Publication du CorteX dans Plos One – Les affres de la publication scientifique

Si vous suivez régulièrement les travaux du collectif, le rapport sur l’ostéopathie crânienne réalisé à la demande du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK) et les réponses portées aux réactions suivant sa parution ne vous auront pas échappés. Après un an de labeurs, nous venons tout juste de publier Reliability of Diagnosis and Clinical Efficacy of Cranial Osteopathy : A Systematic Review dans Plos One. Nous vous livrons ici le dessous des cartes, une illustration de plus des limites et des avantages du processus de publication scientifique actuel. Pour nous, accepter de se plier aux règles du jeu imposées n’a de sens qu’en les explicitant, pour que chacun puisse affiner son regard critique sur ce système.

Première étape : affrontement de considérations éthiques et économiques – Le choix de la revue

Logo Boycott Elsevier (parmi d’autres créé par Michael Leisen)Le vieux sage se tourne cette fois vers la planète de PLoS, Public Library of Science, pour un accès libre, et laisse l’arbre mort seul.
Logo Boycott Elsevier (parmi d’autres créé par Michael Leisen). Le vieux sage se tourne cette fois vers la planète de PLoS, Public Library of Science, pour un accès libre, et laisse l’arbre mort seul.

Le choix de la revue ne s’est pas fait sans mal. En 2013, nous signalions notre boycott d’Elsevier1. Nous manifestions notre refus de publier chez des éditeurs qui privatisent et rendent lucrative la connaissance alors que celle-ci est souvent le fruit de l’argent public investit dans la formation et le financement des chercheur/ses. Seulement, les alternatives sont coûteuses et demandent de faire des concessions. Nous pouvions faire le choix de ne pas publier dans une revue avec relecture par les pairs, mais nous aurions alors perdu en qualité scientifique et en visibilité internationale. Une autre alternative est de publier dans une revue en accès libre avec relecture par les pairs. Cette option présente l’inconvénient de générer un coût financier substantiel pour une petite équipe comme la nôtre. C’est pourtant le choix que nous avons fait. La rétribution octroyée par le CNOMK au CorteX pour son rapport sur l’ostéopathie crânienne, que nous destinons au financement de stages de master 2, a ainsi été amputée des 1400 euros réclamés par Plos One. C’est semble-t-il le prix à payer pour garantir un accès libre et gratuit au compte-rendu d’un travail de recherche relu par les pairs.

Deuxième étape : le problème linguistique – La nécessité de recourir à un anglais « natif »

Impérialisme culturel et linguistique

Une fois la revue choisie, une étape cruciale s’est présentée : celle de la traduction. La question ne se pose pas lorsque l’on souhaite publier dans une revue de bonne qualité scientifique dans le champ de la santé : il faut écrire en anglais, bien que nous le déplorons2. Nicolas Pinsault est le plus affûté d’entre nous avec la langue de Shakespeare et le vocabulaire scientifique, c’est donc lui qui a écrit l’essentiel de l’article. Nous avons ensuite tou-tes relu son manuscrit, puis nous l’avons soumis aux gracieuses relectures de nos ami-es Maguendra Codandamourty, Phillipe Prouvost, Catherine Wilcox et Edward Ando, qui ont respectivement vécu et travaillé dans un pays anglophone, enseigné l’anglais toute une carrière ou sont carrément anglophone de naissance. Qu’ils et elle en soient chaleureusement remercié-es. Assez confiant-es après toutes ces précautions, nous soumettons notre manuscrit à Plos One. Advient alors notre première déconvenue. Notre manuscrit ne passe même pas à l’étape de l’attribution d’un éditeur à cause de fautes de grammaire et de lisibilité globale du texte. Plos One nous suggère de nous tourner vers quelqu’un qui parle anglais de manière fluide, et si possible un natif. Aucune précision supplémentaire sur les passages concernés n’est amenée, ce qui nous a mis dans l’impossibilité de reprendre nous-même l’article. Notre ultime solution est alors de nous tourner vers une traductrice scientifique professionnelle, le Dr Alison Foote de l’Université Grenoble-Alpes, qui a accepté de modifier notre manuscrit dans des délais très courts imposés par la revue. À nouveau, notre cagnotte réservée initialement aux futurs stagiaires de Master se voit amputée de quelques centaines d’euros.

Après la correction d’éternelles coquilles et « vices de forme » dans les tableaux et figures, qui nous ont valu de perdre quelques cheveux – qui s’obstine à utiliser des logiciels sous licence libre comprendra, nous avions enfin un manuscrit linguistiquement acceptable pour Plos One.

Troisième étape : la relecture par les pairs − Intérêt réel du système de publication

cortex_relecture-par-les-pairs

À ce stade, plusieurs mois se sont déjà écoulés, alors que la qualité scientifique de notre manuscrit n’a pas encore été étudié. Qui plus est, alors que nous avons déjà passé tant d’heures à reprendre le contenu, Plos One nous informe que le processus est bloqué car la revue n’arrive pas à trouver un éditeur3. Heureusement, quelques semaines plus tard, nous recevons enfin un message nous informant que notre article a été attribué à un éditeur, le Dr. Fleckenstein. Il a confié la relecture à trois relecteurs/trices anonymes. Leurs retours nous imposent de reprendre l’article et d’y apporter des « révisions majeures ». Soit. Nous acceptons bien évidemment les critiques, certaines étant très pertinentes. Nous est demandé d’affiner l’analyse, de préciser la méthode et d’approfondir les discussions. Finalement, après avoir tenu compte des relectures, l’article est d’une qualité sans commune mesure avec le premier jet. Ceci nous conforte dans l’intérêt de se soumettre à la relecture par les pairs, car nous améliorerons ainsi la fiabilité de nos revues systématiques à venir – bien que nous ne remboursons pas notre dette de sommeil, tant s’accumulent de nouvelles heures de travail de fond, de forme et de traduction, l’exigence de l’anglais natif étant toujours là.

Quatrième étape : affrontement de considérations épistémologiques

"Les preuves sont comme les poires : de ux poires médiocres ne font pas une  bonne poire (à la rigueur une compote)" - Tirée de la thèse de Richard Monvoisin
« Les preuves sont comme les poires : de
ux poires médiocres ne font pas une
bonne poire (à la rigueur une compote) » – Tirée de la thèse de Richard Monvoisin

Nous soumettons alors la nouvelle mouture une énième fois à Plos One. La réponse qui nous parvient quelques semaines plus tard nous laisse cette fois-ci complètement abasourdi-es : le manuscrit doit à nouveau subir une révision majeure. Alors que deux relecteurs/trices jugent nos modifications très adéquates et sont heureux de recommander la publication de l’article, le/la troisième relecteur/trice est « disagree with the approach of only highlighting the better quality studies », alors qu’il n’avait rien dit à ce sujet lors de sa première relecture. Autrement dit, le reproche que nous faisait ce relecteur était de ne pas accorder assez de place dans la discussion aux études de mauvaise facture méthodologique. Si cela peut s’avérer justifié s’il s’agit d’élaborer des conseils et recommandations aux futur-es chercheurs-ses pour concevoir de meilleures études (ce que nous avons déjà fait sur conseil d’un-e autre relecteur-trice), ce que nous demande le présent relecteur n’est ni plus ni moins que de considérer les mauvaises études comme des preuves : « The authors should strive to discuss all of the included studies in their paper. Otherwise, they put the spotlight on a subset of articles and do not report the totality of the evidence. » Nous sommes à ce stade tou-tes dépitées et l’envie de tout abandonner est bien là. Notre volonté de rigueur épistémologique et nos futurs projets nous motivent cependant à continuer – avec un soupçon d’escalade d’engagement.

Nous reprenons alors une énième fois le manuscrit en prenant en compte les quelques remarques de forme restantes. En revanche, nous refusons de modifier le manuscrit en fonction de la principale critique du troisième relecteur (ici). Nous avons argumenté ce point . Le tout se fait toujours laborieusement en anglais, et repasse à chaque fois par la case traduction professionnelle.

Cette fois, enfin, nos efforts paient (notre cagnotte aussi), notre manuscrit est accepté et sera publié dans les semaines qui viennent.

Trois questions restent en suspens :

primo, où vont ces 1400 euros ? A quoi servent-ils, et à qui ?

Secundo, les structures sans financement comme la nôtre n’ont aucune chance de publier tant le processus est cher. Il y a une sorte de gentrification de la publication, qui de fait exclut les petits, les chercheurs de pays pauvres, les hors-grosses structures4.

Tertio, n’aurions-nous pas dû avec le même investissement écrire deux livres grand public bon marché, faire 25 conférences gratuites, ou encore faire des conférences de méthode critique dans des universités d’Afrique de l’Ouest ? C’est l’éternel dilemme moral de toute personne ou collectif qui souhaite avoir le meilleur impact sur son monde : sommes-nous sûrs de devoir faire ceci plutôt que cela ? Avant de nous lancer dans cette publication, nous avons fait sciemment certains paris stratégiques. Espérons que ceux-ci porteront leurs fruits car leur coût est, comme prévu, élevé.

Albin Guillaud, Nelly Darbois, Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin.

Ressources critiques pour aborder les politiques linguistiques

Depuis quelques mois, on peut lire un peu d’espéranto sur le site du Cortecs, et c’est en partie grâce à André Hoarau. André est espérantiste et actif au sein de l’Association mondiale anationale (SAT) qui « a pour but, par l’utilisation constante de l’espéranto et son application à l’échelle mondiale, de contribuer à la formation d’individus dotés d’esprit critique (…) »1. André a bien voulu, avec tact et patience, répondre aux questions curieuses et critiques de quelques membres du Cortecs à l’égard de l’espéranto l’été dernier, et nous avons jugé utile de les retranscrire.

Table des matières

Ouvrages et document

  • Claude Hagège, Contre la pensée unique, Odile Jacob, 2012.

CorteX_Contre la pensee unique

Claude Hagège est linguiste de formation, professeur à l’Université de Poitiers, et a détenu la chaire de théorie linguistique au Collège de France de 1988 à 2006. La thèse développée dans cet ouvrage est que les langues ne sont pas seulement des moyens de communication, mais aussi des vecteurs de diversité, et que le recours avéré à un nombre de moins en moins important de langues, à différentes échelles, concourt à l’uniformisation des idées politiques, des goûts, des conceptions de l’existence, etc. Le chapitre 4 constate l’emprise croissante de la langue anglaise dans le milieu scientifique (publication, formation) et l’impact délétère que cela peut avoir, en conduisant notamment à une sélection des chercheur.e.s s’appuyant plus sur leurs compétences linguistiques que sur leurs compétences scientifiques.  Quelques passages cependant sont à regarder d’un œil plus circonspect par leur tendance à essentialiser et vanter la « culture française » et les « traits de caractères du Français ».

  •  Louis-Jean Calvet, Linguistique et impérialisme, petit traité de glottophagie, Payot, 1974.

CorteX_Linguistique et colonialisme

Louis-Jean Calvet a été professeur en linguistique dans différentes universités françaises. Dans cet ouvrage, il décrit dans quelle mesure les discours et les décisions politiques et législatives sur les langues ont participé à la légitimation de l’entreprise coloniale et/ou impérialiste de certains États, ce à différentes époques : au XVIème siècle, sous la révolution française, sous la troisième république etc. Il développe particulièrement « l’impérialisme culturel » de l’État français, dont il subsiste encore des traces aujourd’hui au travers notamment de structures impliquées dans la défense et la promotion de la francophonie, et montre en quoi les langues sont tout autant des moyens de communication que d’oppression.

  • Claude Piron, Le défi des langues, L’Harmattan, 1994.

CorteX_Le defi des langues

Claude Piron a été entre autres interprète et traducteur dans différentes institutions internationales. Dans ce livre, Claude Piron fait d’abord le constat des modalités et conséquences en terme d’efficience et d’égalité de la communication internationale à la fin du XXème siècle, en s’appuyant notamment sur des données économiques et sociologiques. Il présente ensuite des pistes d’amélioration comme l’adoption à grande échelle par des mesures politiques adéquates d’une langue internationale telle que l’espéranto, dont il dresse les avantages.    

  •  François Grin, L’enseignement des langues comme politique publique, Haut conseil à l’évaluation de l’école, 2005. (Télécharger en PDF).

CorteX_François Grin

François Grin est actuellement directeur de l’Observatoire Économie, langues, formation et professeur d’économie à l’Université de Genève. En 2005, il tente de répondre de manière argumentée dans ce rapport aux questions suivantes : «  quelles langues étrangères enseigner, pour quelles raisons, et compte tenu de quel contexte ? » à l’échelle de l’Union européenne, en se positionnant du point de vue du coût économique, ainsi que des implications politiques et culturelles. Trois scénarios sont étudiés : le choix d’une seule langue nationale, le choix d’un trio de langues nationale et le choix d’une langue non nationale (l’espéranto). Ce rapport a été cité dans un article du Monde diplomatique du mois de mai 2015 intitulé Le coût du monolinguisme auquel nous avions réagit, notre réaction ayant été par la suite relayée dans le courrier des lecteurs.

Vidéos

  • Claude Piron, Les langues : un défi, vidéos enregistrées en 2007.

Dans ce cycle de 10 vidéos d’une dizaine de minutes chacune, Claude Piron reprend le contenu de son livre présenté ci-dessus.

  • Claude Hagège, L’anglais: support de la pensée unique, conférence enregistrée en 2013.

Claude Hagège présente le contenu de son ouvrage mentionné ci-dessus sous forme d’une conférence d’environ 1h suivie de questions-réponses, dans une école de commerce de Rouen.

Audio

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Jacques Bouveresse, Le langage, la logique et la philosophie, conférence lors du colloque du collège de France « Autour de 1914, nouvelles figures de la pensée : sciences, arts, lettres » le 16 octobre 2014.

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L’année 1914 est marquée par deux événements se rapportant à la thématique des langues internationales : l’annulation du congrès international de l’Association universelle d’espéranto (UEA) auquel devait participer Ludwik Lejzer Zamenhof, le fondateur de l’espéranto, ainsi que le décès de Louis Couturat, fervent initiateur et promoteur de l’ido, langue dérivée de l’espéranto. Jacques Bouveresse décrit le sentiment d’urgence que rencontraient de nombreuses personnes, issues de milieux scientifiques comme populaires, à trouver une solution équitable et accessible aux problèmes de communication entre des individus et des états de langue nationale divergente, de la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle. Cette recherche s’accompagnait souvent d’une attitude anti-impérialiste, anti-nationaliste et pacifiste, le fait de ne pas pouvoir communiquer étant perçu comme une des causes de division entre les peuples. Le conférencier commente notamment les arguments que l’on opposait aux langues dites « artificielles » relativement à celles dites « naturelles », et qui restent récurrents de nos jours.

Brochure

Noé Gasparini, linguiste (Lyon, France)
Noé Gasparini, linguiste (Lyon, France)

Noé Gasparini est doctorant en sciences du langage à Lyon. Il nous a fait parvenir son travail intitulé Politiques linguistiques et idéal égalitaire – 12 stratégies pour communiquer quand on ne parle pas tous la même langue, fruit de quelques discussions collectives. Voici le résumé de la brochure.

Cette brochure propose une réflexion sur les problèmes de communication induits par la diversité linguistique et sur les stratégies politiques qui peuvent être mises en place pour favoriser l’entente et la discussion.

Télécharger la brochure.

Nelly Darbois

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Effet Panurge, argumentum ad populum, ou principe de la preuve sociale

Le principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque chose ou agissent d’une certaine manière, alors mieux vaut se conformer.


Une chose devient acceptable parce qu’elle est supposée vraie/crue par un certain nombre de gens. Plus formellement, le fait qu’une masse de gens nourrissent un sentiment favorable à l’égard d’une proposition ou d’une action se substitue à la preuve étayant cette proposition.

Dans le cadre de la didactique zététique, nous employons le terme d’effet Panurge, en souvenir du personnage de François Rabelais, compagnon de Pantagruel pendant leur voyage au « Pays des Lanternes » (Quart Livre, ch. VIII) :

« Malfaisant, pipeur, buveur, Panurge sait et entend tout faire, notamment des farces ; par exemple il fait plonger les moutons de Dindonneau dans la mer en y jetant le premier, que les autres suivent bêtement. »

CorteX_Monvoisin_effet Panurge
Cialdini (2004, voir Pour démarrer) présente l’ambivalence de cet effet en utilisant une métaphore de chemin vicinal :

« Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque chose, c’est que c’est la meilleure chose à faire. Cette vérification par les faits est à la fois la force et la faiblesse du principe de la preuve sociale. (…) La preuve sociale représente un raccourci commode, mais elle rend en même temps celui qui l’emprunte vulnérable aux assauts des profiteurs embusqués sur le chemin. » (pp. 127-180)

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Dans la ligne directe des rires pré-enregistrés qui accompagnent les séries télévisées afin de provoquer l’hilarité des téléspectateurs au moment voulu, le comportement individuel a une forte propension à se calquer sur celui de la société. Et de la même façon que l’introduction des rires pré-enregistrés dans un programme qui plus est médiocre n’est pas laissée au hasard et s’appuie sur une connaissance scientifique de leur influence sur la réception du public (Nosanchuk & Lightstone, Canned laughter and public and private conformity, Journal of Personality and Social Psychology, Vol 29(1), Jan 1974, pp. 153-156), les stimulations marketing sont elles aussi étudiées de près et jouent sur l’étude des mouvements de troupeau : arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleurs ventes de disques, etc. sont passés au peigne fin par des professionnels de l’un des rares débouchés des études françaises de sociologie. On a pu montrer très récemment, comme Salganik et ses collègues, que les gens achètent la musique qu’ils savent ou croient savoir que les autres apprécient1. « Ainsi, cette tendance à l’uniformisation musicale s’opère principalement grâce aux (ou à cause de) radios/télévision qui, les unes après les autres, reprennent souvent les mêmes morceaux favorisant, par effet de mimétisme, leurs ventes au détriment d’autres morceaux ignorés. », ajoute F. Grandemange, auteur du site Charlatans.

De là à la fabrication du consentement politique, il n’y a qu’un pas, qui a été formalisé depuis sous le nom de Bandwagon effect — en souvenir du clown Dan Rice qui contribua à la propagande politique de Zachary Taylor en faisant processionner sa carriole chargée de monde. La technique fut reprise bien des fois, avec le slogan « jump on the bandwagon« .
Les études les plus récentes montrent ce comportement de troupeau (herd behaviour) lors des choix politiques, notamment Nadeau & al. sur l’avortement et sur la constitution québécoise2, Goidel & al.3, Mehrabian sur l’influence des sondages sur les votants4, amenant même Morwitz & al. à se demander si les sondages reflètent l’opinion ou si l’opinion reflète les sondages5).

Effet Panurge

  • Un grand nombre de gens pensent que X=b
  • Donc X=b

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convCorteX_Panurge_assiette_au_beurreaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Illustrer l’effet Panurge au moyen de supports tirés des médias est chose facile :

  • les classements de meilleures ventes de livres/disques/logiciels, avec parfois la mention « x clients satisfaits » – occasion de montrer un effet cigogne retors que celui consistant à faire croire qu’un produit acheté non rapporté a satisfait son acheteur ;
  • les classements des meilleures fréquentations ;
  • les labels sur certains produits ;
  • les « avis de consommateurs » et les slogans type « élu produit/voiture/saveur de l’année » ;
C’est également l’occasion de glisser quelques exemples tirés du vécu, que les étudiants ont certainement déjà rencontré. En voici trois que nous utilisons en cours.
 
  • L’exemple des boîtes de nuit laissant s’entasser devant la porte les clients même lorsque la boîte est vide juste pour créer l’illusion d’une demande accrue mise sur l’effet Panurge (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple du dilemme des restaurants, ou à deux restaurants équivalents dont l’un contient déjà un client, l’autre non, le passant sera attiré par le premier (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple plus dramatique : lors d’un événement grave, les individus vont d’abord chercher des signes, des indications dans l’attitude de leurs semblables afin de choisir l’action appropriée – ce qui expliquerait cette fameuse « dilution de responsabilité » appelée « effet spectateur » ou « bystander apathy » lors des agressions devant témoins : l’impassibilité se transmettant et se rationalisant peut amener un individu à ne plus réagir à un danger là où seul il aurait réagi6.

  Cet effet se situe à la convergence de plusieurs autres outils zététiques, notamment :

  • le scénario appel à l’émotion, et la peur de cet ostracisme qu’encourt qui ne se plie pas à la peer pressure, le conformisme de groupe tel qu’on a pu l’appréhender depuis les études célèbres de Solomon Ash.
  • le faisceau de preuve, par le fait qu’il se base sur la réunion de nombreuses « mauvaises preuves » :
 
Labossière le décrit ainsi dans son Fallacy Tutorial :

« The fact that most people have favorable emotions associated with the claim is substituted in place of actual evidence for the claim. A person falls prey to this fallacy if he accepts a claim as being true simply because most other people approve of the claim ».

Des séquences pédagogiques simples peuvent être réalisées sur ce thème, en demandant aux élèves d’aller relever des arguments ad populum dans la vie de tous les jours. 

Exemples du quotidien :

  • Arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleures ventes, x clients satisfaits ;
  • Les avis de consommateurs et les slogans type élu produit/voiture/saveur de l’année, vu à la T.V. , etc.alt

On peut également collectionner les exemples un peu plus complexes, comme l’appel au peuple lié au courrier ou aux appels au standard d’une émission. Il y a appel au peuple quand l’intervenant.e change son propos du fait d’une avalanche de plaintes arrivant au standard – avalanche qui est probablement un double biais d’échantillonnage, entre le tri  effectué par la radio ou la chaîne, et le tri « naturel » à voir une surreprésentation des mécontents téléphoner, là où les satisfaits sont plus discrets.

Le meilleur exemple que nous ayons pour l’instant est celui de Didier Sicard, sur France Inter, en 2011, à propos de l’ostéopathie.

 

Pour aller un peu plus loin : Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum dans la thèse de didactique de Richard Monvoisin Pour une didactique de l’esprit critique – Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, 4.3.2.14 pp. 233-236).

 

Santé, nutrition : quelques ressources

Nutritionnistes, infirmièr.e.s, psychologues, parents, ami.e.s… toutes ces personnes peuvent être confrontées à un patient.e ou un proche qui souhaite au choix perdre du poids pour retrouver une silhouette collant plus aux normes actuelles, adopter un régime végétarien ou végétalien pour des raisons éthiques, ou encore supprimer le gluten pour guérir sa maladie rhumatismale : bref, changer ses comportements alimentaires. Les étales des bibliothèques et librairies débordent de livres consacrés au sujet de l’alimentation et des régimes. Faire le tri n’est pas forcément évident entre les nombreux ouvrages présentant les expériences personnelles ou professionnelles des auteur.e.s ou leurs convictions religieuses ou idéologiques. Voici une petite sélection amenée à s’enrichir (grâce à vous, peut-être ?) des ressources maniant tout aussi bien références scientifiques qu’analyse critique des sujets qu’elles investiguent.

cortex_desmurget_antiregimeNous avons déjà salué la capacité de Michel Desmurget à mener et vulgariser des revues de littérature scientifique sur des sujets ou d’autres privilégient l’appel aux commentaires et anecdotes personnels. Ici Desmurget s’intéresse au cas des régimes à visée amaigrissante. Cette fois encore, l’auteur privilégie les données scientifiques plutôt que les témoignages et expériences de quelques individus pour forger son argumentaire sur comment perdre du poids rationnellement. Comme dans ses précédents livres, il s’appuie partiellement sur son histoire personnelle, mais uniquement à titre illustratif. Il s’attarde aussi à décortiquer les argumentaires des régimes à la mode (chrononutrition, Dukan1, etc.) et à pointer leurs limites. L’auteur ne mâche pas ses mots quand il critique les dires (rarement les personnes) des commerçant.e.s en régime, allant jusqu’à les qualifier d’« affligeante bouillie pseudo-scientifique ».

Notre collègue Ismaël Benslimane a extrait l’intervention de Michel Desmurget lors de l’émission radio de La tête au carré sur France Inter du 4 juin 2015 où il résume oralement quelques passages de son livre. Même si l’émission est plus centrée sur l’expérience personnelle de Desmurget, elle reste un bon aperçu des problèmes que soulèvent les régimes amaigrissants les plus médiatisés.

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Au sujet des régimes, on pourra aussi lire sur notre site une reprise d’un article du Monde qui fait une critique du régime Dukan en donnant des noms et des ressources pédagogiques aux arguments critiques abordés : TP Le Monde : « Le régime Dukan est une imposture », Richard Monvoisin, 2012, ici.

cortex_unnatural-veganLa chaîne Youtube Unnatural Vegan a pour objet principal la diffusion de vidéos portant sur les bases rationnelles d’une alimentations vegan. Unnatural vegan part du constat que beaucoup des partisan-es des régimes végan ont une posture anti-science par principe et prônent un retour à la nature dont les limites sont bien floues, comme l’atteste le travail de notre collègue Guillemette Reviron. Malheureusement ces vidéos ne sont pas en français et la youtubeuse prend parfois peu de pincettes pour débunker les sujets qu’elle aborde et surtout les postures des tenant-es de ces sujets. Il n’empêche, le travail est là, de qualité, sourcé, et il y en a pour tous les goûts. Voici une vidéo qui démystifie quelques idées sur les effets d’un régime sans gluten.

 

Astrologie : la fin des mystères – un incontournable de Serge Bret-Morel

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Serge Bret-Morel en action

Il est des gens qui ont des trajectoires aussi étonnantes que les plus surprenants objets de la  ceinture d’Edgeworth-Kuiper, allant jusqu’au-delà de Neptune. Serge Bret-Morel est de ceux-là. Astrologue devenu sceptique, il a publié un livre riche, étonnant, technique et pourtant plaisamment lisible, forgeant la critique de ce que furent pourtant ses primes amours : les liens entre les astres qui nous entourent et nos petites existences.

 

Il y avait bien quelques ouvrages, pour sceptiques intéressé-es, mais qui allaient de Charybde en Scylla : soit ils étaient trop complexes et calculatoires, soit ils étaient simplistes, et assénaient des tartes à la crème sur une discipline qui, comme l’écrit Serge, « fut » une science et mérite mieux. cortex_bret-morel_astrologie-la-fin-des-mysteresEt aucun ne faisait montre d’une telle connaissance interne du milieu. C’est surtout ce point qui m’a amené à lire ce livre alors que le sujet me paraissait être, pardon du jeu de mot, une vieille lune. Car si j’y ai appris un paquet de choses notamment sur la genèse de la mode des horoscopes, je voulais surtout lire en filigrane sa « déconversion » et comment il allait la traiter. Il est extrêmement rare qu’un spécialiste d’une pseudo-science soit capable d’une telle prouesse : tordre à ce point son cerveau au point de renoncer à ce qui fait son expertise, sans tomber dans la consonance cognitive bricolée de toute pièce. En plus de quinze ans à étudier ces sujets, je n’ai rencontré que deux ou trois personnes qui avaient été capables d’une telle ascèse intellectuelle, et me demande si j’en serais moi-même capable. Merci de cette production, et nous attendons la suite !

On peut largement compléter ses connaissances en surfant sur le site de l’auteur, nouvelle version, intitulé ASTROSCEPT.

RM