De la difficulté d’être darwinien – l’énigme pédagogique des éléphants sans défenses

Voici un extrait de la publication de notre collègue Gérald Bronner « La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements » dans la Revue française de sociologie* qui offre un outil magistral aux enseignants.
J’ai (RM) tenté de reproduire l’énigme moi-même dans mes enseignements (voir deuxième partie).

(…)  Si l’on réalisait une enquête pour savoir si les Français adhèrent aux thèses de Darwin, on obtiendrait sans doute des CorteX_Gerald_Bronnerrésultats assez différents de ceux du sondage américain.Il est possible d’imaginer que nos compatriotes se déclareraient plus volontiers darwiniens que leurs voisins d’outre-Atlantique, pourtant il serait sage de rester sceptique face à ces résultats. En effet, pour prendre ce genre de déclarations au sérieux, il faudrait être assuré que le sens commun conçoit clairement ce qu’être darwinien signifie, ce dont il est permis de douter.

Pour tester cette idée, nous avons réalisé une expérimentation (18) qui consistait à soumettre 60 individus à une situation énigmatique qui, précisément, concernait les métamorphoses du vivant. Cette situation réelle avait été relayée, faiblement, par la presse (19) et était de nature à mesurer les représentations ordinaires de l’évolution biologique.

L’énoncé de l’énigme était lu lentement aux sujets volontaires. En plus de cette lecture, cet énoncé était proposé sous forme écrite et l’entretien ne commençait que lorsque le sujet déclarait avoir compris parfaitement ce qui lui était demandé. Il lui était laissé ensuite tout le temps qui lui paraissait nécessaire pour proposer une ou plusieurs réponses à cette énigme. La grille d’entretien avait été conçue pour inciter l’interviewé à donner toutes les réponses qui lui viendraient à l’esprit, attendu que ce sujet n’impliquait pas(en particulier en France), a priori, une charge idéologique ou émotionnelle forte, de nature à susciter des problèmes d’objectivation ou de régionalisation (20).

Trois critères présidèrent à l’analyse de contenu de ces 60 entretiens.

1) Le critère de spontanéité : il consistait à mesurer l’ordre d’apparition des scénarios dans le discours. En d’autres termes, on cherchait à voir quelles seraient les solutions qui viendraient le plus facilement à l’esprit des individus face à l’énigme.

Le critère de récurrence : il consistait à mesurer le nombre d’évocations du même type de scénario dans un entretien.

3) Le critère de crédibilité : à la fin de l’entretien, on demandait à l’interviewé celui, d’entre les scénarios qu’il avait évoqués, qui lui paraissait le plus crédible. On demandait par exemple : « Si vous aviez à parier sur l’une des solutions de l’énigme que vous avez proposées, laquelle ferait l’objet de votre mise ? »

Ces critères furent mobilisés pour mesurer les rapports de force entre les différents discours possibles, les solutions imaginées, pour résoudre l’énigme.

J’ai retenu, en outre, le critère d’évocation simple qui mesurait le nombre de fois où un scénario avait été évoqué globalement, sans tenir compte de l’ordinalité ou des récurrences dans les différents discours et un critère d’évocation pondérée qui croisait le critère de spontanéité et celui de récurrence (21).

La population des sujets de l’expérimentation fut échantillonnée selon deux éléments.

  1. Le diplôme : tous les interviewés devaient être titulaires du baccalauréat. On s’assurait ainsi qu’ils avaient tous été familiarisés avec la théorie de Darwin, à un moment ou à un autre de leur scolarité.
  2. L’âge : la règle préliminaire de cette enquête était de mettre en œuvre l’idée d’une dispersion. Pour contrôler cette dispersion autour des valeurs centrales (l’âge moyen était de 37 ans), j’ai rapporté l’intervalle interquartile à l’étendue. Le premier représentant plus de 50 %(59 %) de la seconde, on s’assurait ainsi d’éviter des phénomènes de concentration des âges. Cette expérimentation fut menée de novembre 2005 à janvier 2006, principalement auprès de personnes vivant en Île-de-France (N = 49), et tous en Métropole(Lorraine N = 4, Haute-Normandie N = 4, Midi-Pyrénées N = 3). Cette population était composée de 33 femmes et 27 hommes, de cadres, professions intellectuelles et supérieures (N = 14), de professions intermédiaires (N = 17), d’employés (N = 7), d’étudiants (N =11), de chômeurs(N = 5), de retraités (N = 4), d’un agriculteur exploitant et d’une femme au foyer.

Cette situation énigmatique, tirée d’un fait réel (22), fut donc soumise à ces 60 personnes sous la forme suivante :

« À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de ce gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Comment expliquez cette situation ? »

Vous pouvez tenter de répondre à cette question. Puis cliquez .

* Bronner G., La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements, Ophrys, Revue française de sociologie 2007/3 – Volume 48. Télécharger. Avec l’aimable autorisation de Gérald Bronner.

(18) Je remercie ici la promotion de maîtrise de sociologie de l’université Paris-Sorbonne 2005 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.

(19) Un encart de quelques lignes dans Libération (19/07/2005).

(20) Blanchet et Gotman (1992).

(21) Cette mesure n’est pas sans évoquer ce que les psychologues sociaux nomment l’analyse prototypique et catégorielle qui consiste à croiser le rang d’apparition de l’élément et sa fréquence dans le discours et à effectuer ensuite une typologie autour d’éléments sémantiquement proches. Un classement d’éléments cognitifs peut alors être obtenu soulignant le caractère central de certains d’entre eux. Sur ce point voir Vergès (1992, 1994).

(22) Sa réalité était sans doute un avantage, un autre était que le fait était passé presque inaperçu. On ne pouvait donc pas s’attendre à ce que les interviewés connaissent la solution de cette énigme comme cela aurait pu être le cas si j’avais choisi de les faire réfléchir sur la célèbre « affaire » des papillons Biston betularia, plus connus sous le nom de « géomètres du bouleau » ou « phalène du bouleau », dont le phénotype dominant changea au XIXe siècle dans la région de Manchester. Cette constatation inspira une expérience fameuse, menée entre 1953 et 1955 par le biologiste Bernard Kettlewell, et relatée dans tous les manuels de biologie évolutive. Cette recherche fournit, pour la première fois, la preuve expérimentale de l’existence de la sélection naturelle.

Biologie, neurosciences – Petite histoire naturelle des différences sexuelles, par C. Brandner

Faire appel à des différences d’ordre « naturel » entre deux groupes de population (juifs et aryens, noirs et blancs, hommes et femmes) est un procédé récurrent pour asseoir et légitimer une domination et des différences de droits. Mais c’est moins la véracité de ces différences dites naturelles que le mécanisme argumentatif qui les sous-tend qui nous intéresse d’habitude. Lorsque nous abordons le sexisme en cours ou en atelier, nous rentrons donc rarement dans ce type de débat. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, plutôt que de discuter sur le sens et la validité scientifique de l’affirmation « les femmes sont moins fortes que les hommes », nous préférons discuter de la question « en quoi le fait que les femmes soient moins fortes en moyenne que les hommes légitime-t-il (ou non) que la moyenne des revenus des hommes soient 50% plus élevée que celle des femmes, qu’il n’y ait que 25% de femmes à l’assemblée nationale, qu’il n’y ait qu’une minorité de sages-femmes masculins et de femmes saxophonistes dans le jazz ?, etc « 
Pourtant, nous avons décidé de faire une exception et de revenir ici sur ces différences entre les hommes et les femmes. D’abord parce qu’il y a beaucoup d’idées reçues sur le sujet, ensuite parce que la publication de l’article Sélection commentée de ressources sur le genrea suscité des questionnements* sur l’influence du combat féministe dans les interprétations des dernières connaissances en neurosciences. Les chercheurs militants ont-ils tendance à interpréter exagérément les dernières connaissances en neuroscience (notamment sur la plasticité cérébrale) dans le sens d’une minimisation des différences naturelles entre les hommes et les femmes ? Si nous rêvons de voir un jour disparaître les différences de droits entre les sexes, nous souhaitons avant tout le faire sur des bases solides. Pour tenter de minimiser toute intrusion idéologique sur ce sujet, nous nous sommes tournés vers Catherine Brandner, chercheure au Laboratoire de Recherche Expérimentale sur le Comportement (LERB) de l’Université de Lausanne, qui a accepté de faire un bilan des connaissances scientifiques actuelles sur le sujet. 

Guillemette Reviron

* Merci à Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives à l‘Ecole Normale Supérieure, pour cette démarche ainsi que ses commentaires sur cet article.


Sommaire


Préambule

Introduction

I. Sexe et genèse

Sexe et chromosomes : quelques mécanismes à l’origine de dimorphismes sexuels dans les organes

Hormones sexuelles et cerveau

Dimorphisme sexuel cérébral

II. Différences sexuelles, cerveau et aptitudes cognitives

Différences sexuelles, cognition et comportement

Conclusion


Préambule

Bien que les connaissances ne cessent de progresser, la question des différences sexuelles reste un sujet de débat. La polémique est le plus souvent alimentée par des opinions divergentes concernant la présence ou au contraire l’absence de différence entre les sexes, et ceci souvent sur un fond idéologique créateur de confusion.
Afin de clarifier cette situation, il est nécessaire de rappeler qu’une question scientifique se traite dans un cadre théorique qui fournit une structure potentielle d’explication. Ce cadre permet de clarifier et de définir les concepts ou les objets d’une recherche afin de pouvoir les analyser. De ce point de vue, l’étude des différences sexuelles se divise en différents champs de recherche caractérisés par leurs objets et leurs méthodes spécifiques. Par exemple:

  • la biologie moléculaire cherche à expliquer l’origine des chromosomes sexuels et les mécanismes liés à leurs gènes
  • la neuroendocrinologie cherche à expliquer comment les hormones sexuelles sont en mesure de façonner le cerveau
  • les neurosciences cherchent à expliquer comment le sexe modèle le cerveau tant du point de vue de sa structure (architecture) que de ses propriétés fonctionnelles
  • la psychologie expérimentale cherche à isoler certaines variables ou fonctions cognitives afin d’étudier le comportement des hommes et des femmes
  • les études genre cherchent à expliquer comment le sexe influence les rapports sociaux, le pouvoir et la discrimination qui en découle

Ces quelques exemples n’ont pas la prétention d’être exhaustifs. Ils visent à montrer que discuter des différences sexuelles demande de préciser l’objet, en tant que partie de la réalité que l’on cherche à expliquer, afin de se détacher du passionnel ou du normatif.


Introduction

Depuis quelques années, les neurosciences alliées à la biologie moléculaire manifestent un regain d’intérêt pour l’investigation des différences entre les sexes chez l’humain. Cet effet repose pour l’essentiel sur le développement de nouvelles technologies (séquençage, biopuces, imagerie cérébrale, tractographie) permettant de mieux décrire les mécanismes liés aux chromosomes et aux hormones sexuelles mais aussi de mieux retracer leur histoire évolutive. Ces développements nous obligent à constater que les différences sexuelles sont beaucoup plus largement répandues que nous pouvions le penser jusqu’ici. Par exemple, des découvertes récentes indiquent que la prévalence, le déroulement et la sévérité de maladies communes comme les maladies cardio-vasculaires, les maladies auto-immunes ou les pathologies cérébrales ne sont pas semblables chez les femmes et les hommes, et que ces différences pourraient être dues à une régulation des gènes (ensemble des mécanismes biochimiques aboutissant à la production de molécules nécessaires à la fabrication des protéines) qui diffère entre les sexes (35).
Comprendre d’où viennent ces différences sexuelles et comment elles agissent demande de se pencher sur des mécanismes compliqués que la science commence à pouvoir expliquer. L’objectif de ce texte est de fournir des explications simplifiées de quelques mécanismes compliqués à l’origine des différences sexuelles, et de montrer comment ces derniers façonnent le cerveau au cours du développement et donnent lieu à des variations tant structurelles, fonctionnelles, qu’adaptatives. Une fois ces différences décrites, et considérant que la fonction prioritaire du cerveau est de traiter de l’information, la question se pose de savoir si ces variations sont à l’origine de différences d’aptitudes ou de raisonnement entre les sexes. Afin d’y répondre, la seconde partie du texte cherchera à évaluer comment certains dimorphismes cérébraux pourraient offrir la possibilité de résoudre un même problème à l’aide de différentes stratégies cognitives.


I. Sexe et genèse

Sexe et chromosomes : quelques mécanismes à l’origine de dimorphismes sexuels dans les organes

Le caryotype (arrangement standard de l’ensemble des chromosomes) du génome (ensemble du matériel génétique codé dans l’ADN d’un individu) est constitué de paires de chromosomes homologues appelés autosomes et, pour les espèces à reproduction sexuée, d’une paire de chromosomes sexuels appelés hétérochromosomes ou gonosomes. Chez les mammifères, l’étude de l’origine de ces chromosomes sexuels semble indiquer qu’ils dérivent d’une paire d’autosomes présent chez un ancêtre vertébré qui, au cours de l’évolution, a accumulé des différences et des spécialisations (41,46)

Chez les mammifères y compris l’humain, cette histoire évolutive se traduit par la présence de deux caryotypes distincts où la 23e paire de chromosomes est homogamétique XX pour un individu femelle et hétérogamétique XY pour un individu mâle. Comparativement, les chromosomes X et Y se distinguent par leur taille (le chromosome X étant beaucoup plus grand que le chromosome Y) mais aussi par leur contenu en gènes (environ 6% des gènes du génome pour le chromosome X et environ 2% pour le chromosome Y). Ces différences indiquent que le chromosome X a été fortement conservé au cours des différentes étapes évolutives alors que le chromosome Y a perdu beaucoup d’ADN par la suppression de recombinaisons. D’un point de vue fonctionnel, cette divergence a restreint, pour l’essentiel, le rôle du chromosome Y à porter un gène (SRY) dont la transcription et la traduction avec d’autres gènes aboutissent à la différenciation des gonades de l’embryon en testicules (différentiation sexuelle) alors que la majorité des gènes du chromosome X n’est pas impliquée dans les caractéristiques sexuelles.

L’ADN, présent dans tous les noyaux des cellules vivantes, renferme l’ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement d’un organisme. Chez les organismes sexués, chaque gène comporte deux versions, appelées allèles, dont l’une est issue du père et l’autre de la mère. L’expression des gènes repose sur un ensemble de mécanismes de régulation permettant de transposer l’information génétique contenue dans une séquence d’ADN en protéine. Les caryotypes XX et XY divergeant par leur contenu potentiel en gènes, ce déséquilibre est compensé par des mécanismes spécifiques comme la compensation du dosage de gènes et l’empreinte parentale : le mécanisme de compensation du dosage des gènes liés au chromosome X se produit durant les stades précoces du développement embryonnaire. Il correspond à l’inactivation aléatoire et permanente de l’un des deux chromosomes X (Xm maternel ou Xp paternel) dans chaque cellule somatique des embryons femelles. Ce mécanisme temporaire est ensuite relayé par un mécanisme épigénétique (modification transmissible réversible sans modification de la séquence ADN) appelé «empreinte génomique parentale» conduisant à une expression différentielle des allèles d’un gène en fonction de sa provenance maternelle ou paternelle (5). Comme le mécanisme d’inactivation n’est pas parfait, certains gènes (estimés à environ 15% chez l’humain) portés par le chromosomes X silencieux échappent à l’inactivation. Ce phénomène permet l’expression de gènes provenant à la fois du gène X maternel et paternel. Ainsi, les femmes présentent des populations de cellules mosaïques (ayant une composition allélique différente) ce qui n’est pas le cas chez les hommes. Cette différence est pensée comme l’origine des dimorphismes sexuels observés dans divers organes mais aussi dans le cerveau (216334050).

Un exemple classique pour illustrer ce phénomène de cellules mosaïques est celui de la chatte à taches tricolores dont le pelage est le résultat de l’expression des allèles gouvernant la couleur rouge et la couleur noire alors que celui du mâle ne présente que l’expression de l’allèle gouvernant soit la couleur rouge soit la couleur noire (pour plus de détail voir l’illustration 2 in Arnold, 2004, pp. 3).

Hormones sexuelles et cerveau

Durant l’embryogenèse, l’expression différentielle des gènes portés par les chromosomes sexuels alliée à l’action des hormones sexuelles est à l’origine de la différentiation sexuelle morphologique. Dans les deux sexes, la crête génitale constitue l’ébauche gonadique primitive qui, une fois enrichie par les cellules germinales primordiales (destinées à former les spermatozoïdes et les ovocytes), va permettre le développement de gonades sexuellement différenciées. Chez l’embryon de sexe masculin (XY), c’est au cours de la  septième semaine de gestation, sous l’influence d’une cascade d’événements génétiques impliquant le gène SRY situé sur le chromosome Y, que la gonade indifférenciée se développe en testicules ; le développement des ovaires, lui, commence autour de la huitième semaine pour être reconnaissable autour de la dixième semaine. Chez l’embryon de sexe masculin, l’augmentation importante de la production et de la sécrétion de testostérone par les testicules, entre la  neuvième et la dixième semaine, produit la masculinisation de l’embryon et donc le développement d’un phénotype masculin. En l’absence de chromosome Y, et donc du gène SRY, on observe le développement d’un phénotype féminin. Ces phénomènes conditionnent les facteurs génétiques et hormonaux de la détermination du sexe (23).

Après la naissance, et chez le garçon, la testostérone continue à circuler à des concentrations élevées pour devenir indétectable vers l’âge de 6 mois et reprendre de l’activité à la puberté. Chez la fille, la testostérone est présente juste après la naissance puis chute ensuite très rapidement (elle provient du placenta d’une part et de la production surrénalienne de la mère en réponse au stress physiologique de l’accouchement). À la puberté, la testostérone est à nouveau sécrétée faiblement dans la circulation sanguine par l’ovaire et les glandes corticosurrénales (10). Durant la phase précoce du développement post-natal, la testostérone opère des fonctions liées au développement cérébral (3,8).

Cette action spécifique est le produit de la conversion de la testostérone en œstradiol par une enzyme, l’aromatase, produite par les neurones et les astrocytes (cellule de support et de protection des neurones). Cette conversion permet d’activer des récepteurs aux œstrogènes, lesquels, durant cette période, sont largement distribués dans le système nerveux (4).

Cette cascade d’événements cellulaires opère un modelage du cerveau impliquant (7) :

  • les chromosomes sexuels et les mécanismes liés à leurs gènes
  • la différenciation de cellules souches en neurones fonctionnels (i.e. neurogenèse)
  • la croissance dendritique (i.e. le prolongement divisé du corps cellulaire des neurones ressemblant à un arbre et ayant pour fonction de recevoir et de transmettre les potentiels d’action)
  • la croissance des axones (i.e. prolongement des neurones) et de leurs projections qui permettent de transmettre l’information (potentiels d’action)
  • l’apoptose qui régule la destruction ciblée de cellules cérébrales non fonctionnelles
  • l’élagage synaptique correspondant à la suppression des synapses afin d’optimiser le traitement des informations neuronales
Question – Y a-t-il des différences selon les sexes dans cette étape ?Réponse de C. Brandner –   Il ne faut pas oublier que la différence existe dès la conception avec l’union des chromosomes sexuels (XX et XY). D’un point de vue cérébral, le remodelage sexué du substrat neuronal au cours du développement dépend de la présence ou de l’absence du gène SRY et des gènes associés (chromosome Y). Ainsi, le développement cérébral féminin typique dépend prioritairement de l’absence des gènes liés au chromosome Y et de l’absence d’hormone testiculaire (testostérone).

Quant au remodelage, et comme nous le verrons plus loin, tant la chronologie que les régions où se déroulent ces actions varient entre les sexes. Ces variations sont à l’origine des différences de taille de certaines régions cérébrales, du nombre de neurones, des patrons de connexions synaptiques et de la distribution des récepteurs aux neurotransmetteurs.

L’adolescence est une autre période de développement durant laquelle les hormones sexuelles opèrent un remodelage structurel du cerveau par les mêmes mécanismes. Ainsi, la puberté et l’élévation de la sécrétion d’hormones sexuelles qui l’accompagne, sont considérées comme une période clé pour l’établissement de connexions cérébrales et des réseaux neuronaux fonctionnels. Par exemple, il a été montré que les hormones ovariennes (œstradiol et progestérone) sont en mesure d’améliorer à la fois la connectivité fonctionnelle cortico-corticales (connexions entre différentes parties du cortex cérébral) et sous-cortico-corticale (régions situées en dessous de la couche de cortex cérébral) alors que les androgènes (testostérone) sont en mesure de diminuer la connectivité sous-cortico-corticale mais aussi d’augmenter la connectivité fonctionnelle entre les aires cérébrales sous-corticales (39).

Il important de rappeler que la puberté correspond à un signal de maturité pour la reproduction correspondant à la capacité à produire des gamètes matures. Ce signal dépend à la fois de facteurs internes mais aussi de facteurs externes tant sensoriels, sociaux, qu’environnementaux (relation aux autres, disponibilité de partenaires potentiels, stress, nutrition, pollutions) lesquels sont intégrés et évalués par le système nerveux central avant de déclencher les mécanismes responsables de la puberté.

Cette précision indique que l’initiation de la puberté doit plutôt être considérée comme un mécanisme cérébral plutôt que comme un mécanisme gonadique. Elle permet aussi d’expliquer pourquoi certains signes liés à la puberté varient en fonction de l’environnement mais aussi pourquoi ils sont exprimés malgré l’absence de fonction normale des gonades (45)

 
Question – Cela veut dire qu’on peut avoir l’air pubère sans testicules ?Réponse de Catherine Brandner – Je ne sais pas s’il existe des humains sans gonades par contre il existe une variabilité dans la composition des chromosomes sexuels dont les plus fréquentes sont des individus XXY, XO, XYY, XXYY, les hommes XX, et les femmes XXX et d’autres variations dues à des modifications métaboliques comme le déficit de la synthèse du cortisol dans les glandes corticosurrénales (hyperplasie congénitale surrénalienne), le syndrome d’insensibilité aux androgènes, le déficit en 5-alpha réductase (enzyme). Ces variations impliquent le plus souvent des modifications anatomiques parfois accompagnées de modifications des fonctions cognitives et de l’adaptation sociale. Pour une idée plus précise de l’influence de ces variations génétiques, on pourra lire la revue de littérature de Blackless et al. (2000) (52).
Question – En quoi et comment l’environnement social influe-t-il la puberté ?Réponse de Catherine Brandner – Une fois encore, cette question demanderait un développement à part. Il est premièrement important de mentionner que les facteurs sociaux de ces études peuvent être contrôlés. A titre d’exemples, des études ont montré que la maturation sexuelle varie en fonction des soins parentaux , de la présence de partenaires sexuels potentiels, ou encore des traditions en matière de mariage.Un phénomène intéressant à mentionner en regard à la théorie de l’évolution et des facteurs sociaux est l’effet du sex-ratio (taux d’hommes et de femmes au sein d’une population). Lorsqu’il est asymétrique (moins d’hommes que de femmes), il semble accélérer la maturation sexuelle féminine. Les études de populations ont montré que le sex-ratio exerce une influence sur l’espérance de vie des hommes. Lorsqu’il y a plus de femmes que d’hommes, leur longévité semble s’accroître alors que lorsque l’asymétrie s’inverse leur longévité diminue. Pour une idée plus précise de l’influence de ce facteur, on pourra lire Jin et al (2010) (54).

Finalement, le stress dû à des facteurs sociaux ou environnementaux (par exemple la malnutrition) est susceptible d’interagir avec les mécanismes de la reproduction (par exemple un retard pubertaire). Ces phénomènes semblent résulter de l’interaction multiple de deux axes de régulation hormonale: l’axe HPA (hypothalamus-hypophyse-glandes surrénales) correspondant au système de la réponse hormonale au stress et l’axe HPG (hypothalamus – hypophyse – gonades) correspondant au système hormonal de la reproduction. Par exemple, le retard pubertaire observé en cas de malnutrition semble lié à l’action du stress sur le système hormonal de reproduction. Pour une idée plus précise de l’influence des facteurs sociaux, on pourra lire Ellis (2004) (53).

Question – Certaines expériences  prétendent montrer que la testostérone serait liée/corrélée à l’agressivité chez les hommes. Que penses-tu de ces expériences ?Réponse de Catherine Brandner – Il m’est difficile de répondre à cette question sans références spécifiques et donc en l’absence de données. D’anciens papiers voulaient lier le taux de testostérone à l’agressivité à partir de l’observation de certains comportements compétitifs en vue de l’accouplement chez d’autres espèces (par exemple les oiseaux). Ces études ne considéraient pas les relations existantes entre les différents systèmes de régulation comme les axes HPA et HPG que nous avons mentionnésprécédemment. Elles ne permettent donc pas d’évaluer la possible relation entre certains traits de personnalité et la réponse au stress.Des études plus récentes plaident en défaveur de l’hypothèse liant la testostérone à l’agressivité. Ces résultats ont conduit les chercheurs à réviser l’hypothèse d’origine, laquelle était sans doute bâtie sur une interprétation erronée du comportement animal, en proposant que le taux de testostérone correspond à un marqueur de succès social plutôt qu’à un déficit d’ajustement comportemental. Par exemple, des études menées chez le sujet adolescent indiquent que de jeunes garçons perçus comme socialement dominantset populaires présentent des taux plus élevés de testostérone. A l’inverse, des garçons socialement mal perçus et ayant été brutalisés par leurs pairs durant leur enfance présentent des taux peu élevés de testostérone comparativement à un groupe de contrôle. D’autre part, l’administration de testostérone chez le sujet adulte présentant un déficit de synthèse de cette hormone modifie son comportement sexuel mais aussi son humeur en diminuant son score  sur une échelle de dépression. Pour une revue de la question, on peut lire Archer (2006) (51).

 

Dimorphisme sexuel cérébral

Avant d’aborder les différences sexuelles cérébrales, il convient de rappeler que les tissus du système nerveux central (cerveau et moelle épinière) sont dissociés en matière blanche et matière grise. Il convient peut-être aussi de préciser que ces adjectifs colorés n’ont aucune fonction symbolique mais proviennent des premières observations anatomiques où, après fixation, certaines parties du cerveau sont de couleur blanche alors que les autres ont un aspect grisâtre. Ces couleurs sont dues à la composition des cellules de ces tissus. Brièvement, la matière blanche (myéline) est une graisse qui sert à protéger et isoler les fibres nerveuses (axones) et à accélérer la vitesse de conduction du signal neuronal (potentiels d’action) ; la matière grise quant à elle se compose essentiellement des corps cellulaires et des dendrites responsables de la réponse aux stimulations par leur conversion en potentiels d’action et la propagation de ce signal.
Développement cérébral
Le développement cérébral est le produit d’une cascade d’événements cellulaires ayant pour origine les gènes.

  • Matière grise
    Du point de vue neuroanatomique, la matière grise commence par croître pour ensuite décroître, faisant ressembler sa courbe développementale à un U inversé. Les pics de volume de la matière grise varient avec l’âge et les régions cérébrales. Par exemple, les lobes pariétaux et occipitaux atteignent leur maturation plus rapidement que les lobes frontaux et temporaux lesquels se développent jusqu’à l’âge adulte. Ces différences de développement impliquent aussi une différences de maturation des fonctions cognitives. Ainsi, les fonctions sensorielles primaires (comme la vision ou l’audition) atteignent leur maturité plus rapidement que les fonctions exécutives (comme la planification ou le raisonnement) ou les capacités d’associations sensorielles (traitement multimodal de l’information). Hormis l’âge, le sexe influence les pics de développement cérébraux. Ainsi, les pics de volume de matière grise sont atteints plus précocement chez les filles que chez les garçons comme pour le début de la puberté(20,37,38).
  • Matière blanche
    La matière blanche croît de manière linéaire jusqu’à l’âge adulte. Les connaissances actuelles laissent supposer que cette évolution de la matière blanche est liée au développement de réseaux neuronaux fonctionnels, lesquels se caractérisent par l’activation conjointe de régions cérébrales anatomiquement séparées (19).
    Comme pour la matière grise, les pics de développement de la matière blanche varient en fonction de l’âge, des régions et en fonction du sexe. Durant l’adolescence, la croissance de la matière blanche est plus rapide et se poursuit plus longtemps chez les garçons que chez les filles (21, pour une visualisation de ces développements: http://www.nimh.nih.gov/videos/press/prbrainmaturing.mpeg).


Age adulte

Ce modelage différentiel du cerveau durant le développement est maintenu à l’âge adulte. A ces différences morphologiques globales s’ajoutent d’autres dimensions fonctionnelles comme la neurotransmission ou la réponse métabolique à l’expérience (15). Du point de vue de l’anatomique macroscopique, le cerveau des hommes est plus gros et plus lourd que celui des femmes. Les études morphométriques, pondérées par la taille et le poids, confirment que la proportion matière grise/matière blanche de diverses régions cérébrales diffère de manière significative entre les sexes. En moyenne, le cerveau des femmes contient un pourcentage plus élevé de matière grise alors que celui des hommes contient un pourcentage plus élevé de matière blanche et de liquide céphalo-rachidien (12).


II. Différences sexuelles, cerveau et aptitudes cognitives

L’étude de ces différences neuroanatomiques entre les sexes est particulièrement intéressante eu égard aux croyances largement répandues concernant les capacités cognitives (28). Ces capacités sont le plus souvent mesurées par des tests de quotient intellectuel (QI) qui correspondent à des corrélations positives entre différents tests d’aptitudes cognitives (verbales, spatiales, numériques pour l’essentiel) donnant lieu à une nouvelle variable (non corrélée) appelée facteur g (27,18, pour plus de détails voir la figure 1 et la boîte 2 de la référence 17 et pour une discussion sur les limites de l’utilisation des tests de QI, Gauvrit (2010).)

Les neurosciences ont contribué à la compréhension des bases biologiques responsables des   capacités cognitives chez l’humain et permis d’identifier les principaux circuits cérébraux impliqués dans cette fonction. De plus, les études de neuroimagerie ont permis d’évaluer comment le dimorphisme cérébral module l’intelligence générale mesurée par le facteur g. Les principaux résultats peuvent être résumé de la manière suivante. L’article de revue de Deary et collaborateurs (17) permet de résumer les principaux résultats issus de ces recherches.

  • Matière grise
    Chez les hommes, le facteur g est plus fortement corrélé au volume de matière grise des lobes fronto-pariétaux alors que chez les femmes, ce paramètre est plus fortement corrélé avec la matière blanche d’une part et la matière grise de l’aire de Broca (l’une des principales aires cérébrales responsable du langage). Les mesures d’épaisseur corticale (corps cellulaires des neurones et des cellules gliales formant la matière grise) indiquent que le facteur g corrèle plus fortement avec les régions frontales chez les femmes alors que ce paramètre corrèle plus fortement avec l’épaisseur corticale du lobe temporal occipital chez les hommes.
  • Matière blanche
    Concernant les liens entre la matière blanche et le facteur g, son intégrité semble plus importante chez les femmes que chez les hommes. Certaines études ont même montré une corrélation négative entre ce facteur et la matière blanche fronto-pariétale chez les hommes après la puberté. Pour expliquer cette dernière différence, l’hypothèse a été posée que, chez les hommes, les fonctions cognitives dépendent d’un nombre de fibres plus restreint, ce qui suppose que les axones des hommes sont plus épais et plus étroitement liés que chez les femmes.  
  • Efficacité neuronale
    Hormis ces différences de corrélations entre le substrat cérébral et le facteur g, certaines études se sont penchées sur l’efficacité neuronale, mesurée par l’activation cérébrale électroencéphalographique (EEG) lors de résolution de tâches cognitives. Ces patrons d’activations ont montré que, lors de la résolution de tâches spatiales de difficulté moyenne, le cerveau des hommes est moins actif que celui des femmes. Inversement, lors de la résolution de tâches verbales de difficulté moyenne, le cerveau des femmes est moins actif que celui des hommes. Ces résultats indiquent que l’indice d’efficacité neuronale (activité cérébrale réduite pour résoudre une même tâche) varie entre les sexes en fonction du type de tâches. Ces résultats concordent avec les différences sexuelles comportementales, où, en moyenne, les hommes montrent un avantage pour les tâches spatiales alors que les femmes montrent un avantage pour les tâches verbales (15).
 
Question – Ces études montrent-elles des différences indépendamment de l’environnement social ?   Réponse de C. Brandner –  Pour répondre à cette question le terme environnement social devrait être précisé afin qu’il puisse être opérationnalisé. Des variables comme la malnutrition et l’absence de soins parentaux suffisants engendrent des réponses de stress susceptibles de modifier le développement cérébral. Il faut cependant relever que les études IRM ou EEG publiées dans des journaux scientifiques concernent des populations contrôlées pour un certain nombre de variables. Ainsi, les personnes présentant un QI inférieur à la moyenne, des maladies cardiaques, cérébrales et psychiatriques sont exclues des échantillons. Les études les plus récentes contrôlent même une partie de l’histoire embryonnaire en excluant des personnes issus de mères présentant des problèmes de dépendance à des substances comme l’alcool.

Différences sexuelles, cognition et comportement

L’étude comportementale des différences sexuelles vise à dégager des différences entre les sexes pour le traitement de certaines informations. Afin d’y parvenir, certaines variables cognitives (capacité verbale, capacité spatiale, capacité numérique par exemple) sont isolées et manipulées dans le but de dégager en quoi les hommes et les femmes diffèrent. Chacune de ces recherches peut fournir des arguments en faveur et contre l’hypothèse que le sexe influence les comportements. Cette divergence a souvent été prise comme argument pour nier la fiabilité de ce type de recherche. Cependant, et pour que cette critique soit valide, elle devrait être basée sur la comparaison d’études exactement comparables (i.e. participants, matériel et procédure expérimentale, analyses de données) ce qui demanderait des réplications d’expérience plutôt que le développement de nouveaux protocoles. Les méta-analyses sont un moyen pour pallier à cette difficulté en compilant un grand nombre d’études afin de tenter de dégager une vision plus claire de ces différences (11).

En regard des différences sexuelles, le comportement spatial a donné lieu à un très grand nombre de débats dont une partie concerne les modèles évolutionnistes que nous n’aborderons pas ici car ils méritent un développement propre (voir à ce sujet les suggestions de lecture proposées en fin de texte) . Ce comportement est un bon exemple pour illustrer les variations cognitives pouvant exister entre les hommes et les femmes. La mesure des capacités spatiales à l’aide de tests spécifiques indique qu’en comparaison des femmes, les hommes présentent en général un avantage pour résoudre des tâches de rotation mentale. A l’origine, cette capacité a été mesurée à l’aide d’un test qui demande de manipuler et transformer des figures géométriques (47,1 pour le test et son évalutation). Cependant, la poursuite de l’investigation de cette capacité par la modification du matériel de base (stimuli bidimensionnels simplifiant la tâche, utilisation d’images d’animaux en lieu et place de stimuli géométriques, ou utilisation d’un environnement virtuel impliquant une activité motrice) indique que du point de vue comportemental, cette différence peut être supprimée.

Les résultats des différentes études de la rotation mentales ont été interprétés comme une différence de stratégie utilisée pour résoudre une tâche de rotation mentale. Selon cette hypothèse, les hommes privilégient une stratégie globale où l’objet est traité en tant que configuration à comparer avec un objet témoin, alors que les femmes adoptent une stratégie locale consistant à comparer les détails de l’objet mémorisé avec les détails de l’objet témoin. Les études neuroanatomiques soutiennent cette hypothèse, qui implique que ces deux stratégies diffèrent en terme de charge mnésique, puisqu’elles ont montré qu’à performance égale, l’activité cérébrale (mesurée par électroencéphalographie ou par imagerie cérébrale) des femmes est plus élevée que celle des hommes lors de la réalisation de ce type de tâche (14,29,30,36).

La mesure des habiletés spatiales à l’aide de tests impliquant la capacité de se souvenir de la position qu’occupait un objet particulier dans un ensemble d’objets indique qu’en comparaison des hommes, les femmes présentent en général un avantage pour ce type de tâche (44). Cependant, si l’ensemble des stimuli correspond à des catégories objets de type masculin (par exemple after-shave), objets de type féminin (par exemple rouge à lèves), et objets neutres (par exemple crayon), les femmes et les hommes se souviennent plus des objets congruents avec leur propre sexe, et l’avantage des femmes pour ce type de tâche disparaît (13).

Question – Si on laisse les sujets s’entraîner pendant quelques semaines, les différences de capacités disparaissent-elles aussi ?

Réponse de C. Brandner – Absolument. Cependant, si l’on compare le nombre d’essais nécessaires pour atteindre une performance asymptote, on retrouvera la différence entre les sexes.


Dans un contexte plus large, et plus proche de la vie quotidienne, la mémoire spatiale est évaluée à l’aide de tests d’orientation et de navigation spatiale. Ces recherches indiquent que si les hommes comme les femmes savent s’orienter, les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont différents. De manière générale, les recherches indiquent que les femmes utilisent plus volontiers la position des points de repère alors que les hommes utilisent plus volontiers les informations géométriques fournis par l’environnement (24,34,43). Ces différences entre les sexes suggèrent que les femmes et les hommes développent différentes stratégies cognitives pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent, et que ces différences de stratégies pourraient avoir pour origine le dimorphisme sexuel cérébral. Cette hypothèse est soutenue par des études d’imagerie cérébrale fonctionnelle indiquant que les différences entre les femmes et les hommes dans l’utilisation de points de repère et d’informations géométriques sont liées à l’activation de différents circuits cérébraux (22).

Prises dans leur ensemble, ces recherches sont intéressantes à plus d’un titre. Du point de vue des neurosciences, elles permettent d’affiner le concept de plasticité cérébrale. Il est tout aussi fondamental de rappeler que durant de nombreuses années, le cerveau adulte a été vu comme un organe qui n’était pas susceptible de changer. Cette hypothèse a été abandonnée au profit de la notion de plasticité neuronale correspondant à des modulations fines du substrat cérébral lequel varie entre les individus. La plasticité cérébrale correspond à la réorganisation  des connexions et des circuits cérébraux suite à un apprentissage. Depuis quelques années, ce concept a été généralisé au point de considérer le cerveau comme un organe en perpétuelle reconstruction. Cet argument a parfois été utilisé pour remettre en question la robustesse de l’hypothèse du dimorphisme sexuel cérébral. Cependant, si cette plasticité dépendante de l’expérience s’exerce tout au long de notre vie, elle le fait sur un substrat cérébral dont l’organisation générale est déterminée par le génome de l’individu. Comme nous l’avons vu, ce génome comporte une paire de chromosomes sexuels à l’origine d’une cascade d’événements qui engendrent des différences sexuelles tant corporelles que cérébrales. Sans entrer dans les détails, il est peut-être important de rappeler que la plasticité neuronale s’exerce par l’activation de récepteurs cérébraux, et que, parmi ces derniers, les récepteurs aux œstrogènes jouent un rôle majeur. Par exemple, les personnes atteintes du syndrome de Turner (maladie chromosomique caractérisée par l’absence d’unchromosome X), qui induit une déficience en œstrogène, présente des modifications de la répartition du volume de matière grise dans différentes régions cérébrales et une réduction de la cognition visuospatiale (9). De même, les thérapies de supplémentation en œstradiol chez la femme ménopausée atténuent les pertes de matière grise due à l’âge (32). La testostérone exerce aussi ces effets neurotrophiques par l’activation de la voie des androgènes et le mécanisme de l’aromatisation. Finalement, les études morphométriques chez le sujet âgé indiquent que le dimorphisme sexuel cérébral est maintenu par le biais de l’expression différentiel des gènes dans le cerveau (6,42).

Question – Les cerveaux des hommes et des femmes sont différents à la naissance et le restent tout au long de la vie et, comme tu viens de nous l’expliquer, les chromosomes, les gènes et les hormones sont à l’origine des ces différences. Par ailleurs, les études de sociologie nous montrent que nos comportements diffèrent si nous sommes en présence d’un homme ou d’une femme, mais aussi d’un nourrisson garçon ou d’un nourrisson fille. On interprète différemment leurs pleurs (colère pour les garçons, tristesse pour les filles), on pousse un petit garçon à grimper aux arbres tandis qu’on encourage une petite fille à jouer à la poupée. Ces différences de comportements de l’entourage sont-elles aussi en partie responsables des différences structurelles du cerveau ? (zones plus développées que d’autres par exemple).

Catherine Brandner – Il est difficile de répondre à une question qui ne donne pas de références précises permettant d’examiner les données. Les étudiants m’adressent souvent des questions concernant l’influence de la culture ou du social. Ma réponse invariablement mentionne qu’en psychologie expérimentale, seuls les résultats provenant de l’opérationnalisation des variables sont susceptibles d’être publiés. Ce qui signifie que lorsque l’on parle de l’effet de l’environnement social, on devrait être en mesure de le faire varier et d’en mesurer les effets comparativement à un groupe de contrôle. Comme il est éthiquement (mais pas seulement) impossible de faire varier l’ «environnement social», il me semble bien difficile de poser la moindre hypothèse concernant la question adressée.
Je serai cependant tentée par une réponse provocante : s’il s’avère que nos comportements sont modifiés en fonction du sexe de notre interlocuteur, qu’est-ce qui nous pousse à les ajuster ? Si l’on me répond qu’il s’agit de facteurs culturels ou sociaux, je me  permettrais de demander comment une telle règle a pu se mettre en place et se maintenir, et ceci quelles que soient les régions du globe que l’on considère ? Je pense qu’émergeraient alors la piste phylogénétique et les hypothèses liées aux mécanismes de la reproduction sexuée d’une part et à la sélection sexuelle d’autre part. Nous entrons ici dans une autre perspective tout aussi fascinante et je ne peux une fois encore que recommander de consulter les suggestions de lecture pour replacer les différences sexuelles comportementales dans un contexte évolutionniste.
Réponse de GR – Il ne me semble pas déraisonnable d’envisager les choses sous cette perspective évolutionniste, en soulignant toutefois que ces attentes différenciées selon les sexes ont évolué au cours du temps et que la sélection s’est effectuée suivant des critères différents selon les époques (critères de beauté, comportements et rôle dans la sphère publique et au foyer, rapport à la sexualité, etc.) et qu’ils ne sont pas (ou en tout cas n’ont pas été) immuables.

Conclusion

En conclusion, il est important de relever que les résultats des études comportementales indiquent que les femmes et les hommes sont égaux quant à leur capacité à résoudre des problèmes. Cependant, leur manière d’y parvenir repose sur des stratégies cognitives différentes, et ces différences semblent reposer sur le dimorphisme du substrat cérébral. Dans ce contexte, l’apparition de la reproduction sexuée (eucaryote) et les différences sexuelles qui en découlent est une source formidable de variation de l’expression des gènes, laquelle du point de vue de la théorie de l’évolution est fondamentale pour expliquer l’adaptation des organismes (par le biais des mécanismes de la sélection naturelle et sexuelle) aux changements de l’environnement au fil des générations.

Catherine Brandner,

Questions de DC et GR.


Suite à la publication de cet article, Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives à l’Ecole Normale Supérieure, nous fait part de ses réflexions :

« Il existe toute une littérature en psychologie sociale montrant les effets d’attente et de stéréotype. La limite de ces études est que, si elles montrent bien que les stéréotypes que l’on peut avoir sur les femmes les poussent à s’y conformer, elles ne sont pas en mesure de montrer que c’est la seule cause de différences hommes/femmes. Peut-être qu’elles se superposent et accentuent des différences pré-existantes. La meilleure réponse à la question de l’origine des différences, ce sont les études précoces qui montrent des différences de capacités et de préférences cognitives chez le bébé, à des âges où il est peu plausible qu’elles soient dues à un conditionnement social. Mais ces études sont difficiles méthodologiquement et peu nombreuses. D’autres réponses complémentaires peuvent venir de travaux montrant les effets précoces des hormones, comme la testostérone fœtale, ou encore les cas de CAH (Congenital Adrenal Hyperplasia). Bref, il y a quand même quelques données qui montrent de manière relativement convaincante que certaines différences cognitives entre les sexes ne sont pas entièrement dues à des facteurs sociaux.« 

On trouvera quelques références ici.


Références

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18. Façon, R. (2003). Sur la loi des rendements décroissants. Efficience intellectuelle et facteur général. L’année psychologique, 103, 81-102.

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Références liées aux réponses aux questions

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Suggestions de lecture pour replacer les différences sexuelles comportementales dans un contexte évolutionniste

Laland, K.N., & Brown, G.R. (2011). Sense & non sense, evolutionary perspective on human behavior. Oxford University Press.

Geary, D.C. (2003). Hommes, femmes. L’évolution des différences sexuelles humaines. Traduction par Gouillou, P. Ed. de Boeck, collection Neurosciences & Cognition

Darwin, C. (2000). La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe. Oeuvres de Charles Darwin. Traduction coordonnée par Prum, M. Editions Syllepse. Institut Charles Darwin International.


Références proposées par Franck Ramus.

Auyeung B., Baron-Cohen S., Ashwin E., Knickmeyer R., Taylor K. and Gerald Hackett G. (2009). Fetal testosterone and autistic traits.
………..British Journal of Psychology, 100, 1–22

Berenbaum S.A., Snyder E. (1995). Early Hormonal Influences on Childhood Sex-Typed Activity and Playmate Preferences :
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Connellana J., Baron-Cohena S., Wheelwrighta S., Batkia A., Ahluwaliab J. (2000). Sex differences in human neonatal social
………..perception, Infant Behavior & Development, 23, 113–118

Biologie, évolution – L'échelle des êtres par Alain Le Metayer

L’échelle des êtres se cache-t-elle dans l’arbre phylogénétique ? Est-il possible qu’une idée fausse (par exemple : « Il existe une échelle des êtres« ) puisse persister dans les discours ou les représentations graphiques de personnes qui, pourtant, déclarent explicitement que cette idée est fausse ?
Alain Le Métayer partage avec nous un document instructif et éclairant sur ce problème.

 

Dans un article sur la résistance au darwinisme, Gérald Bronner propose ceci : il est difficile de devenir darwinien… quand on pense qu’on l’est déjà et qu’on mobilise les idées de Lamarck plutôt que celles de Darwin. Ainsi, en embarquant Lamarck comme passager clandestin tout en se croyant darwinien, on a peu de chance de le devenir vraiment !


On pourra également se servir de l’excellent documentaire Espèces d’espèces, de Denis van Waerebeke. Concernant cette partie (sur l’échelle des êtres), voici deux extraits que nous utilisons dans nos cours :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=kKnHlnD02dc]  
[vimeo 20738400]  

https://cortecs.org/videotex/biologie-de-levolution-metaphore-de-la-boule-buissonnante

https://cortecs.org/videotex/biologie-documentaire-especes-despeces

Denis Caroti

Atelier Esprit critique, français et zététique pour BTS

Mortimer Leplat est enseignant de français au lycée Frédécic Ozanam à Lille et, comme de plus en plus de collègues, il a décidé de se lancer en 2013 dans un projet en lien avec l’esprit critique et la zététique. Sous forme d’ateliers à destination d’étudiants en BTS et dans le cadre de l’accompagnement personnalisé, voici comment il a procédé, les sujets choisis, et surtout, chose assez rare pour nous scientifiques bornés et obtus, comment il a réussi à insérer de l’outillage critique à travers un mélange étonnant d’études de textes littéraires et une présentation de sujets zététiques. On ne peut que l’encourager à continuer (et à faire des petits…) !
Si vous aussi souhaitez partager votre travail, vos essais et cours, n’hésitez pas à nous contacter.
Denis Caroti


Les ateliers :

Les deux premières heures (travail sur la réfutabilité) Les deux heures suivantes (nos sens nous trompent) Atelier sur la morphopsychologie  Graal et rasoir d’Occam   


Le contexte

Cet atelier se déroule dans le cadre de « l’accompagnement personnalisé » (AP) mis en place par la réforme du lycée. Les enseignants y sont libres de proposer un peu ce qu’ils veulent, aussi ai-je saisi l’occasion pour proposer à des élèves de première année de BTS une initiation à la démarche critique et plus particulièrement à la zététique.

Cependant, même si l’AP peut paraître très libre à première vue, les contraintes administratives et d’horaire sont très lourdes, et j’ai appris que les douze heures dont j’estimais (un peu au pif à vrai dire) avoir besoin s’étaient vu diviser par trois : quatre heures, donc, soit deux séances de deux heures par semaine, et des élèves qui tournent tous les quinze jours. Bon, au fond ça n’est peut-être pas plus mal : je débute et le fait de proposer une progression suivie sur douze heures m’effrayait un peu. Là, je vais pouvoir procéder par « tâtonnement expérimental », en changeant ce qui n’a pas marché d’une session à l’autre.

Le contenu

Deux premières heures :

CorteX_Croyance_niveau_etudeJ’ai commencé, histoire de montrer aux élèves que ça ne rigolait pas, par leur passer un des quatre petits films du GEMPPI, celui sur les médecines parallèles. Ce film dure un quart d’heure, après quoi j’ai recueilli les réactions des élèves lors d’un petit débat. Tous (c’est-à-dire les six qui se sont inscrits…) se sont montrés sensibles à l’histoire de cette petite fille soustraite à la chimio par un gourou pratiquant la « médecine quantique ». Je voulais arriver avec les élèves à faire émerger le point suivant : les parents sont-ils des imbéciles ? Pour répondre à cette question, j’ai projeté aux élèves deux graphiques tirés de Devenez sorciers, devenez savants, qui montrent que, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, il n’y a aucune corrélation entre le niveau d’étude et celui de croyance dans le « surnaturel ». D’où l’utilité de travailler son esprit critique…

Autre question qui est venue sur la table : ce qu’affirme le gourou-médecin-quantique-thérapeute-holistique aux parents de la petite fille, les histoires de « double énergétique qui n’entre plus en résonance avec le corps physique », c’est scientifique ? Non, on est bien d’accord… Le jargon utilisé n’est-il pas là simplement pour impressionner et accréditer artificiellement des thèses non éprouvées ? Certainement. Pourtant, ledit thérapeute appuie son discours sur certaines propriétés des particules élémentaires : le point crucial est donc, pour éviter de se faire embobiner, de réussir à faire la différence entre science et pseudoscience. J’ai alors présenté le critère de réfutabilité de K.Popper et demandé aux élèves de l’appliquer à quatre textes (ben oui, je suis prof de français…) très différents, mais qui présentent le point commun d’utiliser un argument ad hoc pour soustraire leur théorie à la réfutation :


Les deux heures suivantes :

Je souhaitais présenter quelque chose d’un peu plus fun aux élèves, sur le thème « nos sens nous trompent, un témoignage n’est donc pas une preuve ». J’ai réalisé une présentation, partant de l’affaire du Yéti nain de Levens (http://www.unice.fr/zetetique/articles/JB_yeti_nain/index.html). J’ai demandé aux élèves l’hypothèse explicative qui leur semblait la plus probante : présence d’un yéti ou taches dues à l’éclairage entre les feuilles de l’arbre ? Tous ont pensé que la deuxième explication était plus convaincante, ce qui m’a permis d’introduire le rasoir d’Occam et l’importance de rechercher une alternative moins « coûteuse » intellectuellement face à un phénomène dit « paranormal ».

Puis j’ai poursuivi sur les « paréidolies », ou erreurs de perceptions faisant voir des choses connues dans des formes sans aucune signification. Je me suis servi du triangle de Koniza pour leur montrer que notre cerveau cherchait à donner du sens à ce qui n’en a pas forcément a priori, puis je leur ai montré des exemples, en les faisant participer : « bon, là, vous voyez quelque chose ? Quoi à votre avis ? » Ils ont eu un peu de mal à reconnaître la Vierge ou Elvis sur les toasts, mais une fois que le premier élève les a reconnus, ça a paru évident pour tout le monde.

CorteX_triangle CorteX_Toast_Vierge CorteX_Pareidolie_Elvis
Triangle de Koniza Paréidolie de la Vierge Marie Paréidolie d’Elvis (ou Elvis toast)

Une apparition de Jésus sur l’anus d’un chien a énormément plu, le fait de la passer juste après le visage très très vague dudit Jésus sur un drap, avec à côté un prêtre en train de dire : « moi j’y crois », évidemment ça fait rire…

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Apparition de Jésus dans une église à la Réunion Sans commentaire

Tout cela m’a pris environ 45 minutes. Après je leur ai dit que si, au niveau visuel, on recherchait du connu dans ce qui est vague, ça marchait aussi au niveau intellectuel, et j’ai enchaîné sur une vidéo d’un spectacle de Frank Lepage donnant un cours de langue de bois (http://www.dailymotion.com/video/x9wwg5_franck-lepage-langue-de-bois_fun), qui a donc été l’occasion d’expliquer aux élèves le principe de l’effet puits. Je leur ai ensuite proposé de faire la même chose à partir du générateur de discours dans Devenez sorciers, devenez savants. Ils ont préparé ça pendant deux minutes, et sont venus faire quelques jolis discours devant les autres.

Enfin, j’ai décortiqué avec eux un horoscope. On a vu combien les descriptions étaient stéréotypées et faciles à reproduire en utilisant quelques trucs simples : être toujours positif, être vague (utiliser le mot « tout »), ratisser large (par exemple avec des « et » et des « ou »), etc. Ils ont alors pu rédiger entre eux des horoscopes. C’est un petit exercice d’écriture qui passe assez bien avec les élèves, en tout cas on a bien ri !

Voilà, je pense faire évoluer cet atelier de session en session : la suite bientôt, donc !  


Atelier sur la morphopsychologie

Pour cet atelier, j’ai commencé par projeter aux élèves le visage de Dracula tiré du film Nosferatu de Murnau, puis je leur ai demandé de le décrire en quelques lignes. CorteX_DraculaJ’ai choisi la version de Murnau car, malgré de nombreuses différences, c’est encore dans ce film que l’aspect physique de Dracula correspond le mieux au portrait initial que Bram Stocker fait dans son livre. Après avoir procédé à quelques lectures des productions des élèves au cours desquels j’ai mis l’accent sur certaines caractéristiques physiques qui auront une importance par la suite (nez, oreilles et sourcils), je leur ai distribué ledit portrait :

« Son visage donnait une impression de force, avec son nez fin mais aquilin, des narines particulièrement larges, un front haut et bombé, des cheveux qui se clairsemaient aux tempes, mais, ailleurs, épais et abondants. Les sourcils, massifs, se rejoignaient presque à l’arête du nez et paraissaient boucler tant ils étaient denses. La bouche, pour autant que je pusse l’entrevoir, sous l’épaisse moustache, présentait quelque chose de cruel, sans doute en raison des dents éclatantes et particulièrement pointues. Elles avançaient au-dessus des lèvres elles-mêmes dont le rouge vif soulignait une vitalité étonnante chez un homme de cet âge. Les oreilles étaient pâles et se terminaient en pointes. Le menton paraissait large et dur et les joues, malgré leur maigreur, donnaient toujours une impression d’énergie. L’impression générale était celle d’une extraordinaire pâleur. »

Plus loin dans le roman, Mina Harker, interrogée par le professeur Van Helsing, note que « Le comte est un criminel et de type criminel. Nordau et Lombroso le classeraient dans cette catégorie. »

Nous quittons ici le terrain de la fiction pour rejoindre celui de la réalité : Mina Harker fait ici allusion à la théorie de la criminalité innée que Cesare Lombroso exposa dans L’homme criminel (1876), dont j’ai distribué un extrait aux élèves (tiré de La mal-mesure de l’homme de Stephen Jay Gould) en leur demandant de repérer, dans le portrait de Dracula, les éléments qui en semblaient tirés :

« Le nez [du criminel] au contraire […] est souvent aquilin comme le bec d’un oiseau de proie. »

« Les sourcils sont broussailleux et tendent à se rejoindre au-dessus du nez. »

« […] avec une protubérance sur la partie supérieure du bord postérieur […] une survivance de l’oreille pointue. […] »

Lombroso pensait ainsi que la criminalité était quelque chose d’inné qui conférait au criminel des traits de visage particulier. Bien sûr, puisque la criminalité était innée, elle était également incurable, et la théorie de Lombroso a contribué à envoyer à la mort des gens qui avaient accompli des délits mineurs mais qui, étant nés criminels, allaient fatalement commettre un jour ou l’autre des crimes beaucoup plus graves…

J’ai ensuite demandé aux élèves si, d’après eux, cette théorie était toujours en vogue. Certains ont évoqué, pendant la Seconde Guerre Mondiale, les caricatures de juifs, invariablement représentés avec d’énormes nez censés permettre de les repérer au premier coup d’œil.

  CorteX_affiche_juif  

Mais aucun élève n’a mentionné le domaine des ressources humaines et du management, dans lequel (d’après Renaud Marhic, Le New Age, son histoire… ses pratiques… ses arnaques…) la « morphopsychologie », qui prétend que l’on peut connaître la personnalité de quelqu’un en regardant les traits de son visage, serait employée par pas moins de 12% des recruteurs. D’après les théories du docteur Louis Corman, le fondateur de la morphopsychologie « moderne » après les précurseurs que furent Gall ou Lavater, il existerait des « dilatés » de visage, ayant pour caractéristique sociopsychologique une insertion facile, une jovialité, etc., et des « rétractés » qui seraient caractérisés au contraire par une fermeture par rapport à leur milieu social… La forme du visage permettrait ainsi à certains recruteurs de savoir sur quel type d’emploi une personne pourra donner le meilleur d’elle-même…

Pour éprouver la validité de cette théorie, j’ai demandé aux élèves de retrouver, parmi une liste de visages, la profession de chacun :

CorteX_portraits

Cet exercice est tiré du livre d’Alain Cuniot, Incroyable… Mais faux ! Bien sûr, il y a un piège : tous les visages sont ceux de comédiens !

Je cite la conclusion de Cuniot : « Comment les « lois » de la morphopsychologie peuvent-elles s’adapter aux comédiens, lesquels, excellents hommes, fins, cultivés, interprètent avec la plus grande véracité les plus ignobles brutes, les sadiques les plus repoussants, compte tenu qu’ils ont le front bas, le nez large, le menton prognathe, les oreilles décollées, etc. ? »

L’intéressant, avec la morphopsychologie, c’est qu’elle ne représente qu’un aspect d’une théorie plus large, celle du déterminisme biologique qui prétend enfermer le destin des hommes dans leurs caractéristiques physiques et biologiques. J’ai demandé aux élèves s’ils avaient d’autres exemples de déterminisme biologique, et la discussion a bien sûr porté sur le racisme. Je n’ai cependant pas résisté au plaisir d’évoquer avec eux la théorie des « styles d’apprentissage », aujourd’hui réfutée (http://www.charlatans.info/news/Les-styles-dapprentissage-refutes) mais qui leur a généralement valu de remplir quelques tests au lycée qui parfois ont malheureusement pu influencer leur orientation.
 

Graal et rasoir d’Occam

Ce cours est une version didactisée d’un article de la newsletter de septembre 2012 de l’Observatoire zététique : « L’énigme du Graal et le principe de parcimonie » (http://www.zetetique.fr/index.php/nl). J’ai choisi de travailler sur ce thème car il me permet de mêler des éléments de culture littéraire à une démarche de type zététique.

J’ai donc commencé par demander aux élèves s’ils avaient entendu parler du Graal et ce qu’ils savaient sur ce sujet. Les réponses furent assez vagues. Les élèves en avaient effectivement entendu parler, surtout à travers des films et des séries télévisées. Ils l’associaient à une coupe plus ou moins en rapport avec la religion chrétienne mais il a fallu que je les aide un peu pour arriver à l’hypothèse la plus connue : le Graal serait la coupe dans laquelle a bu le Christ lors du repas de la Cène, et qui a servi à recueillir le sang de son flanc percé par la lance du centurion Longin pendant sa crucifixion.

CorteX_Graal_croix

Or il ne s’agit là que d’une hypothèse parmi d’autres, car la vérité est que nous ne savons pas très bien ce qu’est le Graal : celui-ci apparaît en effet pour la première fois dans un roman écrit au 12ème siècle par Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, qui raconte les aventures du chevalier Perceval, arrêté en plein périple par une rivière apparue mystérieusement sur laquelle vogue la barque du Roi Pêcheur, qui propose au chevalier de venir se restaurer dans son château, et tant qu’à faire d’y passer la nuit. Pendant que Perceval discute avec son hôte dans le château, un cortège défile sous leurs yeux, où l’on voit apparaître un graal (il s’agit ici d’un nom commun qui désigne en ancien français un plat à poisson) magnifiquement serti de pierres précieuses et précédé d’une mystérieuse lance qui saigne (qui sera plus tard associée à la lance de Longin). J’ai fait lire le passage aux élèves, et ils ont pu constater que si Perceval brûle d’envie de demander pourquoi la lance saigne et ce que contient le Graal, il n’en fait rien, par peur de paraître indiscret.

CorteX_Graal_plat

Dans la suite de l’aventure, le Graal réapparaît à chaque fois qu’un nouveau plat est servi, mais Perceval n’ose pas plus parler, tant et si bien qu’il finit par aller se coucher sans avoir obtenu de réponse à la question qui le taraude. Le lendemain, lorsqu’il se réveille, le Roi Pêcheur a disparu et le château est entièrement vide. Pour comble, Chrétien de Troyes meurt avant d’avoir terminé son roman, et le lecteur lui non plus ne saura donc jamais le fin mot de l’histoire…

Plusieurs auteurs ont écrit des « continuations » de l’histoire de Perceval. Dans la plus célèbre d’entre elles, écrite par Robert de Boron au 13ème siècle, le Graal devient le « Saint Calice » ayant servi à recueillir le sang du Christ, mais rien n’indique que Chrétien de Troyes ait eu cette idée en tête, et il existe bien d’autres théories, qui attribuent au Graal des origines templière, cathare, ou encore celtique.

Après cette longue présentation, j’ai distribué aux élèves deux extraits, l’un tiré des Métamorphoses d’Ovide, l’autre du Da Vinci Code de Dan Brown : il s’agit d’attribuer un degré de probabilité à deux hypothèses explicatives concurrentes de l’énigme du Graal, et de justifier son choix.

Hypothèse 1 : le Graal est un emprunt aux Métamorphoses d’Ovide. Chrétien de Troyes a été influencé par le passage sur la Corne d’Abondance (je l’ai énormément raccourci, car il est très long).

CorteX_ovide

Hypothèse 2 : le Graal représente, comme dans le passage tiré du Da Vinci Code, la descendance cachée du Christ.

CorteX_Da_vinci_code

Laquelle de ces deux hypothèses vous paraît-elle la plus plausible ? Les élèves ont trouvé soit que les deux hypothèses étaient aussi crédibles l’une que l’autre, soit que l’hypothèse numéro deux était la plus crédible.

Je leur alors présenté le rasoir d’Occam, principe logique qui incite à privilégier la première hypothèse, beaucoup moins coûteuse du point de vue cognitif : elle nous demande d’accepter seulement que les écrivains s’influencent les uns les autres (et les points communs entre les deux récits sont nombreux, comme cela est développé dans l’article de l’OZ), alors que la deuxième hypothèse nous demande d’accepter d’emblée l’origine chrétienne du Graal, que rien n’indique, mais également que Jésus a eu une descendance, que celle-ci a été cachée par l’Église sans qu’on n’en sache rien, bref, toute une « théorie du complot » pour laquelle il n’existe pas la moindre preuve.

Pour leur montrer les conséquences que peut avoir ce genre de choix, je leur ai parlé du « Mouvement du Graal », organisation à caractère sectaire dont le fondateur serait une incarnation de Jésus, et prétend que le Graal, après avoir servi à recueillir le sang du Christ (le sang du fondateur, donc), repose maintenant dans le Royaume Divin, où il déverse en permanence l’Énergie Universelle dont se nourrit l’ensemble de la Création… Le problème, c’est que ce mouvement dispense à ses membres une vision très particulière de la médecine, source de nombreuses dérives… (Sources : Unadfi, http://unadfi.org/mouvement-du-graal-le-proces-d-un.html )

Eh oui ! L’hypothèse d’un emprunt direct aux Métamorphoses ne fait pas forcément rêver… Mais comme le dit Henri Broch : « Le droit au rêve a pour contrepartie le devoir de lucidité. »

Mortimer Leplat

Psychologie – « Mensonges lacaniens » par Jacques Van Rillaer

CorteX_Jacques-van-RillaerDes mensonges dès le départ du freudisme aux fausses citations pour noircir les TCC*, en passant par la création de l’École freudienne de Paris par Lacan, Jacques Van Rillaer revient sur une partie méconnue de la construction de la psychanalyse dans ce texte qu’il met à disposition.


On appréciera les passages autobiographiques de Jacques Van Rillaer sur sa rencontre avec la psychanalyse, et son parcours, qui éclairent remarquablement sa démarche critique. C’est une lecture à ne pas manquer.
« Le fondement essentiel des pratiques de ceux qui se nomment « psychanalystes » sont des textes de Freud et de quelques disciples. Il est donc crucial de connaître le degré de fiabilité des affirmations contenues dans ces publications. Des milliers de personnes croient que Freud, Bettelheim ou Lacan sont des savants parfaitement intègres, qui ont observé méthodiquement des faits, qu’ils ont ensuite mis par écrit sans les déformer. Ces personnes ignorent ou refusent d’admettre les inévitables processus de distorsion du traitement des informations et la pratique du mensonge chez une large proportion des êtres humains, y compris chez les hommes de science. »
Lire la suite

* Thérapie cognitivo-comportementale

Le jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall

Connaissez-vous Monty Hall ? C’est le nom d’un présentateur télé états-unien qui a présenté pendant près de treize ans le redoutable jeu Let’s make a deal mettant en scène un casse-tête probabiliste tout à fait contre-intuitif, et par là même, stimulant la pensée critique. Ce « faux paradoxe » dont la première forme connue a plus d’un siècle est également connu sous le nom du « jeu des deux chèvres et de la voiture ».
Une première version de ce casse-tête nous a été envoyée par Louis Dubé, des Sceptiques du Québec. Suite à sa publication sur cette page, un enseignant de mathématiques en classe préparatoire, Judicael Courant, nous a soumis une version pleine de variantes, ludique, élaborée à quatre mains avec son collègue Walter Appel, qui ne postule plus la bienveillance de l’animateur. De quoi faire chauffer nos neurones.


Version initiale 

CorteX_Monty-Hall

  • 100 $ sont cachés sous l’une de trois boîtes, identifiées : A, B et C.
  • On vous demande de choisir sous laquelle des trois boîtes se trouve l’argent.
  • Ignorant sous laquelle des boîtes se trouve l’argent, vous choisissez au hasard la boîte A.
  • Pour vous aider, on dévoile qu’il n’y a pas d’argent sous la boîte B.

QUESTION : Conservez-vous votre choix : A ?

1. Oui, je garde mon premier choix
2. Non, je change mon premier choix
3. Aucune importance (soit toujours garder, soit toujours changer)
4. Au hasard (l’un ou l’autre à « pile ou face » à chaque coup)

Pour la solution , cliquez sur ce lien : Louis Dubé, des Sceptiques du Québec, le partage avec nous sous une forme simple ; les plus férus de mathématiques pourront le résoudre avec le théorème de Bayes.

 

Variantes

Nous relayons ici les remarques de Judicael Courant sur le jeu des trois boîtes, envoyées au Cortecs en décembre 2014, ainsi qu’une version complètement démoniaque de ce  casse-tête.

Bonjour,
Enseignant de mathématiques et d’informatique en classe prépas, […] je suis cependant déçu par votre page sur le problème des trois boîtes car vous faites l’impasse sur une question qui me semble essentielle pour la résolution du problème : est-on sûr que, lorsqu’on nous dévoile qu’il n’y a pas d’argent sous la boîte B, c’est bien pour nous aider ?
Si on a des raisons d’en douter, la solution peut devenir très différente : par exemple dans le cas extrême ou celui qui a caché l’argent a un côté pervers, on peut penser qu’il ne nous propose de modifier notre choix que parce nous avons trouvé la bonne boîte. On pourrait aussi se demander si, lorsque nous avons choisi la bonne boîte, la personne qui nous aide choisit de façon équiprobable entre les deux boîtes restantes, ou si elle a une préférence (par exemple, elle prend la première dans l’ordre alphabétique).
Je soumets à votre sagacité l’exercice ci-joint que j’ai donné à mes étudiants de MPSI l’an dernier. C’est un énoncé repris sur un collègue, Walter Appel, que j’ai volontairement rendu un peu plus complexe […]. Il me semble en effet qu’il y a un point important à débusquer derrière les études de ce genre : elles partent d’hypothèses a priori, très souvent implicites et non remises en question.

Version initiale

En 1761, Thomas Bayes, théologien protestant, quitte pour toujours cette vallée de larmes. Il arrive aux portes du Paradis et, comme il n’y a plus beaucoup de places et que Bayes a parfois eu des opinions assez peu orthodoxes en manière de théologie, Saint Pierre lui propose le test suivant. T. Bayes est placé devant trois portes identiques, dont deux mènent à l’enfer et une au paradis, et il est sommé de choisir. N’ayant aucune information a priori, Bayes choisit une des portes au hasard. Avant qu’il ait le temps de l’ouvrir, Saint Pierre — qui est bon — lui dit : « Attends, je te donne encore un renseignement… » et lui ouvre une des deux autres portes (menant bien entendu à l’enfer). Que doit faire Bayes ? Garder sa porte, ou changer d’avis et prendre l’autre porte non ouverte ?

Variante 1

Reprendre l’exercice dans le cas où Saint Pierre a passé la soirée précédente à faire la fête, il ne sait plus du tout où mènent les portes et en ouvre une au hasard et se rend compte qu’elle mène à l’enfer.

Variante 2

Vous arrivez vous-même devant Saint Pierre mais vous remarquez qu’il a un pied de bouc : Saint Pierre a tellement fait la fête qu’il n’est plus en mesure de s’occuper des entrées et Satan en a profité pour le remplacer (en se déguisant). Vous imaginez assez vite ce que fait Satan : lorsqu’un candidat a choisi une porte,

  • si elle conduit vers l’enfer, il le laisse prendre la porte choisie 
  • si elle conduit vers le paradis, il lui montre une porte conduisant vers l’enfer et lui propose de changer.

Vous choisissez une porte, Satan vous propose de changer. Que devez-vous faire?

Variante 3

En fait, vous réalisez que Satan est bien plus pervers que cela:

  • si le candidat choisit une porte conduisant vers l’enfer, il lui propose quand même de changer avec la probabilité p1
  • si le candidat choisit la porte conduisant vers le paradis, il lui propose de changer avec la probabilité p2.

Que devez-vous faire?

Du 25 au 29 avril 2011 JIES 2011 – Journées de Chamonix

Les prochaines Journées internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques, techniques et industrielles auront lieu à Chamonix du 25 au 29 avril 2011 à l’ENSA (Ecole d’Alpinisme) et au Chalet des Aiguilles.

 

Le site : http://jies-chamonix.org/  alt

Le thème : l’idée de Nature dans l’éducation et la médiation scientifiques. Enjeux, modalités, objectifs et perspectives.

 

 Flyer à télécharger alt

Résumé des organisateurs :

Cadre de vie, menace, paradis perdu, réservoir de ressources et objet d’étude, la Nature, qu’elle soit sauvage ou domestiquée, crainte ou convoitée, souillée ou exploitée, occupe dans l’imaginaire occidental des dimensions complémentaires et contradictoires. L’idée que nous nous en faisons repose elle-même sur des présupposés culturels, des connaissances éparses, des valeurs changeantes, des imaginaires multiples. Pour preuve : la multiplicité des perceptions de la distinction Homme-Nature selon les civilisations, voire son absence dans les sociétés pré-technologiques…

Très présente dans l’éducation pour un développement durable et les courants de protection de l’environnement, souvent associée à la préservation de la biodiversité, aux droits de l’animal, à la modification des grands cycles planétaires, et plus généralement à l’impact des activités humaines sur l’équilibre de la planète, l’idée de Nature est également exploitée par la publicité et fait l’objet d’une intense médiatisation qui influence notre rapport au monde et ce que nous en faisons.

Par suite, que transmet-on réellement lorsque l’on parle de Nature ? Quels comportements et modes de consommation sont imposés ou légitimés par la présentation qu’en font les médias ?

Quels rapports à l’animal, au vivant, à l’autre, à l’ailleurs, inculque-t-on à nos enfants lorsque nous les « éduquons à l’environnement » ? Sur quelles valeurs, quelles conceptions du rapport nature-culture, quels imaginaires les actuels programmes scolaires sont-ils construits ? L’Education relative à l’environnement elle-même s’adresse-t-elle à la gestion de notre cadre de vie ou à l’ensemble des problèmes que pose justement notre relation à la Nature ?

A quelles approches recourir pour clarifier cette relation ? Que nous apporte l’analyse de l’idée de Nature dans d’autres cultures, à d’autres époques que la nôtre ? Sur quelles disciplines peut-on se fonder pour forger notre conception scientifique de la Nature et inventer les modalités de son aménagement, de son exploitation et de sa protection ?

Interroger les évidences de la diffusion et de l’appropriation de l’idée de Nature… En déterminer les origines, les enjeux, les conséquences, inventer de nouveaux possibles culturels, produire des outils pour l’enseignement et la médiation… Tels sont les objectifs des prochaines Journées de Chamonix.

 Un-e membre du CorteX, travaillant exactement sur ce sujet, a envoyé une proposition de contribution.

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Entraînez-vous ! Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute

La dernière campagne publicitaire de l’éducation nationale est l’occasion d’aiguiser son esprit critique et de mettre en application les principes d’autodéfense intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?


En juin 2011, le ministère de l’éducation nationale a lancé une campagne « destinée à tous les étudiants qui réfléchissent à leur avenir professionnel et, prioritairement, aux étudiants de M1. L’objectif est clair, il s’agit d’attirer les meilleurs talents au service de la plus noble des missions : assurer la réussite de chaque élève. »[1]

altLaura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. Et l’avenir, pour elle, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’elle a décidé de devenir enseignante.L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.

Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
 
 

 

altJulien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions.

C’est la concrétisation de son projet professionnel. Et ce projet, pour lui, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’il a décidé de devenir enseignant.
L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.


Cette campagne de trois semaines a été déployée avec une stratégie de diffusion très large.
  • Presse écrite (Le Monde, Le Figaro, Le Journal  du Dimanche, Libération, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Direct Matin,  Métro, 20minutes, Le Point, L’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur,  Challenges, Courrier international, Marianne, L’Equipe magazine, VSD,  Paris Match).
  • Spots radio (Skyrock, NRJ, Virgin radio, Fun radio,  France Info, France Inter, RTL, RMC, Europe 1…).
  • Bannières  publicitaires sur des sites Internet à forte audiences (Deezer, YouTube,  SkyBoard, L’Etudiant.fr, Studyrama, Monster).
  • L’ouverture d’un site dédié : leducationrecrute.fr.
« La création met en scène des personnes à un moment fort de leur vie, celui de leur engagement dans un projet de carrière autour des valeurs de réussite et d’épanouissement personnel et professionnel. Des valeurs qui peuvent paraître dans un premier temps individualistes, mais qui prennent un tout autre sens lors de la révélation de l’annonceur : l’éducation nationale. » [2] 

Pour débuter l’analyse, j’ai choisi de décortiquer l’article selon trois axes.

1/ Les effets rhétoriques

Notamment l’affirmation « L’éducation nationale recrute 17 000 personnes en 2011 ».

Cet annonce de recrutement est surprenante car en contradiction avec ce qui semble circuler dans les médias sur la situation de l’éducation nationale où l’on parle plutôt d’un plan d’austérité (fermeture de classe, suppression d’emploi, etc.) Cette information mérite donc d’être analysée

Pourquoi ce décalage a priori avec l’actualité ?

Que représente ces 17 000 postes ?

Cette information n’est-elle pas orientée ?

 2/ La fabrication de l’image
Comment les illustrations sont-elles fabriquées ?
Que veulent susciter ces deux  images ?
A quels archétypes font-elles appel ?
3/ Le vocabulaire utilisé dans les images
Que connote-t-il et quels problèmes cela peut-il  poser ?
 
Tentez une analyse de votre cru, et comparez-là avec la mienne.
N’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger notre décorticage.

Nicolas Gaillard  

CorteX Quantox Monvoisin

Avril 2013 Le CorteX dans Le Monde – Les charlatans de la physique quantique

 CorteX Quantox MonvoisinUn petit tour sur le vaste Web convainc vite qu’une théorie scientifique majeure du XXe siècle, la physique quantique, s’épanouit ailleurs que dans les labos de recherche. Médecines ou thérapies alternatives, voyance ou sectes religieuses en raffolent.

 

Les charlatans de la physique quantique

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | par David Larousserie

Ce grand foutoir ésotérico-thérapeutico-quantique a agacé Richard Monvoisin, enseignant en épistémologie et didactique des sciences à l’université de Grenoble. Au point de vouloir désintoxiquer le lecteur des fausses idées qui fleurissent sur la mécanique quantique, répandues par souci commercial par quelques gourous. Fidèle à la ligne de la maison d’édition Book-e-book, spécialisée en zététique, la discipline qui enseigne l’art du doute et développe l’esprit critique, l’auteur en profite aussi pour expliquer ce que dit ou ne dit pas cette fameuse mécanique quantique. Car son côté bizarre (mais qui marche, dans les transistors, les disques durs ou les lasers…) prête le flanc à moult récupérations.

L’équivalence masse-énergie sert à justifier que l’énergie du corps peut réparer ou créer de nouvelles cellules de notre organisme. La dualité onde-particule se confond avec le duo corps-esprit. Le fameux principe d’incertitude d’Heisenberg ouvre grandes les portes d’une incertitude générale de la connaissance, que d’autres notions, mystérieuses, pourraient combler. Le chat de Schrödinger, « mort et vivant », est utilisé comme preuve que la conscience peut tout. Bref, avec des mots nouveaux et des concepts scientifiques subtils, il est facile d’impressionner le chaland.

A qui la faute ?

Avec humour et pédagogie, l’auteur démonte toutes ces constructions et surinterprétations. À l’aide d’un phare, il réalise un dispositif permettant de filer plus vite que la lumière. Avec un cylindre, vu selon l’angle tantôt comme un cercle ou comme un rectangle, il crée une dualité qui, certes, n’a rien de quantique, mais qui correspond à la version faussée de quelque charlatan. Des démonstrations sans appel.

Une dernière partie, provocatrice, pose une question dérangeante : à qui la faute ? Certes, les gourous eux-mêmes peuvent séduire et tromper sciemment. Mais la faute repose aussi, selon l’auteur, sur un acteur inattendu, la vulgarisation scientifique. Autrement dit, les rois du genre que sont les mensuels Science & Vie et Sciences et avenir auraient une part de responsabilité dans ces distorsions quantiques. En jouant avec les concepts pour séduire les lecteurs, ils créeraient plus de confusion que d’information. Et planteraient des graines qui germeront en crédulité… Malheureusement, cette audacieuse et très critiquable hypothèse n’est que trop peu développée. Pour en savoir plus, le lecteur curieux devra se référer à la thèse de Richard Monvoisin, soutenue en octobre 2007, Pour une didactique de l’esprit critique (accessible sur www.cortecs.org/bibliotex).

Dans la même collection, signalons aussi la parution d’Esprit critique es-tu là ? 30 activités zététiques pour aiguiser son esprit critique. Riche et amusant.

Quantox, par Richard Monvoisin (Book-e-book, 60 p., 11 €).

Novembre 2011 Le CorteX dans la revue S!lence – Efficacité thérapeutique, quelques notions de base

CorteX_Silence_399J’ai écrit cet hiver un article pour la revue alternative S!lence  n°399 de novembre 2011. La demande qui m’était faite était celle-ci : instiller un regard critique politique global sur la question des alternatives de santé que défend couramment la ligne éditoriale de la revue. Rêvant moi aussi d’alternatives, en particulier en matière de santé, je me suis posé la question : les médecines dites alternatives sont-elles de réelles alternatives politiques, économiques et sanitaires ?
Il n’est pas impossible que mon article soit un peu… disons… dépareillé des autres dans la revue.

J’ai donc écrit cet article, intitulé Efficacité thérapeutique – Quelques notions de base.
Il est perdu au milieu d’autres dont je ne connais pas du tout la teneur, dans une revue qui existe depuis 1982 et se veut « un lien entre toutes celles et ceux qui pensent qu’aujourd’hui il est possible de vivre autrement sans accepter ce que les médias et le pouvoir nous présentent comme une fatalité« . Programme sceptique en soi, auquel je souscris, mais que je sais drainer derrière lui telle une traîne de mariée un certain nombre de mysticismes, de pseudosciences et de naturalisme ni progressistes, ni libérateurs (1).
Je ne sais pas exactement comment l’article est illustré, et  j’espère que je n’aurai pas de mauvaise surprise (la rédaction ne m’ayant pas envoyé la maquette). Je suis inquiet en voyant la couverture, qui est un « faux dilemme sémiotique » magistral : médicaments contre fruits et légumes. Moi qui pense que l’industrie pharmaceutique est un scandale, mais que la « nature » n’est pas bonne en soi ; moi qui pense que les médicaments sont une chose utile qui devraient être du bien public, et qui regarde de près les publications douteuses sur les bienfaits de telle ou telle essence, telle ou telle graine ; moi qui ne sais plus s’il doit plus détester l’autoritarisme des médecins ou les escroqueries mentales de certaines médecins « alternatifs », je me demande bien quel genre de courrier je vais recevoir.
 

A votre santé ?

La mouvance écologiste dont Silence fait partie promeut les médecines naturelles comme alternative aux médecines de synthèse « classiques ». Ce dossier veut interroger également le pouvoir de la médecine dans son ensemble et le rôle que jouent les médecins dans nos vies. Peut-on se soigner sans médecins ?
Également dans ce numéro : Les nouveaux apports sur l’implication française dans le génocide des Tutsi rwandais présentés par Survie – Le Galoupio – Les Ekovores – Le cirque comme pratique féministe – Fukushima : un an après le début de la catastrophe – Féminisme : y a-t-il de l’eau dans l’évier ? – L’arme « politique » nucléaire ; etc.
Avec : Jean-Pierre Lepri, Elise Aracil, Nadia Donati, Dominique Lalanne, Francis Vergier, Léo Sauvage, Marie-Pierre Najman, Mélité, Serge Mongeau, Richard Monvoisin, Anne Trottmann, Uto, Women’s Circus, Michel Bernard,  Guillaume Gamblin…
Sommaire

  • Maladies : des enjeux politiques ? (de Nadia Donati)
  • Les médecines contre la santé ? (de Serge Mongeau)
  • La dégradation de notre environnement met en péril notre santé (Dominique Belpomme, vue par Anne Trottmann)
  • Efficacité thérapeutique – Quelques notions de base (de Richard Monvoisin)
  • Ordonnance pour la santé au naturel (de Jean-Pierre Lepri)
  • Pourquoi la maladie ? (de Jean-Pierre Lepri)
  • Comment la santé devient un facteur pathogène… (de Marie-Pierre Najman)

On trouvera les 4 premières pages de la revue ici.
Je tiens à mettre au plus vite mon article entier à disposition de tout le monde. Toutefois, sachant la vie dure des revues de ce type, j’attendrai que celles et ceux qui ont 4,60 euros puissent les dépenser. Les plus pauvres d’entre nous attendront bien deux ou trois semaines, ou fréquenteront librairies alternatives ou bibliothèques publiques.
Pour toute remarque, écrivez-moi ! Monvoisin@cortecs.org
Richard Monvoisin
(1) sur la question du naturalisme, on pourra se faire plaisir en lisant ce cours de Guillemette Reviron.