English – when Edward Andò put his hands on scepticism and intellectual self-defence

CorteX_Edward-Ando
Hands-on « Edwood »

Edward Andò, is a CNRS Research Engineer working in Laboratoire 3SR (Soils, Solids, Structures and Risks) in Grenoble. Since a few years, he is involved with CorteX1. Recently, Edward decided to jump the line in presenting a lecture called Knowledge and the scientific method: basic intellectual self-defence and hands-on scepticism.

Here are record and slides he used at 19ème journées des doctorants, école doctorale EEATS (Électronique, Électrotechnique, Automatique & Traitement du signal), the 14th of june 2017. Thanks to Guy Vitrant and Cédric Masante.

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Mayotte : reconfigurations coloniales

Dans le cadre de son mémoire de Master 2 de sciences politiques avec Richard Monvoisin, Jérémy Fernandès Mollien (qui avait déjà fourni du matériel critique sur les mouvements néopaïens) a travaillé sur les droits sociaux à Mayotte. De ce travail sont issus deux papiers : le premier est présenté sous forme de canular, avec une stratégie de rupture, et a été publié dans Le monde libertaire (avril 2017, n°1747) et reproduit ici : Situation dramatique en Lozère (petite leçon de bi-standard social et moral). Le second, très académique, s’appelle Mayotte : reconfigurations coloniales et a été publié le 27 mars 2017 par la revue Mouvements dans sa version en ligne. Nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.

Le 1er janvier 2018, le code du travail sera déclaré applicable sur l’île de Mayotte, après des années de grèves régulières. Vue de l’hexagone, une telle décision semble ahurissante : comment justifier que, même dans un Département d’Outre-Mer (DOM), le code du travail ne soit pas encore en vigueur ? Cette disposition n’est pourtant qu’une des nombreuses normes juridiques qui ne soient pas encore appliquées sur cette île de l’archipel des Comores. Si l’État justifie cette différence dans le droit par la nécessité d’une adaptation aux spécificités de l’île, il est difficile de ne pas y voir les restes de la férule coloniale.

Protectorat Français en 1841, « avant Nice et la Savoie » comme aime le souligner le sénateur Thani Mohamed Soilihi, les habitants de Mayotte choisissent en 1973, au contraire des autres îles des Comores également colonisées, de rester dans la République Française, sous forme départementale. Par la suite, une valse de statuts « particuliers » pour ne pas dire bizarres se succède, sans jamais offrir le statut de département attendu par les Mahorais. En 2009 enfin, plus de 35 ans plus tard, une ultime consultation enclenche le processus de départementalisation de l’île censé, à terme, harmoniser droit commun et droit local mahorais. Pourtant, cinq ans après le début de la départementalisation, les inégalités restent béantes entre Mayotte et la Métropole.

CorteX_kwassa-kwassaTout d’abord, d’ordre économique : à Mayotte, la dépense publique par habitant est de 4700 euros, contre 17300 euros en Métropole1. Les dépenses publiques de santé par exemple par habitant étaient certes, il y a 25 ans, 25 fois plus faibles qu’en Métropole, mais elles demeurent tout de même en 2016 5 fois plus faibles. Le taux de chômage était en 2012 de 36,6% parmi les 15-64 ans, et le taux d’activité de 45,9%. Chez les 15 à 29 ans, le taux de chômage atteignait même 55%. S’il n’est pas aisé d’obtenir des chiffres plus récents, il faut garder à l’esprit qu’en 2005, 92% de la population mahoraise vivait sous le seuil de pauvreté métropolitain2. Deux résidences principales sur trois sont dépourvues du confort de base3. Enfin, en 2005, le revenu moyen d’un foyer mahorais était de 290 euros mensuels. Les revenus de transfert, comme le Revenu de Solidarité Active (RSA), pourraient contribuer à palier une telle différence de conditions de vie entre Mayotte et l’hexagone, mais un important phénomène de non-recours compromet la distribution de cette aide : seuls 4300 allocataires insulaires ont sollicité cette aide en 2014, alors que la CAF tablait sur entre 13000 et 18000 demande lors de l’introduction du RSA sur l’île4.

Les raisons de ce phénomène de non-recours dans un département où la précarité est aussi forte sont multiples : premièrement, les montants du RSA sont minorés à 50% du montant métropolitain5. Ensuite, pour des potentiels allocataires maîtrisant mal le français et n’étant pas forcément au fait des codes administratifs métropolitains, entreprendre de telles démarches administratives est particulièrement difficile. Outre la faible maîtrise de la langue française, la vision du travail social et des questionnaires de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), perçus comme intrusifs,abordent des domaines de la vie sociale, comme le statut marital, que les Mahorais considèrent comme relevant du domaine de la vie privée et ne concernant pas l’administration. Enfin, le travail d’état civil n’a été mené que très récemment, et se procurer les documents nécessaires aux demandes d’aide n’est pas aisé. Non seulement il faut parfois compter jusqu’à 11 mois pour obtenir un rendez-vous à la Préfecture, mais dans un département où l’immigration dite « illégale » est constante, les citoyens mahorais ne sont pas présumés français. Un travailleur social raconte devoir fréquemment aller aux rendez-vous administratifs de ses usagers à leur place, car, étant métropolitain, il pouvait ne mettre que quelques minutes à obtenir des documents qu’eux auraient mis des heures à obtenir. Davantage que les discriminations de guichet, c’est sans doute également la faiblesse des moyens alloués à la départementalisation face à une tâche considérable qui empêche Mayotte d’atteindre le niveau de vie métropolitain, et entraîne une dépendance avec la Métropole.

Les amères déconvenues de la départementalisation

Si certains indicateurs comme la couverture vaccinale ou le taux de scolarisation6 ont connu une nette amélioration, notamment depuis les années 2000 et le processus de départementalisation, ce dernier et plus généralement la tentative d’intégration politique et sociale de Mayotte à l’ensemble politique français, ne se fait pas sans désillusions pour la population mahoraise. Bien que le changement de statut ait été souhaité depuis les années 1970, celui-ci s’est noué depuis 2009 sans grande pédagogie et sans prise en compte des spécificités locales, au détriment tant des citoyens mahorais que des fonctionnaires majoritairement métropolitains chargés de la mettre en œuvre.

Un exemple : l’établissement des zones des « cinquante pas géométriques » près des littoraux a conduit à ce que 90% des villages et 40% de la population mahoraise soient considérés comme résidant sur une zone non-constructible7. En effet, les littoraux des DOM font partie du domaine public naturel, et ne peuvent en conséquence être habités. Ainsi, certains hameaux se sont vus détruits par l’État, et ses habitants délogés, tandis qu’en parallèle, certains Mahorais suffisamment aisés et des Métropolitains ont pu, après un arrangement pécuniaire avec la Préfecture, conserver leur terrain. Beaucoup de Mahorais n’ont pas de tels moyens : si l’État a offert la possibilité de racheter ces terres à bas prix, la somme demandée malgré le rabais excède souvent plusieurs fois le revenu annuel des foyers concernés8. Enfin, certaines familles occupant des terrains au titre de la coutume9 se sont vues demander des impôts fonciers qu’elles ne pourraient jamais se permettre de payer, équivalents, encore une fois, à plusieurs années de revenu.

Les changements dans l’institution judiciaire ont également amené des difficultés d’application. Depuis l’annexion de l’île par la France jusqu’à nos jours, les cadis, juges musulmans, ont joué un rôle d’intermédiaire entre la Métropole et la société mahoraise. Jusque dans les années 2000, ceux-ci disposaient d’une large compétence en matière de droit civil, et encadraient naissances, mariages enterrements et divorces. Les Mahorais pouvaient choisir de sortir de leur juridiction et de s’adresser aux tribunaux de droit commun, en laissant leur statut juridique de droit local au profit du statut de droit commun. La coexistence de ces deux statuts était d’une grande complexité, et beaucoup de Mahorais ne savaient même pas de quel statut ils relevaient. Avec l’imminence de la départementalisation, l’État a, depuis 2003, régulièrement transféré les compétences des cadis aux juges métropolitains. Ces derniers n’apprirent néanmoins généralement ces modifications qu’au dernier moment, et le turn-over des fonctionnaires et la spécificité de la situation mahoraise ont conduit à ce que ces transferts de compétence ne soient pas expliqués aux citoyens de l’île10. Le couplage de cette évolution rapide et d’un manque manifeste de pédagogie instaure de fait un système juridique parallèle, les Mahorais par tradition ou manque d’information continuant à consulter les cadis sur des questions relevant désormais du droit commun. Certes, le Conseil Général mahorais a confié à ceux-ci un rôle de « médiateur social » mais leur rôle réel dépasse de loin leurs attributions légales.

Ainsi, les migrants comoriens, illégaux ou non, s’adressent-ils spontanément aux cadis, dont ils ont des homologues dans leur pays, pour faire valoir leurs droits. Situation tragique où les migrants les plus précaires, ne maîtrisant ni le français ni les arcanes administratifs, passent à côté de leurs droits et ont recours à des arbitrages d’une justice musulmane locale elle aussi désormais illégale.

 

Les pratiques illégales de l’administration française vis à vis de l’immigration comorienne

L’immigration comorienne est l’épicentre de toutes les tensions sociales : la population mahoraise lui attribue volontiers tous les maux de l’île, que ce soit le chômage, la lenteur de l’intégration politique à la France, c’est-à-dire l’harmonisation des institutions politiques mahoraises avec les institutions politiques métropolitaines, l’insécurité, ou encore la propagation de maladies sexuellement transmissibles. Cependant, les populations des autres îles des Comores sont avant tout les victimes de guerres et de conditions de vie misérables largement causées par les mercenaires européens qui déstabilisèrent l’archipel de 1975 à 199611. Vivant dans des conditions de vie extrêmement précaires, les venus des îles d’Anjouan et de Mohéli forment, d’après le représentant du grand cadi de Mayotte, une population invisible de près de 100000 habitants12.

Traqués par la police aux frontières de Mayotte13, Anjouannais et Mohélie voient régulièrement leurs droits bafoués par l’administration française. Alors que la plupart des arrêtés de reconduite à la frontière mettent plusieurs mois à être exécutés en Métropole, et que 24% aboutissent, 94% des arrêtés pris à Mayotte sont exécutés en quelques heures, sans que les éventuels demandeurs d’asile n’aient pu faire valoir leurs droits14. Il faut dire qu’il existe un enjeu politique à cette rapidité: sur les 31377 reconduites à la frontière effectuées en 2012 par la France, 15908 ont eu lieu à Mayotte, soit la moitié. La Police Aux Frontières (PAF), qui doit respecter des quotas d’expulsion, peut arbitrairement depuis 2012, détruire des papiers d’identités qu’un de ses agents jugeraient faux, éliminant une pièce de dossier pourtant nécessaire pour que le nouvel arrivant puisse entamer des démarches pour régulariser sa présence.

Mais les pratiques les plus scandaleuses concernent la prise en charge sociale des mineurs étrangers. En effet, sur les 5682 enfants emprisonnés en France en 2014, 5582 (98%) l’ont été au Centre de rétention administrative de Mayotte, dans des conditions exécrables15. Lorsqu’un enfant arrive sur le sol mahorais accompagné de ses parents il peut légalement être expulsé. Mais beaucoup de mineurs arrivant à Mayotte ont fait seuls la traversée. Lorsqu’elle intercepte en pleine mer des embarcations de migrants, la PAF procède alors à l’invraisemblable : des rattachements fictifs, sélectionnant un adulte présent pendant l’interpellation et lui assignant la charge de l’enfant. Personne ne sait ce qu’il advient de ces enfants une fois renvoyés aux Comores.

Au regard des conventions des droits de l’enfance, un mineur ne peut être en situation irrégulière sur le sol français et a droit à un accès aux soins et à une scolarisation16. Si l’accès à ces droits fondamentaux est parfois aléatoire en Métropole, il est presque inexistant à Mayotte, où les jeunes en situation irrégulière n’ont souvent d’autre alternative que de vivre des poubelles, de larcins ou d’agressions. Un fonctionnaire de la Protection judiciaire de la jeunesse en compte près de 8000 rien que dans la capitale et au moins un tiers d’entre eux auraient subi un viol pendant leur enfance. Pourtant, d’après une étude de l’INSEE, 4 % des mineurs isolés étrangers de Mayotte ont un parent français, et 64% sont nés sur le sol français17.

 

Le maintien d’une société coloniale

Loin d’être une société moyennisée, où la majorité de la population appartiendrait à une vaste classe moyenne, la structure sociale de Mayotte a assurément une forme pyramidale : alors qu’un groupe social de fonctionnaires métropolitains extrêmement bien payés et évoluant dans des entre-soi sociaux et urbains forme l’élite économique de l’île, une petite et émergente classe moyenne mahoraise n’occulte pas la réalité d’une vaste population vivant dans des conditions précaires. Parallèlement, les venus d’Anjouan, résidents de fait, parfois illégalement depuis des décennies, subissent la violente rhétorique anti-comorienne, héritée de l’opposition entre Mayotte et l’État fédéral des Comores depuis l’indépendance de l’archipel. L’été 2016, des comités villageois se sont donnés pour mission de « nettoyer l’île » et d’expulser manu militari quiconque serait perçu comme comorien. Du jour au lendemain, des élèves ont disparu des lycées, des familles entières étaient expulsées, certaines mêmes présentes légalement, sans que la Préfecture ne tente de les en empêcher, ni même ne mette en place un dispositif d’accueil pour les expulsés18. Face à la violence et à la justice sommaire, l’état régalien faillit.

L’erreur d’attribution causale est manifeste : s’il est fréquent d’entendre les Mahorais mettre la lenteur de la départementalisation sur le compte de la présence comorienne, cette lenteur incombe davantage aux gouvernements français s’étant succédés depuis 1976, date à laquelle la population mahoraise avait clairement fait savoir son souhait d’une départementalisation. Au nom du respect des spécificités mahoraises19, Mayotte a dû attendre 35 ans ce statut. Maintenant qu’il est effectif, le gouvernement français actuel n’a paradoxalement pas fait de grands efforts d’adaptabilité aux particularités de Mayotte.

Cette départementalisation « en haillons » peut-être comprise comme l’un des plus récents avatars d’un traitement politique de type colonial. Les standards métropolitains sont présentés comme un idéal à atteindre pour une société dont la culture est très peu mise en valeur par l’institution scolaire, appliquant les programmes élaborés à Paris, et par l’administration, composée principalement de fonctionnaires venus de Métropole, bénéficiant de privilèges conséquents : aide à l’emménagement, salaire majoré, et prime d’éloignement nette d’impôt équivalente à 11,5 mois de salaire. Ces « m’zungus » 20évoluent dans des espaces protégés, cohabitant sans guère rencontrer l’immense majorité mahoraise et les omniprésents « invisibles » comoriens. Le philosophe H. Laurentie définissait ainsi le fait colonial : « une minorité qui s’est superposée à une majorité indigène de civilisation et de comportement différents »21. Difficile, considérant l’application particulière du droit et l’ethnicisation de la société mahoraise, de ne pas y voir au mieux une potentialisation de mécanismes anciens de type colonial, au pire un laboratoire in vivo de la colonisation post-Empire.

Jérémy Fernandes Mollien, Richard Monvoisin

Amérindiens, Indiens, Inuit, Innus, Natives, Autochtones, Esquimaux… Démêlons l'écheveau

Yakari, indien sioux lakota inventé par Job; Derib et Dominique. Peu de gens savent que les Lakotas ont lancé une sécession avec les États-Unis : la République de Lakota.
Yakari, indien sioux lakota inventé par Job; Derib et Dominique. Peu de gens savent que les Lakotas, emmenés par Russell Means, ont lancé fin 2007 une sécession avec les États-Unis : la République de Lakota.

Dans un épisode du podcast Anthrostory que j’affectionne particulièrement, Jonathan, l’auteur principal, disait prendre le terme de « Natives Americans » plutôt qu’« Amérindiens », dû aux imprécisions graves que cela incluait. Quelqu’un lui ayant posé la question sur le détail de ces imprécisions, il a joué le jeu, dans son émission du 13 juillet 2016, en soulevant le couvercle de l’un des plus magnifiques effets paillasson qui soient. C’était drôle d’écouter presque au même moment des chroniques du regretté explorateur Paul-Émile Victor (dans Les nuits de France Culture du 2 novembre 2016) qui, bien de son époque, parlait immanquablement d’Esquimaux. « Racisme ordinaire », quand tu nous tiens…

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CorteX_Jonathan_anthrostoryRetranscription, par Jonathan lui-même (article d’origine) :

(…) J’ai trouvé une source très complète, que je vous invite à consulter, elle a un titre qui vend du rêve: « Le guide terminologique de l’Organisation nationale de la santé autochtone du Canada ». (…) laissez-moi vous résumer tout ça. Petite citation du début, tiré de ce document : « Les lecteurs devraient garder à l’esprit qu’il n’existe pas de terme simple pour décrire les populations autochtones ». Je vous le dis, on est très bien parti.

Quel terme choisir ?

On va prendre quelques termes, voir pourquoi il est plutôt bien ou plutôt mal de les utiliser, et sur la fin on va faire une petite image d’ensemble pour clarifier tout ça.

Aborigène, pour commencer. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai toujours attaché ce terme aux premiers peuples d’Australie, en tout cas, c’est la première image qui me vient dans la tête. Pourtant, on est loin du compte, c’est un terme générique qu’on peut utiliser pour tous les habitants premiers ou les peuples premiers, quelle que soit leur origine géographique. [NdRM : imaginez qu’on parle des aborigènes de la Savoie, ou de la Bretagne !) Donc, ça marche pour les premiers habitants du Canada, mais il est de moins en moins accepté… à passer aux oubliettes.

Amérindien, ou Indien d’Amérique, là par contre, en Europe, je pense que c’est le terme qu’on utilise le plus, il l’est aussi aux États-Unis. Certaines personnes (le document ne précise pas quel est leur nombre, mais assez pour que cette précision soit notée dans un rapport officiel) n’aiment pas ce terme, parce que sous l’appellation « indien », on regroupe aussi des peuples qui ne se considèrent pas comme étant indiens, comme les Inuits, les Yupiks et les Aléoutes de l’Alaska. Ce terme n’est pas très populaire au Canada, et c’est sans doute pour ça que j’ai dit qu’il était gravement imprécis et à ne pas utiliser, il faut m’excuser, j’écoute pas mal de podcasts québécois. En tout cas, en l’utilisant, on pense qu’on parle de TOUS les Indiens du Canada (et probablement des États-Unis), alors qu’en réalité on exclut des communautés entières, ce qui est bien sûr à éviter.

J’avais préféré le terme de Native American, traduit par indigène d’Amérique ou américain autochtone, parce que nos amis québécois aiment tout traduire. Est-ce que j’avais raison ? Oui et non. Oui, parce que l’article que je citai était américain [NdRM : étasunien, Jonathan ! Je change dans la suite de la retranscription], pas canadien, et que ce terme est fortement utilisé aux US. Et non parce que ce terme n’est pas employé au Canada parce qu’il fait référence à la nationalité étasunienne, donc ça pouvait sonner bizarre pour nos auditeurs québécois. Et encore oui, parce que certains autochtones du Canada disent qu’ils sont les premiers des habitants des Amériques, et que le terme Native American s’applique aussi à eux, ça n’a rien à faire avec la citoyenneté, mais avec la géographie. Ajoutons à ça qu’une réserve, celle d’Akwesasne est située entre le Canada et les USA, entre l’Ontario, le Québec et l’État de New York pour être plus précis, dur à savoir si ceux qui y sont sont étasuniens ou canadiens. Pour faire simple, on n’utilise pas Native American au Canada, mais on peut l’utiliser aux USA.

Indien. Là, c’est un poil compliqué. Il y a trois groupes de peuples autochtones au Canada, les Indiens, les Inuits et les Métis, qui prennent chacun une majuscule pour la peine. Il y a trois catégories d’Indiens, les Indiens inscrits, les Indiens non inscrits et les Indiens visés par un traité. Je ne vais pas rentrer plus dans les détails, mais ce qu’il faut se rappeler, c’est que c’est un terme jugé désuet, il y a même débat pour savoir s’il faut continuer à l’utiliser ou non. Il faut utiliser le terme membre des Premières Nations plutôt qu’Indien, même s’il y a des exceptions, j’y reviendrai après.

Autochtone. Ce terme regroupe les trois groupes que je citais avant, les Indiens, les Inuits et les Métis. Il est juste, mais un peu problématique quand on l’utilise dans la vie courante, sachant que des autochtones, ben y en a de partout, donc il faut l’utiliser en précisant « autochtones du Canada » par exemple, dans ce cas on parle des trois groupes cités plus haut, on n’oublie personne, on précise la localisation géographique, c’est parfait. Et si on veut taper vraiment large, on va dire « autochtones des Amériques », mais là on se met à regrouper sous un même terme un grand nombre de peuples et ça manque terriblement de précision dans une discussion. Pas très pratique.

Indigène. Là, je trouve ça un peu étrange, mais c’est une expression qui gagne en popularité parmi certains chercheurs autochtones et qui est employée par des groupes de travail aux Nations Unies. Mais il est rarement employé dans le langage courant. (NdRM : indigène a une connotation un peu primitiviste : on ne parle jamais d’indigène corse, ou d’indigène auvergnat.)

Métis. Comme on l’a vu, c’est un groupe d’autochtones reconnu par la loi constitutionnelle. Ce terme s’appliquait à des situations différentes en fonction de la localisation, dans les Prairies (région entre l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba), il s’appliquait aux enfants nés de femmes Cris (NdRM : Cris, ou Crees, diminutif de Knistenaux, francisation du nom d’un ancien village, Kenisteniwuik) et de commerçants de fourrures français, dans le Nord aux enfants de femmes dénées (NdRM : du peuple Déné, du territoire Denendeh et de commerçants anglais ou écossais et à Terre-Neuve et au Labrador aux enfants d’Inuites et de Britanniques. Aujourd’hui, il est utilisé pour désigner les gens qui ont à la fois des ancêtres européens et des ancêtres des Premières Nations et qui se considèrent comme Métis. Compliqué ? Ouais, surtout que les organisations de Métis au Canada ont des critères pour définir qui a le droit au titre de Métis ou non.

Esquimau. Alors là, c’est sur à 2000% au moins, ce terme est péjoratif, il s’agit du nom que les explorateurs européens ont donné aux Inuits, qui veut dire « mangeur de viande crue » (NdRM : il y a un doute sur cette étymologie algonquine. Certains auteurs comme Steve Sailer pensent à une origine micmac, en lien avec les raquettes à neige. D’autres comme Kaplanfont remonter le mot à ayas̆kimew, en Montagnais-Naskapis – la langue des Innus. Attention à ne pas confondre les Innus et les Inuit1).

Le terme à utiliser est Inuit, qui signifie « hommes » ou « peuple », terme que les Inuit utilisent pour se désigner eux-mêmes. Inuit, c’est quand on parle de plus de trois personnes, Inuuk avec deux « u » quand on parle de deux personnes, Inuk avec un seul « u » quand on parle d’une seule personne. Bon, si vous ne vous rappelez pas de ça et que vous vous foirez, au moins vous n’êtes pas loin du bon terme ;).

On va finir sur le terme Premières Nations, qui remplace les mots bande (qui est un groupe d’Indiens spécifique) et Indiens depuis les années 1970. À noter que ce terme remplace celui d’Indiens et donc… n’inclut ni les Inuit ni les Métis. Mais il est joli.

Remarques générales sur les termes et leurs utilisations

J’imagine que tous ces mots ont mis un peu le bazar dans vos têtes et que, du coup, vous ne savez plus trop quel terme utiliser. J’y viens.

Avant, il faut signaler plusieurs choses. Déjà, l’aspect légal. Des termes ont été utilisés dans des traités et dans des lois, et même s’ils ne sont plus forcément utilisés ou qu’il faudrait arrêter de le faire, ils continueront à l’être au niveau juridique.

Ensuite, on en avait parlé avec Anne-Laure quand nous avions évoqué le barrage du Belo Monte au Brésil et du chef Raoni, les termes qui sont utilisés sont, en partie, de la communication. Ça ne veut ni dire qu’il ne faut pas les utiliser, ni dire qu’il faut les utiliser, mais que ce sont des outils de communication. Je ne sais pas vous, mais quand on me parle de « premier peuple », j’ai forcément envie de les soutenir. Non pas que le soutien soit bon ou mauvais, chacun est juge, mais la communication peut aider.

Il ne faut pas oublier non plus qu’au Canada, il y a des intérêts économiques au niveau des réserves, des allocations, des droits miniers par exemple, du tourisme, etc. Là aussi, aucun jugement, mais la façon dont on choisit de s’appeler, l’origine qu’on proclame, etc…. Ça a de réels enjeux.

De plus, lié à la communication et aux intérêts économiques, il y a les intérêts politiques, là aussi sans jugement aucun, mais qui ont une réelle importance.

Je suppose qu’en écoutant Voyagecast puis Anthropodcast et maintenant AnthroStory, vous savez ces choses, mais on sait jamais, on a toujours de nouveaux auditeurs.

N’oublions pas non plus, et il faudra qu’on vous on parle plus précisément une prochaine fois, que les termes qu’on utilise évoluent. Un terme accepté il y a 50 ans peut être jugé raciste et inacceptable aujourd’hui, une expression peut soudain devenir à la mode et rendre désuets les anciens termes, un retour aux traditions et une recherche de connexions historiques peut, au contraire, réhabiliter un mot qu’on avait perdu en chemin. Bref, ce qui était utilisable hier ne l’est plus forcément aujourd’hui, mais le sera peut-être de nouveau demain.

Mais alors, on revient à notre question de départ: on utilise quoi comme terme ? Le guide dit, je cite: « Si vous n’êtes pas certain des noms et des termes, communiquez avec la personne ou l’organisation autochtone sur qui vous écrivez pour savoir quel terme elles préfèrent. Remarquez également que bon nombre d’Autochtones utilisent des translittérations anglaises de termes à partir de leur propre langue pour se désigner eux-mêmes (par exemple, la nation mohawke est également appelée les Kanien’Kaha:kas; les Pieds-Noirs, les Sisikas; les Chippewas, les Anishinabegs; et le nom que les Cris des marais utilisent pour se désigner est Mushkegowuks). ».

Je sais que c’est un peu une réponse de suisse, mais j’assume ma neutralité… toute relative. Le terme le plus précis est « autochtones du Canada », qui localise bien et regroupe les Indiens, les Inuit et les Métis. D’ailleurs, ce document par l’Organisation Nationale de la Santé Autochtone et est repris par les Affaires Autochtones et du Nord du Canada, ce qui veut probablement dire qu’autochtones est un bon terme très accepté.

Et si on changeait ça ?

En préparant cette chronique, j’ai parlé avec mon coloc, qui m’a dit, après une solide discussion sur encore plus de termes, que pour lui ben… les Indiens restaient ce qui collait mieux, la faute à Lucky Luke. La popularité lui donne raison.

Mais, des fois, je suis idéaliste. Vous êtes quelques centaines, voire milliers, à écouter cette chronique. Si chacun d’entre vous fait l’effort, dans les prochaines discussions, d’utiliser le bon terme, on peut changer ça. Parce que c’est la force de la connaissance, une fois qu’on l’a, on peut la distribuer et, à force, changer les petites choses.

Insignifiant ? Non. Le droit de s’appeler et de se définir comme on le veut est important, autant en tant qu’individu, que groupe, que communauté, etc. Et c’est à nous de respecter ces choix et de changer ce qui a été mal fait il y a très longtemps. N’oublions pas non plus qu’ici, je vous ai parlé du Canada, mais que c’est vrai… partout ailleurs. Le premier pas à faire, comme d’habitude, c’est d’aller vers l’autre, d’apprendre à le connaître, de savoir comment il veut être appelé et de respecter sa volonté.

Puis bon, sans déconner, c’est beaucoup plus cool de dire que j’ai un pote Manawan, un ami Kahnawake et un mate Tahitan que « j’ai trois potes indiens ».

En espérant avoir répondu de façon claire et précise, n’hésitez pas à réagir à nos chroniques, nous en feront d’autres, on répond à vos questions avec plaisir.

Jonathan.