Cours en ligne gratuit : une selection pour forger son esprit critique

Si je vous dis cours en ligne et esprit critique, vous penserez peut-être au cours « Zététique & autodéfense intelectuelle » donné par Richard Monvoisin à l’Université Grenoble Alpes en 2017. Et vous avez bien raison ! C’est une réfèrence de la pensée critique et une source inépuisable de sujets « aux frontières de la science ». Mais 2017, c’est loin ! Et la recherche a progressé depuis. Alors, si vous voulez d’autres contenus de qualité et plus récent on vous propose ici une sélection de cours en ligne et gratuit !

Cette liste n’est pas exhaustive et rassemble seulement les cours que nous, membres du cortecs, avons suivis et appréciés (et parfois créés). Cette liste pourra évoluer au fil de nos nouvelles découvertes. Et vous pouvez aussi l’enrichir en proposant des cours que vous avez pu suivre et qui vous parraissent pertinent dans le cadre de l’enseignement de l’esprit critique. Ecrivez-nous à contact[at]cortecs.org, on regardera avec plaisir et potentiellement on le repostera ici.

Epistémologie

Introduction à l’épistémologie et à la pensée critique (Formation doctorale) – Jérémy Attard

En 7 parties (environ 1h), pour un total de 7h42 de contenu

Jérémy Attard en plus d’être membre du Cortecs est à ses heures perdues double docteur en physique théorique et en philosophie des sciences. En particulier dans cette deuxième thèse il a exploré la question de l’unité épistémologie des sciences : dans quel sens sciences sociales et sciences physiques peuvent être vues comme faisant parti d’un même ensemble cohérent ? C’est donc fort de ces connaissances qu’il propose depuis quelques années des formations doctorales sur l’épistémologie et la pensée critique. En 2024, il a enregistré et publié ce cours qui est une introduction (poussée) aux grandes questions de l’épistémologie.

Qu’est-ce qu’une pseudo-science ? (Séminaire de l’université de Genève) – Florian Cova et Joffrey Fuhrer

En 10 parties (durée variable) pour un total de 9h40 de contenu.

Le problème de la démarcation posé par Karl Popper dans les années 1930 tente de trouver un critère qui permet de distinguer les sciences des pseudo-sciences. Dans ce cours Florian Cova et Joffrey Fuhrer explore ce problème : D’où vient-il ? Comment Popper y a répondu ? Quels sont les limites de l’approche Popperienne ? Quels autres réponses peuveut être apportées ?..
Ils présentent également d’autres travaux philosophiques liées à la question des pseudo-sciences : les raisons de leur attractivité, les motivations du complotismes, la parapsychologie…

Philosophie

Philosophie et pensée critique (Université de Genève, Printemps 2024) – Céline Schöpfer & Florian Cova

En 11 parties (environ 1h30), pour un total de 16h30

La pensée critique peut etre abordée à partir de différentes disciplines, notamment en sciences de l’éducation, en psychologie et en philosophie. C’est ce dernier angle qui est abordé dans ce cours très copieux proposé par Céline Schöpfer membre du cortecs et doctorante en philosophie de la pensée critique avec son directeur de thèse Florian Cova (à nouveau). Il est également très récent (printemps 2024) et donc très à jour de la littérature sur le sujet.
Un grand nombre de questions philosophique liée à l’esprit critique y sont explorées : son histoire, sa définition, ses dangers, ses liens avec le scepticisme, les biais ou la méthode scientifique… certains sujets plus précis y sont également abordés : le complotisme et l’individualisme épistémique (cours numéro 7) ou la question de l’expertise (cours numéro 8).


Développer sa pensée critique (MOOC Université Libre de Bruxelles) – Guy Haarscher

En 6 modules (environ 3h30/semaine) pour un total de 21h de formation.

Le MOOC de l’Université libre de Bruxelles est accessible chaque année depuis 2016 au printemps. Aucun pré-requis n’est demandé. Le temps à y consacré est d’environ 3h30 par semaine sur 6 semaines. Il est orchestré par le philosophe et professeur émérite Guy Haarscher.
Une bonne partie de cette formation est consacrée à l’histoire de la pensée critique de la Grèce antique à aujourd’hui en passant par les philosophies des lumières (module 3 et 5). Haarscher est avant tout un penseur de la laïcité et une autre grande partie de la formation est consacré aux questions politiques (module 2), de laïcité (module 4) et d’athéïsme (module 5). Il ouvre donc à des sujets et questions qui ne sont pas forcément les plus représentés dans les « sphères septiques et zététiques ». L’approche historique est véritablement un plus dans des milieux qui ont parfois du mal à regarder en arrière et l’histoire des pensées dans lesquels ils s’ancrent.
Beaucoup des sujets abordés sont encore en débat dans la société d’aujourd’hui. Formation à suivre donc avec esprit critique (comme toutes les formations d’ailleurs ;).

Philosophie des sciences – Aurélien Barrau

En 20 parties (environ 30min), pour un total de 9h46

Dans un style un peu erratique, Aurélien Barrau, titulaire d’une thèse en astrophysique et en philosophie, propose un cours de philosophie des sciences sans chapitrage et sans support visuel essentiellement guidé par sa verve. On aime ou on aime pas le style. Si vous aimez, c’est un vagabondage poético-philosophique assez agréable à écouter.

Avertissement : Si l’on trouve intéressant ce cours en particulier, cela ne donne en rien une approbation sur le reste du travail d’Aurélien Barrau. On préfère préciser.

Généraliste

Zététique et autodéfense intellectuelle (Université Grenoble Alpes) – Richard Monvoisin

En 63 parties (durée variable), pour un total de 31h35. Oui oui.
Bon en réalité, l’enseignement est divisée en 12 cours, eux-même divisés en 4/5 épisodes, pour un total de 23h56 (regardable donc en une journée marathon avec des pauses pipi expresses). Le reste étant plutôt des annexes (making-off du cours, entretiens, interventions de tiers, disputatio..) d’une durée de 7h39 donc. On a fait les maths.

Faut-il encore présenter ce cours ? Nombres d’entre nous on découvert le champs de la pensée critique et de la zététique à travers celui-ci. Certes, il commence à dater mais autant dans le fond que dans la forme ça reste un incontournable qui a largement influencé tout ce qui touche à la penseé critique depuis.
Les grands sujets de l’épistémologie à la psychologie cognitive et sociale y sont abordés en détails. Toujours largement illustrés par des sujets paranormaux. Dans la deuxième moitié des sujets en particulier sont décortiqués : homéopathie, sexes & genres, médias, pseudo-histoire…

Exercer son esprit critique à l’ère informationnelle (MOOC Université de Genève) – Mireille Bétrancourt & Emmanuel Sander

En 7 parties (de 2 ou 3h), pour un total de 18h.

Bande-annonce du Mooc

C’est un cours très bien construit, exigeant et pourtant facile à suivre qui met l’accent sur les différents canaux informationnels et sur les biais cognitifs. En revanche, le cours aborde peu les questions d’argumentation. À chaque session, un ou une chercheur·euse de différents domaines est interrogé·e. Chaque session se termine par un petit test qui permet d’évaluer l’état de ses connaissances.

Communication

Opinion sur Rue : Conversation sereines

En 8/9 parties (de 2h) pour un total de 16/18h de formation.

Opinions sur rue est une association promouvant l’entretien épistémique / la conversation sereine basée à Paris. Mais aucune inquiétude, cette association dispense gratuitement sa formation à la conversation sereine par visioconférence et vous pouvez y assister de partout. Nous ne présentons ici que la formation introductive à la conversation sereine, puisque l’association vous proposera à la suite de celle-ci de nouvelles formations allant plus en profondeur.
La formation est composée aujourd’hui de 8 modules de 2h à suivre sur une durée de 8 semaines (il existe désormais un module supplémentaire portant sur les questions éthiques). Chaque module possède une présentation d’environ 1h30 puis d’un atelier de 30min pour mettre en pratique ce qui a été vu. L’emphase est notamment mise sur l’écoute et il est bien précisé que le but de l’entretien épistémique (en tout cas tel qu’il est abordé ici) n’est pas de vouloir faire changer d’avis la personne d’en face, mais surtout d’être capable d’avoir une conversation sereine de fond avec des personnes qui ont des avis radicalement différents des vôtres et éventuellement de co-construire une réflexion afin de progresser ensemble.
Les sujets abordés sont très divers : convivialité (module 2), repérer l’affirmation (module 3), l’interprétation généreuse (module 4), l’écoute active (module 5), identifier l’argument principal (module 6) et l’épistémologie (module 7), et savoir s’arrêter (module 8). La formation est en constante évolution et ces informations peuvent avoir changées depuis.

Avertissement : Si l’on trouve intéressant ce cours en particulier, cela ne donne en rien une approbation sur tous les usages supposées ou réels qui sont fait de l’entretien épistémique. Comme avec toutes les autres formations -> restez critique 😉

Psychologie

La psychologie pour les enseignants (Paris Sciences & Lettre) – Franck Ramus, Joelle Proust & Jean-François Parmentier

Bande-annonce du Mooc

Le cours avait été déjà présenté sur le site du Cortecs ici !
Sous l’égide de l’ENS et du Réseau Canopé, le MOOC « La Psychologie pour les enseignants » aborde en trois grands chapitres, trois clefs de voute des apprentissages : les notions de mémoire, de punition/récompense et de motivation en milieu scolaire. Avec autant d’informations désormais en accès libre sur les bonnes pratiques d’enseignement, plus question d’ignorer l’architecture cognitive des élèves ou de se laisser submerger par un comportement perturbateur en classe.

Rasoir ancien démonté en 3 pièces

Non, il ne faut pas privilégier l’hypothèse la plus parcimonieuse ! De l’injonction au vraisemblable

Rasoir ancien démonté en 3 pièces

Le rasoir d’Ockham ! Quel outil intellectuel puissant. Ce principe (également appelé principe de parcimonie) nous dit qu’il faut privilégier la théorie avec les hypothèse les plus parcimonieuses. Autrement dit, les hypothèses les plus vraisemblables, les moins coûteuses ou les moins farfelues (nous nous attarderons pas ici sur la signification exacte, vous pouvez aller voir ici). C‘est un outil érigé comme pilier central de la pensée critique qui est enseigné et éculé depuis des siècles bien avant Guillaume d’Ockham d’ailleurs (Une liste des différentes formulations de ce principe à travers l’histoire est disponible sur le site Toupie.org : Les différentes formulations du rasoir d’Ockham). Mais quelle est la portée réelle de ce principe ? Qu’est-ce qu’il nous permet vraiment de dire sur le monde ? Nous allons le voir, le rasoir d’Ockham bien souvent est employé bien au-delà de son domaine d’application. Loin d’être anecdotique, ce mésusage du rasoir d’Ockham est probablement symptomatique d’une certaine manière de faire de l’esprit critique. Nous partirons donc d’une critique spécifique à cet outil pour questionner d’un point de vue philosophique plus globalement notre rapport à la pensée critique (oui, rien que ça !)

Si vous préférez, cet article est également disponible en vidéo ici.

Préliminaire : là ou le rasoir d’Ockham se grippe.

Quel est le problème ?

Commençons par donner deux exemples sur les limites du rasoir d’Ockham.

Le scientifique Randall Mindy du film Don't look up qui fait des calculs sur un tableau

Une équipe de la NASA collecte des données qui indiquent la présence d’un objet astronomique qui n’était pas encore référencé. D’après les études préliminaires, il y a de grandes chances pour que ce soit une petite comète qui passera à quelques centaines de millions de kilomètres de la Terre. Cependant, les mêmes données sont également compatibles avec une comète qui s’écraserait sur Terre dans les prochains mois. Mais ce genre de comète est assez rare et il faudrait qu’elle aie été captée avec un angle très particulier pour correspondre aux données. L’équipe estime pour l’heure à 0,004 % (1 chance sur 25000) la probabilité que ce soit effectivement une comète qui vise la terre.
Est-ce qu’il faut donc privilégier l’hypothèse de la comète inoffensive ? Et dans quelle mesure ? Quid si la probabilité était de 0,000004 % ou 0,4 % ?

Extrait de H où Aymé montre un tableau de reconnaissance de champignon
Non une collerette ce n’est pas une petite couleur !

Prenons un autre exemple : l’autre jour j’étais en forêt et je trouve un champignon (c’est faux je ne trouve jamais de champignon, c’est pour l’exemple). Piètre mycologue que je suis, j’ai du mal à identifier de quel champignon il s’agit. Il me semble cependant reconnaître un cèpe et je me rappelle qu’un ami m’a dit il y a quelques jours que dans ce coin-là presque tous les champignons sont comestibles, d’autant plus si ils n’ont pas de collerette. Tout porte à croire alors que mon champignon est comestible (pour rendre l’exemple plus parlant, vous pouvez d’ailleurs imaginer d’autres indices rendant plus crédible la comestibilité du champignon). Considérant les deux théories T1 : « le champignon est comestible » et T: « le champignon n’est pas comestible », les indices que j’ai en ma possession me poussent donc à croire que la théorie T1 est plus parcimonieuse.
Est-ce que je dois pour autant manger ce champignon ? Autrement formulé, qu’implique exactement le privilège accordé à cette théorie ? Quelle est sa portée ?

Ces deux exemples ont pour but de montrer qu’on ne peut pas se contenter de dire qu’il faut privilégier les hypothèses les plus parcimonieuses sans plus de précision

➤ Complément : Est-ce que ces exemples parlent réellement du rasoir d’Ockham ? (cliquer pour déroulé)

C’est un des retours critique que j’ai reçu à la sortie de cet article, je rajoute donc cette petite note pour ajouter des précisions. En réalité cela dépend ce que l’on entend par « parcimonie » dans principe de parcimonie. Dans une acception classique, la parcimonie correspond au faible nombre d’entités explicatives. Ainsi on préfèrera une explication qui ne fait pas intervenir d’extra-terrestre, de cryptide ou de pouvoir parapsychique si l’on peut s’en passer. De ce point de vue-là, les exemples donnés tape à coté : les théories concurrentes (champignon comestible vs. non comestible dans un cas, météorite dangereuse vs. inoffensives dans l’autre) ont chacune le même nombre d’entité explicative. Il est donc faux de dire que le rasoir d’Ockham dit quelque chose ici de la théorie à privilégier.
On peut cependant considérer une version un peu différente de cette parcimonie en considérant la plausibilité des hypothèses. Cette acception quoique abusive par rapport au sens original du rasoir d’Ockham semble etre toutefois utilisé (c’est celle-ci d’ailleurs qui est présentée et démontrée dans notre article Vers une vision bayésienne de la zététique).

La portée réelle du rasoir d’Ockham

Alors, le rasoir d’Ockham est il faux ? Faut-il l’abandonner dans nos réflexions et nos enseignements ? Non, ce n’est pas nécessaire. En fait il faut plutôt faire attention à ce qu’on lui fait dire. Considérons deux manières différentes de formuler le rasoir d’Ockham :

  1. La théorie la plus vraisemblable est celle ayant les hypothèses les plus parcimonieuses.
  2. Il faut privilégier la théorie ayant les hypothèses les plus parcimonieuses.

Ces deux formulations semblent relativement proches mais en réalité elles ne disent pas la même chose. D’une certaine manière la première formulation est une version faible du rasoir d’Ockham alors que la seconde va plus loin en donnant une valeur prescriptive au rasoir d’Ockham ce qui est, on va le voir, difficilement justifiable. C’est cette seconde formulation du rasoir d’Ockham que nous allons tenter de creuser ici. Et cette formulation du rasoir d’Ockham est relativement commune1. Et moi même, je l’utilise telle quelle la plupart du temps. Par abus de langage et suivant le contexte, ça peut tout à fait être entendable, mais il est intéressant d’investiguer en toute rigueur ce qui ne va pas avec cette formulation et en quoi cela nous renseigne plus généralement sur notre manière de conceptualiser la rationalité et la pensée critique. Détaillons donc la construction de cette formulation prescriptive du principe de parcimonie.

Illustration de la guillotine de Hume

Passer de la première formulation à la seconde sans plus de justification est une erreur de logique : une prescription ne peut se déduire simplement d’une description. C’est un principe fondamentale de logique que l’on appelle la guillotine de Hume. Une autre formulation, que l’on doit à Raymond Boudon2, dit qu’on ne peut passer d’une prémisse à l’indicatif (la première formulation) à une conclusion à l’impératif (la seconde formulation)

Pour avoir une construction logique qui aboutisse à la seconde formulation, il faudrait en réalité deux prémisses :

  1. La théorie la plus vraisemblable est celle ayant les hypothèses les plus parcimonieuses.
  2. Il faut privilégier la théorie la plus vraisemblable.

On peut appeler la première prémisse « rasoir d’Ockham descriptif » et la deuxième « injonction au vraisemblable ». De ces deux prémisses ont peut alors conclure aisément « Il faut privilégier la théorie ayant les hypothèses les plus parcimonieuses » que l’on pourra appeler « rasoir d’Ockham prescriptif ». Mais c’est là que le bât blesse, la seconde prémisse n’est pas gratuite du tout et ne peut pas être mobilisée à la légère. Les deux exemples d’introduction devraient vous en convaincre.

Une autre formulation du rasoir d’Ockham consiste à dire « il ne faut pas accumuler les hypothèses superflues » 3. Encore une fois, cette formulation ne poserait pas de problème si on précise que ce « il ne faut pas » se cantonne au cas où l’on recherche la théorie la plus vraisemblable. Mais, comme nous l’avons vu, un « il ne faut pas » absolu ne tient pas. Ceci étant dit cette autre formulation est intéressante parce qu’elle permet de voir le problème sous un nouvel angle : il existe de nombreux cas où il est en réalité rentable d’ajouter des hypothèses superflues. L’hypothèse du champignon toxique ou celle de la météorite qui pourrait nous écraser aussi peu parcimonieuses soient-elles peuvent être salvatrices pour nous, il est donc rentable de les tenir pour vraies.

La manière dont nous mobilisions communément le rasoir d’Ockham nous a donc permis de mettre en lumière une hypothèse sous-jacente, relativement insidieuse et largement répandue : une injonction au vraisemblable : « La théorie la plus vraisemblance doit être retenue ! ».
Laissons de coté ce cher Ockham pour nous concentrer plus généralement sur l’utilisation de cette hypothèse et sur sa légitimité.

« Tu privilégieras la meilleure hypothèse »

Suivant les contextes, la prémisse d’injonction au vraisemblable est parfois pertinente et parfois elle ne l’est pas. Prenons deux exemples classiques des enseignements de pensée critique :

  • On enferme un chat et une souris dans une pièce. Dix minutes plus tard on y retrouve plus que le chat. On peut alors formuler plusieurs théories : « le chat a mangé la souris », « la souris s’est téléportée », « la souris a tué le chat et a pris son apparence », etc. Cet exemple classique que l’on doit à Stanislas Antczak est souvent utilisé en cours pour illustrer le principe du rasoir d’Ockham.
    Ici il est clair que quand on dit qu’il faut privilégier la théorie ayant les hypothèses les plus parcimonieuses, il est sous-entendu que c’est dans un cadre spécifique où l’on cherche à trouver l’explication la plus vraisemblable dans un exemple théorique. La prémisse d’injonction au vraisemblable peut donc être sous-entendue sans problème.
  • Une femme Cro-Magnon se promenant en foret entend un bruit dans un buisson. Les prédateurs étant rares à cet endroit il est probable que ce soit seulement le vent ou une petite bête inoffensive. La théorie la plus parcimonieuse est donc « ce n’est pas un prédateur ». Faut-il pour autant la privilégier c’est-à-dire la tenir pour vrai4 et agir en fonction ? Non, ce serait trop risqué, s’il s’agit effectivement d’un prédateur elle pourrait se faire attaquer. Accepter l’injonction à la vraisemblance ici serait une erreur de raisonnement en plus d’être une vraie menace pour la survie. La théorie à privilégier est plutôt celle de la présence d’un prédateur c’est à dire la théorie qui a le plus de chance de sauver les fesses de notre aventurière.

On peut alors marquer une différence essentielle entre la théorie la plus vraisemblable et la théorie la plus rationnelle à adopter. Ainsi, il existe des situations où le choix rationnel n’est pas d’adopter la théorie la plus vraisemblable. On pourrait même conjecturer que c’est le cas dans la plupart des situations.

Faisons un petit jeu en guise de dernier exemple. Nous faisons un pari sur la réalité d’une visite extraterrestre. Voici les enjeux :

Photographie de Petit-Rechain supposée représenté un vaisseau extra-terrestre.
L’OVNI de Petit-Rechain reste un véritable mystère ! (Pas du tout)

  • Si aucun extra-terrestre n’a visité la terre au cours du siècle dernier, tu gagnes : je t’offre une chocolatine.
  • Si, au contraire, au moins un extra-terrestre a visité la terre au cours du siècle dernier, je gagne : tu dois boire un poison mortel.

Alors acceptez-vous mon pari ?

Un petit modèle mathématique

Cette section propose d’illustrer la situation au travers d’un modèle mathématique. Si vous n’êtes pas très à l’aise, vous pouvez passer directement à la section suivante.

Une manière d’envisager le problème est de considérer deux éléments :

  • La vraisemblance de la théorie
  • Les enjeux associés à l’adoption de cette théorie.

Il semble alors que la théorie qu’il faut tenir pour vraie doit prendre en compte la vraisemblance des différentes théories pondérées d’une certaine manière par les enjeux associés à chacune de ces théories. Essayons de mathématiser cela : Imaginons une situation dans laquelle s’affrontent deux théories T1 et T2 5 et on note P(Ti) la probabilité (ou la vraisemblance) de la théorie Ti.. On note enfin T* la théorie qu’il faut privilégier, c’est-à-dire la théorie qu’il faut tenir pour vraie. La formulation du rasoir d’Ockham prescriptif « Il faut privilégier la théorie ayant les hypothèses les plus parcimonieuses » L’injonction à la vraisemblance pourrait alors se traduire comme suit :

La théorie T* est telle que P(T*) ≥ P(Ti),

Autrement dit, la théorie à privilégier est celle parmi les deux théories qui a la plus grande probabilité d’être vraie.

Maintenant introduisons une fonction d’utilité u, qui à chaque paire de théorie Ti et Tj associe un nombre u(Ti | Tj) (entre -1 et 1 par exemple) correspondant à la balance bénéfice/coût liée au fait de tenir pour vraie la théorie Ti alors que c’est la théorie Tj qui est vraie. Donc par exemple u(T1 | T2) correspond à l’utilité de tenir T1 pour vrai alors que c’est T2 qui est vraie et u(T1 | T1) correspond à l’utilité de tenir T1 pour vrai alors que c’est bien que T1 qui est vraie. On pourrait alors choisir la théorie T* à privilégier comme ceci :

La théorie T* est telle que
u(T*,T1)×P(T1) + u(T*,T2)×P(T2) ≥ u(Ti,T1)×P(T1) + u(Ti,T2)×P(T2)

Autrement dit, la théorie à privilégier est celle parmi les deux théories dont l’adoption a les plus grands bénéfices attendus. Pour faire un parallèle avec le rasoir d’Ockham, on pourrait appeler ce principe le rasoir de Darwin puisque c’est celui qui maximise les conséquences positives et donc les chances de nous sauver les fesses (le rasoir « Gillette de sauvetage » marche aussi).

On peut ici reconnaître une vieille idée : celle du pari de Pascal. Il vaut mieux croire en Dieu puisque les gains sont infiniment plus grands s’il existe que le sont les pertes s’il n’existe pas. Au moment de faire un choix il ne faut pas seulement considérer la vraisemblance de l’existence ou de la non-existence de Dieu, il faut également considérer les enjeux liés à chacune de ses possibilités.

Afin d’illustrer cette mathématisation qui peut paraître obscure, reprenons l’exemple évoqué ci-dessus de la femme Cro-Magnon. On considère trois théories :

  • T1 : « Il s’agit d’un prédateur » 
  • T2 : « Il s’agit d’une bête inoffensive »
  • T3 : « Il s’agit d’un coup de vent »

Les probabilités associées sont par exemple P(T1 ) = 0,05 ; P(T2 ) = 0,35 ; P(T3 ) = 0,6.
L’injonction à la vraisemblance impliquerait donc de privilégier la théorie T3 : « Il s’agit d’un coup de vent ». Mais, nous l’avons vu, c’est un choix risqué. La théorie T3 n’est donc pas celle à privilégier est elle seulement la plus vraisemblable.

Considérons ensuite les fonctions d’utilité u(Ti, Tj) 6 résumée dans le tableau suivant :

Ti (je tiens pour vrai) ↓ \ Tj (réalité) → T1 : prédateur T2 : bête inoffensive T3 : coup de vent
T1 : prédateur 1
Vrai positif : Je considère que c’est un prédateur et c’est réellement un prédateur
→ Course et survie
-0,02
Faux positif : Je considère que c’est un prédateur et c’est une bête inoffensive
→ Course pour rien
-0,02
Faux positif : Je considère que c’est un prédateur et c’est un coup de vent
→ Course pour rien
T2 : bête inoffensive -1
Faux négatif : Je considère que c’est une bête inoffensive et c’est un prédateur
→ Pas de réaction, mort
0
Vrai positif : Je considère que c’est une bête inoffensive et c’est réellement une bête positive
→ Pas de réaction
0
Faux négatif : Je considère que c’est une bête inoffensive et c’est un un coup de vent
→ Pas de réaction et erreur sans conséquence
T3 : coup de vent -1
Faux négatif : Je considère que c’est un coup de vent et c’est un prédateur
→ Pas de réaction, mort
0
Faux négatif : Je considère que c’est un coup de vent et et c’est une bête inoffensive
→ Pas de réaction et erreur sans conséquence
0
Je considère que c’est un coup de vent et c’est réellement un coup de vent
→ Pas de réaction
Tableau donnant les valeurs de la fonction d’utilité7.

On peut alors calculer pour chaque théorie Ti la somme pondérée des utilités pour savoir laquelle il vaut mieux privilégier :

  • u(T1,T1)×P(T1) + u(T1,T2)×P(T2) + u(T1,T3)×P(T3) = 1× 0,05 – 0,02 × 0,35 – 0,02 v 0,6 = 0,031
  • u(T2,T1)×P(T1) + u(T2,T2)×P(T2) + u(T2,T3)×P(T3) = -1× 0,05 + 0 × 0,35 + 0 × 0,6 = -0,05
  • u(T3,T1)×P(T1) + u(T3,T2)×P(T2) + u(T3,T3)×P(T3) = -1× 0,05 + 0 × 0,35 – 0,2 × 0,6 = -0,05

Ainsi, il convient de tenir pour vrai la théorie T1. Ce qui est en effet le choix le plus rationnel.

D’une certaine manière la formulation du rasoir d’Ockham prescriptive (« Il faut privilégier la théorie ayant les hypothèses les plus parcimonieuses ») est un cas particulier de ce rasoir de Darwin dans lequel on considérerais que toutes les fonctions d’utilité sont égales. Et c’est tout à fait pertinent dans de nombreux cas, notamment quand on est le cul posé en amphi et que l’on cherche la bonne explication pour la disparition d’une souris imaginaire. Mais ça ne l’est plus quand on considère des choix concrets qui ont des impacts matériels dans nos vies.

Oui mais enfin, me dira-t-on, tu chipotes avec tes formules mathématiques et tes nuances sémantiques, personne ne fait cet abus-là ! Et bien, au contraire, il me semble que cela a des effets concrets sur la manière dont on parle et dont on transmet la pensée critique. L’idée (fallacieuse nous l’avons vu) qu’il serait toujours logique de privilégier le plus vraisemblable est, il me semble, un postulat sous-jacent et invisible qui semble assez largement répandu. Nous allons essayer de voir cela dans la partie suivante.

Quelques considérations sur la manière de transmettre la pensée critique

Parler du rasoir d’Ockham était surtout un prétexte. Ce principe reste bien évidement très utile dans de nombreux cas et notamment quand il s’agit de réfuter l’existence d’entité explicative superflue (extra-terrestre, cryptides, phénomènes psy, théières cosmique, licornes invisible et autres dragons dans le garage). Mais son application à des cas concrets est plus délicate et met en exergue une erreur logique que l’on a tendance à faire : considérer que le plus vraisemblable est nécessairement le plus rationnel à adopter. Et c’était plutôt cette idée que l’on voulait souligner ici.

Lutter contre cette idée c’est aussi aller vers une pensée critique plus large en cela qu’elle prend en compte au delà des considérations épistémologique, les conditions concrètes des individus, les enjeux et les intérêts particuliers qui peuvent gouverner a l’adoption d’une position. Cet aspect peut se retrouver dans certaines définition de l’esprit critique comme chez Matthew Lipman qui parle de sensibilité au contexte8 :

La pensée critique est cette pensée adroite et responsable qui facilite le bon jugement parce qu’elle s’appuie sur des critères ; elle est auto-rectificatrice ; elle est sensible au contexte.

Matthew Lipman (1988), « Critical thinking: What can it be? »

Je ne sais pas tout à fait ce qu’entendait Lipman par « sensibilité au contexte », mais il nous semble pertinent d’y voir une sensibilité aux enjeux. L’occasion de souligner que cette conception de l’esprit critique centrée sur la plausibilité n’est pas universelle. La recherche en esprit critique ou les théories du choix rationnel dépassent clairement cette conception là. Mais il semblerait qu’elle soit assez répandue dans une approche classique de la zététique (ce qui n’est pas sans rappeler la très bonne conférence Les deux familles du scepticisme de l’ami Tranxen)

Comprendre des choix jugés irrationnels

Il est d’autant plus intéressant de considérer ce double aspect vraisemblance et enjeux que c’est probablement quelque chose de cette forme-là qui a été sélectionné au fil de l’évolution et qui est effectivement implanté dans nos schémas de prise de décision9. Nous prenons des décisions en combinant ce qui nous semble vraisemblable (but épistémiques) et ce qui nous semble nous bénéficier (but non-épistémiques) 10. Prenons l’exemple d’une personne qui croit en une thèse conspirationniste. Ce n’est pas forcément que la personne croit plus vraisemblable que nous soyons dirigés par des lézards extraterrestres, mais c’est peut-être qu’elle considère plus utile, plus rentable pour elle de le croire. Cette utilité perçue peut d’ailleurs s’expliquer de différentes façons :

  • La personne peut percevoir qu’il vaut mieux croire dans l’existence des reptiliens. Par exemple en se disant que s’ils existent réellement et qu’on l’ignore, le risque de manipulation est énorme. Le risque inverse (y croire alors qu’ils n’existent pas) peut sembler moins grave.
  • La personne peut vivre dans un environnement social où cette croyance est valorisée.
  • Les engagements passées de la personne peut rendre très coûteux de changer d’avis.

Cette lecture permet également de comprendre pourquoi certaines personnes vont privilégier des thérapies alternatives et complémentaires (TAC). Ce n’est pas simplement que ces personnes jugent vraisemblable qu’une thérapie X soit plus efficace qu’une thérapie Y. C’est aussi le coût associé à chacune qui va guider ce choix. Par exemple, les TAC peuvent être perçues sans risque d’effet secondaire, plus en phase avec d’autres valeurs alors que le système de santé classique peut être perçu à la solde d’enjeux financiers ou source de discrimination. Des enjeux que l’on pourra juger pertinents.

De ce point de vue-là, il est difficile de considérer qu’un choix est irrationnel. Il est (presque) toujours rationnel à l’aune des enjeux perçus par l’individu. Ainsi, peut-être est-il un peu simpliste d’affirmer que les personnes qui s’opposaient au vaccin anti-covid était des « cons » sans prendre en compte les enjeux qui ont pu traverser ces individus (le manque de transparence, l’angoisse de la pandémie, la peur du contrôle, l’urgence…) comme cela est bien pointé dans la vidéo Le biais et le bruit de Hygiène Mentale (notamment à partir de 23:40) ou dans la série d’article Les gens pensent mal : le mal du siècle du blog Zet-ethique métacritique.

Ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire

Si l’on reprend une définition classique de l’esprit critique (Ennis 1991) « Une pensée rationnelle et réflexive tournée vers ce qu’il convient de croire ou de faire », il est intéressant de considérer séparément ces deux éléments ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire.

J’ai pensé dans un premier temps que ce qu’il faut croire correspond toujours à l’explication la plus vraisemblance alors que ce n’est pas nécessairement le cas pour ce qu’il faut faire. Pour reprendre deux exemples déjà donnés dans cet article, il serait rationnel de croire que mon champignon est probablement comestible et en même temps de ne pas le manger. Donc de croire en une théorie et d’agir en fonction d’une autre. Il serait rationnel pour la femme Cro-Magnon de croire que ce n’est pas un prédateur et en même temps de partir en courant.

Mais à la réflexion, je ne vois pas de raison pour que ce soit nécessairement le cas. Faut-il toujours accorder notre croyance à la théorie la plus vraisemblable ? On peut même trouver des contre-exemples : une théorie en philosophie de l’esprit affirme que la conscience11 n’existe pas ou du moins qu’elle n’existe pas comme on l’entend. Elle serait plutôt une illusion créé par notre système cognitif. Cette théorie s’appelle d’ailleurs l’illusionnisme. Quand bien même il y aurait des preuves solides de sa vraisemblance, j’imagine qu’il en va de notre santé mentale de ne pas trop y croire.
De la même manière, on pourrait aussi penser à la question de l’existence du libre arbitre. Quand bien même il serait plus probable que le libre arbitre n’existât pas, il pourrait être préférable de continuer d’y croire.

Il me semble qu’il n’y a pas de raison qu’il faille en soi croire en la théorie la plus parcimonieuse. Cela nous pousserait à nouveau à faire un bond périlleux à travers la guillotine de Hume. La prémisse « il faut croire ce qui est vraisemblable » est certes très utile la plupart du temps, il me semble que rien ne l’impose dans l’absolu. J’imagine que la plupart du temps il est même préférable de croire en une version approximative, facilement manipulable et transmissible qu’en la théorie la plus parcimonieuse.

Une vision plus globale de la pensée critique

Considérer que les choix et les actions d’un individu ne se base pas seulement sur ce qu’il considère comme étant le plus vraisemblable, ouvre d’autres pistes de réflexions qui peuvent être prolifiques.

Comme on l’a vu dans les exemples précédents, le recours à des TAC ou les discours conspirationnistes ne peuvent plus se réduire à la bêtise ou la méconnaissance de l’individu. Il convient de prendre en compte les enjeux qu’il perçoit autour de ces questions et qui le poussent à adopter tel ou tel point de vue.

Prenons un nouvel exemple : la question du nucléaire civil. Certaines organisations s’opposent au nucléaire en évoquant le danger qu’il représente (déchets, accidents…). Pourtant des sources sérieuses abondent pour expliquer en quoi la sécurité est très bien contrôlée et les risques assez minimes. On pourrait alors perdre son temps à développer en quoi ces discours sont contraires aux meilleures connaissances actuelles. C’est-à-dire restreindre le champ de réflexion de la pensée critique à une simple question épistémique.
Il semble plus riche de considérer plus globalement les enjeux perçus pour comprendre les différentes positions. Les risques liés au nucléaires peuvent être perçus comme particulièrement angoissants : les échelles de temps très longue, les représentations des catastrophes passées, la méconnaissance d’une technologie extrêmement complexe, … Probablement que ces éléments-là peuvent influencer les positions sur le nucléaire au moins autant qu’un seul point de vue épistémique de la question. Le contexte socio-politique dans lequel prend place cette technologie influence donc la représentation que peut en avoir la population : quel contrôle de la part de la population ? Y a-t-il des intérêts privés ou militaires ? Quelle confiance est accordée au gouvernement ?
Il est probable par exemple qu’un système davantage démocratique (transparence et contrôle sur nos choix énergétiques, médias sans conflits d’intérêts, …) pourrait favoriser l’adoption de points de vue plus informés et raisonnés.

Cela ouvre donc d’autres leviers d’action pour la pensée critique : au-delà de considérer simplement un individu, ses systèmes de croyances, ses stratégies argumentatives… on peut questionner et vouloir modifier le champ informationnel dans lequel il baigne et qui influence ses croyances et ses actions. Pour paraphraser Bertold Brecht : « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est irrationnel, mais on ne dit jamais rien de l’irrationalité des rives qui l’enserrent ».

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Un grand merci à mes camarades du Cortecs Jeremy Attard, Céline Schöepfer et Delphine Toquet pour leurs relectures attentives et leurs conseils pour la rédaction de ce texte qui est presque devenu un article collectif !

Des mots pour abîmer les dogmes : Poésie et pensée critique

Qu’est-ce qui nous fait sortir des chemins battus qu’emprunte aveuglément notre pensée ? Qu’est-ce qui fait vaciller les esprits, les normes, les règles, les habitudes ? Bien peu de choses semble-t-il. Mais peut-être que la poésie est de celles qui savent corrompre les équilibres trop bien établis de nos mondes intérieurs nous confinant à un éternel statu quo. C’est en tout cas une idée que nous avons tenté d’explorer dans le dernier épisode en date du podcast « Enfin, peut-être », intitulé « Le droit des ombres à choisir leur forme et leur couleur », en compagnie de Gabrielle Golondrina.
L’essentiel de l’épisode consiste à découvrir des textes à même de bousculer nos représentations du monde. Dans cet article nous en retranscrivons l’introduction et la conclusion qui tentent d’éclaircir et de motiver cette idée : les mots ont le pouvoir de fissurer la niche confortable et redoutable que sont les dogmes.

Edito : La poésie et le doute 

Il n’y a pas d’esprit critique. 

Je veux dire : il n’y a pas d’esprit qui soit continûment critique : toujours à l’affût de ses perceptions, décortiquant toute information, analysant tous les arguments, interrogeant chaque mot et doutant de sa capacité à raisonner. On ne peut pas toujours prendre du recul, il y a des moments où on est juste là. Parce que le doute est inconfortable.
Voilà ce que dit à ce sujet David Hume dans Enquête sur l’entendement humain

“La grande destructrice du pyrrhonisme, des principes excessifs du scepticisme, c’est l’action, c’est le travail, ce sont les occupations de la vie courante. Ces principes peuvent fleurir et triompher dans les écoles, où il est, certes difficile, sinon impossible de les réfuter. Mais aussitôt qu’ils quittent l’ombre et que la présence des objets réels, qui animent nos passions et nos sentiments, les oppose aux plus puissants principes de notre nature, ils se dissipent comme de la fumée, et laissent le sceptique le plus déterminé dans le même état que les autres mortels”

David Hume, Enquête sur l’entendement humain

Même après avoir remis en cause nos systèmes de croyances, nos raisonnements, nos arguments, on atterrit dans un nouveau vallon confortable, une nouvelle structure dans laquelle il nous est possible de penser et de vivre. Vous avez peut-être vécu la découverte de la pensée critique comme un abandon du monde de la croyance pour celui de la vérité ou celui du doute permanent. Il n’en est rien, vous l’avez abandonné au profit d’un autre système. Probablement meilleur d’ailleurs. Encore qu’il est difficile de savoir ce que signifie ce meilleur, mais c’est une autre question.   

Il n’y a donc pas de pensée critique, ce que l’on expérimente c’est plutôt des bonds critiques. Ce sont des instants isolés où l’on perçoit une erreur de raisonnement jusque-là invisible, où l’on réalise l’ambiguïté d’un mot, où l’on distingue une autre manière de voir les choses, où l’on doute réellement. On va alors faire évoluer notre appréhension du monde vers un autre état, stable à nouveau.  

Voilà, le scepticisme est fait de bonds qui séparent deux états stables de la pensée. On peut évidemment favoriser l’apparition de ces bonds critiques afin de mettre à jour régulièrement notre vision du monde.  

C’est, en un sens, le but des enseignements de zététique et d’esprit critique : s’approprier des méthodes, des outils permettant d’identifier une vision du monde fallacieuse. 

Mais ce n’est pas la seule manière de faire émerger des bonds critiques : dès que nous expérimentons un rapport au monde qui bouscule notre vision courante du monde, celle-ci risque d’évoluer.
Pas toujours d’ailleurs, on peut rejeter en bloc cette expérience inhabituelle, mais si l’on y est disposé, cette expérience peut faire vaciller l’inertie de notre pensée.

Parmi ces sources de perturbations, il y a l’art et en particulier la poésie. Et ce sera le sujet de cet épisode.

L’idée de l’épisode sera de lire quelques textes qui d’une manière ou d’une autre viennent questionner notre vision du monde et possiblement assouplir nos rigidités cognitives. 

———-

Retrouvez le reste de l’épisode ci-dessous :

Conclusion

L’idée que nous voulions partager ici, c’est de promouvoir des visions alternatives, des angles différents, s’amuser à bousculer nos croyances, quelles qu’elles soient. Non pas parce que l’alternative est forcément meilleure mais parce qu’elle montre que notre pensée actuelle peut être remise en question.

C’est une idée que j’ai depuis quelque temps : l’éducation à l’esprit critique gagnerait à insister sur l’exploration des différentes explications et des différentes solutions. Peut-être plus que sur la méthode. En fait, le manque d’esprit critique vient en premier lieu d’un manque de visibilité sur les explications ou les solutions alternatives. Une fois que l’on prend en compte ces différentes alternatives, il me semble que l’on est plus aisément disposé à les comparer et que la méthode pour y parvenir en découle plus naturellement.  

Je vais prendre un exemple que je cite souvent et qui vient du livre La naissance de la pensée scientifique de Carlo Rovelli. Il raconte le périple de Hécatée, un historien et géographe grec qui part voyager en Egypte. Hécatée est un savant et il sait que l’histoire humaine se résume en gros à une vingtaine de générations. Avant cela, c’était le règne des dieux. Il le sait parce que c’est ce que son maître lui a transmis, et c’est ce que le maître de son maître avait transmis à son maître. C’est une connaissance qui fait partie de la culture grecque à ce moment-là. Non seulement Hécatée n’a aucune idée de comment il pourrait la tester, mais pire, il n’imagine même pas que cette connaissance pourrait être testée et remise en question.

Hécatée part donc en Egypte, il y visite le temple de Thèbes et il est confronté à la vision égyptienne de la généalogie humaine qui compte, elle, 343 génération d’humains. Hécatée en est fortement déstabilisé et de retour en Grèce, il lui est désormais possible de se dire que sa connaissance de l’histoire peut être remise en question et il peut commencer à réfléchir à une méthode pour y parvenir. Voilà ce qu’en dit Carlo Rovelli :

“Un Grec, devant les statues égyptiennes qui contredisent spectaculairement son orgueilleuse vision du monde, a peut-être commencé à penser que nos certitudes peuvent aussi être mises en doute.
C’est la rencontre avec l’altérité qui ouvre nos esprits, en ridiculisant nos préjugés.”

Carlo Rovelli, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique

Cette aventure, vécue par Hécatée et par un certain nombre d’autres penseurs grecs de l’époque, est assez emblématique de ce qui se passe dans le bassin méditerranéen au IVe siècle avant notre ère et plus particulièrement en Ionie : le contexte de cette période a rendu possible la naissance de la pensée scientifique. Et ce n’est pas pour rien que le livre porte justement ce nom, c’est parce que cet événement, aussi flou soit-il, est souvent situé dans cette région et à cette époque.
Et il y a trois facteurs qui peuvent expliquer cela :  les échanges culturels se multiplient, les premières formes de démocraties apparaissent et la simplification de l’écriture rend l’accès à la culture beaucoup plus facile1. Trois facteurs qui vont faire émerger des pensées alternatives, des connaissances contradictoires, des points de vue différents et desquels va spontanément découler une critique des dogmes et la mise en place de méthodes pour comparer, quand cela est nécessaire, ces différentes visions du monde.

La pensée critique naît de là, de ces confrontations à une altérité qui bouscule nos préjugés, qui mobilise notre flexibilité cognitive, qui fissure les dogmes et les conventions. Il faut, je crois, toujours être attentif à cette altérité et rendre visible celles et ceux qui l’incarnent : les artistes, les punks, les queers, les clowns, les marginaux, les pirates, les poètes, les rhinocéros et les enfants…  

Je vous laisse avec un dernier poème : « Les statuts de l’Homme » de Thiago Mello qui se permet de réécrire les règles qui gouvernent le monde, jusque dans les mots que l’on utilise, jusque dans nos ressentis, jusque dans les lois physiques et qui, de ce fait, fragilise, l’espace d’un instant, des conventions qui étant trop familières nous deviennent des fatalités.  

Chemtrails, subitisation, musicothérapie, lapin qui saute… le best of des dossiers étudiants 2022/2023

Les formations proposées par le CORTECS sont souvent l’occasion de faire travailler des étudiant·e·s sur des projets zététiques. Ces dossiers sont de qualité variable : on comprend (et on regrette) que la charge de travail des étudiant·e·s ne leur laisse pas beaucoup de place pour les yétis, les fantômes et autres monstres de la raison. Mais parfois, certains travaux sont très bons et méritent largement d’être rendus publics pour profiter à tout le monde. S’ils ne sont pas infaillibles (mais aucun travail ne l’est) ils font preuve d’une rigueur et d’une démarche critique qui nous semblent satisfaisantes.
Vous trouverez donc sur cette page quelques-uns des meilleurs dossiers produits par les étudiant·e·s des formations zététique du Cortecs en 2022 – 2023. Les premiers proviennent des cours donnés à l’école d’ingénieur ENSEEIHT à Toulouse par Nicolas Martin, les suivants sont issus d’un cours donné à l’Institut d’enseignement à distance en Sciences de l’éducation de l’Université Paris 8 par Vivien Soldé.

Cours à l’ENSEEIHT

Etude de l’influence de la couleur d’éléments sur leur subitisation

[Télécharger ici] Par L. Bahroun, A. Ecorce, N. Bertheloot, N. Groenen

246 cure-dents. Ça se voit.

La subitisation c’est la capacité à percevoir le nombre d’éléments dans un ensemble « d’un seul coup d’œil », sans les compter individuellement. Comme les cure-dents dans Rain Man vous voyez. D’ailleurs cette capacité est probablement une légende, et des études montrent que les autistes auraient d’ailleurs de moins bonnes capacité de subitisation 1.

Mais là n’était pas la question. Il s’agissait ici de savoir si la subitisation est plus facile si les éléments à compter sont de couleurs différentes. La taille d’échantillon n’est pas énorme, mais les résultats semble montrer que oui, la bicoloration facilite la subitisation (j’aime bien cette phrase). Une chouette expérience à répliquer et à décliner !

La musicothérapie (et influence de la musique sur la pousse des plantes)

[Télécharger ici] Par T. El Hadi, T. Haas, S. Léostic, D. Zribi

Les cactus poussent-ils mieux en écoutant Jacques Dutronc ?
Les étudiants ont dans un premier temps présenté les prétentions et un peu de littérature sur la musicothérapie. Ils ont ensuite voulu voir si la musique influençait la pousse de lentilles. Le protocole est très chouette mais pas parfait (pas de double aveugle, petit échantillon, plusieurs risques de biais) mais il semble que oui les plantes exposées à la nocturne n°2 de Chopin, ont bien poussé plus vite… surprenant ! Reste à essayer de comprendre ce qui a vraiment joué et si ça marcherait aussi bien avec du NTM.

Influence de la construction d’un sondage sur les réponses des participants

[Télécharger ici] Par C. Olivi, A. Wagret et C. Serre
L’ordre dans lequel les questions sont posées dans un sondage peut-il influencer les réponses des participants. On y parle de l’effet entonnoir; de l’effet de contexte logique et de l’effet de contexte sémantique.
Bien que l’analyse statistique aurait pu être plus précise, l’étude semble bien montrer une influence (dans le sens inverse de ce qui avait été prédit). Le recul critique sur l’étude est bien montré.

La génération de l’aléatoire par le cerveau et les manières de l’influencer

[Télécharger ici] Par L. Baldet, B. Berlin, G. Laumonier, M. Lourenco

Le cerveau est mauvais générateur d’aléatoire, on le sait. Si on demande de générer un nombre entre 1 et 10, chaque valeur n’a pas la même chance d’être donnée.
Mais y a-t-il une différence si on demande de penser, de choisir ou de sélectionner un nombre au hasard ? Apparemment oui !

Illusion sensorielle – Effet cutané du lapin (ECL)

[Télécharger ici] Par L. Seugnet, E. Massol, A. Goodwin, S. D’alimonte, E. Norroy

L’illusion cutanée du lapin qui saute est une illusion au nom très marrant et qu’il est vraisemblablement très difficile à observer. Pour ma part, je l’ai longtemps cherchée mais jamais réellement observée. C’est mon big foot à moi. Alors j’ai proposé à un groupe d’étudiant·e·s de partir à sa recherche avec méthode : en fouillant la littérature pour essayer de le mettre en évidence… sans grand succès. Cette illusion serait-elle illusoire ? Le mystère demeure.

Encore un grand bravo à toutes les étudiantes et étudiants et un grand merci : j’apprends beaucoup grâce à vous. Merci aussi à celles et ceux qui ne sont pas ici. On sait que vous aimeriez avoir plus de temps pour parler de yéti et de fantôme !

Cours à l’IED 2 de Paris 8

Chemtrails, analyse d’une théorie complotiste

[Télécharger par ici] par E. Lépine Bazzucchi

Cette étudiante s’intéresse à la construction de la théorie des chemtrails grâce à un
ensemble de documents écrits, photos, audios et vidéos venant du web. Tout au long de ce travail, elle remet en cause ses certitudes, et si les arguments des partisans des chemtrails ne la convainquent pas, certaines ouvertures autour des épandages de pesticides et de la géo-ingénierie la laissent plus dubitative…

affiche festival low-tech

Pensée critique & Low-tech : le Cortecs au festival Apala

affiche festival low-tech

Du 22 au 25 Juin avait lieu à Nantes le festival « Low-tech : au-delà du concept » organisé par l’association APALA (« Aux petits acteurs l’avenir ») et qui se veut un lieu d’échange autour des enjeux environnementaux et sociaux actuels. Le Cortecs y était présent en la personne de Nicolas Martin qui y a donné une conférence et un atelier. Il nous raconte.

« Contre le concept de nature »

Faut-il revenir à la traction animale pour éviter d’avoir à utiliser un tracteur ? Voilà un dilemme low-tech 1 qui aurait pu servir d’introduction à la conférence. Si la question est complexe, l’argument consistant à dire que la traction animale serait plus « naturel » semble en tout cas peu satisfaisant ! Et c’est là un écueil possible des mouvements low-tech (et écologistes en général) : promouvoir un retour à un passé fantasmé, à un état antérieur qui aurait été perverti. Et c’était là le propos de ma conférence : Pourquoi la nature n’est pas un bon critère et comment est-ce que l’on peut s’en passer2. Vous pouvez retrouver une rediffusion de la conférence ici :

Nicolas Martin – Contre le concept de nature

Notons que les critiques de « l’appel à nature » se résument parfois à l’opposition entre nature et chimique que l’on retrouve souvent dans le marketing, l’alimentation ou la santé. En réalité l’idée de nature est bien plus pernicieuse que cela puisqu’elle soutient au moins en partie des systèmes de dominations (spécisme, sexisme, racisme, validisme…) et joue un rôle important dans la surexploitation des ressources et dans notre système économique actuelle.

Pour répondre au dilemme ci-dessus, plutôt que d’invoquer le critère de nature — ou un autre critère arbitraire, comme le progrès — il semble plus judicieux de considérer les conséquences de chaque option et choisir celle qui, par exemple, minimise les souffrances de tous les êtres capables d’en ressentir (cheval y compris donc). Il est important aussi d’explorer toutes les alternatives possibles : le problème « traction animale vs. tracteur » formant certainement un faux dilemme.
Ce remplacement d’une vision naturaliste par une vision conséquentialiste (et sentientiste 3) est abordé dans la deuxième partie de la conférence.

J’ai, malheureusement, oublié pendant la conférence de citer le très bon site contrenature.org qui référence du très bon contenu sur ce sujet là.

Enfin je remercie les personnes (entre autre Thomas Lepletier) qui suite à ma conférence m’ont remonté les bretelles sur mes références à Philippe Descola. Si son travail sur l’idée de nature a été central et reste pédagogiquement intéressant, il serait possiblement dépassé et peu enclin à porter un discours anti-spéciste 4. J’en prend note pour l’avenir !

Atelier esprit critique pour le militant : décortiquer une question complexe

Couverture du manuel
Couverture du manuel

En plus de la conférence j’ai également animé un atelier proposant de décortiquer une question complexe avec des outils critiques. L’atelier s’appuyait en grande partie sur les outils proposait dans le petit manuel d’esprit critique pour le militantisme écologiste présenté ici.

Le déroulé de l’atelier s’est fait en trois temps : dans un premier temps, j’ai proposé une introduction rapide présentant le petit manuel ainsi que l’intérêt d’avoir des outils face à des questions complexes ; ensuite les participants, par groupe de 3 ou 4 ont travaillé sur une problématique de leur choix en suivant la méthode proposée (détaillée ci-dessous) ; enfin dans un dernier temps nous avons fait un débat en utilisant la grille de lecture préalablement établie.

La méthode proposée

Partant du principe que nos points de vues sont limités (on ne voit qu’une partie du problème et qu’une partie des solutions), l’idée est d’éclater le problème pour en avoir une vue plus globale. Cela se fait en 5 étapes dont le but principal est de construire un tableau. Chaque groupe travaille sur un problème et en parralèle je fais le même exercice à partir d’un exemple traité dans le petit manuel celui de l’expérimentation animale.

  1. Pensée multifactorielle : Lister tous les facteurs et enjeux liés à cette problématique.
    Dans l’exemple que je traite je liste les suivants : avancées médicales, bien-être animal, rapports de domination, coûts financiers, emplois du secteurs, …
    Chaque groupe en fait de même puis le présente aux autres. En échangeant on peut identifier de nouveaux facteurs. Je rajoute d’ailleurs avancées scientifiques et enjeux religieux / philosophiques à ma liste.
  2. L’alternative est féconde : Identifier les autres solutions, modes de fonctionnement, qui pourraient se substituer à l’alternative principale.
    Dans mon cas je note : Expérimentation sur les humains, simulation bio-informatique, abandon de la recherche médicale nécessitant des tests, puis sur proposition d’une participante Expérimentation in-vitro (non sentient).
    Chaque groupe en fait de même et échange sur les différentes alternatives. À ce stade ils ont un tableau avec en ligne les facteurs et en colonne les solutions.
  3. Remplissage du tableau : Noter si la solution x est plutôt positive ou négative au regard du facteur y.
    Pour ma part par exemple l’arrêt net de l’expérimentation a un impact négatif sur les avancées médicales mais positifs sur les rapports de domination et sur les souffrances.
    Puisque cette étape demande beaucoup de temps et de documentation. Je propose de la faire partiellement et de rajouter des points d’interrogations là où il y a le plus d’incertitude.
  4. Comment trancher ? Sans rentrer dans le détail, j’explique qu’une fois le tableau rempli il faut une réflexion éthique pour savoir comment trancher et se demander ce qui compte le plus.
  5. Comment mettre en place ? Que peut on actionner, individuellement et collectivement, pour promouvoir la solution envisagée.

Je conclus en leur indiquant qu’à partir de cet outil il est possible de mener quatre types de réflexion5 : scientifique (en creusant l’étape 3) ; éthique (en creusant l’étape 4) ; politique (en creusant l’étape 5) et une réflexion « méta » (en creusant l’étape 1 & 2 et en critiquant plus généralement les limites de cet outil).

On termine en faisant un petit débat mouvant sur la question de l’expérimentation animale en se basant sur le tableau que j’ai construit pendant l’atelier et que vous pouvez voir ci-dessous (en qualité discutable) :

Le reste du festival

Ce week-end aura été également l’occasion d’intervenir sur deux autres médias : le podcast du futurologue dans un épisode à venir ainsi que pour un documentaire de Julien Malara à venir.

Le festival aura été l’occasion de discussions riches avec de nombreuses personnes alimentant les réflexions et les échanges entre pensée critique et militantisme que je crois, plus que jamais, très productifs (bien souvent d’ailleurs du militantisme vers la pensée critique !)

Encore un grand merci aux organisateur·ices et à tous·tes les bénévoles pour leur travail formidable et pour la programmation très diversifiée qui laisse un espace considérable à l’auto-critique ! À très vite, j’espère.

« La science est-elle politique ? » 2/2 – Quelques réflexions à ce sujet entre guillotine et grille-pain !

Au mois d’Avril Nicolas et David ont présenté aux Rencontres de l’esprit critique plusieurs ateliers participatifs. L’un d’entre eux proposait de débattre sur les liens entre science et politique. On revient sur ces ateliers dans cet autre article.
Par souci d’honnêteté (et probablement parce que nous aimons à croire que notre avis a de la valeur) nous proposons ici quelques pistes de réflexion et notre posture sur ce sujet-là.

Introduction

Nous avions déjà nos avis avant ces ateliers et les échanges qui y ont eu lieu ont permis d’en formaliser certains, d’en nuancer d’autres, d’en découvrir encore d’autres.

Avant de commencer prenons un peu de recul et notons que suivant le groupe sociopolitique auquel l’on s’identifie, une des deux réponses est plus cool que l’autre. Et tout sceptique que nous sommes (ou que nous souhaiterions être), il est clair que nous sommes influencés par le fait que « la science est politique » puisse être un refrain répété et valorisé au sein de nos bulles sociales. Tâchons, tant bien que mal, de s’en extraire et d’essayer de comprendre ce que cela peut vouloir dire !

Comme cela a été bien identifié au cours des ateliers, se positionner sur l’affirmation « la science est politique » dépend énormément de ce que l’on met derrière les différents termes. Ainsi, que l’on entende « Le résultat d’une expérience scientifique dépend de l’orientation politique du gouvernement » ou que l’on entende « L’activité scientifique interfère avec la vie publique », la réponse ne sera pas la même ! Une bonne manière de discuter la question est donc, dans un premier temps, de débroussailler le sens que l’on donne à cette phrase.
Pour aller plus loin nous vous proposons ci-dessous quelques pistes de réflexions sur ce sujet-là.  

[David] Les différentes acceptions du mot science

Évidemment, ce qui suit n’a pas pour prétention de trancher le débat. Il s’agit uniquement de ce qui nous semblait important à exposer.

Au cours des différents débats et discussions des ateliers, c’est surtout le mot « science » qui a été questionné, chacun·e y allant de son interprétation (à raison, sa polysémie laissant le champ libre !). Le mot « politique » a un peu été laissé de côté, en tout cas nous n’avons pas eu accès aux sens que les participant·es y mettaient.

Personnellement la définition du CNRTL me convient très bien :
Politique : qui a rapport à la société organisée.
C’est assez large pour inclure (presque ?) tout ce qu’on considérerait politique intuitivement. Et même ce qu’on ne considérerait pas politique au premier abord. C’est un reproche courant de ce type de définition super inclusive : « Si tout est politique, alors plus rien ne l’est ». Il se pourrait bien que tout soit politique, mais ça n’empêche pas d’imaginer ce qui pourrait ne pas l’être. (Cela dit, l’emprise des sociétés organisées sur la planète est telle que même l’ermite le plus reclus respire un air pollué et ingère des micro-plastiques.)

Pour ce qui est du sens du mot « science », repassons une couche avec 5 acceptions courantes (détaillées dans cet autre article du Cortecs) :
– La démarche
– Les connaissances
– La communauté vue du dehors
– La communauté vue du dedans
– Le complexe technopolitique

Ces 5 sens sont pratiques pour mieux comprendre de quoi on parle quand on dit « science », mais gardons en tête qu’ils sont indissociables. Les humains composant la communauté se cachent derrière la construction de la démarche et son application ; les connaissances sont manipulées par la communauté, influencent la démarche ; et le complexe technopolitique est toujours présent, étant à la fois la structure sociale dans laquelle s’inscrit la communauté et le produit des connaissances, techniques et technologies issues de l’application de la démarche.
Vous suivez toujours ?
Voyons maintenant de quelle manière chacun de ces sens est lié à la politique.

S’il semble évident que le complexe technopolitique est lié à la politique (c’est dans le nom), ça ne l’est peut-être pas pour tous les aspects qu’il recouvre.
Je suis d’ailleurs insatisfait de la définition donnée par le lien ci-dessus, qui parle de sciences appliquées, technologies et de la genèse socio-politique des axes de recherche.
Tel que je le comprends, il faudrait diviser cette catégorie pour y mettre d’un côté les technologies (grille-pain, centrale nucléaire, pesticides, etc.) et les sciences appliquées (réseau électrique, fission nucléaire, agriculture, etc.) et de l’autre les institutions qui soutiennent ces sciences/technologies/communautés ainsi que leurs traductions politiques (les institutions ne sont pas forcément à mettre dans la communauté, par exemple si on parle d’un ministère).
Cette précision étant faite, pourquoi par exemple, des technologies « banales » seraient politiques ?
Votre grille-pain est politique à deux niveaux :

  • Il est inscrit dans un système technique : conçu, produit avec divers matériaux transformés, assemblé, vendu, raccordé au réseau électrique. Son existence suppose une société complexe et très organisée, avec des niveaux hiérarchiques et de la centralisation. Il est très peu plausible qu’un grille-pain soit produit dans une société anarchiste.
  • Sa conception induit des usages, qui à leur tour induisent une organisation sociale. Il est absolument faux de dire que « les outils sont neutres, tout dépend de ce qu’on en fait ». Justement, ce qu’on en fait est prédéfini à l’avance. Vous pouvez essayer de détourner l’usage d’un grille-pain, vous n’irez pas loin.
    Ces usages contraints mènent donc à agir d’une certaine façon, ce qui forme une pratique sociale à partir d’une certaine échelle. Un exemple caricatural mais très illustratif est celui du smartphone : cet outil a modelé de façon très visible les sociétés qui l’ont adopté. Il est devenu un cadre de pensée. À chaque situation son app’ dédiée.

La communauté vue du dehors ou du dedans, ce sont des humains. Je ne pense pas avoir besoin de développer longuement sur ce qui les relie à la politique. Même la chercheuse la plus indépendante ou le prof le moins investi dans l’organisation de son université ont suivi un parcours de vie qui ne doit rien au hasard, ont des motivations à étudier leur sujet, et impactent la société par leurs activités.

Les connaissances sont politiques par le fait même d’exister… ou de ne pas exister. Produire de la connaissance, c’est coûteux. La production dépend donc de l’intérêt que vouent les scientifiques à étudier un sujet, de l’argent, du temps et des moyens matériels qu’on y consacrera, et du risque qu’on perçoit à étudier le sujet.
Diffuser la connaissance, c’est coûteux également. Là aussi, intérêt, argent, temps, moyens, matériels, tout ça, tout ça.
Enfin, il serait naïf de penser que « tout dépend de ce qu’on en fait ». Tel un outil, la connaissance induit mécaniquement certaines conséquences. On ne peut pas simplement affirmer que « ce qui est ne dit rien de ce qui doit être » (voir le paragraphe ci-après) : on apprend que telle substance utilisée à grande échelle est en fait méga-cancérigène, et on ne va rien faire ?

Enfin, la sacro-sainte démarche ! (ou LA méthode, comme on l’entend parfois, ce qui est déjà trop souvent.)
Premio, elle n’est pas un concept abstrait fonctionnant en autonomie. Il lui faut des humains pour l’imaginer et l’appliquer. La démarche a bien été construite et elle continue de l’être, parce qu’on le veut bien.
Deuzio, la démarche est elle aussi un outil. Et vous savez ce qu’on dit à propos des outils : « tout dépend de ce qu’on en fait ». Non, encore une fois, un outil est fait pour quelque chose. La démarche scientifique, ainsi que toutes les méthodes particulières, sont des outils qui prescrivent des usages.
Troizio, le simple fait de vouloir faire de la science (entendre : appliquer la démarche) est un objectif qui, arbitraire qu’il est, peut se questionner. Une société peut décider des champs qu’elle laisse explorer à la science et de ce qu’elle organise autour de la science. Va-t-on étudier la production de nourriture ? le système de communications ? les moyens de donner des soins ? Ou rien de tout ça ?
Peut-être voyons-nous la démarche scientifique comme un exemple pur de neutralité parce que notre société lui a laissé le champ libre et qu’elle étudie (presque ?) tout. Mais elle n’a pas ce caractère hégémonique partout sur Terre, et ne l’a pas toujours eu chez nous.
Étudier scientifiquement un sujet a inévitablement des conséquences. C’est a minima un changement de point de vue qui s’opère sur l’objet, a fortiori un changement d’organisation sociale.

[Nicolas] « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être » et ce que cela implique réellement… 

Imaginez un gâteau aux fraises. Avec beaucoup de chantilly et des fraises bien rouge. Aussi succulent soit-il, l’existence de ce gâteau n’implique pas automatiquement qu’il doive être mangé. Encore faut-il qu’il y ait quelques personnes autour de la table, qu’elles aient faim (ou qu’elles soient suffisamment gourmandes), qu’elles ne soit pas allergiques aux fraises, éventuellement encore qu’il y ait un couteau pour couper ou des assiettes pour servir. 
L’existence en soi n’implique aucune action, encore faut-il qu’il y ait un désir, un besoin ! 

C’est à peu près cela que l’on entend quand on dit que le descriptif n’implique pas le prescriptif, que la science est amorale1, ou comme le dit la guillotine de Hume : « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être« .
Ce principe peut se justifier d’un point de vue logique assez fondamental. Un argument dont la conclusion contient un « il faut » ou un « doit » – une conclusion prescriptive – ne peut pas découler de prémisses uniquement descriptives. Il faudra au moins une prémisse prescriptive. Prenons quelques exemples :

  • « Le nucléaire est l’énergie la plus bas carbone » n’implique pas directement « Il faut promouvoir le nucléaire ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Il faut promouvoir l’énergie la plus bas carbone ».
  • « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » n’implique pas directement « Il faut traiter différemment les différents groupes humains ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Les différences biologiques doivent servir de critères pour accorder des droits ».
  • « L’homéopathie n’a pas d’efficacité propre » n’implique pas directement « Personne ne devrait prendre d’homéopathie ». Il faudrait y ajouter une prémisse du type « Personne ne devrait utiliser de thérapies sans efficacité propre ».   

Une fois que l’on prend le temps d’exprimer la prémisse prescriptive manquante on se rend compte que la conclusion n’est pas forcément si évidente. Pourtant il arrive bien souvent que l’on cette tendance à sauter directement à la conclusion. Il est donc fondamental de marteler ce principe de la guillotine de Hume dans l’exercice de notre pensée critique.

Ce principe semble (au moins a priori) dissocier le scientifique (descriptif) du politique (prescriptif) et ce dans les deux sens :

  • Ce qui doit être n’a pas à se plier à ce qui est : Par exemple, si l’on constate une inégalité (économique, biologique, sociale, …), cela n’implique pas qu’il faille préserver cette inégalité2. Cette première erreur est à rapprocher de l’appel à la nature ou de l’appel à la tradition. 
  • Ce qui est n’a pas à se plier à ce qui doit être :  Par exemple, si l’on promeut l’utilisation d’une certaine pratique, cela ne doit pas influencer notre perception de celle-ci.
    Cette erreur est à rapprochée du raisonnement motivé.  

Le principe de la guillotine de Hume est souvent celui que défendent celles et ceux qui disent que la science n’est pas politique. Et je suis absolument d’accord avec ce point de vue. Mais il ne faut pas se tromper sur la portée réelle de ce principe ! Examinons quelques éléments pour comprendre ce que ne dit pas la guillotine de Hume et pourquoi il est trompeur de croire qu’elle énonce que la science n’est pas politique.

La frontière entre descriptif et prescriptif

Si d’un point de vue logique il semble qu’il y a une limite claire entre un énoncé descriptif et un énoncé prescriptif, une fois exprimé dans un langage naturel, dans un contexte humain la limite devient assez floue.

Considérons ces trois affirmations :

  • « Les moustiques sont le plus important groupe de vecteurs d’agents pathogènes transmissibles à l’être humain, dont des zoonoses » 
  • « Il faut éliminer certaines espèces de moustiques »
  • « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité ».

La première est clairement descriptive et la deuxième est clairement prescriptive. Mais comment classer la troisième ? Elle semble descriptive, mais l’utilisation du terme « danger » implique une certaine préférence. On peut imaginer que, suivant le cadre dans lequel elle est énoncée, elle pourrait sous-entendre automatiquement certaines prescriptions.

Autre exemple : si je dis « les antivax sont des cons », il semble s’agir d’un énoncé descriptif duquel on ne peut conclure sur ce qu’il faudrait faire sans une autre prémisse prescriptive comme « il ne faut pas être con » ou « il ne faut pas parler avec des cons » ou « il faut lutter contre les cons ». Oui sauf que, ces prémisses-là sont plus ou moins sous-entendues. Elles sont, d’une certaine manière, contenues dans le terme « con » et dans les connotations qui lui sont associées. Nos normes sociales, notre bagage culturel, notre langage forment un package de départ contenant un certain nombre de valeurs prescriptive sous-entendues.
Ainsi « Manger X peut causer la mort » peut directement se traduire par « Il ne faut pas manger X » puisque la prémisse prescriptive « Il ne faut pas manger ce qui peut causer la mort » est sous-entendue.
De la même manière les affirmations « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » ou « Les antivax sont des cons » qui n’impliquent absolument rien d’un point de vue strictement logique risquent suivant le contexte d’énonciation d’interagir avec d’autres prémisses cachées. C’est pour cela que l’on devrait être extrêmement prudent avec ce genre d’affirmation et le cadre dans lequel on les utilise.

Il existerait donc des énoncés purement prescriptif, d’autres purement descriptifs et encore d’autres qui paraissent descriptifs mais sous-entendent un certain nombre d’éléments prescriptifs. Mais où fixer la limite ? À vrai dire, il semble peut-être plus parcimonieux de considérer que tout énoncé charrie par sa formulation et le contexte dans lequel il est utilisé une certaine charge prescriptive plus ou moins forte. 

L’importance du contexte d’énonciation

Précisons ici, que ces prémisses cachées dépendent du contexte dans lequel est énoncée l’affirmation puisque l’interprétation dépend des valeurs du groupe auquel on s’adresse. Des connaissances sur la biodiversité partagées dans une classe de CM1, sur un plateau de télévision ou à un congrès de Valeurs actuelles 3 ne rencontreront probablement pas les mêmes valeurs.

Un fait scientifique pouvant être formulé de différentes manières et dans différents contextes, le choix de ces derniers n’aura pas les mêmes conséquences. Ainsi « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité », « Les moustiques tuent près d’un million d’humains par an » ou « Une minorité d’espèce de moustique sont des vecteurs d’agents pathogènes pouvant être mortels pour l’homme » qui relèvent tous trois d’un même fait scientifique, n’ont pas le même impact.

Lien avec la non-neutralité de la technique

A fortiori, ce qui est vrai pour une production descriptive est vrai pour une production matérielle. Comme l’a montré David plus haut, un grille-pain implique une certaine utilisation de ce grille-pain ou une guillotine implique une certaine utilisation de cette guillotine (oui c’est méta). On vient de voir que le même raisonnement s’applique vis-à-vis d’un énoncé scientifique.
L’un comme l’autre ne sont pas neutres, ou alors dans une acception du mot « neutre » qui me parait assez peu satisfaisante.

Ainsi, si vous posez le gâteau sur la table il y a de très fortes probabilités que celui-ci soit rapidement englouti ! Parce que si l’ontologie du gâteau n’implique pas la gourmandise des enfants, on peut estimer que celle-ci est fortement attendue.

Ce que coupe réellement la guillotine de Hume

Faites usage de la guillotine de Hume, c’est Richard Monvoisin – du moins son t-shirt – en compagnie de Lou Girard qui le dit ! Une photo de Nicolas Valleron (aka NVall)

Attention ! Ce développement ne disqualifie pas la guillotine de Hume, bien au contraire ! Elle est un principe indispensable mais il faut en connaître la portée. La distinction descriptive/prescriptive est tout-à-fait pertinente dans une analyse critique d’un sujet, mais dès lors qu’un énoncé, aussi descriptif soit-il, est plongé dans un contexte humain il faut s’attendre à ce que celui-ci interagisse avec un certain nombre de sous-entendus prescriptifs. Cela devrait nous pousser à prêter une attention particulière aux normes sociales dominantes, à nos propres valeurs morales et à comment des énoncés scientifiques peuvent les conforter ou les bousculer !

[David] Science et engagement

À travers les petites et grandes histoires, nous avons eu une grande diversité de rôle de la science dans l’engagement.
Il semble même que toutes les acceptions courantes de « sciences » aient été représentées : certain·es nous parlaient de leur amour de la méthodologie d’une discipline scientifique, d’autres de discussions avec des scientifiques amateurs, avec des logiciens du quotidien, ou avec des professeurs, d’autres encore de leur découverte de savoirs scientifiques, ou d’autres enfin des impacts de technologies dans leur vie, voire de décisions politiques dans lesquelles le lien avec la science devenait lointain (et c’est tant mieux, l’important dans l’atelier était de livrer des pépites tant qu’on ne dérivait pas trop).

Sans prétendre qu’il soit possible de faire de la sociologie ni de la psychologie à partir de cet exercice, je souhaitais partager un constat qui m’inquiète.
Il semble qu’au sein du mouvement « sceptique », une conception de la science comme d’un objet neutre et potentiellement détaché de la société soit courante et défendue. Il est curieux que des personnes qui réfléchissent à l’irrationalité humaine semblent supposer que lorsqu’ils énoncent un fait celui-ci sera traité par un agent sans vécu, sans désir, sans préférence.
Je m’inquiète de ce que cela peut produire comme engagement.

Si vous consommez du contenu « sceptique », vous avez certainement déjà entendu des affirmations comme « la méthode scientifique est objective », « la science est auto-correctrice », « la science est le moins pire des moyens pour approcher de la vérité ». Voire même des variantes de « Si l’humanité s’éteignait demain et laissait la place à de nouveau êtres intelligents, ils développeraient la même science que nous » : si l’expérience de pensée est intéressante, la conclusion proposée dénote d’une vision positiviste et réaliste naïve (à savoir : les sciences avancent inexorablement dans la même direction et découvrent la vérité du monde).
Cette conception de la science élude les débats autour du réalisme ainsi que la part socialement construite des sciences.

Que faire d’une telle conception de la science dans le champ politique ?
Le risque, en concevant la science comme un objet autonome et lui conférant un certain pouvoir d’énonciation du réel, est de perdre le sentiment de légitimité à s’insurger contre des productions issues des sciences, de n’agir qu’à condition d’avoir des données scientifiques, et de cesser d’envisager exercer un contrôle sur la science, comme on le ferait pour d’autres objets sociaux.
Je ne dis pas qu’il faut tout casser, mais comprendre que la production scientifique (sous forme de discours, de techniques et de technologie) est omniprésente et forme un cadre de pensée qu’on ne questionne plus (comme le fait d’utiliser un grille-pain branché sur un réseau électrique, pour reprendre un exemple concret).
Je ne dis pas qu’il faut balancer toute rationalité et agir spontanément par intuition, mais que la science si avancée soit-elle ne pourra jamais répondre à certaines questions, qui resteront à jamais des décisions humaines et arbitraires (les questions morales notamment). Certaines raisons de croire resteront à jamais non épistémiques.
Je ne dis pas qu’il faut soumettre les découvertes au vote à main levée, mais considérer que la science est pleinement insérée (dans toutes ses acceptions) dans une société et que celle-ci a toute légitimité à décider de l’utilité qu’elle en aura : que veut-on étudier ? Sous quel angle ? Dans quel but ? Avec quels moyens ? Que ne veut-on pas étudier ?

Certains sceptiques (ils ne sont pas les seuls cela dit) ne comprennent pas que l’on puisse défendre des positions « radicales » et le rôle qu’ils donnent à la science dans l’engagement y est peut-être pour quelque chose. Les positions radicales ne sont pas « anti-science », elles tentent de comprendre un sujet au-delà des aspects étudiés par les sciences, d’envisager sa complexité, ce qui est largement compatible avec la prise en compte des données scientifiques à disposition.
Une idée radicale ne découle donc pas forcément d’un raisonnement « scientifique », en tout cas pas entièrement, et elle assume ce fait.
Ainsi il me semble qu’une conception de la science telle que décrite ci-avant entrave certaines formes d’engagement, pour en favoriser d’autres qui négligent des aspects axiologiques et politiques et finalement réduisent le réel tout en pensant détenir la moins pire des méthodes pour le capter.

[Nicolas] Existe-t-il une partie de l’activité scientifique qui soit dépourvue d’arbitraire ?

À travers les différents éléments que nous avons entrecroisés ici, l’idée était de montrer que l’activité scientifique (y compris de vulgarisation scientifique) interfère avec le reste de la vie publique :

  • En amont du travail scientifique : dans les directions de recherche et dans le choix des développements techniques ; dans la structure des institutions, des laboratoires ; dans le budget alloué ; dans l’accessibilité aux études scientifiques ; …
  • En aval du travail scientifique : dans la manière dont les résultats sont formulés et publiés ; dans l’utilisation qui découlera des objets techniques comme des connaissances produites ; dans la communication qui est fait du travail auprès du grand public ; …

Chacun de ces éléments répond à un certain nombre de choix politiques. On pourrait tout de même espérer qu’entre cet amont et cet aval demeure une partie de l’activité scientifique qui se soustrait des choix arbitraires. Entre le moment où le sujet passe les portes du laboratoire et le moment où il en ressort par exemple. Mais même là, des choix demeurent : Est-ce au thésard ou au directeur de travailler sur telle question ? Quel temps alloué aux manipulations et à la rédaction ? Quelle partie de la bibliographie prendre en compte ? Quelles données utiliser ? Quels résultats est-il intéressant de présenter ? Comment la sociologie de la discipline influence la manière de présenter un résultat ? Dans quel journal faut-il publier ? Dans quel séminaire ?
On pourrait alors restreindre et imaginer qu’il existe un moment spécifique, presque sacré, où on se retrouve seul·e face à la méthode scientifique, sans plus aucun choix à faire. Il faudrait peut-être regarder dans différentes disciplines si cela est possible, mais j’imagine que pour chacune il existe à nouveau un certain nombre de choix à faire, de modèles à privilégier, de variables à négliger, de fonctions à optimiser…

Ces arbitrages-là peuvent être influencés par des réalités politiques. Pas toujours de manière saillante évidemment, mais il nous semble que l’ensemble du processus scientifique est soumis, au moins potentiellement, à des choix humains, sociaux, économiques et donc in fine politique.

Il est surement utile de les réduire au maximum. Mais, en tout cas, il nous semble délétère de faire comme si ils n’existaient pas.

Un renard qui trime vaut-il mieux qu’un putois qui flâne ? – Le danger de l’argumentation de la NUPES sur les « nuisibles »

Renard roux. Crédit : Domenico Salvagnin - Wikipedia

le renard (Vulpes vulpes) peut toute l’année être :
– piégé en tout lieu ;
– déterré avec ou sans chien, dans les conditions fixées par l’arrêté du 18 mars 1982 susvisé.

Voici un extrait (en l’occurrence l’article 2) de l’arrêté du 3 juillet 2019 concernant les espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) plus couramment appelées « nuisibles ». On y apprend également quand et comment les belettes, fouines, putois1, corbeaux freux, corneilles ou pies bavardes peuvent être tuées (ou selon la terminologie précise « piégées » ou « détruites au tir »2).
Cet arrêté pose des questions sur notre rapport au reste du vivant : qu’est-ce que le verbe « pouvoir » signifie quand on dit qu’une espèce peut être tuée ? D’où vient la légitimité de ce pouvoir ? Ce n’est cependant pas directement à ces questions que nous répondrons ici3.
Alors que la liste des ESOD sera mise à jour en juillet 2023, 30 député·es de la NUPES interpellent le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu à ce sujet. L’argumentaire qu’ils avancent nous semble assez fragile voire contre-productif au vue des enjeux écologistes. Décorticage…

L’argumentation des députés

Résumons d’abord l’appel au ministre qui a été initié par les députées Manon Meunier et Anne Stambach-Terrenoir et porté par une trentaine d’autres député·es. Vous pouvez retrouver ci-contre en vidéo la prise de parole de Manon Meunier à ce sujet.

En synthèse, certaines espèces considérées comme ESOD ne devraient pas l’être car elles ont certaines utilités : par exemple, le geai des chênes régénère nos forêts, la belette régule les populations de rongeurs qui ravagent les cultures céréalières tout comme le renard qui en plus réduit la circulation d’agents pathogènes. Ces espèces permettent, je cite, « une lutte biologique pour notre agriculture ».

Cherry-picking et biais de cadrage

On peut critiquer cet argument-là en deux temps :

1. On constate que dans leur présentation ne sont évoquées que des fonctions considérées comme utiles de ces animaux. C’est une forme de cherry-picking (ou cueillette de cerises) : on ne considère que les éléments qui vont dans notre sens (les belles cerises) et on oublie ceux qui risquent de réfuter notre position (les fruits pourris). Les raisons pour lesquelles ces espèces ont été classées comme ESOD ne sont pas évoquées. Le risque serait que cela leur retombe dessus : « Ah oui mais vous avez pas dit que le renard ceci ou la martre cela ! » Cela rend l’argumentaire assez fragile.
On peut retrouver par exemple ce travail dans l’avis de la SFEPM (Société française pour l’étude et la protection des mammifères) sur le classement des petits carnivores indigènes « susceptibles d’occasionner des dégâts » .

À bien y regarder, ce cherry-picking est plutôt un moyen de rattraper une erreur d’argumentation qui semble plus fondamentale.

2. Le problème réside plutôt dans le fait d’avoir accepté cette grille de lecture un peu moisie. Se plier à la règle du décompte des bons points de chaque animal c’est accepter l’idée qu’il est pertinent de juger du statut d’un animal à l’aune de son utilité pour les humains. C’est ce que l’on appelle un biais de cadrage : les règles implicites du débat, les termes utilisés ou encore le prisme par lequel est abordé le problème sont malhonnêtes ou contiennent en eux-mêmes le germe d’une idéologie. Dans le cas présent cette grille d’évaluation est spéciste en cela qu’elle ne reconnaît pas d’intérêts propres aux animaux mais seulement un intérêt instrumental pour les humains.

Prenons un autre exemple : si on proposait d’accorder des droits différents aux humains en fonction de leur niveau au sudoku, il est clair que la bonne réponse ne serait pas de défendre la performance de tel ou tel individu, mais plutôt de remettre en question le cadre même de l’évaluation.

Le biais de cadrage est beaucoup plus facile à détecter dans cet exemple que dans le cas des animaux probablement parce que la pensée spéciste et naturaliste imprègne assez solidement notre culture et par conséquent notre vision du monde.

Quelle alternative ?

Le biais de cadrage est une erreur de raisonnement particulièrement difficile à détecter car il est très pernicieux. Même un discours en apparence très rationnel, sourcé, chiffré, répondant à tous les standards scientifiques se construit sur un certain cadre de pensée, isole certaines variables, identifie des enjeux…

L’effort à fournir pour pouvoir le repérer et en proposer une alternative est donc assez important. Ici, on peut s’appuyer sur le discours antispéciste qui prend de l’ampleur et se formalise depuis plusieurs décennies. Nous vous invitons d’ailleurs à consulter sur notre site cette liste de ressources en éthique animale établie par Timothée Gallen.
Alors plutôt que de prendre comme critère d’évaluation l’utilité d’une espèce pour l’humain, pourquoi ne pas considérer plutôt sa sentience, c’est-à-dire sa capacité à ressentir des expériences subjectives et essayer de minimiser les expériences négatives de l’ensemble des êtres sentients ? Sur la question de la sentience, nous vous renvoyons sur le site sentience.pm créé par le Projet Méduse qui est une mine d’or sur le sujet !

Si le projet semble ambitieux et difficilement opérable dans l’immédiat, une prise en compte plus fine et plus locale des interactions écologiques de chaque espèce semble être un pas dans cette direction. C’est d’ailleurs la direction que préconise la SFEPM dans son avis déjà cité plus haut :

« Il serait pertinent de réfléchir l’obsolescence même de la réglementation sur les ESOD, la notion d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts étant une notion anthropocentrique qui n’a pas de sens du point de vue écologique.
Plus globalement le débat autour des carnivores et d’une biodiversité nuisible et à supprimer questionne la place que la société civile laisse aux espèces qui sont une partie intégrante d’un écosystème fonctionnel et « normal » – bien que largement dominé par l’espèce humaine. Car au-delà des arguments scientifiques se pose la question éthique d’une mainmise de l’humain sur son environnement et de la « gestion » appliquée à une espèce au lieu d’individus avec les effets en chaîne que cela génère.

Lacoste N. & Travers W. (coords.) (2022). Avis de la SFEPM sur le classement des petits carnivores indigènes
« susceptibles d’occasionner des dégâts ». Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM).

Sans tomber dans la naïveté d’une non-intervention stricte sur le vivant qui n’est ni possible, ni réellement souhaitable, les enjeux écologiques actuels demandent plus de moyens et une prise en compte plus fine des écosystèmes locaux. Le statut ESOD ne semble pas être un outil politique capable de répondre de manière satisfaisante à l’urgence de ces enjeux.

Le contrôle des ESOD est actuellement réalisé sans obligation de résultats, et sans évaluation de leur efficacité. À travers l’Europe, l’abattage à grande échelle est la règle majoritaire pour contrôler les prédateurs ayant un possible impact sur les activités économiques ou représentant des risques sanitaires potentiels, sans évaluation des coûts et des bénéfices écologiques et économiques, ni prise en considération des aspects éthiques.

Lacoste N. & Travers W. (coords.) (2022). Avis de la SFEPM sur le classement des petits carnivores indigènes
« susceptibles d’occasionner des dégâts ». Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM).

C’est en tout cas la position que l’on pourrait attendre de partis politiques prônant l’écologie et la prise en compte de l’intérêt de l’ensemble du vivant. Cette démarche est un pas vers un élargissement de la sphère de nos considérations morales : d’un anthropocentrisme traditionnel mais difficilement justifiable vers un sentiocentrisme qui nous semble bien plus convaincant sur le plan moral.

Le renard et la belette, si certain·es les entendent chanter, il tient à nous de leur prêter notre voix pour les entendre lutter !

Merci à Sohan, David et Gabrielle G. pour la relecture

L'équipe du Cortecs au REC

« La science est-elle politique ? » 1/2 – On pose des questions tabous aux REC, et ça se passe bien !

L'équipe du Cortecs au REC

Le Cortecs était-il aux REC 2023 ?
Quatre membres – Vivien, Sohan, Nicolas et David – ont pu faire le déplacement, donc on peut dire que oui ! Mais officiellement, rien n’a été décidé quant à l’implication de l’association dans l’événement. Nous n’avions rien à proposer, en tant que structure, comme stand ou activité. Sohan est intervenue sur la table ronde « Dérives thérapeutiques : un business juteux » alors que Vivien, Nicolas et David ont animé des ateliers sous la bannière de leurs collectifs (respectivement Cinétique, Rasoir d’Oc et Les Dubitaristes). Nous laissons ici Nicolas et David raconter les ateliers qu’ils ont animés en commun.
La seconde partie de cet article disponible ici exposera notre opinion sur une des questions débattues pendant les ateliers : « La science est-elle politique ? »

Des ateliers, pourquoi ?

Pourquoi proposer des activités dans un événement déjà si grand et si riche ? De quoi avions-nous envie de parler ? Comment mettre en forme cette envie ? Avions-nous déjà, tout simplement, quoi que ce soit d’intéressant à dire ?
Peut-être pas. En tout cas nous avions un grand intérêt à discuter d’esprit critique, de doute réflexif et du rapport entre science et politique.

Pour susciter ces discussions dans de bonnes conditions, rien de mieux selon nous que de bons vieux outils d’éducation populaire !
Sans prétention aucune, il s’agit de mettre en place un cadre qui favorise toute prise de parole et l’écoute active. On y expose nos expériences vécues, nos réflexions propres et nos opinions (nos « savoirs chauds »), on y convoque des références scientifiques, des théories et des figures faisant autorité (les « savoirs froids »), ce qui donne un joyeux mélange de pratiques illustrant la théorie et de théories nourrissant la pratique (quoi que ça donne, ça ne s’appelle pas « savoirs tièdes », bien essayé).

Il ne s’agit pas de dire qu’on va reconstruire des savoirs universitaires en causant pendant une heure. À travers nos discussions, on se confronte à des visions auxquelles on n’aurait jamais eu accès autrement. Notre esprit critique est mis à rude épreuve.

C’est aussi l’occasion de proposer une alternative au format conférences/tables rondes qui sont majoritaires au REC1. Que retire réellement le public de ce genre de format ? Après un jour, après une semaine ou après un mois quelle quantité d’information est retenue ? C’est une vraie question. 
Le risque serait que ce soit la passivité confortable de ces formats couplée à la satisfaction d’entendre un sujet et/ou un·e intervenant·e famillièr·e qui fasse le succès de ces formats plutôt que leur pertinence pédagogique.
Au contraire, il nous semble que les ateliers participatifs permettent davantage de bousculer les participant·es et demandent un vrai travail actif. Évidemment c’est plus coûteux (en énergie, en temps, en ressource cognitive…) et on imagine difficilement un week-end entier à faire des ateliers sans finir avec le ciboulot fondu.
Les deux formats sont probablement complémentaires et nous militons pour que les seconds ne soient par trop relégués au second rang et finissent dans des placards à balais (avec tout le respect qui se doit pour la salle dans laquelle nous animions).  

Voici un déroulé des ateliers proposés. Faciles à mettre en place, nous encourageons à s’en saisir pour exercer nos esprits critiques à peu de frais !

Des ateliers, comment ?

Atelier « débats et discussions »

Dans ce premier atelier l’idée était d’expérimenter différentes modalités de débat. En l’occurence nous en avons testé trois : le débat mouvant, le débat mouvant en deux dimensions et le groupe d’interviews mutuelles.

Commençons par un débat mouvant. Nous lançons à nos participant·es une affirmation clivante, aux termes volontairement polysémiques et non définis, limite malhonnête. Dans un premier temps, ils et elles doivent se positionner spatialement dans la zone « d’accord » ou dans celle « pas d’accord », sans possibilité de nuance. Le doute n’est pas permis !
Une fois dans leurs groupes, les participant·es ont quelques minutes pour construire ensemble les arguments qui soutiennent leur accord ou leur désaccord avec l’affirmation. C’est l’occasion de réfléchir au sens qu’on met derrière chaque mot de l’affirmation.
Enfin, le débat commence et chaque « camp » a l’opportunité, à tour de rôle, de donner un argument.
À n’importe quel moment, toute personne est libre de changer de camp : elle entend un argument qui la touche, elle change d’avis radicalement, elle admet qu’un argument était bien tourné, elle rumine ses propres pensées, elle entend une aberration dans son propre camp, etc. Pas besoin de se justifier, ici le fait de passer d’un camp à l’autre n’est à interpréter que comme la manifestation d’une réflexion. Et montrer qu’on réfléchit, voire qu’on est prêt·e à se remettre en question, c’est quand même la grande classe.

Pour lancer le débat mouvant, nous avions proposé plusieurs affirmations, et c’est la dernière que nos participant·es ont choisie :
– La science recherche la vérité
– Il y a des questions bêtes
– Il faut prouver ce qu’on dit
– On a besoin de croire
La science est politique

Remarquons l’honnêteté intellectuelle de certaines personnes, qui ont systématiquement argumenté en se plaçant dans le même camp, mais qui ont su rejoindre le camp opposé quand des arguments pertinents leur étaient exposés. Les débats se sont fait de manière très sereine et le cadre ludique permet probablement cette légèreté. Tout le monde s’écoute, que l’on soit zététicien·ne troisième dan ou visiteur·euse d’un jour. L’idée principale qui est revenue régulièrement au cours du débat c’est que la réponse dépend ce que l’on entend par « science » et par « politique » (voire de ce qu’on entend par « est »).
Nous revenons plus en détail sur ce débat dans la seconde partie de l’article.

Nous enchaînons avec un second débat mouvant, mais avec une variante.
Nous avons proposé l’affirmation « Il faut douter de tout » qui commencait de la même façon : deux camps, des arguments, du mouvement.
Après quelques prises de paroles, nous introduisons une dimension supplémentaire en faisant remarquer que certains arguments énoncés jusqu’ici nous semblaient plutôt commenter l’affirmation « On peut douter de tout ». Ainsi, si certain·es avaient pu interpréter la phrase dans un sens prescriptif/normatif, d’autres l’avaient fait dans un sens plutôt descriptif (que leur acception de « pouvoir » soit celle de la capacité ou du droit).
Nous proposons alors qu’au lieu de deux camps, les participant·es se placent à présent dans quatre cases :
– Il faut douter de tout, mais on ne peut pas le faire
– Il faut douter de tout, et on peut le faire
– Il ne faut pas douter de tout, et de toute façon on ne peut pas le faire
– Il ne faut pas douter de tout, mais on pourrait le faire

La parole circule de case en case, les participant·es aussi au gré des arguments. À chaque argument énoncé, c’était un sens différent de « pouvoir », « falloir » et « douter » qui était mobilisé.

Le plus difficile, finalement, c’est de terminer le débat : c’est frustrant parce qu’on imagine encore plein d’arguments, on ne sait pas où se placer, et la question demeure en suspens.

Dernière activité, le groupe d’interviews mutuelles. Nos participant·es se groupent par trois et nous leur demandons de raconter, chacun·e leur tour au sein du groupe, une expérience de vie ou une anecdote.
Chaque personne dispose de cinq minutes tandis que les autres ne peuvent pas l’interrompre ou engager la discussion. Elles et ils écoutent attentivement et relancent.
Nous leur avons demandé de raconter un changement d’avis, quel que soit le sujet ou le temps que ça a pris.

Pour conclure, nous avons exposé quelques expériences en plénière pour capter la diversité de ce que nous considérions comme des changements d’avis.
Cela a été l’occasion de se demander ce qui occasionnait le changement d’avis.

Atelier « Petite histoire / Grande histoire »

Le second atelier que nous avons animé s’intitule « Petite histoire / Grande histoire » et est aussi un classique d’éducation populaire.
Dans un premier temps, les participant·es disposent de petits papiers sur lesquels elles et ils doivent écrire deux « petites histoires » et une « grande histoire ». La petite histoire est personnelle, c’est une expérience vécue qui ne concerne que soi-même. La grande histoire est aussi une expérience vécue, mais dans le cadre d’un événement plus large : un événement politique, sportif, une catastrophe, voire un événement du millénaire dernier mais qui constitue une référence culturelle.
Ces histoires avaient pour contrainte de raconter « le rôle que la science a pu jouer dans votre engagement ». Là aussi, tous les termes sont à comprendre aussi largement que possible.

Impossible de résumer la diversité des histoires racontées, en tout cas on a eu de tout ! Notamment, beaucoup de rencontres de scientifiques et de discussions ont manifestement contribué à changer les visions du monde de nos participant·es (et de nous-mêmes, car nous participions !)

Petits bonus sur l’éducation populaire

Un petit éclaircissement sur l’éducation populaire est certainement le bienvenu.
Comme introduit plus haut, l’éducation populaire convoque à la fois les savoirs « chauds » de nos vécus et les savoirs « froids » théorisés. On ne se prive d’aucun savoir, ni d’aucune source source possible de savoir, qu’il s’agisse de savoir-connaissance, de savoir-faire, de savoir-être ou de savoir-penser.
On retrouve là deux acceptions de l’éducation qui correspondent à deux étymologies latines possibles2 : educere, qui signifie « conduire hors de », et educare, qui signifie « nourrir ».
L’éducation peut ainsi se concevoir comme une transmission de savoirs et/ou comme un processus collectif amenant d’un état à un autre.

Un contre-sens possible est de penser que l’éducation populaire, c’est de l’enseignement pour les pauvres.
On vient de voir que l’éducation populaire ne se limitait pas à l’enseignement. En théorie elle n’utilise même pas cette notion. Les savoirs issus d’une expertise, d’une théorisation, sont toujours convoqués en contexte pour éclairer des situations précises, ce qui correspond davantage à la notion d’apprentissage. Ce n’est pas le maître qui vient donner, c’est l’apprenant qui vient chercher.
Si « populaire » est synonyme de « pauvre » dans certains contextes, ici c’est au sens large de « tout le monde » qu’il faut le comprendre. Gardons en tête que ce « tout le monde » fait aussi débat3, car employé naïvement il risque de gommer les inégalités de classe, de genre, de race, d’âge, de capital, etc.

Qu’on pratique l’éducation populaire ou non, on court souvent le risque d’inverser les moyens et les fins, en cantonnant l’éducation populaire à ses « outils ». « Débats mouvants« , « Groupes d’interviews mutuelles », « Petite histoire grande histoire« , sont des noms d’outils qui circulent dans les associations. Ils sont séduisants mais peuvent faire perdre de vue leur finalité.
L’éducation populaire est avant tout un processus, qui passe parfois par des outils. Mais il ne suffit pas d’organiser un débat mouvant pour produire un échange émancipateur de savoirs ni pour engager une réflexion de long terme. Il faut veiller à la pertinence de l’organiser dans le contexte, à son animation, à la façon dont on se saisit collectivement de ce qui en sort. Sinon on se contente de passer un bon moment (ce qui est déjà pas mal !).

C’est pour ça que l’éducation populaire n’est pas neutre. Qu’on mobilise ses outils ou non, son objectif est de produire de la transformation sociale. Par essence, cette transformation sociale bénéficie aux personnes dominées4 et aux groupes minorisés, mais pas aux dominants qui eux n’ont aucun intérêt à ce que le monde change.

Il me semblait important d’apporter ces quelques notions pour éviter des incompréhensions fâcheuses à propos de l’éducation populaire. Il convient de se poser sérieusement les questions, avant de prétendre la pratiquer : Est-ce le bon endroit ? Pour qui on le fait ? Qu’est-ce qu’on souhaite collectivement ? Quels sont les rapports de domination en jeu ?

Pour aller plus loin et développer tous ces aspects, voici quelques ressources :

Le blog d’Adeline de Lepinay, intervenante en éducation populaire. Ce site regorge de théorie et d’outils pratiques.
L’autrice a également écrit le livre « Organisons-nous ! », qui est d’une très grande richesse concernant la réflexion sur les luttes sociales et la place de l’éducation populaire en leur sein. Elle y aborde l’histoire de l’éducation populaire et les différents courants qui existent, les limites du concept, les risques de dérive et de récupération. Elle analyse et catégorise différentes méthodes d’action et d’organisation de collectifs, notamment en les mettant en relation avec leur place vis-à-vis du pouvoir contre lequel ils luttent.

Sans l’avoir lue, je conseille la thèse d’Alexia Morvan, souvent citée dans les milieux d’éducation populaire.

La conférence gesticulée de Hugo Fourcade est un entremêlement de témoignages et de théorie, qui montre, entre autres à travers l’histoire de l’Université Populaire de Bordeaux, là où peut mener la volonté de diffuser les savoirs librement.

Feu la SCOP Le Pavé a publié plusieurs petits cahiers, issus de processus d’éducation populaire. Ils incarnent donc magnifiquement leur propos. Celui sur La Participation offre témoignages, typologies, histoire, outils, réflexions incarnées… Il est un indispensable pour penser ce qui se passe dans n’importe quelle association.

Le Petit manuel de discussion politique part du constat que le fond des discussions politiques dépend beaucoup de la forme de celles-ci. Il questionne l’objectif de la discussion et son contexte, pour proposer différentes manières de l’organiser, toujours en cherchant à garantir de l’horizontalité, de la prise en compte de tous les points de vue, et d’engager des perspectives collectives à partir des propos tenus.

Enfin le Petit manuel critique d’éducation aux médias (qui ne parle pas un seul instant de fake news ou de théories du complot, quelle fraîcheur bienvenue !) alterne entre réflexions d’universitaires, récits d’associations œuvrant dans l’éducation aux médias, et pastiches de « fiches pratiques ». On y voit différentes manière d’éduquer aux médias « par le faire », en partant des pratiques réelles et des volontés des participant·es.

Avion repeint en vert par des militants de Greenpeace pour dénoncer le greenwashing. Mars 2021.

« Si ma grand-mère avait des ailes, ce serait un avion vert » : Flou sémantique et greenwashing

Avion repeint en vert par des militants de Greenpeace pour dénoncer le greenwashing. Mars 2021.

Si l’on me demandait si la transition vers une aviation verte est possible, il me semble que le plus sage serait de répondre : « Cela dépend de ce que l’on appelle transition, de ce que l’on appelle vert et de ce que l’on appelle aviation1… »
Suivant le cadre que l’on se fixe alors la réponse peut varier de « clairement oui » à « absolument pas » avec tout un éventail de nuances entre les deux. Dans cet article nous allons donc proposer de considérer différentes définitions à travers lesquelles nous posons la question de la transition vers une aviation verte.
En plus de faire le point sur l’impact écologique de l’aviation et ses perspectives d’avenir, cet article vise à appeler à la prudence face à l’ambiguïté cachée des mot – ambiguïté dont certains peuvent largement tirer profit. Dévoyer le sens d’un mot c’est aussi ce que l’on appelle l’« effet paillasson », vous pouvez retrouver un article du Cortecs à ce sujet.

Est-il possible de faire…

… un appareil volant qui n’émet pas de carbone pendant son vol ?

Oui et cela existe déjà plus ou moins. On peut penser tout d’abord aux « avions solaires », des appareils recouverts de panneaux photovoltaïques fournissant de l’énergie solaire. Ceux-ci sont testés depuis les années 1970 mais le modèle le plus performant en est probablement le Solar Impulse (I & II) qui aux dernières nouvelles est capable de transporter qu’une seule personne à une vitesse d’environ 80 km/h. On est loin des 4 milliards de passagers annuels.

On peut aussi évoquer les planeurs qui, une fois lancés, profitent des courants pour voler et n’utilisant aucun moteur n’émettent effectivement aucun gaz à effet de serre.

Les avions volant avec des huiles de friture ne rentrent pas vraiment dans cette catégorie : d’une part parce que celles-ci émettent du carbone (certes, en plus faible quantité) d’autre part parce qu’elles sont nécessairement mélangées avec du kérosène classique.

Jean-Baptiste Djebbari, alors ministre délégué chargé des Transports, se félicite d’un vol-test utilisant des huiles de cuisson faisant miroiter la promesse d’une aviation verte. Voir cet article de Révolution Permanente qui dénonce ce greenwashing.

… un avion avec des passagers qui n’émet pas de carbone pendant son vol ?

Alors là c’est déjà plus compliqué : les vols précédents ne peuvent transporter qu’une seule personne (ou à peine plus) et il y a un gouffre à franchir avant de pouvoir utiliser ces solutions pour des vols commerciaux. On peut identifier au moins trois obstacles majeurs pour y parvenir : trouver les solutions technologiques pour pouvoir transporter une masse très importante (ce qui est a priori impossible pour l’avion solaire 1 ou le planeur par exemple), rendre le prix du vol économiquement viable et obtenir les certifications nécessaires.
Certes on en est loin mais en théorie rien ne l’empêche. Toutefois il semble pertinent de se demander à quel date et à quel coût ces innovations pourraient être accessible ?
Les deux géants de l’aviation Boeing et Airbus ont annoncé la date de 2035 pour leurs premiers vols commerciaux bas-carbone. Le premier grâce à des agrocarburants, le second avec de l’hydrogène2. Notons ici deux choses : premièrement, cette annonce est probablement davantage influencée par son impact marketing et politique que par une réelle prédiction technologique. Deuxièmement, la réalisation de cet objectif ne peut se faire qu’au prix d’énormes moyens financiers et de choix politiques privilégiant le secteur aérien sur d’autres secteurs3.
Au vu de l’urgence climatique en cours, envisager d’utiliser l’aviation actuelle pendant encore une quinzaine d’années semble relativement déraisonnable.

… un avion avec des passagers qui n’émet pas de carbone pendant tout son cycle de vie ?

Reprenons l’exemple du planeur : certes en vol il n’émet aucun gaz à effet de serre mais encore faut-il le lancer. Il y a deux moyens pour cela : le treuillage ou le remorquage par un autre avion. Dans les deux cas ce sont des opérations qui demandent beaucoup d’énergie.

De la même manière, imaginons qu’il soit possible de faire des avions transportant des passagers qui volent en émettant peu (ou pas) de carbone. Est-il possible que l’ensemble des opérations en amont et en aval soient également peu émettrices ?

Cela pose en premier lieu la question de la création des vecteurs d’énergies, à savoir agrocarburant ou hydrogène. Pour le premier se pose, entre autres, la question de la déforestation et de l’utilisation des sols qui détruiraient des potentiels puits de carbone. Pour le second, la question de l’hydrogène décarboné reste aussi un défi à résoudre4.

D’autre part, le transport de ces carburants, la construction et le démantèlement des avions, la construction et la gestion des aéroports ainsi que de toutes les infrastructures physiques et logistiques sont d’autres défis pour parvenir à des vols émettant peu de carbone sur l’ensemble du cycle de vie.

… une aviation entièrement bas-carbone ?

Lorsque Airbus annonce le début de ces vols commerciaux bas-carbone pour 2035, il faut rappeler que cela ne concerne que ses vols les plus courts. D’après Carbone 4, seuls les vols inférieurs à 1500 km seraient concernés, ce qui représente 6 % des émissions de l’aviation. Toujours d’après cette source, pour les vols plus longs il faudrait attendre 2040 ou 2045, et la part de l’hydrogène en 2050 pourrait n’atteindre que 10 % des carburants utilisés…

… une aviation entièrement bas-carbone inscrite dans une société bas-carbone ?

Quand bien même, il serait possible d’avoir une aviation avec une empreinte carbone relativement faible, pour toute sa flotte et en considérant les éléments en amont et en aval (ce qui rappelons-le serait trop tardif, trop cher et en fait hautement improbable), pourrait-elle s’inscrire dans une société elle-même bas-carbone ?

Autrement dit, si l’on ne considère plus l’aviation comme un système isolé mais comme le rouage d’un système plus global, avec ce que ce secteur demande et ce qu’il implique, peut-on espérer atteindre des émissions carbone basses ?

C’est une question sur laquelle a travaillé Vincent Mignerot et qui montre qu’aujourd’hui il n’y a aucune preuve qu’il soit possible de se passer des énergies fossiles5. Au contraire, selon lui, dans notre système économique et politique, les liens entre le secteur aérien et le reste du système ne feraient que déplacer le problème. Les économies d’énergies faites au sein du sous-système « aviation » seraient en réalité déplacées à l’extérieur, voire pire elles pourraient contribuer à augmenter les dépenses énergétiques totales6.

Ainsi même une aviation bas-carbone, de part les interactions qu’elle entretient avec le reste de notre système économique, ne permettrait en aucun cas d’obtenir un système globalement bas-carbone.

… une flotte entière d’avions qui ne nuit pas aux conditions de vie ?

Voilà enfin la question qui est probablement la plus pertinente. Étant donné que la réponse aux questions précédentes est très probablement non et qu’elles sont des conditions nécessaires à cette question-là, on pourrait presque faire l’économie de développer ici.
Mais si l’on ne se contente pas de considérer l’empreinte carbone et que l’on envisage la possibilité d’une aviation ayant un impact « acceptable » sur le vivant en général et sur les humains en particulier, on se heurte à de nouveaux obstacles. En premier lieu le tourisme de masse qu’induit l’aviation est néfaste pour les écosystèmes ainsi que pour les populations et les cultures locales7.
D’autre part, les inégalités liées à l’aviation sont une grande injustice sociale8. Pour une justice sociale, il faudrait – en plus des défis précédents – réfléchir à une aviation accessible équitablement pour tous.

Différents cadres dans lesquels on peut parler d'avion vert.
Différents cadres dans lesquels on peut parler d’avion vert.

À qui profite le crime ?

Le plus souvent, quand on utilise ou que l’on entend le terme d’« avion vert », on ne distingue pas les différentes définitions que cela peut recouvrir. Ainsi suivant le contexte, l’un pensera à un prototype réduisant l’empreinte carbone alors que l’autre pensera à une flotte complète avec une empreinte écologique nulle. D’où l’importance d’éclaircir nos propos quand on discute de termes potentiellement ambigus comme ici.
Cette confusion peut être analysée d’un point de vue de notre système cognitif et de notre traitement du langage (possiblement que nous nous satisfaisons en partie de cette ambiguïté pour pouvoir conserver nos habitudes vis-à-vis de l’avion). Mais il semble plus pertinent de l’analyser d’un point de vue plus global. Que ce soit dans le traitement médiatique, dans les annonces politiques ou dans les discours d’industriels, il semble que jouer sur ces ambiguïtés linguistiques soit un ressort plutôt efficace de ce que l’on peut appeler du greenwashing.

Il y a tout intérêt de ce point de vue-là à annoncer un avion vert pour 2035 sans trop s’étaler sur ce dont on parle et également sur les moyens pour y arriver.

Pour approfondir

Cet article s’inscrit dans un travail plus global sur l’esprit critique et l’écologie. Concernant l’aviation en particulier, vous pouvez retrouver un panorama des enjeux actuels dans la vidéo ci-dessous.

« Faut-il vraiment vraiment vraiment arrêter l’avion ? » sur Enfin, peut-être

L’idée de cet article est née d’une discussion avec Vincent Mignerot où l’on s’est rendu compte que l’on ne disait pas tout à fait la même chose quand on parlait de transition vers un « avion vert ». Merci à lui pour son regard sur cet article.
Pour accéder à des références beaucoup plus pointues sur l’avion et le climat je vous invite à consulter les rapports Aviation et Climat (ISAE-Supaero), Pourquoi voler en 2050 (The Shift Project) et Destination Commune (Stay grounded).

Couverture du manuel

Un manuel d’esprit critique pour le militantisme écologiste

Couverture du manuel

En Septembre 2020, nous proposions avec Valentin Vinci une formation à l’esprit critique auprès des militant·e·s écologiste du Camp Climat de Grenoble. En réalité, nous étions assez dubitatif sur la réception de cette formation. On risquait de passer pour les donneurs de leçon qui viennent expliquer comment penser correctement et que c’était pas bien de planter ses légumes en fonction de la lune. Et ce, d’autant plus qu’elle était intitulée Zététique, un terme parfois mal vu dans les milieux alternatifs.

Mais au contraire, les retours avait été plutôt positifs (du moins parmi celleux qui sont venu·e·s bavarder après la formation) et demandeurs de ce genre de contenu.

De là est née l’idée de produire un document écrit reprenant les notions d’esprit critique que l’on présentait et qui nous paraissait utile à l’exercice militant. Trouvant sur son chemin un troisième auteur, Sébastien Pétillon, ayant également donné une formation sur l’esprit critique au Camp Climat PACA, le projet de ce petit manuel prend forme et va vivoter pendant presque 2 ans. Pendant ce temps, ont continue de donner des formations à l’esprit critique dans des milieux militants écologistes à Grenoble, Toulouse ou Nice.

Finalement, c’est à l’été 2022 que sort ce manuel après avoir gagné un peu d’épaisseur et le soutien de plusieurs personnes et organismes. J’en profite pour les remercier à nouveaux ici : Rodolphe « le Réveilleur » Meyer pour la préface, Meybeck pour la couverture et une grosse vingtaine de relecteur·ice·s1 !
Le document se structure ainsi : dans une première partie sont abordés les pièges de nos raisonnements et les altérations de l’information qui peuvent nous tromper et qui conduisent au doute et à la prudence. Mais puisque le militant ne peut se contenter de la passivité et de l’indifférence d’un doute trop zélé, la deuxième partie offre un panel de principe et de méthodes permettant d’aller plus loin en se forgeant un avis éclairé et robuste. La troisième partie enfin aborde la confrontation et le débat qui sont au centre du militantisme en proposant des outils pour communiquer plus efficacement les convictions pour lesquelles on se bat. Sans jamais rentrer frontalement dans des sujets polémiques -ce qui desservirait notre objectif- des exemples en rapport avec les enjeux écologiques et climatiques sont utilisés tout au long du manuel.

Ce manuel est écrit par des militants pour des militant·e·s.
Ce qui signifie premièrement que l’esprit critique est un outil au service d’une cause qui nous parait primordiale. L’idée n’est donc pas de mettre des bâtons dans les roues de ces luttes, mais au contraire de contribuer à les renforcer.
Cela signifie également que nous tenons à ce que le manuel soit disponible gratuitement et puisse être librement distribué2. Vous le trouverez ici : ecomanuelespritcritique.frEnfin, ce manuel est amené à évoluer. Toutes critiques et propositions d’amélioration sont les bienvenus. Pour cela, n’hésitez pas à nous contacter via le formulaire sur le site ci-dessus.

Dessin par Maja Visual au Camp Climat Grenoble 2020. Représentant la formation de Nicolas et Valentin sous une serre végétalisée
Dessin par Maja Visual au Camp Climat Grenoble 2020