Vélos électriques, cliquet et cambouis : cas pratique de la techno-critique

Le débat sur le vélo à assistance électrique (VAE) revient souvent, et pas seulement dans les ateliers de vélo. Il est désormais un objet du quotidien. Il est présent dans les rues, on en possède ou on connaît des gens qui en possèdent. En cela, il est un objet sur lequel tout le monde ou presque peut prétendre avoir à dire quelque chose d’intéressant. Je ne parle pas d’expertise, mais au moins d’une expérience vécue, ce qui est à prendre en compte sérieusement quand on formule une critique, sans quoi cette dernière est « hors-sol », théoriquement intéressante mais condamnée à flotter dans le monde des idées.
Même s’il est possible de formuler des critiques pertinentes sans les accompagner de propositions d’alternatives réalistes, il est utile de poursuivre la réflexion vers ces alternatives. Mais ne nous trompons pas d’ordre : il faut d’abord critiquer radicalement pour savoir ce qu’on se donne le droit d’imaginer comme alternative, et ce qu’on serait prêt à effectuer comme compromis.

Dans cet article, je m’appliquerai à critiquer le vélo électrique en faisant apparaître des reliefs qui nous échappent dans le cadre de son utilisation quotidienne. Puis je ferai une brève ouverture sur la portée concrète de cette critique.

Acier ou alu ? Le choix du cadre

Très vite, les débats sur les VAE (et en général sur les technologies incluant des éléments électroniques) amènent à parler d’écologie, de production électrique et de fabrication des batteries (Exemples : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7). On sort des chiffres, des rapports, on argue que tel ou tel dégât environnemental est acceptable ou non en regard du bénéfice obtenu, et parfois on s’improvise expert en réseau électrique européen.

Ce sont des discussions très intéressantes dans lesquelles, si on est en présence de personnes renseignées, on peut apprendre énormément d’informations techniques applicables à d’autres sujets : la production d’électricité est liée au nucléaire, aux réseaux, aux sources de production d’électricité non pilotables ; la fabrication des batteries est liée à l’exploitation de métaux dont les procédés entraînent de graves pollutions…

Ce faisant, on rejoue certainement des discussions qui ont déjà eu lieu chez les ingénieurs chargés de la conception des VAE et dans les bureaux d’études d’impact environnementaux. Il s’agit également du cadrage médiatique habituel sur ces questions.

L’enjeu est la résolution de problèmes (pour reprendre les termes d’une typologie proposée par Irène Pereira1), une instrumentalisation de la pensée au service d’un objectif précis, mobilisant des connaissances et des compétences spécifiques, souvent liés à des sciences formelles, à la physique et à la chimie.

Ce cadre de réflexion, si intéressant et pertinent qu’il soit, n’est pas le seul possible.

Son pendant est la contextualisation de problèmes, qui cherche à contextualiser l’objet et les connaissances qu’on en a, en faisant davantage appel à des sciences sociales et humaines. On questionne la pertinence de l’objet et ses liens avec son contexte, plutôt que l’objet lui-même.

Tentons d’appliquer un cadre de contextualisation avec nos VAE. Voyons comment en parler autrement que par la technique et l’écologie, voyons quelles questions se poser face à cet objet, et s’il est possible de le dépasser pour l’inscrire dans un propos plus large.

Angle d’attaque et pertinence

En mécanique, quand on diagnostique un vélo cassé, on identifie plusieurs sources de dégradations et donc plusieurs interventions pour le réparer. Pour un seul problème, il peut y avoir plusieurs sources : une crevaison suppose de vérifier l’état de la chambre à air, du pneu, du fond de jante, du réglage des freins, de questionner les habitudes d’utilisation de la/du cycliste… Chaque intervention possible est un angle d’attaque différent, l’idéal étant d’intervenir sur tous. Mais peut-être que certains angles d’attaque sont plus pertinents que d’autres, car davantage susceptibles d’occasionner un dégât.

Dans l’étude d’un sujet complexe tel que le VAE (N’étant pas certain que l’on puisse qualifier le VAE de « question socio-scientifique » (QSS) tel que définie dans la thèse de Gwen Pallarès2 (chapitre 2), je me contrains ici à parler de sujet complexe, car la grille d’analyse qu’elle fournit pour les QSS me semble s’appliquer dans ce cas-là.), plusieurs angles d’attaques sont aussi possibles : les aspects politique, économique, social, sanitaire, environnemental, scientifique, technique et axiologique (qui a trait aux valeurs) sont autant de manières d’aborder le sujet. Si l’idéal est de l’étudier sous tous ces angles, l’humilité nous rappelle que nous ne disposons pas forcément des connaissances ni des compétences pour ce faire, chaque angle faisant appel à des disciplines, sinon au moins à des savoirs, spécifiques. Néanmoins il faut garder en tête que ces aspects existent et que certains sont probablement plus pertinents à étudier que d’autres selon le sujet. Difficile toutefois d’évaluer cette pertinence à moins d’avoir un tableau d’ensemble déjà bien complet du sujet. Je ne m’aventurerai pas à affirmer que tel angle est plus pertinent qu’un autre dans l’absolu, je soulignerai simplement qu’il vaut la peine d’aller creuser en priorité les angles d’attaque dont il est rarement question dans le traitement médiatique habituel du sujet. L’intérêt est de faire émerger d’autres facettes du débat, pour peser dans la balance et réintroduire de la complexité là où on pensait peut-être avoir fait le tour.

Concernant les VAE, là où les angles d’attaques privilégiés sont techniques et environnementaux, il me semble pertinent d’explorer les angles politiques et axiologiques.

L’inexorable cliquet

Les VAE sont un sujet de discussion même en dehors du monde des cyclistes et des mécanos. Certaines personnes s’offusquent qu’on critique cette technologie dont elles disent ne plus pouvoir se passer. Tout magasin de vélo a dû se positionner et décider si il vendait et réparait, ou non, des VAE. Des entreprises proposent des VAE de fonction à leurs employé·es (ce qui, étant donné le prix de ces engins, s’avère plus intéressant que de proposer cela avec des vélos mécaniques).

Rien qu’avec ces exemples, on constate que le VAE a occasionné des changements d’organisation sociale. C’est là qu’on voit l’aspect politique de cette technologie.

La question se pose alors : Pourquoi on utilise le VAE ? Et si on constate qu’il est devenu indispensable, alors comment l’est-il devenu ?

Une technologie n’est pas neutre. Tout ne dépend pas de ce que l’on en fait. Une technologie est nécessairement conçue dans un but, que l’on peut chercher à contourner, mais jusqu’à certaines limites. Une technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soit, mais pas neutre non plus. Elle sert un projet qui reflète la vision du monde de ses concepteurs.

Lorsque le but qu’on cherche à atteindre est envisagé sous sa seule dimension technique, on peut parler de réductionnisme3 technologique. Dans le cas de la mobilité, l’angle d’attaque techno-réductionniste4 cherche à optimiser la vitesse en compromis avec la sécurité et l’accessibilité.

Lorsqu’une technologie a pour seul objectif de répondre aux problèmes posés dans le cadre techno-réductionniste, on parle de solutionnisme technologique (pour reprendre le néologisme de Evgeny Morozov).

Le VAE s’inscrit dans cette logique-là, conçu pour rouler vite facilement tout en conservant l’ergonomie et la sécurité d’un vélo.

Tout pourrait s’arrêter là, mais les réductionnisme et solutionnisme technologiques ont pour conséquence de créer de nouveaux problèmes. En effet, en négligeant les aspects non purement techniques du sujet duquel il est question (en l’occurrence la mobilité), on n’envisage pas les interactions de la technologie avec ceux-ci. Aucune « solution technique » ne saurait être parfaite ni isolée de la société dans laquelle elle évolue. Nécessairement, des problèmes techniques adviendront, qu’ils soient propres à cette « solution » ou issus de ses interactions avec la société.
Le VAE dispose de batteries valant assez cher. Se pose le problème du vol et des assurances spécifiques. Ces batteries consomment du lithium à la fabrication. Se pose le problème des pollutions liées à l’extraction minière. Le VAE est lourd et va en moyenne plus vite que les vélos mécaniques. Se pose le problème de l’interaction avec les autres cyclistes sur les pistes existantes.

En poursuivant la logique des réductionnisme et solutionnisme technologiques, ces nouveaux problèmes sont envisagés sous leur angle technique, et on leur cherche des solutions techniques, lesquelles créeront de nouveaux problèmes, et ainsi de suite.

On en arrive au point crucial : conjointement à ce processus de surenchère technique, la société dans laquelle il prend part s’adapte en intégrant chaque solution technique. Cette adaptation est loin d’être purement technique : les différents aspects évoqués plus haut (social, politique, économique, technique, scientifique, environnemental, sanitaire, axiologique) interagissent toujours entre eux. Ainsi, la loi évolue pour prendre en compte les nouvelles pratiques de mobilité, les assurances pour prendre en compte ces nouveaux véhicules, les routes s’adaptent, les magasins de vélos intègrent des VAE ou militent contre… Inéluctablement, les évolutions techniques provoquent des effets en dehors de la technique. Gardons cela en tête lorsqu’on parle de « problème technique » : aucun problème n’est purement technique.

Une fois que la société dans laquelle évolue cette technologie s’est modifiée en relation avec cette dernière, il est quasi-impossible de revenir en arrière. Tel un cliquet, les implémentations techniques avancent mais ne reculent pas. Leur existence s’insère dans un réseau d’interdépendances. Chaque nouveau problème qu’elles causent est alors plus simple à régler par une nouvelle solution technique, plutôt que par le retrait de la précédente. Ce retrait nécessiterait techniquement de vastes chantiers, et socialement de renoncer unanimement aux bénéfices qu’on retire de cette technologie.

Si l’on a accepté l’arrivée de la technologie, pourquoi ne pourrait-on pas se mettre d’accord pour son rejet ? Car les processus ne sont pas équivalents. Le développement des technologies ne dépend d’aucun processus démocratique, et parfois ne répond à aucun besoin. Les technologies sont projetées dans la société sans qu’une demande de celle-ci n’ait été formulée.
Leur rejet nécessite en revanche des efforts considérables, en raison justement du réseau d’interdépendances dans lesquels elles s’insèrent.
Pour se figurer l’ampleur du chantier, tentons d’imaginer tout ce que supposerait l’abandon d’une technologie comme celle du smartphone…

Le progrès technique est assimilé au progrès social, ce qui est une erreur si on souhaite se donner le temps d’évaluer les conséquences des technologies. Une fois insérée dans son réseau d’interdépendances, une technologie est pratiquement intouchable. Les problèmes que ses critiques identifient sont réduits à leur aspect technique, prétextes à développer de nouvelles solutions techniques.

Conflit de valeurs

Les conséquences de ce cliquet de la technologie sont objectivables, mais soumises à des jugements de valeurs, qui dépendent de nos positions sociales, de nos intérêts matériels et de nos visions du monde. C’est-à-dire que même si l’on reconnaît tous les changements sociaux que l’introduction d’une technologie comme le VAE occasionne, on ne sera pas d’accord avec tout le monde avec le caractère « souhaitable » ou non de ces changements.

Même les anarchistes ne sont pas d’accord sur la posture à adopter vis-à-vis de la technologie : des libristes qui codent des crypto-monnaies aux anti-tech convaincus, le spectre est large.

Considérons d’abord que le mécanisme de cliquet est anti-démocratique. La technologie progresse, se complexifie et s’étend de façon quasiment autonome, comme n’importe quel phénomène culturel. Elle n’est pas soumise à un processus démocratique qui aurait éventuellement le pouvoir de la stopper, ou au moins de la questionner.5

Or, si une société ne peut pas complètement contraindre des technologies et que ces technologies modèlent cette société, cette société se retrouve en partie dépossédée des choix de sa propre trajectoire.

Quelle trajectoire une technologie induit-elle ? Si l’on ne peut pas le prévoir avec certitude ni généraliser les exemples de ce que des technologies ont eu comme effets, on peut dégager des tendances.

Ivan Illich6, dans ses analyses des institutions, identifie ce qu’il nomme des « contre-productivités paradoxales »7 : « On peut présenter ce concept au moyen d’une formule faite pour choquer : passé certains seuils critiques de développement, plus croissent les grandes institutions de nos sociétés industrielles, plus elles deviennent un obstacle à la réalisation des objectifs mêmes qu’elles sont censées servir […] »8

Résumons ici les trois types de contre-productivité qu’il identifie. Ainsi, passé un certain seuil critique de développement, une institution produit :

– Les externalités négatives : Des effets négatifs directs sur les systèmes qui lui sont extérieurs. Pollutions, augmentation des coûts, risques sanitaires…

– Une contre-productivité du système envers lui-même : Il s’agit en quelque sorte de la spirale de solutions techniques à produire pour répondre aux problèmes techniques causés par les précédentes solutions techniques, mais en restreignant l’analyse à l’institution dont on parle. L’institution crée elle-même les problèmes qui entravent son bon fonctionnement, elle engendre son propre blocage.

– Une contre-productivité du système envers ses alternatives autonomes9 : « […] le monopole d’un produit hétéronome prive les personnes de toute capacité d’accomplir par leurs propres forces une action homologue. » 10

L’illustration des externalités négatives des VAE est déjà couverte, comme évoqué plus haut : pollutions dues à l’extraction des composants électroniques, augmentation des coûts, gestion des déchets électroniques…

Concernant l’auto-blocage du système hétéronome, je ne sais pas s’il a ou aura lieu. En revanche, le VAE poursuit les mêmes objectifs que la voiture, qui elle, subit son auto-blocage notamment en permettant d’agrandir constamment les distances quotidiennes à parcourir. Le VAE s’inscrit dans cette logique d’accepter les grandes distances et donc de devoir recourir systématiquement à des véhicules toujours plus rapides et puissants.

C’est dans sa contre-productivité envers les alternatives autonomes que le VAE a le plus d’impact.

Là où un vélo musculaire 11 est relativement simple à entretenir au quotidien et ne représente pas un grand danger si certaines pièces sont défaillantes, le VAE demande beaucoup plus de soins (son poids et sa vitesse rendent nécessaires de bons réglages) et est plus complexe du fait de son système électronique.

De fait, beaucoup de mécanicien·nes de magasins et d’ateliers ne sont pas formé·es aux réparations spécifiques aux VAE et ne disposent pas des outils nécessaires. Certaines pièces comme les batteries ne sont réparables que par le constructeur, il faut donc lui envoyer en colis et attendre un renvoi.

Cette complexité d’entretien va à l’encontre d’une des revendications politiques des mouvements vélorutionnaires : la « vélonomie », ou tout simplement le fait d’être autonome dans l’entretien et la réparation mécanique d’un vélo et plus largement dans sa capacité à se déplacer à vélo librement et sans entrave.12

Une raison de l’adoption du VAE, souvent déclarée par ses utilisateurs eux-mêmes, est sa facilité d’usage comparée à celle du vélo musculaire. Cette facilité, pour les utilisateurs de VAE, est un facteur de remplacement du vélo musculaire par le VAE. En effet, le VAE n’est pas différent du vélo au même titre que la voiture l’est du train. Avoir une voiture ne remplace pas l’usage qu’on peut faire du train, alors que le VAE tend plus facilement à remplacer l’usage du vélo.

Enfin, le prix des VAE encourage le développement d’entreprises de locations à destination des particuliers ou du personnel d’entreprises (en tant que vélo de fonction). Quelle meilleure incitation à acquérir un VAE qu’une location à prix très réduit suivie d’un rachat à un très faible pourcentage du coût d’origine ? 13

Ce qu’il faut faire

Dernier point que je voudrais aborder, qui peut sembler un peu fumeux au premier abord : la dimension prescriptive implicite des technologies (en l’occurrence du VAE).

Comme évoqué plus haut, toute technologie est conçue dans un but. L’utilisation optimale qui doit en être faite est donc prescrite. Même si on peut tenter de détourner cette utilisation en vue d’autres objectifs, on ne peut le faire qu’à la marge, et l’efficacité de la technologie baisse. En tant qu’usager d’une technologie qui ne tolère que peu de détournements de son utilisation optimale, on en vient à conclure que l’usage optimal est nécessaire, qu’il faut le réaliser.

À plus large échelle et également évoqué plus haut, la technologie s’insère dans une société et la modèle. Elle modifie la manière dont on évolue dans cette société au quotidien et produit ainsi de nouvelles normes sociales.

Ces deux mécanismes, l’un à l’échelle individuelle et l’autre à l’échelle des transformations sociales, participent à brouiller les limites entre le descriptif et le prescriptif.

Si le VAE dispose d’une batterie et d’un moteur, c’est bien que celle-ci doit être chargée pour que celui-ci nous permette de circuler vite et sans effort.

Si le VAE permet de parcourir de grandes distances, c’est bien que les grandes distances sont normales.

Ce qu’on fait, ce qui se fait, devient ce qu’il faut faire.

Ouverture : mettre les mains dans le cambouis

Cette critique de la technologie ne doit pas occulter les avantages que peuvent en tirer les utilisateurs, ni les raisons qui les poussent parfois malgré eux à l’utiliser.

En l’occurrence, il faut reconnaître qu’il est bien plus pratique, voire indispensable, de disposer d’une assistance électrique quand on parcoure plusieurs dizaines de kilomètres chaque jour en livraison, quand on doit porter de lourdes charges ou des enfants, quand on habite dans un coin avec de forts dénivelés, quand les transports en commun ne desservent pas nos destinations, quand nos trajets quotidiens sont longs, ou tout simplement quand on galère à pédaler !

Une proposition que j’ai parfois entendue, qui souhaite faire la synthèse entre la critique de la technologie et la prise en compte des usages réels, est qu’il faudrait réserver les VAE aux personnes en ayant vraiment besoin.

Au-delà des questions d’organisation que cela poserait (Comment faire concrètement pour éviter un marché noir ou des fraudes ? Comment catégoriser ce qui relève du besoin ou du confort ?), il faut garder en tête que la conséquence de l’introduction d’une technologie dans une société est, pour toutes les raisons détaillées plus haut, qu’elle se généralise et fait ressentir ses effets à l’extérieur de la sphère de ses utilisateurs. On ne peut pas, par le droit, restreindre les utilisations possibles d’une technologie. Le fait précède le droit.

Cette critique n’a évidemment pas pour but de prôner l’interdiction du VAE, et surtout pas aux personnes qui déclarent en avoir besoin. Elle ne vise pas à fermer le débat, mais tente de montrer une complexité, pour imaginer des alternatives (qui ne soient pas simplement des solutions technologiques) les plus cohérentes possibles et prenant en compte un maximum d’aspects (politiques, axiologiques, sociaux…).

Si on ne peut pas se contenter de critiquer sans apporter d’alternatives, ces alternatives doivent être réfléchies. Mettre les mains dans le cambouis c’est bien, mais un cambouis critique.

Un exemple (dont je me permets de parler parce que je le connais de l’intérieur) : Aujourd’hui une majorité des livreurs de Deliveroo et Uber Eats roulent en VAE. Une solution technique dont le seul objectif serait de ne pas utiliser le VAE, serait de trouver un autre moyen de transport, ce qui laisse les problèmes de fond intacts : pourquoi les livreurs utilisent-ils des VAE ? Pour rentabiliser la moindre seconde étant donnée leur paye dérisoire, et pour ne pas s’épuiser à la tâche.

Payer décemment les livreurs et leur fournir un vrai cadre de travail remettrait en cause l’utilisation de VAE. Mais aussi l’existence des plate-formes pour qui ils travaillent : peut-être qu’au fond, le réel problème réside dans le modèle économique de celles-ci ?
Ce qu’on voit dans cet exemple, c’est bien que le problème n’est pas l’usage qu’on fait des technologies, mais le contexte (social, économique, politique…) qui les rend indispensables, ainsi que les conséquences de leur développement.

La question n’est pas « Peut-il y avoir une bonne utilisation du vélo électrique ? » mais « Pourquoi et comment s’est-il imposé ? ».

Je vous laisse le soin d’étendre cette réflexion à d’autres domaines…14

En bonus, une petite biblio de références qui ont énormément nourri cette réflexion, sans que je puisse les citer précisément :

Relevé provisoire de nos griefs contre le despotisme de la vitesse à l’occasion de l’extension des lignes du TGV.
Ce texte, publié par l’Encyclopédie des nuisances en 1998, reste très actuel. Prenant pour prétexte le TGV, il s’agit d’une critique sociale de la technique et de l’injonction à la vitesse.

L’idéologie sociale de la bagnole
Court texte d’André Gorz publié en 1973, qui décrit avec un ton acerbe la contre-productivité de la voiture et la manière dont elle modèle la société.

Énergie et équité
Livre d’Ivan Illich sur les transports. Il se focalise sur la voiture, pour en faire une critique sociale. Il y expose son concept de vitesse généralisée : à l’aide d’un calcul (à la méthodologie douteuse, il l’admet lui-même) prenant en compte le temps passé à travailler pour payer sa voiture, ainsi que tout le temps passé immobile dans les bouchons ou à la pompe à essence, il avance que les automobilistes ont une vitesse moyenne plus faible que les cyclistes.
De joyeuses pensées pour tout vélorutionnaire !

Dans les rouages de la ville-machine – enquête sur la smart-city lyonnaise
Brochure de 50 pages par le collectif Les Décâblés (leur écrire : lesdecables@riseup.net). Ce texte examine différentes innovation technologiques urbaines déjà en place ou en projet, dans les environs de Lyon. Un chapitre traite des transports.

Reprendre la terre aux machines
Livre du collectif L’Atelier Paysan, paru en 2021 au Seuil, qui explique la manière dont les technologies agricoles se sont répandues et ont progressivement verrouillé le système agricole en rendant dépendants les exploitants. C’est une illustration ciblé du principe de cliquet que j’expliquais dans l’article.

L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle
Livre du philosophe Éric Sadin, paru en 2018 à L’Échappée. À travers son analyse des enjeux sociaux de l’intelligence artificielle, il développe des concepts à mon avis applicables en partie à d’autres technologies, notamment le « pouvoir d’infléchissement des comportements ».

« Esprit critique : détrompez-vous ! » Une exposition… critiquable

L’exposition « Esprit critique : détrompez-vous ! » a été co-conçue par les CCSTI (Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle) Cité des Sciences (Paris), Cap Sciences (Bordeaux) et le Quai des savoirs (Toulouse). Elle a été présentée au public la première fois en mai 2021 et elle l’est encore à l’heure où j’écris.
Il me semblait important de proposer un point de vue… critique, justement, sur cette exposition. En effet l’esprit critique est connoté très positivement et on ne peut que saluer l’initiative d’établissements de culture scientifique de proposer une exposition sur ce thème. Mais il faut questionner les bases sur lesquelles repose l’exposition et la réussite de l’objectif pédagogique. Pourquoi avoir voulu concevoir cette exposition ? Quelle conception de l’esprit critique est véhiculée ? Que produit le dispositif dans son ensemble pour le public ? Prises isolément, les différentes parties de l’exposition atteignent-elles leur objectif ?

ATTENTION, si vous n’avez pas visité l’exposition, cet article révèle TOUT.

Avant de mettre en ordre ces questions, un mot sur moi.

Je n’ai pas fait d’études ni de travaux de recherche liés à l’esprit critique. Si vous avez le sentiment que j’affirme des choses qui ne correspondent pas à la littérature sur le sujet, c’est sûrement vrai. La majorité des choses que je connais sur la littérature provient de vulgarisation effectuée par des chercheur·euses, donc c’est incomplet et peut-être que j’ai mal compris ce que j’ai lu et entendu.

J’ai un lien d’intérêt à déclarer puisque j’ai travaillé pour un des établissements qui a accueilli l’exposition. Toutefois dans la mesure où je n’ai signé aucune clause de confidentialité, où je ne diffuserai pas de photo prises dans l’exposition et surtout où je ne critiquerai personne, mon propos est relativement libre.
C’est aussi parce que j’ai travaillé dans l’exposition que je me permets d’en parler : à force d’éprouver les dispositifs, de discuter avec le public et d’observer ses réactions, de mener des visites pour des groupes scolaires, j’ai pu comprendre ce qui fonctionnait ou non et faire des liens avec mes (quelques) connaissances théoriques sur l’esprit critique.

Globalement, à quoi ressemble l’exposition ?

La scénographie représente une ville composée de plusieurs pôles correspondant à des lieux emblématiques tels qu’une pharmacie, une salle de spectacle, une mairie, etc. Chaque lieu dispose de plusieurs modules interactifs. On peut circuler comme on le veut dans la ville et découvrir les lieux comme on le souhaite.

À l’entrée, on s’équipe d’un bracelet connecté qui va permettre d’interagir avec les modules. Le bracelet enregistre nos interactions et donne un « bilan » à la fin de l’exposition (j’en reparle à la fin).

Chaque lieu est également agrémenté d’un panneau de présentation avec un petit texte faisant le lien entre l’esprit critique et le thème du lieu. J’y reviendrai également à la fin.

Je tiens à souligner que je considère cette exposition comme un excellent support de médiation dans le cadre de visites de groupes (scolaires ou autres). Elle offre de nombreuses accroches pour aborder des sujets intéressants, pour creuser des aspects assez pointus de l’esprit critique, pour générer des discussions critiques avec des élèves. Le parcours étant libre, en tant que médiateur·ice on peut facilement passer d’un thème à l’autre pour satisfaire au mieux les intérêts qui émergent dans le groupe.

Toutefois cela demande beaucoup d’agilité et de concentration, car comme je tente de l’expliquer plus bas, le contenu de l’exposition et la conception des dispositifs interactifs véhiculent des idées sur l’esprit critique que j’estime dommageables, d’où la nécessité de « corriger le tir » en permanence.

Les médiateur·ices sont bien sûr présent·es dans l’exposition pendant les temps de visite libre en grand public, mais d’une part nous ne sommes pas tenu·es de pallier les manques d’une exposition et d’autre part nous ne pouvons pas accompagner tout le monde en permanence. C’est cette visite libre qui m’inquiète le plus, car je me demande bien ce qu’on peut apprendre sur l’esprit critique et quels questionnements peuvent être amenés pendant la visite.

Je le répète et j’insiste, l’exposition prend tout son intérêt avec une visite guidée. Toutes les critiques que j’émets ci-dessous peuvent être contrebalancées par le discours des médiateur·ices, et les échanges permettent d’engager une réflexion beaucoup plus riche que ce que les seuls dispositifs proposent.
Derrière ma critique, je reconnais tout le travail abattu par un grand nombre de personnes. Le sujet de l’esprit critique n’est pas facile à mettre en scène ainsi, et je ne prétends pas pouvoir faire mieux. Ne connaissant rien du processus de création de l’exposition, je me contente de critiquer le produit fini dans le contexte d’une visite non accompagnée.

Passons maintenant en revue les différents lieux de l’exposition. Cela peut paraître superflu de détailler certains dispositifs mais je ne peux pas justifier ma critique sans décrire ce qui l’a motivée.

La mairie

Le thème est ici assez flou puisqu’il mélange politique, argumentation, stéréotype et surconfiance.

Dans un coin on trouve une vidéo avec trois personnages joués par le même acteur, tenant chacun un discours sur le changement climatique. On nous demande de voter pour le personnage qui nous a le plus convaincu, puis on nous propose une brève analyse des discours qui décortique les paralogismes utilisés (faux dilemme, appel à la nature, effet puits, etc.) ainsi que les allures des personnages (l’un d’eux correspond par exemple au stéréotype du politicien en cravate).

À côté se trouve un petit jeu qui apprend à détecter des arguments fallacieux en se basant sur une liste d’exemples.

Plusieurs problèmes sautent au yeux.

Ces deux premières activités, faites dans le cadre de la « mairie », établissent de fait un lien direct entre le champ politique et les tromperies argumentatives volontaires. Le thème des arguments fallacieux n’étant pas repris par la suite dans l’exposition, le lien avec le champ politique semble exclusif. Ce lien est questionnable puisque la distinction entre sophismes et paralogismes n’est pas précisée : là où le sophisme est un argument fallacieux énoncé avec la volonté de tromper, le paralogisme est une faute sincère de logique. Ainsi il est ici implicite que les erreurs argumentatives sont uniquement faites dans un but manipulatoire et lié à la politique.

De plus, aucune nuance n’est apportée à ces « sophismes ». Leur pertinence est écartée d’emblée, sans considérer qu’ils relèvent pour la plupart d’erreur de logique informelle (c’est-à-dire que l’erreur ne vient pas de leur structure logique mais plutôt du contexte d’émission), qu’ils peuvent donc connaître un certain domaine de validité et qu’ils sont émis rationnellement d’après les données disponibles par leur émetteur1.

Petit détail qui fait tache sur le jeu présentant la liste d’exemples de sophismes : une bonne partie des exemples donnés ne correspondent pas aux noms des sophismes en question.
Pour résumer, ces deux activités tombent dans la critique maintenant classique faite à l’utilisation de la notion de « sophisme » en zététique : on apprend des listes d’arguments fallacieux qui semblent pouvoir disqualifier une argumentation (voire la thèse défendue ou la personne qui argumente) dès lors qu’on les détecte, sans s’intéresser au contexte d’argumentation. Quelle pertinence peut-il y avoir à faire la chasse aux sophisme, par exemple, dans une conversation en plein repas de famille ?

Passé cela, un autre jeu propose d’associer des images de personnes à des métiers dans un temps très limité. Évidemment, la plupart des gens réagissent d’après des stéréotypes culturels : associer l’homme avec un chapeau de paille au métier de jardinier, une femme accompagnée d’enfants au métier d’enseignante, un homme penché sur son ordinateur avec un smartphone à la main au métier d’informaticien, etc. Et… c’est tout ! Un écran de correction nous indique ensuite qu’au dos des images des personnes se trouvaient des descriptions qui donnaient des indices quant à leur véritable métier. Sauf que :

– Le temps imparti est de toute façon insuffisant pour lire ne serait-ce qu’une seule des descriptions. Dans le but de réussir ce petit jeu, réagir avec des stéréotypes est finalement très rationnel puisque ce sont les seuls indices disponibles (de plus les stéréotypes mobilisés sont plutôt innocents, rien de basé sur la couleur de peau par exemple).

– Une fois qu’on prend le temps de lire toutes les descriptions, on se rend compte qu’aucune d’elle ne mentionne explicitement le métier des personnes. La conclusion qui semble raisonnable est alors que n’importe laquelle de ces personnes pourrait exercer n’importe lequel des métiers. Même si cette conclusion part certainement d’une volonté humaniste et inclusive, je doute qu’elle soit transférable en dehors des personnages de ce jeu.

Le jeu tombe donc dans un autre travers qui est d’amalgamer heuristiques et biais, ou stéréotypes et discrimination dans ce cas précis. Toute pensée rapide et intuitive n’est pas un biais, et toute expression d’un stéréotype n’est pas une discrimination. Le jeu n’explicitant pas cette distinction, il suggère implicitement un amalgame malheureux : là où l’heuristique (de jugement) est une opération mentale automatique, intuitive et rapide, le biais (cognitif) est une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. (wikipédia)
Là où le stéréotype est une opinion acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique, la discrimination est un traitement différencié, inégalitaire, appliqué à des personnes sur la base de critères variables (ces critères peuvent être des stéréotypes). (CNRTL).

Le plus gros problème de ce jeu selon moi est qu’il ne met pas en condition pour s’interroger sur l’origine des stéréotypes, ni de leurs conséquences négatives, ni des manières de lutter contre celles-ci. On invite implicitement à conclure que les stéréotypes sont issus de la bêtise ou d’une pensée trop rapide, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Un petit jeu termine la zone en prétendant parler du biais de surconfiance (aussi appelé effet Dunning-Kruger) alors qu’il ne le démontre pas du tout2.

On nous présente un schéma de vélo incomplet et on nous demande de le terminer avec un nombre de traits limité. La plupart des gens placent mal le dernier trait, ce qui a pour conséquence de dessiner un vélo non fonctionnel.

Le biais de surconfiance advient lorsqu’une personne surestime ses compétences relativement à une tâche. Là où c’est cocasse, c’est que le jeu débute en demandant au public d’auto-évaluer sa capacité à redessiner un vélo et que la plupart des gens répondent 50 % ou moins : c’est-à-dire que la plupart des gens s’estiment peu confiants ! Leur auto-évaluation se révèle donc plutôt bonne dans ce contexte.

Évidemment il ne s’agit pas ici d’un protocole expérimental rigoureux censé répliquer une expérience historique. Seulement voilà, le but était de démontrer la surconfiance, ce qui ne marche pas et c’est finalement le discours d’un·e médiateur·ice qui vient encore corriger le tir en expliquant ce qui était censé se passer. Sur ce jeu comme sur d’autres, l’effet à démontrer n’est pas du tout explicite et beaucoup de gens ont fait remarquer (qu’ils aient réussi le schéma correct ou non) qu’ils ne comprenaient pas l’exercice.

Kiosque à journaux

Ce lieu est dédié à l’information et il est à mon avis un peu trop focalisé sur les fake news.

Premier dispositif, un quiz énonçant une quinzaine d’idées reçues ayant trait aux sciences de la nature, auxquelles il faut répondre par « vrai » ou « faux ». S’ensuit un corrigé qui rétablit la « vérité scientifique » et donne quelques explications.

L’exercice est plutôt rigolo et fonctionne bien, on y apprend quelques informations scientifiques qui bousculent nos intuitions et idées reçues. Mais ce n’est pas un exercice d’esprit critique, c’est un QCM sur des connaissances scientifiques. À aucun moment on ne se demande pourquoi on croit ce qu’on croit. On attend passivement le corrigé. La seule conclusion qu’on peut tirer après ce quiz est que la science contredit plusieurs de nos croyances, fausses.

La vision de l’esprit critique est ici absolutiste : il existe des choses vraies, des choses fausses et l’esprit critique a pour seule utilité de déterminer quelles choses sont vraies ou fausses3. C’est extrêmement réducteur même si on reste focalisé sur la thématique des fake news.

Les connaissances sont bien une des trois composantes de l’esprit critique selon la littérature sur le sujet4. Cependant je doute que ce petit jeu montre bien le lien que les connaissances ont avec l’esprit critique, puisqu’il se contente de pointer des idées reçues (qui sont en plus complètement inoffensives, par exemple le fait que les tournesols suivent le soleil. On n’a aucun enjeu à se documenter sur ce genre d’informations au quotidien à moins de préparer un cours de biologie).

Un grand panneau plus loin dans la pièce arbore une grande infographie montrant plusieurs procédés de manipulation de l’image en contexte infomédiatique. C’est très bien réalisé, on comprend vite les techniques utilisées et leur but manipulatoire.

Plusieurs problèmes déjà listés sont ici cumulés : l’information est considérée soit vraie soit fausse, l’information fausse est censée être diffusée dans un but manipulatoire, aucun outil n’est donné pour vérifier l’information. On saute à pieds joints dans les problèmes induits par la définition classique des « fake news » (information fausse diffusée dans un but manipulatoire) : comment déterminer ce qui relève du vrai et du faux ? Comment prétendre connaître les intentions des auteur·ices des informations ? De manière pratique, peut-on vraiment dédier autant de temps à une vérification aussi rigoureuse de tout ce qui nous passe sous les yeux5 ?

Le dernier atelier de la zone est de loin le plus intéressant. Cinq fausses couvertures de magazine traitant du même sujet nous sont présentées. Elles sont conçues pour mimer des degrés différents de rigueur scientifique et avec des visuels très variés : l’une fait penser à un numéro de La recherche tandis qu’une autre semble singer Paris Match. Le but est de classer ces cinq magazines de celui qui nous inspire le plus de confiance à celui qui nous en inspire le moins, relativement au sujet traité. Nous sommes donc invité·es à vérifier si les articles sont signés, si les auteur·ices sont des expert·es du sujet, si des sources sont apparentes, si des informations précises et vérifiables sont communiquées dans les articles, ou encore si les photographies illustrent bien le texte. Rien qu’avec ces critères, il est possible d’établir une gradation dans la confiance à accorder a priori à ces magazines, de celui qui semble le plus rigoureux à celui qui traite son sujet par-dessus la jambe.

Là où je vois un problème, c’est que d’autres critères moins pertinents peuvent servir à établir cette gradation, comme l’aspect visuel du magazine ou son prix, et qu’en utilisant ces critères on aboutit à la même gradation qu’en utilisant les critères de rigueur journalistique cités plus haut. Le magazine le moins cher et ayant une charte graphique très colorée et pleine de fantaisies est aussi le moins rigoureux.

Implicitement, l’atelier associe le prix et le visuel à la rigueur journalistique, ce qui à mon avis brouille les pistes de l’évaluation de l’information. Bien sûr, l’aspect visuel et le prix d’un magazine sont intéressants à analyser, mais ils ne nous renseignent pas a priori sur la qualité du média.

Salle de spectacle de magie

Deux activités sont ici proposées. Un écran interactif annonce pouvoir deviner notre personnalité. Il nous pose deux questions « personnelles » auxquelles on répond en cliquant sur un des choix possibles, puis nous déballe un discours calqué sur le modèle du discours de Bertram Forer, provoquant le fameux effet Barnum : il nous livre son analyse de notre personnalité en quelques phrases sonnant assez justes, mais qui sont en fait assez floues et générales pour correspondre à tout le monde.

On trouve aussi une vidéo présentant quelques tours très simples de mentalisme. Le mentaliste fait sa démonstration puis explique comment il s’y est pris.

La qualité pédagogique est là : on sait qu’on va être trompé par les tours et par la voyance, on l’est effectivement, puis les astuces sont présentées de manière très simple et juste.

Le problème de cette zone est lié au problème global de l’exposition, dont le message est en substance (c’est ce qui ressort des panneaux explicatifs) « Constatez tous les domaines où vous êtes manipulé·es ». L’exposition nous laisse avec ce message, à nous de voir ce qu’on en fait. Si l’on comprend très vite la pertinence de savoir qu’on peut être manipulé par des politiciens ou des médias, quel en est l’intérêt concernant la magie ? Les tours présentés le sont dans le contexte d’une salle de spectacle, un lieu avec lequel on signe un contrat tacite de consentement à être trompé·e. On sait déjà qu’il y a des manipulations et qu’elles n’auront pas d’incidences négatives sur nos vies ou sur la société.
On touche ici au manque de liens explicites entre les différents thèmes traités par l’exposition. Elle ne nous fait pas comprendre l’intérêt qu’il peut y avoir à démonter méthodiquement des tours de magie. Or il me semble que cet intérêt existe bien : les manipulations utilisées (effet Barnum, mauvaises intuitions statistiques, détournement d’attention, induction d’hypothèses alternatives coûteuses, etc.) peuvent ici être expliquées dans un cadre ludique et (presque) sans risque de provoquer de la réactance. La magie représente un exemple de plus sur lequel décliner l’application des compétences propres à l’esprit critique.6

Je tiens à préciser que je ne considère pas que la magie a pour seul intérêt son usage pédagogique pour l’enseignement de l’esprit critique. C’est un art à part entière7. Ici je traite la magie depuis un certain point de vue car c’est censé être le but de cette exposition que d’initier à l’esprit critique.

La pharmacie

Certainement la meilleure zone de l’exposition, présentant deux activités très pédagogiques.
La première nous confronte à des paires de situations dont nous devons répondre s’il s’agit d’une causalité (une situation a causé l’autre plus ou moins directement), si elles viennent d’une cause commune (une cause tierce, non dévoilée ici, qui a causé ces deux situations), ou s’il n’y a aucun lien entre les deux situations (coïncidence). Le jeu a la finesse de proposer des situations évidentes et d’autres très contre-intuitives, ainsi qu’une explication sommaire en fin de jeu.

Rien à dire, le concept de confusion entre causalité et coïncidence passe très bien, décliné sur plusieurs exemples clairs.
Seul point noir : À la toute fin du jeu, l’écran donne un bonus sous forme d’un petit texte explicatif de notre perception du hasard, accompagné de schémas avec des points plus ou moins espacés. Le texte et les schémas sont tellement confus que personne dans l’équipe n’a su se les approprier pour ne serait-ce qu’en faire une accroche pour parler plus rigoureusement de la perception intuitive du hasard. Heureusement ce bonus est un détail au milieu du reste.

Deuxième jeu, une enquête épidémiologique fictive sous forme de quiz. Nous sommes mis·es en situation en devons répondre en temps limité à des questions qui touchent à la méthode scientifique expérimentale, notamment liée à son usage en santé.

Que nos réponses soient bonnes ou mauvaises, une petite voix se fait entendre avant de passer à la question suivante, nous expliquant pourquoi notre réponse était bonne ou mauvaise. Ainsi tout le monde profite du message scientifique, même les personnes chanceuses qui répondent au pif.

On apprend par exemple ce qu’est une confusion entre corrélation et causalité (ce qui poursuit habilement le jeu précédent), ce qu’est une manipulation des échelles sur un graphique, ou ce qu’est un groupe témoin lors d’un test clinique.

Test de logique

Entre plusieurs zones se trouve une grande table dont chaque place est pourvue de boutons qui permettent de répondre à un test de logique effectué à plusieurs joueur·euses.

Les trois questions posées sont des tests de logique (du style de l’énigme du nénuphar qui double de surface…) qui proposent trois réponses possibles, dont nous sommes prévenu·es qu’une seule est juste.

À chaque question il faut sélectionner individuellement une réponse dans un temps limité tandis que les réponses des autres s’affichent. Il est possible, tant que le temps pour répondre n’est pas écoulé, de changer sa réponse. La consigne précise que les points sont attribués au groupe de joueur·euses seulement si tout le monde donne la bonne réponse, les joueur·euses sont donc implicitement encouragé·es à s’entraider.

Sur le papier c’est très bien, mais plusieurs éléments viennent faire échouer la coopération et les raisonnements logiques.

Déjà, le temps limité est beaucoup trop court pour réfléchir individuellement et beaucoup de gens se retrouvent à répondre au hasard. Les personnes connaissant ou ayant trouvé le bon raisonnement n’ont pas le temps de l’expliquer aux autres pour les faire changer de réponse à temps. Le manque de temps profite aux personnes possédant déjà de l’autorité (légitime ou non) au sein d’un groupe, ou qui savent s’affirmer face aux autres. Combien de groupes d’élèves avons-nous vus s’aligner sur la réponse (souvent fausse) d’un de leurs camarade qui parlait plus fort… On est à fond dans l’effet de halo : des caractéristiques non pertinentes des personnes répondantes servent aux autres personnes pour évaluer sa fiabilité.

Ensuite, il manque un corrigé. Beaucoup de personnes ont été frustrées de ne pas pouvoir, faute de se souvenir des questions, poser leur raisonnement calmement suite à l’exercice. Ainsi le jeu se limite à une mauvaise note sans possibilité de s’améliorer.

Enfin, à la fin du jeu s’affichent à la fois le score du groupe et les scores individuels. « Haïssez le jeu, pas les joueurs » est un proverbe s’appliquant parfaitement à la situation : le simple fait de mettre en avant des scores individuels laisse la possibilité (voire incite) les joueurs à transformer un jeu pensé pour être coopératif en un jeu compétitif, ce qui le vide de son sens.

En résumé, l’idée initiale d’entraîner les compétences de raisonnement logique et d’entraide au sein d’un groupe au moyen d’argumentation était louable, mais échoue selon moi à cause d’éléments qu’il aurait été facile de corriger. Il était parfaitement possible de ne pas afficher les réponses des autres joueur·euses (pour éviter toute influence sur les réponses des autres) ; de ne pas afficher des scores (qui nuisent à la coopération) ; voire d’expliquer l’effet de halo en début de jeu.

Food truck

Une réplique de food truck fait office de zone dédiée à la fois aux biais mnésiques et attentionnels : les failles de la mémoire et de l’attention.

Sur un des pans du camion on regarde un petit film diffusé en boucle, qui est en fait une variante du monkey business tournée spécialement pour l’exposition8. Le début du film donne pour consigne de compter certains éléments à l’écran, ce qui détourne l’attention et fait rater l’apparition d’autres éléments pourtant insolites. Le film fonctionne très bien, personne ne remarque les dits éléments insolites. L’écran de fin invite à passer sur un autre pan du camion pour voir un « making of » du premier film, sur lequel on se rend compte de la supercherie. On comprend très bien la manière dont nous avons été trompé·es.

Si on s’arrête là ça fonctionne très bien. Ce qui m’embête c’est l’absence de recul par rapport à la tromperie. Lors du visionnage du film nous n’avons rien raté d’important pour nous, de crucial à la compréhension de l’exposition, ou encore de dangereux. Est-ce réellement une faille de notre esprit que de se focaliser sur certains éléments ? Ou est-ce justement la preuve d’un fonctionnement efficace pour l’écrasante majorité du temps ?

Une fois de plus, la fin du jeu nous lâche avec pour seule conclusion immédiate que nous sommes faillibles. Rien n’interroge les conditions de cette faillibilité, les conséquences qui peuvent en découler, les moyens de contourner cette faillibilité ni la pertinence de le faire.
Cette faillibilité en est-elle vraiment une, si elle permet de se concentrer efficacement sur une seule tâche en faisant par exemple abstraction d’un contexte bruyant ? Serait-il pertinent de faire attention à tout, tout le temps, dans tous les contextes ? Ou pourrait-on se contenter d’identifier certains contextes requérant une attention soutenue ?

Le deuxième jeu fonctionne moins bien. Il tente de démontrer les effets de primauté et de récence, en présentant une liste à retenir et à restituer dans l’ordre, le tout en un temps limité. L’écran de fin montre les statistiques des 100 dernières personnes à avoir joué, sans préciser que nous sommes censé·es remarquer que les premiers et derniers éléments de la liste ont été plus souvent retenus que les autres. De fait personne ne le remarque car ce n’est pas ce qui se passe. Le jeu, avec toutes ses contraintes techniques et un environnement aussi perturbé que celui d’une exposition, ne peut évidemment prétendre à répliquer des expériences de psychologie sociale.

Ainsi, on constate simplement que notre mémoire est imparfaite. Même problème que précédemment concernant l’absence de conclusion autre que le constat de notre faillibilité.

Le supermarché

Dernière zone thématique contenant quatre activités. Pour moi, c’est la zone la plus confuse.

Une première activité propose de s’asseoir successivement sur deux chaises rigoureusement identiques, posées l’une à côté de l’autre. Après avoir essayé les deux, nous devons voter pour notre « préférée ». Des statistiques des 100 derniers votes du public s’affichent ensuite, où l’on constate un équilibre relatif entre les préférences pour la chaise de gauche et pour celle de droite. L’écran de fin mentionne rapidement l’effet placebo.

Le dispositif ne peut en fait pas prétendre parler d’effet placebo : l’effet placebo est un procédé n’ayant pas d’efficacité propre mais agissant sur une personne par des mécanismes physiologiques ou psychologiques. Plus largement on parle d’effets contextuels. Or ici ces effets contextuels sont totalement absents (ce qui explique l’équilibre des votes). Rien ne permet de distinguer les chaises, ni directement à leur apparence ni dans le décor qui les entoure. On voit mal ce qui induirait une préférence. Peut-être que l’ajout d’autocollants sur une des chaises, ou d’une différence ténue dans la teinte du bois, aurait induit un effet.

La deuxième activité prétend démontrer un biais d’ancrage mais son dispositif rend cela impossible. Nous sommes face à deux vases très différents et un écran nous demande d’estimer le prix de celui de gauche. L’écran affiche ensuite une fausse publicité mentionnant un nombre qui n’a rien à voir avec les vases. Il nous demande de donner le prix du deuxième vase, puis nous affiche les statistiques des 100 derniers votes. On est censé observer que les prix estimés pour le deuxième vase sont plutôt proches du nombre qui a été affiché dans la fausse publicité, car on aurait « ancré » ce nombre dans notre esprit, lequel nous servirait à présent de référence pour faire des estimations.
Or on n’observe aucun groupement des réponses sur le nombre donné pendant la publicité. Ce qui aurait été intéressant d’observer, c’est si pour chaque personne le deuxième prix donné était proche du premier. Hélas le dispositif ne permet pas d’accéder à ces données.

Induire un réel biais d’ancrage ressemblerait davantage à ceci : l’écran demanderait si, d’après nous, le prix d’un unique vase était inférieur ou supérieur à un prix A, puis nous demanderait d’estimer ce prix. Alternativement, il demanderait à certaines personnes si ce prix était inférieur ou supérieur à un prix B, puis leur demanderait également une estimation. On observerait, selon toute vraisemblance, que les personnes à qui on montre le prix A donneraient des estimations proches de A, et que les personnes à qui on montre le prix B donneraient des estimations proches de B9

La troisième activité parle d’intelligence collective et le fait plutôt bien. Un caddie rempli de produits nous est présenté, chaque personne devant estimer le poids total en kilogrammes de l’ensemble sans connaître les estimations des personnes précédentes. Une fois notre estimation donnée, on découvre les 100 dernières estimations du public ainsi que leur médiane et le « vrai » poids du caddie. La moyenne est toujours très proche du vrai poids, ce qui est vaguement expliqué par l’écran de fin, qui ajoute un résumé de l’expérience de Galton (il demandait à des gens dans une foire d’estimer le poids d’un bœuf. La médiane des estimations était très proche de la réalité.).

Seule remarque : les conditions de l’effectivité de cette intelligence collective ne sont pas exposées. Il semblerait que ce type d’expérience fonctionne très bien pour des variables quantifiables et ne demandant pas d’expertise particulière pour se faire un avis (ça ne marcherait pas en demandant le montant en dollars nécessaire pour solutionner la faim dans le monde par exemple). De plus, il semblerait que chaque estimation doive être faite sans concertation pour éviter les influences10. Les personnes qui s’essayent à l’exercice, ne respectant pas forcément ces conditions, ne font donc pas émerger d’intelligence collective. En effet, si l’influence entre en jeu, le phénomène observé change complètement et on peut observer l’estimation d’un groupe s’enfoncer dans l’erreur11.

La dernière activité est un faux rayon de supermarché dans lequel tous les produits sont disponibles sous deux versions, de marques et emballages différents. Par exemple deux types de bouteille d’eau, deux types de maquillage, deux types de lessive… Les emballages sont plutôt réalistes et sont de vrais condensés de manipulations classiques du marketing : prix finissant en « …,99 centimes », appels à la nature, des couleurs criardes, des « Vu à la TV », des photos de gens heureux, etc.

Nous devons choisir un des deux produits pour chaque paire de produits, puis soumettre notre sélection à une caisse virtuelle qui passe en revue chaque paire de produit en nous donnant une brève analyse des manipulations utilisées. Chaque emballage incarne une ou plusieurs techniques de manipulation.

On peut ainsi faire des liens entre des manipulations similaires utilisées sur différents produits, par exemple entre une photo aérienne de champs de thé, un « 100 % naturel » et un « Sans OGM ».

Si l’exercice s’arrêtait ici il aurait été plutôt bon, mais le côté interactif brouille encore une fois le message. En effet, chaque paire de produit analysée par la caisse virtuelle est accompagnée des statistiques des 100 derniers choix des personnes précédentes. On constate très souvent un relatif équilibre entre les deux produits, ce qui nous fait nous demander si le but du dispositif était de démontrer qu’une manipulation fonctionnait systématiquement avec plus de puissance qu’une autre. Si tel était le but, alors pourquoi ne pas avoir opposé un emballage manipulatoire à un autre plus « neutre » ? Si tel n’était pas le but, alors pourquoi avoir affiché les statistiques ?

Cette activité est pour moi représentative de l’exposition : même là où les effets manipulatoires recherchés sont bien présents et où les explications données sont valides, il est difficile de comprendre ce qu’on peut tirer de l’expérience. On a passé un bon moment mais on n’a rien appris. Une camarade médiatrice le formule ainsi : « On a appris qu’on était faillibles et qu’il fallait être vigilant, mais on n’a pas la méthode pour l’être correctement. Des publics nous disent, en sortant de l’expo, qu’il faut faire attention, se méfier, ce qui n’est ni constructif ni critique, mais tout simplement une émotion connotée négativement dont on ne sait que faire. »

Bilan

Terminons la visite avec le « Bilan ». Tel que je l’avais précisé en début d’article, nous récupérons un bracelet connecté au début de l’exposition qui nous permet d’interagir avec tous les dispositifs. Chaque interaction enregistre nos choix, lesquels sont finalement traduits sous forme d’un bilan sur un dernier écran interactif. Nous recevons ainsi un « score d’esprit critique » sur un diagramme en toile d’araignée avec plusieurs sujets.

Évidemment ces scores n’ont aucune prétention scientifique, ni aucune prétention à mesurer quoi que ce soit à l’intérieur de l’exposition. En effet les visiteur·euses venues à plusieurs n’ont pas forcément toustes un bracelet, ne font pas forcément toutes les activités, les refont parfois plusieurs fois jusqu’à obtenir la « bonne » réponse, etc. Au-delà de ce faux problème (qui est plutôt une limite assumée par les concepteur·ices de l’exposition), ce bilan laisse croire que l’esprit critique serait une liste de compétences mesurables, les différents sujets étant notés par un pourcentage de réussite. Or l’esprit critique, en tout cas si l’on se réfère à ce qu’on trouve dans la littérature récente (je vous renvoie à la note de bas de page 5), se compose de compétences mais aussi de connaissances et de dispositions. De plus, quantifier ces compétences (et ces connaissances et dispositions) n’aurait aucun sens puisque l’esprit critique ne s’active pas automatiquement en toutes situations, il est contextuel : selon le sujet12, selon les dispositions du moment, selon nos connaissances, on sera en mesure ou non d’exercer notre esprit critique.

Un regard d’ensemble

De la même manière que traiter les arguments d’un discours de façon indépendante, en ignorant leurs liens et la thèse qu’ils soutiennent, fait passer à côté d’une analyse réellement pertinente du discours, critiquer chaque zone de l’exposition sans chercher à analyser l’ensemble fait courir le risque de ne pas saisir un propos global plus pertinent.

J’expose ci-dessous une critique en tentant d’appréhender l’exposition dans son ensemble.

Je le redis, cette exposition est une très bonne opportunité pour parler d’esprit critique : les visites de groupes accompagnés par un·e médiateur·ice permettent de développer de nombreux points non traités dans l’exposition, d’en préciser et d’en nuancer d’autres.
En revanche comme aucun lien n’est fait entre chaque zone, lors d’une visite solo on a certainement du mal à percevoir la relation entre les sujets traités et l’esprit critique, ainsi que les relations que ces sujets entretiennent. Quand bien même chaque zone fonctionnerait bien et véhiculerait un message clair (ce qui n’est selon moi pas le cas comme exposé plus haut), elles fonctionneraient indépendamment.

Le seul message explicite qui semble lier les zones entre elles est la nécessité d’exercer son esprit critique pour se protéger des manipulations. Chaque zone s’ajoute ainsi à une liste de thèmes sur lesquels nous sommes susceptibles de nous faire manipuler.

Il y a plusieurs problèmes à cette conception de l’esprit critique :

– Si le message est bien qu’il faut exercer son esprit critique pour éviter de se faire manipuler, il faut déjà avoir une définition, même minimale, de l’esprit critique. Or à aucun moment l’exposition n’en donne. Pour dégager une définition d’après le contenu de l’exposition, il faudrait recouper l’ensemble des panneaux textuels et des discours de fin des écrans interactifs ou… travailler dans l’exposition pendant plusieurs mois. C’est le problème de l’apprentissage par l’informel : les notions ne sont pas acquises ou risquent de l’être avec des contre-sens. Certes, une exposition n’est pas un cours, elle n’a pas pour objectif premier de transmettre des notions et de contrôler leur bonne compréhension. Cependant elle transmettra forcément un propos, qui se doit alors d’éviter le plus possible les interprétations erronées.
– L’utilité de l’esprit critique en tant que protection contre les manipulations se défend, mais c’est très réducteur. Où sont l’évaluativisme13, le réflexe du doute et l’humilité intellectuelle ? L’apprentissage de l’argumentation ? La nécessité de se documenter à propos des sujets sur lesquels exercer notre esprit critique ? Finalement, la mise en scène de l’exposition cache une caricature de zététicien en recherche de faussetés sur lesquelles pointer un doigt accusateur.

– Même en suivant cette conception réductrice de l’esprit critique qui ne serait qu’une protection, l’exposition n’est pas satisfaisante. Elle ne fait que pointer nos erreurs de raisonnement, nos intuitions maladroites, nos stéréotypes, etc. mais sans nous donner d’outils pour réellement repérer des manipulations et les contourner, ce qui serait un objectif minimal. Si on ne le savait pas déjà, l’exposition nous apprend que des manipulations existent, mais ne nous démontre pas leurs conséquences (ou alors très minimalement) ni ne nous donne les moyens de nous en prémunir.

– À aucun moment on ne sort de ce pointage de nos biais et autres raisonnements fallacieux. L’exposition s’inscrit dans un paradigme cognitiviste, une « idéologie des biais cognitifs »14 qui met sur un piédestal la seule rationalité épistémique : nous humains raisonnons mal à cause de notre cerveau, nos choix sont irrationnels. Cette approche est faible épistémologiquement15 et dangereuse politiquement. Elle est incapable d’expliquer le fait que différents individus se comportent différemment dans une même situation, elle naturalise nos comportements et réduit le champ des possibles pour changer la société16.

Le cerveau qui sert de logo et d’illustration récurrente à l’exposition résume bien le propos : les autres approches, issues des sciences humaines et sociales principalement, n’ont pas leur place ici.

Encore une fois, cette exposition est un support pédagogique bienvenu. Les visites avec des groupes permettent d’explorer en profondeur certains sujets, d’établir des liens entre les zones et avec les vécus des personnes. J’encourage les enseignant·es qui le pourront à y emmener des classes pour profiter des visites guidées. En revanche je ne sais que dire des visites libres, qui à mon avis brouillent les pistes sur l’esprit critique. Si au moins cela permet de découvrir ce concept et de commencer à y réfléchir, c’est déjà une bonne chose. Ce que je regrette, c’est que le message principal qui reste potentiellement en tête soit quelque chose comme « Les pubs et les politiques nous arnaquent, faisons attention. »

Merci à ma camarade Julie pour sa relecture critique.

« La science est-elle politique ? » 2/2 – Quelques réflexions à ce sujet entre guillotine et grille-pain !

Au mois d’Avril Nicolas et David ont présenté aux Rencontres de l’esprit critique plusieurs ateliers participatifs. L’un d’entre eux proposait de débattre sur les liens entre science et politique. On revient sur ces ateliers dans cet autre article.
Par souci d’honnêteté (et probablement parce que nous aimons à croire que notre avis a de la valeur) nous proposons ici quelques pistes de réflexion et notre posture sur ce sujet-là.

Introduction

Nous avions déjà nos avis avant ces ateliers et les échanges qui y ont eu lieu ont permis d’en formaliser certains, d’en nuancer d’autres, d’en découvrir encore d’autres.

Avant de commencer prenons un peu de recul et notons que suivant le groupe sociopolitique auquel l’on s’identifie, une des deux réponses est plus cool que l’autre. Et tout sceptique que nous sommes (ou que nous souhaiterions être), il est clair que nous sommes influencés par le fait que « la science est politique » puisse être un refrain répété et valorisé au sein de nos bulles sociales. Tâchons, tant bien que mal, de s’en extraire et d’essayer de comprendre ce que cela peut vouloir dire !

Comme cela a été bien identifié au cours des ateliers, se positionner sur l’affirmation « la science est politique » dépend énormément de ce que l’on met derrière les différents termes. Ainsi, que l’on entende « Le résultat d’une expérience scientifique dépend de l’orientation politique du gouvernement » ou que l’on entende « L’activité scientifique interfère avec la vie publique », la réponse ne sera pas la même ! Une bonne manière de discuter la question est donc, dans un premier temps, de débroussailler le sens que l’on donne à cette phrase.
Pour aller plus loin nous vous proposons ci-dessous quelques pistes de réflexions sur ce sujet-là.  

[David] Les différentes acceptions du mot science

Évidemment, ce qui suit n’a pas pour prétention de trancher le débat. Il s’agit uniquement de ce qui nous semblait important à exposer.

Au cours des différents débats et discussions des ateliers, c’est surtout le mot « science » qui a été questionné, chacun·e y allant de son interprétation (à raison, sa polysémie laissant le champ libre !). Le mot « politique » a un peu été laissé de côté, en tout cas nous n’avons pas eu accès aux sens que les participant·es y mettaient.

Personnellement la définition du CNRTL me convient très bien :
Politique : qui a rapport à la société organisée.
C’est assez large pour inclure (presque ?) tout ce qu’on considérerait politique intuitivement. Et même ce qu’on ne considérerait pas politique au premier abord. C’est un reproche courant de ce type de définition super inclusive : « Si tout est politique, alors plus rien ne l’est ». Il se pourrait bien que tout soit politique, mais ça n’empêche pas d’imaginer ce qui pourrait ne pas l’être. (Cela dit, l’emprise des sociétés organisées sur la planète est telle que même l’ermite le plus reclus respire un air pollué et ingère des micro-plastiques.)

Pour ce qui est du sens du mot « science », repassons une couche avec 5 acceptions courantes (détaillées dans cet autre article du Cortecs) :
– La démarche
– Les connaissances
– La communauté vue du dehors
– La communauté vue du dedans
– Le complexe technopolitique

Ces 5 sens sont pratiques pour mieux comprendre de quoi on parle quand on dit « science », mais gardons en tête qu’ils sont indissociables. Les humains composant la communauté se cachent derrière la construction de la démarche et son application ; les connaissances sont manipulées par la communauté, influencent la démarche ; et le complexe technopolitique est toujours présent, étant à la fois la structure sociale dans laquelle s’inscrit la communauté et le produit des connaissances, techniques et technologies issues de l’application de la démarche.
Vous suivez toujours ?
Voyons maintenant de quelle manière chacun de ces sens est lié à la politique.

S’il semble évident que le complexe technopolitique est lié à la politique (c’est dans le nom), ça ne l’est peut-être pas pour tous les aspects qu’il recouvre.
Je suis d’ailleurs insatisfait de la définition donnée par le lien ci-dessus, qui parle de sciences appliquées, technologies et de la genèse socio-politique des axes de recherche.
Tel que je le comprends, il faudrait diviser cette catégorie pour y mettre d’un côté les technologies (grille-pain, centrale nucléaire, pesticides, etc.) et les sciences appliquées (réseau électrique, fission nucléaire, agriculture, etc.) et de l’autre les institutions qui soutiennent ces sciences/technologies/communautés ainsi que leurs traductions politiques (les institutions ne sont pas forcément à mettre dans la communauté, par exemple si on parle d’un ministère).
Cette précision étant faite, pourquoi par exemple, des technologies « banales » seraient politiques ?
Votre grille-pain est politique à deux niveaux :

  • Il est inscrit dans un système technique : conçu, produit avec divers matériaux transformés, assemblé, vendu, raccordé au réseau électrique. Son existence suppose une société complexe et très organisée, avec des niveaux hiérarchiques et de la centralisation. Il est très peu plausible qu’un grille-pain soit produit dans une société anarchiste.
  • Sa conception induit des usages, qui à leur tour induisent une organisation sociale. Il est absolument faux de dire que « les outils sont neutres, tout dépend de ce qu’on en fait ». Justement, ce qu’on en fait est prédéfini à l’avance. Vous pouvez essayer de détourner l’usage d’un grille-pain, vous n’irez pas loin.
    Ces usages contraints mènent donc à agir d’une certaine façon, ce qui forme une pratique sociale à partir d’une certaine échelle. Un exemple caricatural mais très illustratif est celui du smartphone : cet outil a modelé de façon très visible les sociétés qui l’ont adopté. Il est devenu un cadre de pensée. À chaque situation son app’ dédiée.

La communauté vue du dehors ou du dedans, ce sont des humains. Je ne pense pas avoir besoin de développer longuement sur ce qui les relie à la politique. Même la chercheuse la plus indépendante ou le prof le moins investi dans l’organisation de son université ont suivi un parcours de vie qui ne doit rien au hasard, ont des motivations à étudier leur sujet, et impactent la société par leurs activités.

Les connaissances sont politiques par le fait même d’exister… ou de ne pas exister. Produire de la connaissance, c’est coûteux. La production dépend donc de l’intérêt que vouent les scientifiques à étudier un sujet, de l’argent, du temps et des moyens matériels qu’on y consacrera, et du risque qu’on perçoit à étudier le sujet.
Diffuser la connaissance, c’est coûteux également. Là aussi, intérêt, argent, temps, moyens, matériels, tout ça, tout ça.
Enfin, il serait naïf de penser que « tout dépend de ce qu’on en fait ». Tel un outil, la connaissance induit mécaniquement certaines conséquences. On ne peut pas simplement affirmer que « ce qui est ne dit rien de ce qui doit être » (voir le paragraphe ci-après) : on apprend que telle substance utilisée à grande échelle est en fait méga-cancérigène, et on ne va rien faire ?

Enfin, la sacro-sainte démarche ! (ou LA méthode, comme on l’entend parfois, ce qui est déjà trop souvent.)
Premio, elle n’est pas un concept abstrait fonctionnant en autonomie. Il lui faut des humains pour l’imaginer et l’appliquer. La démarche a bien été construite et elle continue de l’être, parce qu’on le veut bien.
Deuzio, la démarche est elle aussi un outil. Et vous savez ce qu’on dit à propos des outils : « tout dépend de ce qu’on en fait ». Non, encore une fois, un outil est fait pour quelque chose. La démarche scientifique, ainsi que toutes les méthodes particulières, sont des outils qui prescrivent des usages.
Troizio, le simple fait de vouloir faire de la science (entendre : appliquer la démarche) est un objectif qui, arbitraire qu’il est, peut se questionner. Une société peut décider des champs qu’elle laisse explorer à la science et de ce qu’elle organise autour de la science. Va-t-on étudier la production de nourriture ? le système de communications ? les moyens de donner des soins ? Ou rien de tout ça ?
Peut-être voyons-nous la démarche scientifique comme un exemple pur de neutralité parce que notre société lui a laissé le champ libre et qu’elle étudie (presque ?) tout. Mais elle n’a pas ce caractère hégémonique partout sur Terre, et ne l’a pas toujours eu chez nous.
Étudier scientifiquement un sujet a inévitablement des conséquences. C’est a minima un changement de point de vue qui s’opère sur l’objet, a fortiori un changement d’organisation sociale.

[Nicolas] « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être » et ce que cela implique réellement… 

Imaginez un gâteau aux fraises. Avec beaucoup de chantilly et des fraises bien rouge. Aussi succulent soit-il, l’existence de ce gâteau n’implique pas automatiquement qu’il doive être mangé. Encore faut-il qu’il y ait quelques personnes autour de la table, qu’elles aient faim (ou qu’elles soient suffisamment gourmandes), qu’elles ne soit pas allergiques aux fraises, éventuellement encore qu’il y ait un couteau pour couper ou des assiettes pour servir. 
L’existence en soi n’implique aucune action, encore faut-il qu’il y ait un désir, un besoin ! 

C’est à peu près cela que l’on entend quand on dit que le descriptif n’implique pas le prescriptif, que la science est amorale1, ou comme le dit la guillotine de Hume : « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être« .
Ce principe peut se justifier d’un point de vue logique assez fondamental. Un argument dont la conclusion contient un « il faut » ou un « doit » – une conclusion prescriptive – ne peut pas découler de prémisses uniquement descriptives. Il faudra au moins une prémisse prescriptive. Prenons quelques exemples :

  • « Le nucléaire est l’énergie la plus bas carbone » n’implique pas directement « Il faut promouvoir le nucléaire ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Il faut promouvoir l’énergie la plus bas carbone ».
  • « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » n’implique pas directement « Il faut traiter différemment les différents groupes humains ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Les différences biologiques doivent servir de critères pour accorder des droits ».
  • « L’homéopathie n’a pas d’efficacité propre » n’implique pas directement « Personne ne devrait prendre d’homéopathie ». Il faudrait y ajouter une prémisse du type « Personne ne devrait utiliser de thérapies sans efficacité propre ».   

Une fois que l’on prend le temps d’exprimer la prémisse prescriptive manquante on se rend compte que la conclusion n’est pas forcément si évidente. Pourtant il arrive bien souvent que l’on cette tendance à sauter directement à la conclusion. Il est donc fondamental de marteler ce principe de la guillotine de Hume dans l’exercice de notre pensée critique.

Ce principe semble (au moins a priori) dissocier le scientifique (descriptif) du politique (prescriptif) et ce dans les deux sens :

  • Ce qui doit être n’a pas à se plier à ce qui est : Par exemple, si l’on constate une inégalité (économique, biologique, sociale, …), cela n’implique pas qu’il faille préserver cette inégalité2. Cette première erreur est à rapprocher de l’appel à la nature ou de l’appel à la tradition. 
  • Ce qui est n’a pas à se plier à ce qui doit être :  Par exemple, si l’on promeut l’utilisation d’une certaine pratique, cela ne doit pas influencer notre perception de celle-ci.
    Cette erreur est à rapprochée du raisonnement motivé.  

Le principe de la guillotine de Hume est souvent celui que défendent celles et ceux qui disent que la science n’est pas politique. Et je suis absolument d’accord avec ce point de vue. Mais il ne faut pas se tromper sur la portée réelle de ce principe ! Examinons quelques éléments pour comprendre ce que ne dit pas la guillotine de Hume et pourquoi il est trompeur de croire qu’elle énonce que la science n’est pas politique.

La frontière entre descriptif et prescriptif

Si d’un point de vue logique il semble qu’il y a une limite claire entre un énoncé descriptif et un énoncé prescriptif, une fois exprimé dans un langage naturel, dans un contexte humain la limite devient assez floue.

Considérons ces trois affirmations :

  • « Les moustiques sont le plus important groupe de vecteurs d’agents pathogènes transmissibles à l’être humain, dont des zoonoses » 
  • « Il faut éliminer certaines espèces de moustiques »
  • « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité ».

La première est clairement descriptive et la deuxième est clairement prescriptive. Mais comment classer la troisième ? Elle semble descriptive, mais l’utilisation du terme « danger » implique une certaine préférence. On peut imaginer que, suivant le cadre dans lequel elle est énoncée, elle pourrait sous-entendre automatiquement certaines prescriptions.

Autre exemple : si je dis « les antivax sont des cons », il semble s’agir d’un énoncé descriptif duquel on ne peut conclure sur ce qu’il faudrait faire sans une autre prémisse prescriptive comme « il ne faut pas être con » ou « il ne faut pas parler avec des cons » ou « il faut lutter contre les cons ». Oui sauf que, ces prémisses-là sont plus ou moins sous-entendues. Elles sont, d’une certaine manière, contenues dans le terme « con » et dans les connotations qui lui sont associées. Nos normes sociales, notre bagage culturel, notre langage forment un package de départ contenant un certain nombre de valeurs prescriptive sous-entendues.
Ainsi « Manger X peut causer la mort » peut directement se traduire par « Il ne faut pas manger X » puisque la prémisse prescriptive « Il ne faut pas manger ce qui peut causer la mort » est sous-entendue.
De la même manière les affirmations « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » ou « Les antivax sont des cons » qui n’impliquent absolument rien d’un point de vue strictement logique risquent suivant le contexte d’énonciation d’interagir avec d’autres prémisses cachées. C’est pour cela que l’on devrait être extrêmement prudent avec ce genre d’affirmation et le cadre dans lequel on les utilise.

Il existerait donc des énoncés purement prescriptif, d’autres purement descriptifs et encore d’autres qui paraissent descriptifs mais sous-entendent un certain nombre d’éléments prescriptifs. Mais où fixer la limite ? À vrai dire, il semble peut-être plus parcimonieux de considérer que tout énoncé charrie par sa formulation et le contexte dans lequel il est utilisé une certaine charge prescriptive plus ou moins forte. 

L’importance du contexte d’énonciation

Précisons ici, que ces prémisses cachées dépendent du contexte dans lequel est énoncée l’affirmation puisque l’interprétation dépend des valeurs du groupe auquel on s’adresse. Des connaissances sur la biodiversité partagées dans une classe de CM1, sur un plateau de télévision ou à un congrès de Valeurs actuelles 3 ne rencontreront probablement pas les mêmes valeurs.

Un fait scientifique pouvant être formulé de différentes manières et dans différents contextes, le choix de ces derniers n’aura pas les mêmes conséquences. Ainsi « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité », « Les moustiques tuent près d’un million d’humains par an » ou « Une minorité d’espèce de moustique sont des vecteurs d’agents pathogènes pouvant être mortels pour l’homme » qui relèvent tous trois d’un même fait scientifique, n’ont pas le même impact.

Lien avec la non-neutralité de la technique

A fortiori, ce qui est vrai pour une production descriptive est vrai pour une production matérielle. Comme l’a montré David plus haut, un grille-pain implique une certaine utilisation de ce grille-pain ou une guillotine implique une certaine utilisation de cette guillotine (oui c’est méta). On vient de voir que le même raisonnement s’applique vis-à-vis d’un énoncé scientifique.
L’un comme l’autre ne sont pas neutres, ou alors dans une acception du mot « neutre » qui me parait assez peu satisfaisante.

Ainsi, si vous posez le gâteau sur la table il y a de très fortes probabilités que celui-ci soit rapidement englouti ! Parce que si l’ontologie du gâteau n’implique pas la gourmandise des enfants, on peut estimer que celle-ci est fortement attendue.

Ce que coupe réellement la guillotine de Hume

Faites usage de la guillotine de Hume, c’est Richard Monvoisin (du moins son t-shirt) qui le dit !

Attention ! Ce développement ne disqualifie pas la guillotine de Hume, bien au contraire ! Elle est un principe indispensable mais il faut en connaître la portée. La distinction descriptive/prescriptive est tout-à-fait pertinente dans une analyse critique d’un sujet, mais dès lors qu’un énoncé, aussi descriptif soit-il, est plongé dans un contexte humain il faut s’attendre à ce que celui-ci interagisse avec un certain nombre de sous-entendus prescriptifs. Cela devrait nous pousser à prêter une attention particulière aux normes sociales dominantes, à nos propres valeurs morales et à comment des énoncés scientifiques peuvent les conforter ou les bousculer !

[David] Science et engagement

À travers les petites et grandes histoires, nous avons eu une grande diversité de rôle de la science dans l’engagement.
Il semble même que toutes les acceptions courantes de « sciences » aient été représentées : certain·es nous parlaient de leur amour de la méthodologie d’une discipline scientifique, d’autres de discussions avec des scientifiques amateurs, avec des logiciens du quotidien, ou avec des professeurs, d’autres encore de leur découverte de savoirs scientifiques, ou d’autres enfin des impacts de technologies dans leur vie, voire de décisions politiques dans lesquelles le lien avec la science devenait lointain (et c’est tant mieux, l’important dans l’atelier était de livrer des pépites tant qu’on ne dérivait pas trop).

Sans prétendre qu’il soit possible de faire de la sociologie ni de la psychologie à partir de cet exercice, je souhaitais partager un constat qui m’inquiète.
Il semble qu’au sein du mouvement « sceptique », une conception de la science comme d’un objet neutre et potentiellement détaché de la société soit courante et défendue. Il est curieux que des personnes qui réfléchissent à l’irrationalité humaine semblent supposer que lorsqu’ils énoncent un fait celui-ci sera traité par un agent sans vécu, sans désir, sans préférence.
Je m’inquiète de ce que cela peut produire comme engagement.

Si vous consommez du contenu « sceptique », vous avez certainement déjà entendu des affirmations comme « la méthode scientifique est objective », « la science est auto-correctrice », « la science est le moins pire des moyens pour approcher de la vérité ». Voire même des variantes de « Si l’humanité s’éteignait demain et laissait la place à de nouveau êtres intelligents, ils développeraient la même science que nous » : si l’expérience de pensée est intéressante, la conclusion proposée dénote d’une vision positiviste et réaliste naïve (à savoir : les sciences avancent inexorablement dans la même direction et découvrent la vérité du monde).
Cette conception de la science élude les débats autour du réalisme ainsi que la part socialement construite des sciences.

Que faire d’une telle conception de la science dans le champ politique ?
Le risque, en concevant la science comme un objet autonome et lui conférant un certain pouvoir d’énonciation du réel, est de perdre le sentiment de légitimité à s’insurger contre des productions issues des sciences, de n’agir qu’à condition d’avoir des données scientifiques, et de cesser d’envisager exercer un contrôle sur la science, comme on le ferait pour d’autres objets sociaux.
Je ne dis pas qu’il faut tout casser, mais comprendre que la production scientifique (sous forme de discours, de techniques et de technologie) est omniprésente et forme un cadre de pensée qu’on ne questionne plus (comme le fait d’utiliser un grille-pain branché sur un réseau électrique, pour reprendre un exemple concret).
Je ne dis pas qu’il faut balancer toute rationalité et agir spontanément par intuition, mais que la science si avancée soit-elle ne pourra jamais répondre à certaines questions, qui resteront à jamais des décisions humaines et arbitraires (les questions morales notamment). Certaines raisons de croire resteront à jamais non épistémiques.
Je ne dis pas qu’il faut soumettre les découvertes au vote à main levée, mais considérer que la science est pleinement insérée (dans toutes ses acceptions) dans une société et que celle-ci a toute légitimité à décider de l’utilité qu’elle en aura : que veut-on étudier ? Sous quel angle ? Dans quel but ? Avec quels moyens ? Que ne veut-on pas étudier ?

Certains sceptiques (ils ne sont pas les seuls cela dit) ne comprennent pas que l’on puisse défendre des positions « radicales » et le rôle qu’ils donnent à la science dans l’engagement y est peut-être pour quelque chose. Les positions radicales ne sont pas « anti-science », elles tentent de comprendre un sujet au-delà des aspects étudiés par les sciences, d’envisager sa complexité, ce qui est largement compatible avec la prise en compte des données scientifiques à disposition.
Une idée radicale ne découle donc pas forcément d’un raisonnement « scientifique », en tout cas pas entièrement, et elle assume ce fait.
Ainsi il me semble qu’une conception de la science telle que décrite ci-avant entrave certaines formes d’engagement, pour en favoriser d’autres qui négligent des aspects axiologiques et politiques et finalement réduisent le réel tout en pensant détenir la moins pire des méthodes pour le capter.

[Nicolas] Existe-t-il une partie de l’activité scientifique qui soit dépourvue d’arbitraire ?

À travers les différents éléments que nous avons entrecroisés ici, l’idée était de montrer que l’activité scientifique (y compris de vulgarisation scientifique) interfère avec le reste de la vie publique :

  • En amont du travail scientifique : dans les directions de recherche et dans le choix des développements techniques ; dans la structure des institutions, des laboratoires ; dans le budget alloué ; dans l’accessibilité aux études scientifiques ; …
  • En aval du travail scientifique : dans la manière dont les résultats sont formulés et publiés ; dans l’utilisation qui découlera des objets techniques comme des connaissances produites ; dans la communication qui est fait du travail auprès du grand public ; …

Chacun de ces éléments répond à un certain nombre de choix politiques. On pourrait tout de même espérer qu’entre cet amont et cet aval demeure une partie de l’activité scientifique qui se soustrait des choix arbitraires. Entre le moment où le sujet passe les portes du laboratoire et le moment où il en ressort par exemple. Mais même là, des choix demeurent : Est-ce au thésard ou au directeur de travailler sur telle question ? Quel temps alloué aux manipulations et à la rédaction ? Quelle partie de la bibliographie prendre en compte ? Quelles données utiliser ? Quels résultats est-il intéressant de présenter ? Comment la sociologie de la discipline influence la manière de présenter un résultat ? Dans quel journal faut-il publier ? Dans quel séminaire ?
On pourrait alors restreindre et imaginer qu’il existe un moment spécifique, presque sacré, où on se retrouve seul·e face à la méthode scientifique, sans plus aucun choix à faire. Il faudrait peut-être regarder dans différentes disciplines si cela est possible, mais j’imagine que pour chacune il existe à nouveau un certain nombre de choix à faire, de modèles à privilégier, de variables à négliger, de fonctions à optimiser…

Ces arbitrages-là peuvent être influencés par des réalités politiques. Pas toujours de manière saillante évidemment, mais il nous semble que l’ensemble du processus scientifique est soumis, au moins potentiellement, à des choix humains, sociaux, économiques et donc in fine politique.

Il est surement utile de les réduire au maximum. Mais, en tout cas, il nous semble délétère de faire comme si ils n’existaient pas.

L'équipe du Cortecs au REC

« La science est-elle politique ? » 1/2 – On pose des questions tabous aux REC, et ça se passe bien !

L'équipe du Cortecs au REC

Le Cortecs était-il aux REC 2023 ?
Quatre membres – Vivien, Sohan, Nicolas et David – ont pu faire le déplacement, donc on peut dire que oui ! Mais officiellement, rien n’a été décidé quant à l’implication de l’association dans l’événement. Nous n’avions rien à proposer, en tant que structure, comme stand ou activité. Sohan est intervenue sur la table ronde « Dérives thérapeutiques : un business juteux » alors que Vivien, Nicolas et David ont animé des ateliers sous la bannière de leurs collectifs (respectivement Cinétique, Rasoir d’Oc et Les Dubitaristes). Nous laissons ici Nicolas et David raconter les ateliers qu’ils ont animés en commun.
La seconde partie de cet article disponible ici exposera notre opinion sur une des questions débattues pendant les ateliers : « La science est-elle politique ? »

Des ateliers, pourquoi ?

Pourquoi proposer des activités dans un événement déjà si grand et si riche ? De quoi avions-nous envie de parler ? Comment mettre en forme cette envie ? Avions-nous déjà, tout simplement, quoi que ce soit d’intéressant à dire ?
Peut-être pas. En tout cas nous avions un grand intérêt à discuter d’esprit critique, de doute réflexif et du rapport entre science et politique.

Pour susciter ces discussions dans de bonnes conditions, rien de mieux selon nous que de bons vieux outils d’éducation populaire !
Sans prétention aucune, il s’agit de mettre en place un cadre qui favorise toute prise de parole et l’écoute active. On y expose nos expériences vécues, nos réflexions propres et nos opinions (nos « savoirs chauds »), on y convoque des références scientifiques, des théories et des figures faisant autorité (les « savoirs froids »), ce qui donne un joyeux mélange de pratiques illustrant la théorie et de théories nourrissant la pratique (quoi que ça donne, ça ne s’appelle pas « savoirs tièdes », bien essayé).

Il ne s’agit pas de dire qu’on va reconstruire des savoirs universitaires en causant pendant une heure. À travers nos discussions, on se confronte à des visions auxquelles on n’aurait jamais eu accès autrement. Notre esprit critique est mis à rude épreuve.

C’est aussi l’occasion de proposer une alternative au format conférences/tables rondes qui sont majoritaires au REC1. Que retire réellement le public de ce genre de format ? Après un jour, après une semaine ou après un mois quelle quantité d’information est retenue ? C’est une vraie question. 
Le risque serait que ce soit la passivité confortable de ces formats couplée à la satisfaction d’entendre un sujet et/ou un·e intervenant·e famillièr·e qui fasse le succès de ces formats plutôt que leur pertinence pédagogique.
Au contraire, il nous semble que les ateliers participatifs permettent davantage de bousculer les participant·es et demandent un vrai travail actif. Évidemment c’est plus coûteux (en énergie, en temps, en ressource cognitive…) et on imagine difficilement un week-end entier à faire des ateliers sans finir avec le ciboulot fondu.
Les deux formats sont probablement complémentaires et nous militons pour que les seconds ne soient par trop relégués au second rang et finissent dans des placards à balais (avec tout le respect qui se doit pour la salle dans laquelle nous animions).  

Voici un déroulé des ateliers proposés. Faciles à mettre en place, nous encourageons à s’en saisir pour exercer nos esprits critiques à peu de frais !

Des ateliers, comment ?

Atelier « débats et discussions »

Dans ce premier atelier l’idée était d’expérimenter différentes modalités de débat. En l’occurence nous en avons testé trois : le débat mouvant, le débat mouvant en deux dimensions et le groupe d’interviews mutuelles.

Commençons par un débat mouvant. Nous lançons à nos participant·es une affirmation clivante, aux termes volontairement polysémiques et non définis, limite malhonnête. Dans un premier temps, ils et elles doivent se positionner spatialement dans la zone « d’accord » ou dans celle « pas d’accord », sans possibilité de nuance. Le doute n’est pas permis !
Une fois dans leurs groupes, les participant·es ont quelques minutes pour construire ensemble les arguments qui soutiennent leur accord ou leur désaccord avec l’affirmation. C’est l’occasion de réfléchir au sens qu’on met derrière chaque mot de l’affirmation.
Enfin, le débat commence et chaque « camp » a l’opportunité, à tour de rôle, de donner un argument.
À n’importe quel moment, toute personne est libre de changer de camp : elle entend un argument qui la touche, elle change d’avis radicalement, elle admet qu’un argument était bien tourné, elle rumine ses propres pensées, elle entend une aberration dans son propre camp, etc. Pas besoin de se justifier, ici le fait de passer d’un camp à l’autre n’est à interpréter que comme la manifestation d’une réflexion. Et montrer qu’on réfléchit, voire qu’on est prêt·e à se remettre en question, c’est quand même la grande classe.

Pour lancer le débat mouvant, nous avions proposé plusieurs affirmations, et c’est la dernière que nos participant·es ont choisie :
– La science recherche la vérité
– Il y a des questions bêtes
– Il faut prouver ce qu’on dit
– On a besoin de croire
La science est politique

Remarquons l’honnêteté intellectuelle de certaines personnes, qui ont systématiquement argumenté en se plaçant dans le même camp, mais qui ont su rejoindre le camp opposé quand des arguments pertinents leur étaient exposés. Les débats se sont fait de manière très sereine et le cadre ludique permet probablement cette légèreté. Tout le monde s’écoute, que l’on soit zététicien·ne troisième dan ou visiteur·euse d’un jour. L’idée principale qui est revenue régulièrement au cours du débat c’est que la réponse dépend ce que l’on entend par « science » et par « politique » (voire de ce qu’on entend par « est »).
Nous revenons plus en détail sur ce débat dans la seconde partie de l’article.

Nous enchaînons avec un second débat mouvant, mais avec une variante.
Nous avons proposé l’affirmation « Il faut douter de tout » qui commencait de la même façon : deux camps, des arguments, du mouvement.
Après quelques prises de paroles, nous introduisons une dimension supplémentaire en faisant remarquer que certains arguments énoncés jusqu’ici nous semblaient plutôt commenter l’affirmation « On peut douter de tout ». Ainsi, si certain·es avaient pu interpréter la phrase dans un sens prescriptif/normatif, d’autres l’avaient fait dans un sens plutôt descriptif (que leur acception de « pouvoir » soit celle de la capacité ou du droit).
Nous proposons alors qu’au lieu de deux camps, les participant·es se placent à présent dans quatre cases :
– Il faut douter de tout, mais on ne peut pas le faire
– Il faut douter de tout, et on peut le faire
– Il ne faut pas douter de tout, et de toute façon on ne peut pas le faire
– Il ne faut pas douter de tout, mais on pourrait le faire

La parole circule de case en case, les participant·es aussi au gré des arguments. À chaque argument énoncé, c’était un sens différent de « pouvoir », « falloir » et « douter » qui était mobilisé.

Le plus difficile, finalement, c’est de terminer le débat : c’est frustrant parce qu’on imagine encore plein d’arguments, on ne sait pas où se placer, et la question demeure en suspens.

Dernière activité, le groupe d’interviews mutuelles. Nos participant·es se groupent par trois et nous leur demandons de raconter, chacun·e leur tour au sein du groupe, une expérience de vie ou une anecdote.
Chaque personne dispose de cinq minutes tandis que les autres ne peuvent pas l’interrompre ou engager la discussion. Elles et ils écoutent attentivement et relancent.
Nous leur avons demandé de raconter un changement d’avis, quel que soit le sujet ou le temps que ça a pris.

Pour conclure, nous avons exposé quelques expériences en plénière pour capter la diversité de ce que nous considérions comme des changements d’avis.
Cela a été l’occasion de se demander ce qui occasionnait le changement d’avis.

Atelier « Petite histoire / Grande histoire »

Le second atelier que nous avons animé s’intitule « Petite histoire / Grande histoire » et est aussi un classique d’éducation populaire.
Dans un premier temps, les participant·es disposent de petits papiers sur lesquels elles et ils doivent écrire deux « petites histoires » et une « grande histoire ». La petite histoire est personnelle, c’est une expérience vécue qui ne concerne que soi-même. La grande histoire est aussi une expérience vécue, mais dans le cadre d’un événement plus large : un événement politique, sportif, une catastrophe, voire un événement du millénaire dernier mais qui constitue une référence culturelle.
Ces histoires avaient pour contrainte de raconter « le rôle que la science a pu jouer dans votre engagement ». Là aussi, tous les termes sont à comprendre aussi largement que possible.

Impossible de résumer la diversité des histoires racontées, en tout cas on a eu de tout ! Notamment, beaucoup de rencontres de scientifiques et de discussions ont manifestement contribué à changer les visions du monde de nos participant·es (et de nous-mêmes, car nous participions !)

Petits bonus sur l’éducation populaire

Un petit éclaircissement sur l’éducation populaire est certainement le bienvenu.
Comme introduit plus haut, l’éducation populaire convoque à la fois les savoirs « chauds » de nos vécus et les savoirs « froids » théorisés. On ne se prive d’aucun savoir, ni d’aucune source source possible de savoir, qu’il s’agisse de savoir-connaissance, de savoir-faire, de savoir-être ou de savoir-penser.
On retrouve là deux acceptions de l’éducation qui correspondent à deux étymologies latines possibles2 : educere, qui signifie « conduire hors de », et educare, qui signifie « nourrir ».
L’éducation peut ainsi se concevoir comme une transmission de savoirs et/ou comme un processus collectif amenant d’un état à un autre.

Un contre-sens possible est de penser que l’éducation populaire, c’est de l’enseignement pour les pauvres.
On vient de voir que l’éducation populaire ne se limitait pas à l’enseignement. En théorie elle n’utilise même pas cette notion. Les savoirs issus d’une expertise, d’une théorisation, sont toujours convoqués en contexte pour éclairer des situations précises, ce qui correspond davantage à la notion d’apprentissage. Ce n’est pas le maître qui vient donner, c’est l’apprenant qui vient chercher.
Si « populaire » est synonyme de « pauvre » dans certains contextes, ici c’est au sens large de « tout le monde » qu’il faut le comprendre. Gardons en tête que ce « tout le monde » fait aussi débat3, car employé naïvement il risque de gommer les inégalités de classe, de genre, de race, d’âge, de capital, etc.

Qu’on pratique l’éducation populaire ou non, on court souvent le risque d’inverser les moyens et les fins, en cantonnant l’éducation populaire à ses « outils ». « Débats mouvants« , « Groupes d’interviews mutuelles », « Petite histoire grande histoire« , sont des noms d’outils qui circulent dans les associations. Ils sont séduisants mais peuvent faire perdre de vue leur finalité.
L’éducation populaire est avant tout un processus, qui passe parfois par des outils. Mais il ne suffit pas d’organiser un débat mouvant pour produire un échange émancipateur de savoirs ni pour engager une réflexion de long terme. Il faut veiller à la pertinence de l’organiser dans le contexte, à son animation, à la façon dont on se saisit collectivement de ce qui en sort. Sinon on se contente de passer un bon moment (ce qui est déjà pas mal !).

C’est pour ça que l’éducation populaire n’est pas neutre. Qu’on mobilise ses outils ou non, son objectif est de produire de la transformation sociale. Par essence, cette transformation sociale bénéficie aux personnes dominées4 et aux groupes minorisés, mais pas aux dominants qui eux n’ont aucun intérêt à ce que le monde change.

Il me semblait important d’apporter ces quelques notions pour éviter des incompréhensions fâcheuses à propos de l’éducation populaire. Il convient de se poser sérieusement les questions, avant de prétendre la pratiquer : Est-ce le bon endroit ? Pour qui on le fait ? Qu’est-ce qu’on souhaite collectivement ? Quels sont les rapports de domination en jeu ?

Pour aller plus loin et développer tous ces aspects, voici quelques ressources :

Le blog d’Adeline de Lepinay, intervenante en éducation populaire. Ce site regorge de théorie et d’outils pratiques.
L’autrice a également écrit le livre « Organisons-nous ! », qui est d’une très grande richesse concernant la réflexion sur les luttes sociales et la place de l’éducation populaire en leur sein. Elle y aborde l’histoire de l’éducation populaire et les différents courants qui existent, les limites du concept, les risques de dérive et de récupération. Elle analyse et catégorise différentes méthodes d’action et d’organisation de collectifs, notamment en les mettant en relation avec leur place vis-à-vis du pouvoir contre lequel ils luttent.

Sans l’avoir lue, je conseille la thèse d’Alexia Morvan, souvent citée dans les milieux d’éducation populaire.

La conférence gesticulée de Hugo Fourcade est un entremêlement de témoignages et de théorie, qui montre, entre autres à travers l’histoire de l’Université Populaire de Bordeaux, là où peut mener la volonté de diffuser les savoirs librement.

Feu la SCOP Le Pavé a publié plusieurs petits cahiers, issus de processus d’éducation populaire. Ils incarnent donc magnifiquement leur propos. Celui sur La Participation offre témoignages, typologies, histoire, outils, réflexions incarnées… Il est un indispensable pour penser ce qui se passe dans n’importe quelle association.

Le Petit manuel de discussion politique part du constat que le fond des discussions politiques dépend beaucoup de la forme de celles-ci. Il questionne l’objectif de la discussion et son contexte, pour proposer différentes manières de l’organiser, toujours en cherchant à garantir de l’horizontalité, de la prise en compte de tous les points de vue, et d’engager des perspectives collectives à partir des propos tenus.

Enfin le Petit manuel critique d’éducation aux médias (qui ne parle pas un seul instant de fake news ou de théories du complot, quelle fraîcheur bienvenue !) alterne entre réflexions d’universitaires, récits d’associations œuvrant dans l’éducation aux médias, et pastiches de « fiches pratiques ». On y voit différentes manière d’éduquer aux médias « par le faire », en partant des pratiques réelles et des volontés des participant·es.