisté sur un point : l’intuition ou l’imagination n’est rien sans une démarche critique rigoureuse pour l’examiner.

Les images d’Epinal montrant des scientifiques pareils à des génies dont l’intuition serait la clé de tout, découvrant les plus extraordinaires des théories en un éclair, hurlant « Eurêka !« , rêvant à la solution du problème, voire même recevant sur la tête un fruit mûr, sont très (trop) simplificatrices.  De plus, la plupart de ces histoires ne sont que mythes ou déformation de la réalité. Comme écrit ci-dessus, imaginer, c’est bâtir de nouveaux concepts sur un terreau déjà bien présent : celui des années de travail et de recherche nécessaires à la formulation d’idée innovantes, originales, géniales parfois mais sous-tendues inévitablement par une besogne laborieuse et malheureusement peu vendeuse auprès du public que nous sommes, friand de belles histoires, simples et rassurantes.

Un exemple est venu illustrer ce propos : l’histoire des rayons N et de René Blondlot. On pourra trouver une description assez complète à télécharger ici. Cette anecdote permet comprendre l’intérêt d’appliquer une méthode la plus rigoureuse possible pour tester ses hypothèses, notamment afin d’éviter des biais tels que l’escalade d’engagement, l’argument d’autorité ou tout autre type d’illusion cognitive.

Afin d’étayer la partie concernant la fiabilité de nos sens, j’ai utilisé quelques illusions d’optique classiques, introduit quelques paréidolies (vous savez, cette capacité de notre cerveau à imaginer des structures claires et distinctes, proches de formes déjà observées, dans toute sorte de stimulus visuel. En clair, voir un éléphant dans un nuage est une paréidolie…), le tout étant illustré par l’exemple des fameux « canaux » de Mars. Rappelons que cette « mésaventure scientifique » est survenue à la fin du 19e siècle, et a certainement engendré le mythe du martien extraterrestre, mis en scène par le célèbre H.G. Wells et sa non moins fameuse Guerre des Mondes.

Enfin, j’ai présenté un exemple de torsion de cuillère par Uri Geller :

[dailymotion id=xgcdcb]  

L’idée est présenter cette vidéo en demandant au public ce qu’il en pense : comment savoir si Uri Geller a réellement un « pouvoir » ou bien si c’est un truc d’illusionniste. ? On arrive rapidement à faire dire que renouveler l’expérience dans les mêmes conditions serait un argument contre l’hypothèse du pouvoir. C’est ce que l’on fait en diffusant une seconde vidéo où James Randi tord à son tour une cuillère :

[dailymotion id=xgcddj]

On peut ainsi exposer un outil bien utile lorsque l’on est confronté à une affirmation qui sort de l’ordinaire : le rasoir d’Occam.

La conférence s’est terminée avec quelques questions du public. En voici quelques-unes reformulées de façon concise :

  • N’est-il pas préférable de laisser rêver et imaginer que ces phénomènes étranges existent en ces temps où la réalité est souvent difficile à vivre pour beaucoup d’entre nous ?
  • Que dire de la possibilité ou de l’impossibilité théorique de certains phénomènes « surnaturels » ?
  • Existe-il des exemples de phénomènes « paranormaux » encore inexpliqués à ce jour ?
À cela, on peut donner quelques pistes de réponses :
  • Concernant le droit au rêve, on pourra lire cet article.
  • N’oublions pas qu’il est logiquement impossible de prouver l’inexistence de quelque chose. Ainsi, méthodologiquement parlant, il faut se concentrer sur la constatation du phénomène avant toute autre tentative d’explication. Rappelons également cette maxime qui résume assez bien la situation : la charge de la preuve revient à celui qui affirme.
  • À propos de l’existence de phénomènes inexpliqués, la réponse est simple : oui, des tas d’expériences, d’événements et autres faits avérés restent non élucidés. Mais il est important de rappeler que ce « manque » d’explications ne peut être considéré comme une preuve de l’existence de forces supérieures, d’extraterrestres, de pouvoirs psychiques inconnus ou même de fantômes. Non, c’est simplement la preuve de notre ignorance actuelle, ignorance tout à fait saine et relative à l’état de nos connaissances du moment : inexpliqué ne signifie pas pour autant inexplicable !
DC

Bibliographie associée :

  • Collectif, sous la direction de Pierre Buser, Claude Debru et Andreas Kleinert, L’imagination et l’Intuition dans les sciences, Paris, Hermann Éditeurs, 2009.
  • Sven ORTOLI, Nicolas WITKOWSKI, La baignoire d’Archimède. Petite mythologie de la science, Paris, Éditions du Seuil,1996.
  • Jean C. BAUDET, Curieuses histoires de la Science. Quand les chercheurs se trompent, Paris, Jourdan Éditeur, 2010.


1 Tiré de L’imagination et l’intuition en chimie, Yves Jeannin, in L’imagination et l’intuition dans les sciences, Hermann Éditeurs, 2009, p.88.
2 Dictionnaire CNRTL : http://www.cnrtl.fr

CorteX_diaporama_militant_argument_base_sur_scenarii_du_COR

Sciences politiques – Atelier Analyse d’arguments fallacieux sur les retraites

Nous proposons dans cet atelier une analyse critique de plusieurs arguments souvent invoqués dans les discussions ou les débats sur la réforme des retraites actuelle (2010).
Nous ne prétendons pas être exhaustifs, nous avons seulement recensé plusieurs arguments avancés par les uns ou par les autres, et proposons pour chacun d’eux d’en relever certains biais.
Le sujet évoqué – la réforme du système de retraites – est très politique, mais une analyse scientifique de ces arguments ne doit pas l’être. Notre but n’est donc pas de convaincre qu’il faut soutenir le gouvernement dans sa réforme ou au contraire qu’il faut descendre dans la rue pour s’y opposer ; il est simplement de tester la validité des arguments avancés pour permettre à chacun de se faire sa propre opinion sur ce sujet.
Attention : comme me l’a fait remarqué un lecteur attentif que nous remercions sincèrement, des erreurs se sont glissées dans cet article. Elles sont signalées par une étoile et commentées.

Avant de démarrer : Les mots sont importants 

Vous ne pourrez probablement pas rester « neutres » ou « objectifs » : à partir du moment où vous choisissez d’utiliser un mot plutôt qu’un autre, vous aurez pris parti, même malgré vous. Avant de commencer, il est bon de rappeler ce fait essentiel à votre public, pour qu’il s’empresse de l’appliquer sur vos propres propos.
Pour exemple, nous avons recueilli plusieurs définitions des expressions « système de retraites par répartition » et « système de retraites par capitalisation ». L’intérêt ici n’est pas de discuter de la pertinence de telle ou telle définition, mais plutôt de mettre le doigt sur le fait que la manière dont on définit l’un ou l’autre système peut avoir une grande influence sur l’idée que l’on se fait de son efficacité/légitimité/viabilité… 

Retraites par répartition :
Définition 1 (solidarité) : les actifs payent des cotisations qui ne contribueront pas à payer leurs propres retraites (comme dans la capitalisation), mais qui servent immédiatement au paiement des pensions des retraités. On parle ainsi de « solidarité inter-générationnelle », et de solidarité collective.

Définition 2 (aucun droit) : les cotisations basées sur les revenus professionnels de travailleurs actuels sont immédiatement utilisées pour financer les pensions des retraités. Les versements effectués par un travailleur au cours de sa vie ne sont pas directement liés au montant de la pension de retraite qu’il recevra. Chaque actif prend en charge une quote-part des retraités du moment, et sera (théoriquement, si le système existe toujours lorsque le temps viendra) pris en charge lui-même par les cotisants futurs, mais selon les conditions du moment. Dans cette logique, le cotisant d’aujourd’hui n’a aucun droit réel.

Définition 3 (salaire continué) : les retraités qui sont en bonne santé et dont le niveau des pensions est suffisamment élevé ne sont pas inactifs ; ils ont un jardin potager, s’occupent de leurs petits enfants, prennent part à l’activité politique ou associative locale, lisent, peuvent prendre le temps pour réfléchir ou pour échanger… Les retraités ne se sont donc pas retirés du monde économique, les retraites ne doivent donc plus s’appeler retraites mais pensions, et l’on peut penser la pension comme un salaire, un salaire continué, mais sans emploi, c’est-à-dire sans contrepartie d’une activité prédéfinie. 

Définition 4 (charge) : les retraites par réparition sont payées (sous-entendu sont une charge) par les générations suivantes.


Retraites par capitalisation :
Définition 1 (épargne individuelle) : Dans un régime de retraite par capitalisation , les actifs d’aujourd’hui épargnent en vue de leur propre retraite.

Définition 2 (épargne+rentabilité): Dans un régime de retraite par capitalisation , les actifs d’aujourd’hui épargnent en vue de leur propre retraite. Les cotisations font l’objet de placements financiers ou immobiliers, dont le rendement dépend essentiellement de l’évolution des taux d’intérêt.

Définition 3 (garantie de revenus) : La retraite par capitalisation a pour objectif d’assurer à chaque génération des revenus. Ces derniers peuvent être proportionnels aux montants épargnés et à la rentabilité des placements faits, dans le cadre d’une capitalisation à cotisations définies, avec un aléa sur le revenu constitué. Ils peuvent être certains dans le cadre d’une capitalisation à prestations définies, faisant supporter le risque de marché sur un tiers tel qu’un assureur.

Argument n°1 : « Nos difficultés économiques ne nous permettent plus de financer notre système de retraite par répartition »

Effets :  Plurium interrogationum + Le contexte est important + Pangloss

Plurium interrogationum + Le contexte est important : Cette affirmation en contient une autre : il est fortement sous-entendu qu’auparavant (sans préciser quand ?), les conditions étaient plus favorables. Or le système par répartition tel que nous le connaissons aujourd’hui, développé dans le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), a été mis en place en 1945. Dans la vidéo ci-dessous, des images d’archives ainsi qu’un extrait d’une interview  de Raymond Aubrac – membre du CNR – nous rappellent dans quel état désastreux se trouvaient les infrastructures et l’industrie françaises à cette époque.

Précautions à prendre si vous décidez de projeter cette vidéo :
Il est bon de discuter de la scénarisation de l’information dans ce document (présentation de Charles de Gaulle en héros, musique dramatique qui a pour effet d’accentuer le côté désastreux de la situation).

Effet Pangloss (relecture de l’histoire a posteriori)

On a souvent le sentiment que les progrès sociaux ont toujours été acceuillis à bras ouverts par l’ensemble de la population et qu’ils n’ont jamais été remis en question, sauf aujourd’hui ; mais, à cause de la crise, on ne peut vraiment pas faire autrement entend-on souvent… Par exemple, on se souvient rarement qu’il y a eu de fervents opposants aux congés payés et au passage de la semaine de 48h à 40h et que le gouvernement de Vichy a fait paraître des décrets pour s’opposer à ces acquis.

Ce court extrait d’une interview de Maurice Voutey, membre du CNR, revient sur l’accueil des congés payés et du passage aux 40 heures
 
https://www.dailymotion.com/video/xgq5or
 
Vous pouvez discuter de la question suivante avec votre public :
Comment expliquer qu’il n’y ait pas eu plus de résistances à la création de la sécurité sociale et des retraites par répartition en 1945 ?

Eléments de réponse : le contexte n’était vraiment pas favorable aux classes sociales élevées. Une grande partie des gens qui sont encore aisés à la sortie de la guerre ont, sinon collaboré, du moins profité économiquement de la situation. À la libération, ils font plutôt profil bas. En revanche, le CNR a pris une part active à la libération de la France et a acquis ainsi le soutien de la population. S’opposer au CNR, c’est s’opposer à ceux qui se sont battus, les armes à la main, pour libérer la France. C’est physiquement et « éthiquement » difficile.

Argument n°2 : Quand il a  fallu sauver les banques en 2008, ils ont trouvé des centaines de milliards d’euros du jour au lendemain; et aujourd’hui, ils viennent nous dire qu’on n’a plus d’argent pour sauver les retraites ?
 

Effet : Effet paillasson + Plurium interrogationum :

Effet paillasson : le verbe sauver dans l’expression « sauver les banques » n’a pas le même sens que celui de l’expression « sauver les retraites ». En effet, sauver le système de retraites par répartition nécessite un plan de financement réel ; il faut effectivement trouver tous les ans suffisamment d’argent pour redistribuer à chaque retraité sa pension. 
Le cas du sauvetage des banques est très différent. F. Lordon explique dans l’extrait suivant qu’il n’a a posteriori rien coûté à l’état français et même que cela lui a rapporté des intérêts ; en effet, le sauvetage des banques a essentiellement consisté :
 

1. à bloquer de l’argent pour garantir les prêts des banques -> cet argent n’a pas eu à être débloqué ;
2. à prêter des fonds aux banques -> ces emprunts ont été remboursés avec intérêts ;
3. à prendre des parts dans les banques -> ces parts ont été revendues avec plus-values.
Ce qui a coûté cher à l’état n’est pas le sauvetage des banques à proprement parler, mais le soutien à l’économie, soutien qui il est vrai, de manière indirecte, a aussi permis de sauver une deuxième fois les banques car, si la précarité augmente, le nombre de personnes qui ne peuvent plus rembourser leurs emprunts augmente.

Extrait d’un entretien avec F. Lordon, par D. Mermet, émission Là-bas si j’y suis, 1er Mars 2010 :

Effet Plurium interrogationum

 
L’argument n°2 sous-entendque les bénéficiaires du sauvetage des banques ne sont pas ceux qui bénéficieraient du sauvetage du système de retraites par répartition. Cependant, s’il est vrai que le sauvetage des banques bénéficie directement à leurs actionnaires, un « naufrage » des banques aurait eu d’énormes conséquences sur l’économie réelle ; les premières personnes touchées par la dégradation de l’économie auraient fait partie des populations les plus pauvres et dont la situation laurait été la plus précaire, celles-là même auxquelles pensent probablement les personnes qui utilisent l’argument n°2.  
 

Argument n°3 : « Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Vous ne pouvez pas le nier : l’espérance de vie augmente
 

Voici un extrait présentant Nicolas Sarkozy énonçant l’argument n°3 :

Effets : Celui qui ra-compte n’est pas neutre + Les mots sont importants + Cigogne renversé + Une estimation reste une estimation.

Celui qui ra-compte n’est pas neutre : avant de rentrer dans la bataille des chiffres, il est toujours bon de se demander : qui les produit ? Qui les a sélectionnés ? Qui les a analysés ? Les chiffres peuvent être neutres, le sens qu’on leur donne l’est rarement. Il est intéressant d’observer qu’en ce qui concerne le débat sur les retraites, que ce soient les défenseurs ou les détracteurs de la réforme, tout le monde va puiser ses chiffres à la même source, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), mais qu’ils n’en tirent pas du tout les mêmes conclusions. Ce qui illustre bien le fait que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes et qu’on les « fait parler »  en les sélectionnant, en choisissant de les associer ou non, en les cachant derrière un mot ou un autre…
 
À votre disposition, ce petit montage mettant en scène un journaliste de Sciences et Avenir, D. Larousserie, qui nous explique tout cela très rapidement, suivi de deux exemples d’analyse de chiffres.

Précautions à prendre si vous diffusez ce document : il est bon de préciser que B. Filoche est membre du PS. Par ailleurs, son ton est très ironique, ce qui est particulièrement désagréable et qui peut même entraîner de la dissonance cognitive si on n’est pas du même avis que lui. Il est souhaitable d’en discuter avant ou après la diffusion.

Les mots sont importants + Effet impact:  vous pouvez discuter a priori de la définition de l’espérance de vie, de son évolution et de son estimation actuelle. On donne ici un extrait de l’article de wikipédia (18 Octobre 2010) sur l’espérance de vie :

L’espérance de vie à la naissance est égale à la durée de vie moyenne d’une population fictive qui vivrait toute son existence dans les conditions de mortalité de l’année considérée. Ainsi, contrairement à ce que l’intitulé « espérance de vie » peut laisser penser, ce n’est pas une prévision quant aux probabilités de décès des années ultérieures : dire par exemple que l’espérance de vie des hommes en 2000 est de 75 ans ne signifie pas que les hommes nés en 2000 vivront en moyenne 75 ans. Ils vivront en moyenne 75 ans seulement si les conditions de mortalité qu’ils vont rencontrer tout au long de leur vie vont correspondre à celles de l’année 2000. Donc, si les progrès continuent, les hommes nés en 2000 devraient vivre en moyenne plus de 75 ans. Mais il est possible aussi que les conditions se dégradent dans le futur. Entre 1900 et 2000, elle est passée de 48 à 79 ans.

 
Puis montrer la vidéo précédente, discuter des différentes définitions en particulier celle de l’espérance de vie en bonne santé et de l’impact que cela peut avoir sur la réponse à la question : « Est-il légitime de travailler jusqu’à 65 ans ? » 
 

 

Effet cigogne renversé : l’espérance de vie est aujourd’hui, en 2010, de 82 ans. Un enfant qui naît aujourd’hui vivra – en moyenne – jusqu’à 82 ans, À CONDITION qu’il vive dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Or le fait d’avoir droit à la retraite à 60 ans fait partie de ces conditions. Si cet âge augmente jusqu’à 65 ans, entre 60 et 65 ans, les enfants devenus grands seront soit toujours en poste (ce que l’on dit si l’on défend la réforme) soit en situation précaire (ce que l’on dit si l’on s’oppose à la réforme). L’une ou l’autre de ces situations diminue l’espérance de vie*.
 
* Ceci est faux : a priori, il n’y a pas de corrélation avérée entre l’espérance de vie et l’âge de départ à la retraite.
 

 

Une estimation reste une estimation : tous les chiffres avancés pour 2050 sont basés sur des estimations. Or, si certains modèles sont très fiables pour simuler certains phénomènes, il ne faut pas oublier d’exiger qu’une mesure de la fiabilité du modèle choisi soit effectuée. Sinon, les chiffres du COR ou ceux issus de ma boule de cristal sont équivalents. Or simuler notre économie et notre démographie sur 50 ans n’a rien d’évident : G. Filoche, qui avait déjà analysé les chiffres du rapport Charpinavancés lors de la réforme des retraites de 2003, affirme que toutes les prévisions faites à cette époque pour 2010 sont fausses.  
 
https://www.dailymotion.com/video/xgq5pw
 
Vous pouvez aussi aller jeter un oeil sur un Dossier Technique du COR (pris un peu au hasard) et relever les précautions prises pour faire face à la difficulté de simuler l’avenir (plusieurs scénarios possibles, conditionnel…), précautions qui disparaissent du débat public. On trouve par exemple :
 
page 3 : Du fait de l’incertitude entourant les perspectives à long terme, plusieurs scénarios économiques, différant par les hypothèses de chômage et/ou de croissance de la productivité à long terme, ont été retenus.
 
page 5 : À la demande du secrétariat général du COR, des projections relatives à l’UNEDIC ont ainsi été réalisées par la Direction générale du trésor, sur la base des trois scénarios économiques retenus pour l’actualisation des projections5, qui renvoient aux incertitudes sur les perspectives de croissance et d’emploi à long terme. Les résultats détaillés sont présentés dans le document 5 du dossier. Ces projections indiquent que, à taux de cotisation et réglementation inchangés, le régime d’assurance chômage pourrait retrouver un solde annuel excédentaire à partir du milieu des années 2010, les déficits cumulés étant apurés à l’horizon 2020. Une baisse du taux de cotisation de 1 ¾ point dans les scénarios A et B et de ¾ point dans le scénario C – ce qui correspond à un transfert de recettes potentielles de l’ordre de 0,4 point de PIB dans les scénarios A et B, et 0,15 point de PIB dans le scénario C – serait alors compatible avec le maintien d’une situation financière équilibrée à long terme de l’UNEDIC.
 
Remarquons que les chiffres du COR sont aussi repris par des opposants de la réforme. Ci-dessous une page d’un diaporama qui circule sur internet : 

CorteX_diaporama_militant_argument_base_sur_scenarii_du_COR

Si les 4 scénarii évoqués dans le rapport du COR sont bien repris dans le graphe, son auteur l’utilise comme une prédiction du futur, sans préciser les hypothèses faites pour élaborer ces scénarii. Il reprend le pire scénario en ce qui concerne le chiffre du déficit pour justifier que, même si le pire arrive, il existe une solution. Mais est-il bien sûr que les 4 scénarii élaborés par le COR sont les seuls possibles ? Comment et pourquoi seules ces quatre versions ont été retenues ? Peut-on garantir qu’aucun scénario plus favorable ou bien moins favorable ne peut se réaliser ? 

Argument n°4 : Si l’âge du départ à la retraite augmente, les jeunes auront encore plus de mal à trouver du travail. 

Extrait d’un journal télévisé, BFM TV, Octobre 2010 :

Remarque sur l’extrait : il existe une foule d’extraits sur ce sujet, mettant en scène des jeunes remontés utilisant cet argument. Dans celui-ci, les jeunes ne sont pas très à l’aise face à la caméra, mais le niveau sonore n’est pas insupportable – dans tous les autres extraits que j’ai trouvés, les « jeunes » sont interviewés dans les manifestations, et cela me semblait inaudible.
 


Effets : Effet paillasson + Détachement de données importantes 

Effet paillasson : reculer l’âge de la retraite signifie deux choses différentes qui sont souvent amalgamées : « reculer l’âge du versement des pensions » et « reculer l’âge où l’on quitte son dernier emploi » sont deux choses bien distinctes. Dire l’un en pensant l’autre introduit de la confusion.

Depuis 1993 où les mesures d’augmentation des durées de cotisations sont censées pousser les gens à travailler plus longtemps, nous avons 17 ans de statistiques : il n’y a pas de prolongement de la durée d’activité. La cessation d’activité se fait toujours actuellement à moins de 59 ans: elle est à 58 ans et 9 mois. En revanche, quel est le résultat de la réforme? C’est que la liquidation de la pension est retardée. Actuellement, il est à 61 ans et demi.  
                                                                    B. Friot, Là-bas si j’y suis, 23 Juin 2010

Détachement de données importantes : d’une manière générale, on ne parle de chômage que pour la population dite active.

Il y a effectivement 23% de chômage dans la tranche des moins de 25 ans, mais c’est 23% de la population active de moins de 25 ans. Ce qu’il ne faut pas détacher d’une donnée importante, le taux d’activité dans cette tranche d’âge : en 2010, le taux d’activité chez les 15-24 ans était de 36,5% (site de l’insee) ce qui signifie que 63,5% des personnes de cette tranche d’âge ne sont pas considérées actives. En effet, une grande partie d’entre elles fait des études. Celles et ceux qui travaillent ou qui sont au chômage, ce sont donc tous les autres et, par conséquent, ce sont les moins qualifiés.
Il n’y a donc pas vraiment de phénomène spécifique chez les « jeunes » en ce qui concerne le chômage * : quelle que soit la tranche d’âge considérée, le taux de chômage est toujours plus élevé chez les populations les moins qualifiées. Le chiffre de 23% n’est pas faux en soi. C’est simplement qu’il est souvent mal interprété : nous imaginons 23% de l’ensemble des jeunes dans les agences du pôle emploi, au lieu de n’en imaginer « que » 23% de 36,5%, c’est à dire environ 8,3%.

* Cette phrase n’est pas juste ; il aurait fallu dire : « Ce chiffre de 23% de chômage chez les jeunes ne démontre pas l’existence d’un phénomène spécifique chez les jeunes en ce qui concerne le chômage. » Mais cela ne démontre pas non plus qu’il n’y a pas de phénomène spécifique.

Dans la suite, nous supposons que les chiffres avancés sont de bonnes estimations, que notre économie évoluera suivant un des 4 scénarii du COR, et nous discutons, sur cette base, de la validité de certains autres arguments.

Argument n°5 : « Il y a de plus en plus d’inactifs, les actifs ne pourront plus payer les retraites des inactifs. Il ne reste que deux solutions : diminuer les retraites ou augmenter la durée de cotisation »

Effets :Détachement de données importantes + Petit ruisseau + Non sequitur + Faux dilemme


Cet argument est riche en effets et sophismes. On peut le décomposer comme suit :
Prémisse A : il y a de moins en moins d’actifs
Prémisse B : quelle que soit l’époque et la situation économique, la part reversée par un actif au système de retraite est stable
Conclusion : donc les actifs ne pourront plus payer la retraite des inactifs.

Prémisse A : Détachement de données importantes + Effet petit ruisseau :on entend que le taux de chômage est élevé et que l’on vit plus longtemps et on en déduit que le rapport actifs/inactifs diminue, mais on ne prend pas en compte toutes les données. Par exemple, en 1962, le taux d’emploi des 20-59 ans n’était que de 67%  ; il est de 76% aujourd’hui.

Avez-vous une explication ?

Il n’y a pas si longtemps, les femmes étaient bien moins présentes sur le marché du travail. Il y avait donc bien plus d’inactifs réels dans la tranche des 20-59 ans il y a 40 ans qu’aujourd’hui  : les hommes chômeurs mais aussi beaucoup de femmes sans emploi, non comptabilisées dans les chiffres du chômage puisqu’elles n’étaient pas censées en chercher. 

En ce qui concerne le ratio inoccupés/occupés, il ne devrait pas augmenter tant que cela. Prudence toutefois, les estimations ne sont que des estimations :

Le ratio inoccupés / occupés était de 1,62 en 1995, il devrait se situer en 2040 entre 1,66 à 1,79 selon les projections en matière de chômage, la baisse du poids des enfants et des jeunes (qui coûtent aussi cher en dépenses publiques et privées que les retraités) compensant la hausse de celui des retraités.

B. Friot, L’enjeu des retraites, p115-116

         
Prémisse B : Petit ruisseau (si les petits ruisseaux font de grandes rivières, les petits oublis peuvent conduire à de grandes erreurs) : comme le souligne B. Friot, on peut calquer le raisonnement de l’argument n°5 en imaginant un quidam en 1900 qui dirait : « Aujourd’hui, les agriculteurs représentent 30% de la population active. En 2010, les agriculteurs représenteront moins de 3% de la population active. Il y aura donc une terrible famine en 2010 ! »
 
Dans un cas comme dans l’autre, une donnée fondamentale a disparu du propos : la productivité. Ce chiffre, pourtant très commenté dans d’autres contextes, n’est plus jamais évoqué dans le débat sur les retraites. Pourtant, dans les scénarii du COR, la productivité augmente bel et bien : chacun des actifs produira dans 20 ans bien plus que chacun de nous aujourd’hui. C’est ce qu’il s’est passé dans les 50 dernières années et un actif d’aujourd’hui alimente bien plus le système de retraite qu’un actif il y a 50 ans.
 
Explication de l’argument de B. Friot  mise en scène par F. Lepage  (le ton ironique peut déranger; risque de dissonance cognitive)
 
https://www.dailymotion.com/video/xgq5um
 
Plutôt que de montrer la vidéo à votre public, vous pouvez leur faire faire le petit exercice suivant :
 
Exercice :
En reprenant les chiffres avancés par le COR :
1950 : le PIB est de 1 000 milliards (Mds) d’euros et la somme consacrée aux pensions représente 5% du PIB.
2000 : le PIB a doublé et on en réserve 13% pour les retraites.
2050 : le PIB aura encore doublé et, pour garantir les droits dont on dispose aujourd’hui (même durée de cotisation, même âge de départ à la retraite, mêmes montants), il faudra consacrer 18% du PIB aux retraites.
 
Remarque : nous raisonnons ici avec les chiffres avancés par le COR, sans nous prononcer sur leur fiabilité.

Questions :

1. Vérifiez qu’une croissance de 1,7% par an, prévue par le COR, entraîne bien le doublement du PIB entre 2000 et 2050. Cela peut paraître contre-intuitif, comme souvent lorsqu’on rencontre un croissance exponentielle. 

Réponse : Si l’on note P(blabla) le PIB de l’année blabla, on obtient :
P(2001) = P(2000) + 1,7/100 * P(2000) = 1,017 * P( 2000)
P(2002) = 1,017 * P(2001) = (1,017) ² * P(2000)

P(2 050) = (1,017) ^ 50 * P(2000) = 2,3 * P(2 000)

2. Une fois les retraites financées, combien reste-t-il en 1950, 2000 et 2050 pour tout le reste (les actifs, les investissements et les profits) ?

Réponse : En 1950, il reste 95% * 1000 = 950 Mds;
En 2000, il reste 87% * 2000 = 1740 Mds
En 2050, il resterait 82% * 4000 = 3280 Mds
Prenez quelques secondes pour regarder ces chiffres résumés dans les diagrammes suivants.
On peut remarquer qu’entre 1950 et 2000, la part du PIB consacrée aux retraites est passée de 5% à 13% sans que cela ne pose de problèmes.

CorteX_Retraites_Graphique_PIB_retraites

Remarque : ce paragraphe n’a pas été pensé pour initier un débat politique concernant la répartition les richesses – Taxes ? Augmentation des salaires ? Quels salaires ? -, ni pour se demander s’il est souhaitable ou non de doubler le PIB ; il a plutôt pour objectif de mettre en évidence l’impact que peut avoir la suppression d’une donnée importante dans le débat.

Le raisonnement de l’argument n°5 est donc basé sur deux prémisses fausses.

Sophisme Non sequitur + Pétition de principe : dans le sophisme Non sequitur, la conclusion est tirée de deux prémisses qui ne sont pas logiquement reliées, voire fausses. On crée alors l’illusion d’un raisonnement et d’une conclusion valides.

Dans le raisonnement :

Prémisse A : il y a de moins en moins d’actifs occupés
Prémisse B : quelle que soit l’époque et la situation économique, la part versée par un actif occupé au système de retraite est stable. 
 
Conclusion : donc les actifs ne pourront plus payer la retraite des inactifs.

C’est le donc qui est important car il relie les deux prémisses, valide le raisonnement et clôt la conclusion. Le problème réside dans le fait que les prémisses sont fausses ou partiellement fausses : le taux d’actifs occupés reste plutôt stable et depuis 50 ans, chacun des actifs occupés voit la part de richesse produite consacrée au financement des retraites augmenter.

Par ailleurs la prémisse B est une pétition de principe : on sous entend comme valide quelque chose que l’on souhaite prouver et on passe sous silence des données fondamentales, comme la productivité.

Faux dilemme : une fois la conclusion faussement validée, il ne reste plus qu’à poser un faux dilemme pour y répondre. « Il n’y a que deux solutions… » Pourquoi seulement deux ? Sur quels critères écarte-t-on d’emblée toutes les autres du débat, certaines plus absurdes que d’autres ? Comme les autres solutions ne sont pas envisagées, il n’est plus possible d’en discuter et le débat en est sévèrement réduit.
 

Bonus : Argument n°6 :  » Si le PIB ne croît pas autant que prévu ou en cas de crise, il vaut mieux avoir anticipé et avoir capitalisé »
 

Effet : Petit ruisseau

Les estimations restent des estimations ; il est donc possible que le PIB ne soit pas de 4000 milliards d’euros en 2050 et qu’il soit difficile de financer les retraites. Et on peut se dire que, si c’est le cas, on aura au moins son petit pécule, épargné tout au long de sa vie active. Il ne faut cependant pas oublier de prendre en compte dans cette réflexion que l’argent capitalisé ou épargné n’est pas « sorti » de l’économie, qu’il n’est pas totalement déconnecté du reste.
 
On ne met pas notre épargne sous notre matelas, on la pose sur un quelconque plan épargne retraite ou sur une assurance vie qui nous rapporte de surcroît quelques % tous les ans. Et votre banquier ne range pas vos économies dans un coffre fort, il les place, c’est-à-dire qu’il achète des titres avec – c’est pour cela qu’il peut vous « garantir » une certaine rentabilité – et il les revendra le jour où vous viendrez chercher votre argent.
 
Dans l’hypothèse où nous ne produirions pas autant de richesses en 2050 que prévu, les titres perdraient aussi probablement de la valeur : en caricaturant, si personne n’est riche, personne ne pourra racheter mes titres qui perdront de la valeur. Et puis un titre représente une part de la richesse d’une entreprise – réelle ou estimée par l’acquéreur. Si l’entreprise produit moins, le titre vaut moins. Si la confiance dans les marchés n’est plus au rendez-vous, le titre vaut moins.
Pour être moins caricaturale, la valeur de mon épargne n’est pas forcément stable ; elle peut évoluer à la hausse comme à la baisse.

Cet atelier sous sa version initiale a été testé le 21 octobre 2010, en amphithéâtre, par R. Monvoisin lors de la grève. Public : étudiants de L1 et L2 scientifiques. Durée de la séance : 35mn. On peut télécharger la version pdf ici.

La version présentée ici est une version retravaillée suite aux commentaires de RM et aux remarques des autres membres du CorteX.

GR, avec la participation de RM, NG et DC.

 

 

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Conférence « L’illusion comme outil constructif de l’esprit critique » , par Richard Monvoisin

Vous pouvez télécharger mon pdf du diaporama réalisé pour l’occasion, et vous en inspirer.
Le diaporama lui-même peut être fourni sur demande.

Quant aux ressources médias, elles sont ici :

  • Extrait S. Asahara, Sectes tueuses, Planète choc
  • Extrait épée du Temple Solaire, Les mystères sanglants de l’OTS (Fr2, 2006). Merci à F. Villard.
  • Extrait Révérend Popoff, Arnaques Spiritualités, Cirrus Prod. 1999.
  • Extrait Le secret du secret, Louis Mouchet & Philippe Souaille (2001). Le film peut être commandé ici
  • Extrait Tri des données – Basket-ball
  • Publication Wiseman & Greening, it’s still bending.
  • Extrait FSI, Charlatans de l’inconscient (Canal + 2004)
  • Articles de B. Axelrad, disponibles sur le site http://www.zetetique.fr
  • Livre de B. Axelrad, Les ravages des faux souvenirs ou la mémoire manipulée Editions Book-i-book.com, 2010.
  • Livre de E. Loftus, K. Ketcham, Le Syndrome des faux souvenirs et le mythe des souvenirs refoulés. Editions Exergue,1997.

 
Tenez-nous au courant de vos utilisations, de vos résultats !
R.Monvoisin
 

http://www.koreus.com/video/basket-panier.html{avi}CorteX_Faux_souvenir_induit_charlatans_inconscient2004{/avi}

Généralités critiques – pastilles sceptiques de Pierre Cloutier

Voici en guise d’outillage quelques pastilles sceptiques réalisées par Pierre Cloutier, porte-parole de l’association Sceptiques du Québec, pour la radio Passion FM.

Ces quelques documents, assez brefs, furent diffusées du 18 avril au 20 juin 2008. Ils sont largement exploitables pour un débat ou un enseignement, car ils sont rigoureux. Leur seul défaut : un ton légèrement ironique de Pierre, un peu « rude », de ce genre de ton qui rend plus difficile les discussions à teneur critique : un ton entraînant immanquablement une « résolution de dissonance cognitive » à l’encontre du sceptique.

1. Scepticisme – introduction
2. Les effets de la Lune
3. Le Secret (pensée magique)
4. Le complot du 11 septembre (conspiration)
5. Le calendrier Maya (2012) (fin du monde)
6. Les OVNIs (extraterrestres)
7. Le créationnisme
8. L’astrologie
9. La télépathie Attention : dans cette pastille, Pierre Cloutier balaye un peu trop rapidement toute la parapsychologie d’un revers de main.
10. Les médecines douces
Merci aux Sceptiques du Québec.

RM

Conférence « Bruno Bettellheim – quand une imposture vire au tragique »

Bruno Bettelheim est une figure tutélaire deme la psychologie du XXe. siècle Pas une bibliothèque municipale, d’éducation spécialisée ou de faculté de psychologie qui n’ait son rayon consacré à ses théories.
Il fait encore aujourd’hui incontestablement figure d’autorité en matière de psychopathologie, et l’influence de sa pensée et sa réputation continuent de marquer un public très étendu, des professionnels du travail social aux parents, en passant par le simple curieux .
Pour autant, une investigation rigoureuse vient rompre avec cette image et dévoile les facettes les plus obscures de cette icône de la psychologie.

On peut désormais comprendre la construction de ses affirmations, ses manipulations et la fabrication de sa réputation au travers une somme considérable de données disponibles, sur sa biographie, la scénarisation de ses recherches, l’élaboration de ses théories, et jusqu’à la réalisation même de ses ouvrages.

Autant d’éléments qui permettent d’étayer une démarche critique concernant les travaux de Bruno Bettleheim et leurs dramatiques conséquences, notamment la théorie de l’origine maternelle de l’autisme et sa répercussion sur la prise en charge de ce public.

Il n’est nullement question de faire le procès de la personne « Bruno Bettleheim » puisque nous proposons d’analyser également le contexte qui l’a poussé à travestir certaines données, mais bien de mettre en lumière l’obsolescence de ses affirmations, et la fabrication du personnage.

Cette présentation propose d’approcher différents aspects critiques du déroulement du parcours de Bettleheim et de l’élaboration de ses concepts, qui ont conduit assurément à l’une des plus tragiques impostures du siècle passé.

Plan

1/ Introduction
La démarche
L’outillage de la pensée critique
2/ Le parcours de Bruno Bettelheim
Retour sur sa biographie 1903-1990
3/ Des concepts phares
Situation extrême
La forteresse vide
4/ L’origine de l’information
L’élaboration des théories
Le travestissement de la biographie
La construction de la bibliographie
5/ Le contexte important
Les prémisses de l’étiologie de l’autisme
L’empreinte du déterminisme infantile
6/ La validité des théories
Le déroulement des recherches
L’étayage des affirmations
Une figure d’autorité
7/ Des concepts qui font encore échos
L’escalade d’engagement
D’insubmersibles théories

Bibliographie associée

  • Richard POLLAK, Bruno Bettelheim ou la fabrication d’un mythe, une biographie, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2003.
  • Jérôme KAGAN, Des idées reçues en psychologie, Paris, Odile Jacob, 1998.
  • Collectif, sous la direction de Catherine MAYER, Le livre noir de la psychanalyse, Paris, Les Arènes, 2005.

3 formats possibles selon la demande

  1. Conférence « Bruno Bettellheim – quand une imposture vire au tragique » (1h + questions)
  2. Conférence + débat spécifique « Bruno Bettellheim – quand une imposture vire au tragique » (1h)« Rôle des théories scientifiques et de la psychologie dans la prise en charge« (1h) + questions
  3. Conférence « transversale » L’outillage zététique comme autodéfense intellectuelle (1h) + questions
Présentation d’outils critique sur 4 exemples traités – la théorie de l’autisme selon Bettelheim est le 4ème exemple

Le format 1 a été éprouvé le 18 novembre 2009 à la bibliothèque Antigone (Grenoble).
Le format 3 a été éprouvé en binôme (avec Richard Monvoisin) le 8 janvier 2009 à la librairie Les Bas Côtés (Grenoble).


 

Terre plate

Science et religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Ceci est une sorte d’introduction pour bâtir un cours sur les intrusions spiritualistes en science, sujet assez épineux. Ceci est une manière que j’utilise dans les stages d’initiation à l’enseignement supérieur, avec des doctorants – d’un bon niveau, donc.

En science ou en zététique, on s’intéresse à la connaissance scientifique, pas à l’acte de foi, qui relève de l’intimité de chacun. Qu’un chercheur croit en un dieu ou pas, peu importe ! Tant que ce dieu n’entre pas dans des scénarios explicatifs, chacun balaye son chat à midi devant sa porte, chacun est libre de trouver l’inspiration même pour ses travaux dans les options métaphysiques, spirituelles ou artistiques qu’il choisit.

Demander à un chercheur s’il croit en un dieu est donc une question qui n’a pas de sens. Si on me la pose lors d’une soirée ou entre amis, je dois répondre en mon nom propre, subjectivement car donner une expertise sur dieu en tant que chercheur reviendrait à demander le sens de la vie à une géographe, le pourquoi du comment à un garagiste. Parler de dieu en tant que scientifique, est comme émettre un jugement sur la technique de Van Gogh en tant que fromager, ou donner son expertise sur le camembert quand on est peintre : on est dans l’escroquerie intellectuelle, en quelque sorte. C’est le genre d’escroquerie que les médias orchestrent avec entrain car on est assuré en glissant dieu de-ci de-là de faire une certaine audience. Par contre, au passage, on prend le risque de décérébrer tout le monde ; car si la frontière entre les « scénarios de foi » (créationnisme, fine-tuning, intelligent design, etc.) et les théories est cassée, il va être impossible d’endiguer les croyances diverses qui ne manqueront pas, sur la base argumentative de la « démocratisation des idées » (cf. sophisme) de se déverser dans le frêle esquif de la connaissance. Dernier exemple en date : la première conférence catholique annuelle sur le…. géocentrisme, annoncée pour le 6 novembre 2010 sous le titre « Galilée avait tort. L’Église avait raison ». À quand un colloque sur la Terre plate ?

CorteX_Intelligent_geography

C’est pour cela que j’en veux à L’Express, à Ciel & Espace, à Le Point, à Sciences & Avenir, qui pour s’assurer de confortables ventes, n’hésitent pas à faire dans le racolage et sabotent les quelques rares concepts d’épistémologie que le public a difficilement construit comme rempart à l’imposture. Il y a une crétinisation des masses, avec des couvertures comme les suivantes – dont chacune peut servir de support d’enseignement, tant par le montage de l’image, que le titre en faux dilemme ou les scénarios concordistes ou en pseudo-combat.

 Le cas Bogdanov

Autre porte d’entrée vers un ramollissement intellectuel : celui de présenter les frères Bogdanoff comme des experts scientifiques, à l’image de la mise en scène du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010).

Eux qui ont menti sur leurs titres pendant des années, qui ont « scénarisé » leur intelligence, leur QI, leur origine russe, eux qui ont poussé hors de la scène médiatique tous les autres intervenants de physique deviennent désormais les instituteurs de la France, à grand coups de Téra-électrons-volt et surtout de réconciliation de dieu et du big bang. Mais le danger est surtout là : en utilisant des arguments de fine-tuning que ne renieraient pas les groupes comme la Fondation Templeton ou l’Université Interdisciplinaire de Paris, l’association de Jean Staune1, ils réintroduisent la religion dans la connaissance, là où la pensée s’escrime à la virer depuis environ quatre siècles. Pas étonnant que l’ancien ministre de l’éducation, le chrétien et sotériologique Luc Ferry acclame le dernier livre des deux frères. (Dieu, la science et le big bang).

Le cas Hawking

On frise même le mauvais goût au plus haut niveau avec le dernier cas en date, le cas Hawking. Grand savant que ce Stephen Hawking, c’est évident, même s’il semble au moins aussi connu pour ses théories que pour son handicap. Que ce soit de son fait ou non, vous remarquerez qu’il est toujours présenté comme titulaire de la chaire de Newton, comme si c’était le fait d’être assis sur le trône qui vous conférait du génie. Il est représenté comme l’esprit désincarné, la pure intelligence, c’est à lui qu’on pense pour écrire l’équation universelle, la théorie du tout, et il s’en faut de peu qu’on ne lui demande pas à lui qui sait tout, de retrouver nos clés perdues.

Là où un personnage m’agace le plus, c’est quand (de son fait ou non) on construit sa légende en direct : ainsi, dans le cas de Stephen Hawking, alors que son choix de bosser sur la physique fondamentale est venu très tôt, on raconte désormais dans les chaumières que sa vocation lui est venue de son handicap, comme un défi de l’esprit transcendant le corps, etc.

Voir sur ce point le TP Fabrication du héros & syndrome Professeur Simon.

Il présente dès lors lui-même sa quête d’une équation ultime, ou d’une théorie du tout, comme un défi à Dieu – Hawking défendant des idées déistes jusqu’alors. Et si le Pape lui demandait en 2006 de ne plus travailler sur l’origine de l’univers, Dieu lui semblait l’encourager en feignant d’écrire ses initiales dans le ciel (cf. les images du satellite Cobe, dans l’article de Fabrice Neyret, POZ N°56 février 2010).

Seulement, cette fois, Hawking n’est vraiment pas gentil avec Dieu. Pourquoi ? Parce que dans son dernier livre The grand design , il a écrit une phrase qui fâche : « Dieu n’a pas créé l’univers. », titrent Le Times, puis Le Monde du 3 septembre) . L’Express renchérit : « pour Stephen Hawking, Dieu n’a finalement pas créé l’univers ». Sacrée nouvelle.

D’un, l’avis d’un scientifique sur Dieu est anecdotique.

De deux, il y a mélange scénario – théorie. Le sous-titre du livre « Nouvelles réponses sur les questions ultimes de la vie » ne fait qu’alimenter le brouet.

De trois, il s’agit d’une phrase unique, pratiquement à l’avant-dernière (page p 180) du livre.

De quatre, il s’agit d’une phrase mal traduite. La phrase réelle est :

« Il n’est pas nécessaire d’invoquer Dieu (…). L’Univers peut et s’est créé lui-même à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, la raison pour laquelle l’Univers existe et nous existons. »

En gros, pas grand chose de plus que Laplace répondant à Bonaparte il y a deux siècles2.

De cinq, et c’est peut être le plus atroce, il semble que l’état de santé de Hawking ne lui permette plus réellement d’écrire, depuis quelque temps. On espère que le livre n’a pas été confectionné, à l’instar de l’affaire Rom Houben, par les méthodes désolantes de la Communication Facilitée (cf. POZ N°58).

Qu’en tirer ? Tout d’abord je rejoins l’analyse de Sylvestre Huet dans Libération (Hawking versus Dieu, 16 septembre 2010) : on est en plein dérapage intellectuel, et pour reprendre les termes d’Étienne Klein, on frise « le degré 0 de l’épistémologie ».

 Je fais une hypothèse : sachant que Dieu est une sauce qui s’accommode avec tout, et que Hawking, quoi qu’il écrive, est une poule aux œufs d’or, est-il plausible ou probable que la maison d’édition ait instrumentalisé le personnage et créé artificiellement du scoop ? Fabriquer de la fausse connaissance à des fins marketing, ça devrait porter un nom, et j’hésite entre publicisation mensongère et délit intellectuel.

Nous sommes dans la construction hagiographique des figures de la science. Ortoli & Witomski3 les appellent des « baignoires d’Archimède » ces mythes et légendes qui émaillent nos livres d’histoire, depuis le Eurêka jusqu’au nombre d’or. Éloge de l’intuition subite, du génie qui saisit d’un coup comme tombe la pomme, cette réécriture de la science trompe le lecteur en gommant la construction lente et pénible des connaissances. Que Newton aime, une fois vieux, narrer l’histoire de la pomme semble n’être qu’une coquetterie, mais elle nous fait croire que primo, pour faire avancer les connaissances il faut être génial, et secundo que ça vient d’un coup, comme le serpent de Kékulé qui lui insuffla la forme cyclique du benzène.

On déhistoricise la science, on la dépolitise, on l’appauvrit, de la même façon que les deux ex machina déhistoricisent l’histoire des peuples (à ce propos voir ici).

Et quand par dessus cela, se greffent des tentatives d’incrustations spiritualistes ou religieuses en science, nous frisons effectivement le degré zéro de l’épistémologie.

CorteX-Art-islamique-epistemo-S&V-mai2007p22

Vulgarisation & rhétorique – Atelier Fabrication du génie héroïque, syndrome du Professeur Simon

Cet atelier est tiré de la fiche pédagogique N°12, pp. 384-386 de la thèse « Pour une didactique de l’esprit critique », Monvoisin, 2007

La fabrication du héros est un procédé « carpaccique »1 souvent à l’œuvre dans les pseudosciences, et paradoxalement très fréquent dans la vulgarisation des sciences. Prenons un scientifique du nom de Duschmoll. Quelles que soient la vie ou la carrière de l’individu Duschmoll, il existe plusieurs manières d’en faire un héros.

1. S’il est ancien, il suffit de faire de Duschmoll un précurseur, en fabriquant de toutes pièces un lien entre ses travaux avec une découverte actuelle. Démocrite en est l’exemple, avec ses atomes, qui n’ont finalement pas grand-chose à voir avec les atomes actuels (un autre exemple est celui des dessinateurs de l’art islamique, ci-contreCorteX-Art-islamique-epistemo-S&V-mai2007p22). Cela permet ensuite d’expliquer en quoi celui, Y, qui aujourd’hui corrobore la thèse de Démocrite est lui aussi brillant, par apposition des deux noms. Et si jamais des erreurs furent commises par Duschmoll, elles sont excusées par l’époque, dans la grande magnanimité que nous avons envers les Anciens. 

2. S’il est contemporain (qu’il soit reconnu ou rejeté) faire de X un visionnaire.

Exemple : Pour la Science N°326, déc 2004, spécial Einstein.

« Il n’empêche, une fois par siècle environ, un scientifique visionnaire bouleverse notre savoir, un Galilée, un Newton, un Darwin. Einstein appartient à ce Panthéon des panthéons »

Sachant que Le Panthéon (παν, pãn, signifie « tout » et θεός, theos, « dieu ») est un temple que les Grecs et les Romains consacraient à certains de leurs dieux, on n’imagine pas ce qu’est le panthéon des panthéons2 . Nous sommes en pleine métaphore épique, mais aussi dans le culte du génie, équivalent d’un dieu, ce qui déhistoricise complètement le processus d’élaboration des connaissances.

C’est Schnabel qui le rappelle : «les scientifiques sont également décrits comme des figures héroïques, qui rapportent sur Terre la «formule de Dieu»3.

3. S’il est contemporain et reconnu, faire une projection sur « comment on le percevra plus tard ».

4. S’il est contemporain et rejeté, en faire un Galilée ou un génie incompris4

5. Autre technique : incarner le pur cerveau, à l’instar d’Hawking qui « incarne aux yeux du public, le pur sujet cérébral, coupé du monde extérieur, résolvant les énigmes de l’Univers »5.

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Une vision très romantique se greffe alors au handicap, qui est perçu comme la cause de son « génie » :

« À cause de sa condition physique, le savant, nous dit-on, n’est plus distrait par les occupations quotidiennes et mondaines que partage la commune humanité, c’est la raison pour laquelle il peut s’adonner pleinement à la pensée. Il devient un être purement cérébral communiquant avec le « grand tout » »6.

À se demander, comme le fit Michel Rio dans un de ses romans, si ce ne serait pas grâce et non malgré, son corps qu’Hawking est devenu célèbre ? S’ensuivent toutes les bêtises possibles et imaginables :

  • Le charabia : « La quête de Hawking d’un univers intelligible est aussi la quête de la raison contre les illusions, de diversité et de devenir, contre tout ce qui enracine le corps dans un monde opaque à l’intelligibilité mathématique », clame Stengers7.

  • L’intrusion spiritualiste8 : « Hawking est mieux placé que personne pour juger de la précarité de la condition humaine face à l’immensité cosmique. La force intellectuelle qui l’anime illustre puissamment qu’il y a dans la connaissance le signe d’une transcendance », écrit Luminet9.

  • Pire, l’intrusion spiritualiste et l’analogie fumeuse : « Le triomphe de Hawking sur son propre corps rétif est le modèle du triomphe de la physique qu’il annonce, celle d’une théorie unifiée complète qui nous dirait ce qu’est l’univers et nous mènerait enfin à connaître la pensée de Dieu », écrit encore Stengers10.

Son historiographie s’en ressent : impossible de parler de lui sans relater qu’il est né exactement 300 ans après la mort de Galilée, qu’il est titulaire de « la chaire de Newton », ce qui n’est pas tout à fait précis11.

On est dans ce que j’appelle parfois le syndrome Professeur Simon, du nom de ce personnage du dessin animé Capitaine Flam, dôté d’un cerveau encapsulé dans un mobile volant.

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Professeur Simon Wright, l’un des rares « purs cerveaux » ; série Capitaine Flam, écrite par Edmond Hamilton (1979)

Hawking n’y est lui-même pas pour rien, jouant énormément à faire des liens entre son handicap et ses découvertes. Mialet remarque que dans l’introduction de son best-seller « Une brève histoire du temps » il souligne que bien qu’ayant eu la malchance d’avoir cette maladie, il a eu de la chance partout ailleurs, et notamment dans son choix de la physique théorique « parce que tout est dans la tête ».

À la question d’un journaliste : « est-ce que cette maladie a joué dans le choix de votre travail ? » il répond « pas vraiment, j’avais décidé de travailler dans ce champ avant que je ne le sache ».

Tandis que deux ans plus tard, à une question similaire : « pourquoi avez-vous choisi la physique théorique comme champ de recherche ? » il rétorque : « À cause de ma maladie. J’ai choisi mon champ parce que je savais que j’avais une sclérose amyotrophique latérale ».

Autre manufacture du mythe : alors qu’auparavant, personne même parmi ses biographes (comme Boslough12) ne racontait cela, il raconte en 1987 lors d’une conférence :

« Peu de temps après la naissance de ma fille Lucy, le soir j’ai commencé à penser au trou noir avant d’aller me coucher. Mon handicap en faisait un processus assez lent de sorte que j’avais tout mon temps. Soudain j’ai réalisé que la région de l’horizon d’évenements s’accroît toujours avec le temps. J’étais tellement excité par ma découverte que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. »

Et hop : cela deviendra la version officielle des faits, dès la sortie du livre Une brève histoire du temps. On voit l’hagiographie en marche, par exemple chez Mc Evoy et Zarate, qui ré-écrivent les paroles d’Hawking en 1995 :

« Un soir, peu de temps après la naissance de ma fille Lucy, j’ai commencé à penser au trou noir avant d’aller me coucher. Mon handicap en faisait un processus assez lent de sorte que j’avais tout mon temps ». Et le journaliste d’ajouter : « il vit en un éclair que la surface de la région d’un trou noir ne peut jamais décroître. Il n’eut besoin ni de papier ni de stylo, ni d’un ordinateur — les images étaient dans sa tête »13.

Dernière manufacture de la légende, pour l’anecdote : la saoulerie d’Hawking.

« D’après les interviews des journaux et le récent documentaire par Hugh Downs sur ABC-TV, quand vous avez appris le diagnostic, vous avez simplement renoncé et bu pendant des mois pour oublier » Hawking réplique : « C’est une bonne histoire, mais ce n’est pas vrai […] J’ai écouté du Wagner, mais les commentaires disant que je me suis saoulé sont une exagération. Le problème c’est qu’un article l’a dit et les autres le copient parce que cela fait une bonne histoire. Tout ce qui est imprimé de nombreuses fois ne doit pas être obligatoirement vrai » (Mialet, p. 83).

Cela n’empêchera pas Hawking lui-même de se réapproprier par la suite sa propre hagiographie, et tout comme d’autres noms illustres14 à alimenter sa propre légende.

Certes, Hawking n’est pas dupe : à la question d’un étudiant « qu’est ce que cela vous fait d’être considéré comme par la personne la plus intelligente du monde ? » Hawking épelle avec son ordinateur : « Battage médiatique » puis répond :

« C’est très embarrassant. C’est de la foutaise, juste du battage publicitaire. Ils veulent un héros, et je joue le rôle du modèle du génie handicapé. Au mieux, je suis un infirme mais je ne suis pas un génie ».

Mialet analyse : cette « déclaration prononcée devant un public de handicapés qui se trouvent élevés au rang de « génies potentiels », tandis que, dans un même mouvement, le savant est grandi (…) si Hawking ne contrôle plus son corps, nous voyons comment il contrôle son image […] »,

La construction médiatique de ces « génies héroïques » se fait lentement. Guettons la presse, car à l’image des étoiles qui naissent, il n’est pas impossible d’assister à une fabrication en direct. Pour l’instant, mon favori est le mathématicien russe Perelman.

RM

 


1Voir Outillage, technique du carpaccio (à venir)

2 D’où la chanson « Mon panthéon est décousu, si ça continue on verra l’trou… d’mon panthéon ». Juste pour voir si certains lisent les notes de bas de page 🙂

3 Scientists are either described as heroic figures, that bring « God’s formula » down to earth. In Ulrich Schnabel, God’s Formula and Devil’s Contribution : Science in the Press, Public Understanding of Science, 2003 ; 12: pp. 255-259.

4Voir Outillage, Syndrome Galilée (à venir).

5 Mialet H., Le « phénomène Hawking”, le mythe de pur esprit, HS S&av juil 1997 p. 80

6 Mialet, ibid.

7 Stengers, ibid. p. 82

8Voir Outillage, intrusion spiritualiste (à venir).

9 Ibid, p. 81

10 Ibid p. 82

11 Il s’agit de la chaire de professeur lucasien, qui tient son nom du Révérend Henry Lucas, membre du Parlement de l’Université qui octroya un don en 1663 afin de financer un poste de mathématiques appliquées. Hawking est le 17ème sur cette chaire, Newton fut le deuxième.

12 Boslough J., Beyond the black hole, S. Hawking’s universe, Collins, 1985.

13 McEvoy J-P., Zarate O., Stephen Hawking for beginners, Icon Books, 1995, Cambridge.

14Sur ce thème, on lira avec profit M. Onfray, Le crépuscule d’une idole (2010) et C. Hitchens, Le mythe de Mère Teresa, ou comment devenir une sainte de son vivant par un bon plan médiatique (1996).

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Sciences politiques – Exercice – Fabrique de l’information, affaire Le Point Bintou

Voici un exercice idéal pour comprendre certains procédés de manufacture de l’information.

Le 30 septembre 2010 paraît dans Le Point un article sur une femme polygame intitulé « Un mari, trois femmes ».

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Voici deux manières possibles d’animer un atelier sur ce thème.

  • Distribuer les scans de la couverture et de l’article aux étudiants, puis passer le document d’Arrêt sur Images où on voit l’origine de l’information (un faux témoignage orchestré et filmé par un jeune homme du nom d’Abdel) ; chercher dans l’article les données rajoutées par le journaliste Jean-Michel Décugis.
  • Démarche inverse : passer le document vidéo, puis distribuer l’article et y pointer les rajouts.

Voici la vidéo en question :

Télécharger ici

Il est tout à fait possible ensuite de rentrer dans les règles de fabrique ce genre d’information : un rédacteur en chef qui fait des « commandes » précises (trouver le témoignage qui « fit« , qui va bien), un journaliste pressé par le temps et empressé de garder son travail qui va répondre à la « commande », en passant par des « fixeurs » qui ont pour tâche, moyennant finance, de trouver le bon personnage – ici, la fameuse Bintou. C’est l’occasion de montrer que si le journaliste a des responsabilités gravissimes, elles ne sont pas les seules, et que le journal, mais aussi la clientèle avide d’information rapide en flux tendu, joue un rôle dans ce genre de manufacture de toute pièce.alt

Il faut également faire saisir l’intentionnalité de cet article : depuis la couverture (jouant sur une liste d’effets impact et l’association subreptice entre elles – Immigration, Roms, Allocation, Mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire« ) le scénario préétabli est assez simple à retrouver : corroborer l’idée que les béances des finances de l’Etat sont dues à des fraudes orchestrées par des étrangers qui profitent du système et mangent le pain des Français. C’est la vieille antienne des conservatismes de droite, que l’on voit ici fabriquée de toute pièce.

On pourra également pointer les occurrences de racisme ordinaire autour de Bintou (femme noire, peu lettrée, vaguement malienne, avec une brouette d’enfants) et l’imagerie utilisée (photographie d’une vilaine HLM, une femme noire avec poussette, accompagnée de deux enfants). Mais en poussant plus loin, on pourra même noter que personne ne relèvera vraiment qu’un accent africain a autant de sens qu’un accent « européen » et n’existe que dans notre stéréotype français du « parler petit nègre ».

Ce travail a été introduit dans l’atelier Critique des Médias de la Maison d’Arrêt de Varces le mardi 5 octobre, puis dans le cours Zététique & Autodéfense intellectuelle le 6 octobre 2010 à l’université de Grenoble.


Ressources :

  • Scans de l’article (p58, p59) et couverture.

Couverture-Le-Point-30sept2010
Faux-Point-30sept2010p58
Faux-du-Point-30sept2010p59

  • Là-bas si j’y suis, France Inter – émission du 4 octobre 2010 consacrée à cette affaire.
  • Arrêt sur Images, l’article. Télécharger la vidéo (mp4).

On lira avec profit :

  • F. Aubenas & M. Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, La Découverte (1999)
  • F. Ruffin, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes (2003).

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Pour démarrer

 

altLes ravages des faux souvenirs, ou la mémoire manipulée (2010) et sa version en anglais The Ravages of false memory – or manipulated memory (2011).

Sous une forme très pédagogique et par un jeu de questions- réponses, Brigitte nous emmène dans le monde sordide du « syndrome » des faux souvenirs, de la manipulation mentale, et de l’emploi mortifère qu’en font certains thérapeutes. Comment, par des méthodes de suggestion, un thérapeute peut-il amener une personne à revivre de faux souvenirs d’abus sexuels ? Quels sont les moyens de discriminer vrais et faux souvenirs ? Dans quelle mesure, sous influence thérapeutique, notre mémoire peut être amenée à nous jouer des tours ?

Autant de questions auxquelles l’auteur répond, en se basant sur les travaux les plus pointus sur la question (en particulier ceux d’Elizabeth Loftus) et surtout en détricotant le fil théorique qui sous-tend cette gamme de manipulation. Et l’on apprend que les points de départ sont la théorie des souvenirs refoulés, puis celle dite « de la séduction » de Sigmund Freud. Deux théories sans preuve, largement infirmées depuis mais dont les effets délétères se font encore sentir un siècle après.

Brigitte Axelrad Les ravages  des faux souvenirs, ou la mémoire manipulée,
Éditions Book-e-book 84 pages – 9,90 euros
Et sa version anglaise The Ravages of false memory – or manipulated memory
Editions BFMS  94 pages – 10,78 euros
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Le CorteX dans Visions croisées – Peut-on cauchemarder du droit au rêve ?

Peut-on cauchemarder du droit au rêve ? Comment, par une petite expérience simple, faire dérailler des amis raisonnables sur la question du droit au rêve

Court article critique publié par R. Monvoisin dans Visions Croisées (N°8, été 2010), magazine de l’Université de Grenoble.

Téléchargeable ici (pp. 8 et 9).

Cet article aborde simplement l’argument du « droit au rêve »,  et de manière souple l’impasse du relativisme cognitif et introduit la question de l’argument du Harm principle, le principe de non-nuisance.

Pour aller plus loin :

  • Sur le droit au rêve et la maxime de H. Broch : « Le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance », on lira H. Broch, Le paranormal. Ses documents, ses hommes, ses méthodes, éd. Seuil, 1989.
  • Sur le relativisme cognitif & le postmodernisme , le chapitre 3 de A. Sokal & J. Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997 est exemplaire. Cet article de J. Bricmont dans La Recherche « le relativisme alimente le courant irrationnel » est également éclairant.
  • Sur le harm principle et son énonciation originale, on pourra farfouiller dans John Stuart Mill, De la liberté (1859), Gallimard, coll. Folio Essais, 1990.

RM