Amérindiens, Indiens, Inuit, Innus, Natives, Autochtones, Esquimaux… Démêlons l'écheveau

Yakari, indien sioux lakota inventé par Job; Derib et Dominique. Peu de gens savent que les Lakotas ont lancé une sécession avec les États-Unis : la République de Lakota.
Yakari, indien sioux lakota inventé par Job; Derib et Dominique. Peu de gens savent que les Lakotas, emmenés par Russell Means, ont lancé fin 2007 une sécession avec les États-Unis : la République de Lakota.

Dans un épisode du podcast Anthrostory que j’affectionne particulièrement, Jonathan, l’auteur principal, disait prendre le terme de « Natives Americans » plutôt qu’« Amérindiens », dû aux imprécisions graves que cela incluait. Quelqu’un lui ayant posé la question sur le détail de ces imprécisions, il a joué le jeu, dans son émission du 13 juillet 2016, en soulevant le couvercle de l’un des plus magnifiques effets paillasson qui soient. C’était drôle d’écouter presque au même moment des chroniques du regretté explorateur Paul-Émile Victor (dans Les nuits de France Culture du 2 novembre 2016) qui, bien de son époque, parlait immanquablement d’Esquimaux. « Racisme ordinaire », quand tu nous tiens…

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CorteX_Jonathan_anthrostoryRetranscription, par Jonathan lui-même (article d’origine) :

(…) J’ai trouvé une source très complète, que je vous invite à consulter, elle a un titre qui vend du rêve: « Le guide terminologique de l’Organisation nationale de la santé autochtone du Canada ». (…) laissez-moi vous résumer tout ça. Petite citation du début, tiré de ce document : « Les lecteurs devraient garder à l’esprit qu’il n’existe pas de terme simple pour décrire les populations autochtones ». Je vous le dis, on est très bien parti.

Quel terme choisir ?

On va prendre quelques termes, voir pourquoi il est plutôt bien ou plutôt mal de les utiliser, et sur la fin on va faire une petite image d’ensemble pour clarifier tout ça.

Aborigène, pour commencer. Je ne sais pas pour vous, mais j’ai toujours attaché ce terme aux premiers peuples d’Australie, en tout cas, c’est la première image qui me vient dans la tête. Pourtant, on est loin du compte, c’est un terme générique qu’on peut utiliser pour tous les habitants premiers ou les peuples premiers, quelle que soit leur origine géographique. [NdRM : imaginez qu’on parle des aborigènes de la Savoie, ou de la Bretagne !) Donc, ça marche pour les premiers habitants du Canada, mais il est de moins en moins accepté… à passer aux oubliettes.

Amérindien, ou Indien d’Amérique, là par contre, en Europe, je pense que c’est le terme qu’on utilise le plus, il l’est aussi aux États-Unis. Certaines personnes (le document ne précise pas quel est leur nombre, mais assez pour que cette précision soit notée dans un rapport officiel) n’aiment pas ce terme, parce que sous l’appellation « indien », on regroupe aussi des peuples qui ne se considèrent pas comme étant indiens, comme les Inuits, les Yupiks et les Aléoutes de l’Alaska. Ce terme n’est pas très populaire au Canada, et c’est sans doute pour ça que j’ai dit qu’il était gravement imprécis et à ne pas utiliser, il faut m’excuser, j’écoute pas mal de podcasts québécois. En tout cas, en l’utilisant, on pense qu’on parle de TOUS les Indiens du Canada (et probablement des États-Unis), alors qu’en réalité on exclut des communautés entières, ce qui est bien sûr à éviter.

J’avais préféré le terme de Native American, traduit par indigène d’Amérique ou américain autochtone, parce que nos amis québécois aiment tout traduire. Est-ce que j’avais raison ? Oui et non. Oui, parce que l’article que je citai était américain [NdRM : étasunien, Jonathan ! Je change dans la suite de la retranscription], pas canadien, et que ce terme est fortement utilisé aux US. Et non parce que ce terme n’est pas employé au Canada parce qu’il fait référence à la nationalité étasunienne, donc ça pouvait sonner bizarre pour nos auditeurs québécois. Et encore oui, parce que certains autochtones du Canada disent qu’ils sont les premiers des habitants des Amériques, et que le terme Native American s’applique aussi à eux, ça n’a rien à faire avec la citoyenneté, mais avec la géographie. Ajoutons à ça qu’une réserve, celle d’Akwesasne est située entre le Canada et les USA, entre l’Ontario, le Québec et l’État de New York pour être plus précis, dur à savoir si ceux qui y sont sont étasuniens ou canadiens. Pour faire simple, on n’utilise pas Native American au Canada, mais on peut l’utiliser aux USA.

Indien. Là, c’est un poil compliqué. Il y a trois groupes de peuples autochtones au Canada, les Indiens, les Inuits et les Métis, qui prennent chacun une majuscule pour la peine. Il y a trois catégories d’Indiens, les Indiens inscrits, les Indiens non inscrits et les Indiens visés par un traité. Je ne vais pas rentrer plus dans les détails, mais ce qu’il faut se rappeler, c’est que c’est un terme jugé désuet, il y a même débat pour savoir s’il faut continuer à l’utiliser ou non. Il faut utiliser le terme membre des Premières Nations plutôt qu’Indien, même s’il y a des exceptions, j’y reviendrai après.

Autochtone. Ce terme regroupe les trois groupes que je citais avant, les Indiens, les Inuits et les Métis. Il est juste, mais un peu problématique quand on l’utilise dans la vie courante, sachant que des autochtones, ben y en a de partout, donc il faut l’utiliser en précisant « autochtones du Canada » par exemple, dans ce cas on parle des trois groupes cités plus haut, on n’oublie personne, on précise la localisation géographique, c’est parfait. Et si on veut taper vraiment large, on va dire « autochtones des Amériques », mais là on se met à regrouper sous un même terme un grand nombre de peuples et ça manque terriblement de précision dans une discussion. Pas très pratique.

Indigène. Là, je trouve ça un peu étrange, mais c’est une expression qui gagne en popularité parmi certains chercheurs autochtones et qui est employée par des groupes de travail aux Nations Unies. Mais il est rarement employé dans le langage courant. (NdRM : indigène a une connotation un peu primitiviste : on ne parle jamais d’indigène corse, ou d’indigène auvergnat.)

Métis. Comme on l’a vu, c’est un groupe d’autochtones reconnu par la loi constitutionnelle. Ce terme s’appliquait à des situations différentes en fonction de la localisation, dans les Prairies (région entre l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba), il s’appliquait aux enfants nés de femmes Cris (NdRM : Cris, ou Crees, diminutif de Knistenaux, francisation du nom d’un ancien village, Kenisteniwuik) et de commerçants de fourrures français, dans le Nord aux enfants de femmes dénées (NdRM : du peuple Déné, du territoire Denendeh et de commerçants anglais ou écossais et à Terre-Neuve et au Labrador aux enfants d’Inuites et de Britanniques. Aujourd’hui, il est utilisé pour désigner les gens qui ont à la fois des ancêtres européens et des ancêtres des Premières Nations et qui se considèrent comme Métis. Compliqué ? Ouais, surtout que les organisations de Métis au Canada ont des critères pour définir qui a le droit au titre de Métis ou non.

Esquimau. Alors là, c’est sur à 2000% au moins, ce terme est péjoratif, il s’agit du nom que les explorateurs européens ont donné aux Inuits, qui veut dire « mangeur de viande crue » (NdRM : il y a un doute sur cette étymologie algonquine. Certains auteurs comme Steve Sailer pensent à une origine micmac, en lien avec les raquettes à neige. D’autres comme Kaplanfont remonter le mot à ayas̆kimew, en Montagnais-Naskapis – la langue des Innus. Attention à ne pas confondre les Innus et les Inuit1).

Le terme à utiliser est Inuit, qui signifie « hommes » ou « peuple », terme que les Inuit utilisent pour se désigner eux-mêmes. Inuit, c’est quand on parle de plus de trois personnes, Inuuk avec deux « u » quand on parle de deux personnes, Inuk avec un seul « u » quand on parle d’une seule personne. Bon, si vous ne vous rappelez pas de ça et que vous vous foirez, au moins vous n’êtes pas loin du bon terme ;).

On va finir sur le terme Premières Nations, qui remplace les mots bande (qui est un groupe d’Indiens spécifique) et Indiens depuis les années 1970. À noter que ce terme remplace celui d’Indiens et donc… n’inclut ni les Inuit ni les Métis. Mais il est joli.

Remarques générales sur les termes et leurs utilisations

J’imagine que tous ces mots ont mis un peu le bazar dans vos têtes et que, du coup, vous ne savez plus trop quel terme utiliser. J’y viens.

Avant, il faut signaler plusieurs choses. Déjà, l’aspect légal. Des termes ont été utilisés dans des traités et dans des lois, et même s’ils ne sont plus forcément utilisés ou qu’il faudrait arrêter de le faire, ils continueront à l’être au niveau juridique.

Ensuite, on en avait parlé avec Anne-Laure quand nous avions évoqué le barrage du Belo Monte au Brésil et du chef Raoni, les termes qui sont utilisés sont, en partie, de la communication. Ça ne veut ni dire qu’il ne faut pas les utiliser, ni dire qu’il faut les utiliser, mais que ce sont des outils de communication. Je ne sais pas vous, mais quand on me parle de « premier peuple », j’ai forcément envie de les soutenir. Non pas que le soutien soit bon ou mauvais, chacun est juge, mais la communication peut aider.

Il ne faut pas oublier non plus qu’au Canada, il y a des intérêts économiques au niveau des réserves, des allocations, des droits miniers par exemple, du tourisme, etc. Là aussi, aucun jugement, mais la façon dont on choisit de s’appeler, l’origine qu’on proclame, etc…. Ça a de réels enjeux.

De plus, lié à la communication et aux intérêts économiques, il y a les intérêts politiques, là aussi sans jugement aucun, mais qui ont une réelle importance.

Je suppose qu’en écoutant Voyagecast puis Anthropodcast et maintenant AnthroStory, vous savez ces choses, mais on sait jamais, on a toujours de nouveaux auditeurs.

N’oublions pas non plus, et il faudra qu’on vous on parle plus précisément une prochaine fois, que les termes qu’on utilise évoluent. Un terme accepté il y a 50 ans peut être jugé raciste et inacceptable aujourd’hui, une expression peut soudain devenir à la mode et rendre désuets les anciens termes, un retour aux traditions et une recherche de connexions historiques peut, au contraire, réhabiliter un mot qu’on avait perdu en chemin. Bref, ce qui était utilisable hier ne l’est plus forcément aujourd’hui, mais le sera peut-être de nouveau demain.

Mais alors, on revient à notre question de départ: on utilise quoi comme terme ? Le guide dit, je cite: « Si vous n’êtes pas certain des noms et des termes, communiquez avec la personne ou l’organisation autochtone sur qui vous écrivez pour savoir quel terme elles préfèrent. Remarquez également que bon nombre d’Autochtones utilisent des translittérations anglaises de termes à partir de leur propre langue pour se désigner eux-mêmes (par exemple, la nation mohawke est également appelée les Kanien’Kaha:kas; les Pieds-Noirs, les Sisikas; les Chippewas, les Anishinabegs; et le nom que les Cris des marais utilisent pour se désigner est Mushkegowuks). ».

Je sais que c’est un peu une réponse de suisse, mais j’assume ma neutralité… toute relative. Le terme le plus précis est « autochtones du Canada », qui localise bien et regroupe les Indiens, les Inuit et les Métis. D’ailleurs, ce document par l’Organisation Nationale de la Santé Autochtone et est repris par les Affaires Autochtones et du Nord du Canada, ce qui veut probablement dire qu’autochtones est un bon terme très accepté.

Et si on changeait ça ?

En préparant cette chronique, j’ai parlé avec mon coloc, qui m’a dit, après une solide discussion sur encore plus de termes, que pour lui ben… les Indiens restaient ce qui collait mieux, la faute à Lucky Luke. La popularité lui donne raison.

Mais, des fois, je suis idéaliste. Vous êtes quelques centaines, voire milliers, à écouter cette chronique. Si chacun d’entre vous fait l’effort, dans les prochaines discussions, d’utiliser le bon terme, on peut changer ça. Parce que c’est la force de la connaissance, une fois qu’on l’a, on peut la distribuer et, à force, changer les petites choses.

Insignifiant ? Non. Le droit de s’appeler et de se définir comme on le veut est important, autant en tant qu’individu, que groupe, que communauté, etc. Et c’est à nous de respecter ces choix et de changer ce qui a été mal fait il y a très longtemps. N’oublions pas non plus qu’ici, je vous ai parlé du Canada, mais que c’est vrai… partout ailleurs. Le premier pas à faire, comme d’habitude, c’est d’aller vers l’autre, d’apprendre à le connaître, de savoir comment il veut être appelé et de respecter sa volonté.

Puis bon, sans déconner, c’est beaucoup plus cool de dire que j’ai un pote Manawan, un ami Kahnawake et un mate Tahitan que « j’ai trois potes indiens ».

En espérant avoir répondu de façon claire et précise, n’hésitez pas à réagir à nos chroniques, nous en feront d’autres, on répond à vos questions avec plaisir.

Jonathan.

  1. Grâce à Cyrille Barrette, j’ai lu à l’automne 2016 la captivante retranscription par Serge Bouchard des mémoires de Mathieu Mestokosho, chasseur montagnais de la Minganie et du Labrador. Voir Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu, Boréal, 2004.CorteX_Mestokosho_Innu