Voici du matériel simple pour animer un atelier sur le « racisme ordinaire » avec des étudiants, des élèves ou du grand public. Il est possible de passer les documents, puis de débattre, ou bien d’ajuster chaque document à un savoir-être bien précis.
Introduction au préjugé
Ci-dessous, quelques documents permettant d’introduire la question du préjugé raciste, même avec un public jeune.
- Le Noir et le ballon (vous avez la référence de cette vidéo ? Nous la cherchons. Édit du 27 septembre 2017 : merci à Anaïs De Winter qui a trouvé la source : il s’agit d’une pub Thaï de 1980 pour du dentifrice à pâte noire aux herbes du groupe Twin Lotus Company)
- Le nageur Moussambani, aux Jeux Olympiques de Sydney (1996)
Ou ici en meilleure qualité :
https://sport.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/video-natation-un-athlete-ethiopien-fait-le-buzz
Dans le cas présent, il s’agit de Stéphane Caron & Eric Besnard, riant de la mauvaise technique d’un nageur équato-guinéen, en gommant la génèse du problème.
Il est conseillé de regarder cette vidéo avant, et après avoir appris qu’Eric Moussambani n’avait appris à nager que depuis huit mois, n’avait jamais nagé 100 m d’affilée de sa vie, n’avait jamais vu de piscine de 50 m, car son entraînement ayant eu lieu dans une piscine d’hôtel de 20 m, seule piscine dans son pays. Sa fédération disposant de moyens inexistants, son maillot et ses lunettes lui ont été prêtés une heure avant l’épreuve par deux athlètes.
Note : il arrive parfois que cette seule vidéo amène le public à « essentialiser » le problème, en arguant du fait que « bien sûr, les Noirs ne flottent pas très bien, paraît que c’est à cause de leur mélanine », occultant du revers de la main avec un argument non-sourcé tout ce qui fait la génèse du fait que les Noirs Africains ont peu accès aux piscines.
- Nina Simone, la chanteuse noire
Dans son autobiographie Ne me quittez pas, Nina Simone raconte :
« A cause de Porgy, on me comparait souvent à Billy Holliday, ce que je détestais. Ce n’était qu’un morceau parmi tant d’autres à mon répertoire, et il suffisait de m’entendre l’interpréter pour comprendre qu’il n’y avait aucun rapport. Ce qui me rendait furieuse, c’est que visiblement les gens s’appuyaient sur la simple constatation que nous étions toutes les deux noires : si j’avais eu la peau blanche, personne n’aurait fait le rapprochement. (…) Me qualifier de chanteuse de jazz était une manière de dédaigner mon bagage classique, parce que je ne répondais pas à l’image de l’artiste noir que se faisaient les Blancs. Une forme de racisme : « puisqu’elle est noire, c’est forcément une chanteuse de jazz ». Un point de vue qui me rabaissait, tout comme Langston Hughes quand on le qualifiait de « grand poète noir ». Langston était un grand poète, un point c’est tout ; à lui, et à lui seul, revenait le droit de dire en quoi jouait la couleur de sa peau ». (Ne me quittez pas, Presses de la renaissance, 1992, p. 107).
Discrimination raciale dans les institutions
Le racisme ordinaire naissant sur du terreau « ordinaire », il est nécessaire de passer par des témoignages réels et actuels pour montrer la discrimination non seulement dans la vie, mais dans les institutions. Voici quelques exemples :
- Injure raciale, France 3 Grenoble, 16 mars 2010
- Discrimination raciale de Jean-Marie, français d’origine béninoise à la Caisse Régionale d’Île-de-France, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011
- Discrimination d’un français d’origine maghrébine à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011
Matériel plus poussé
Il est possible ensuite d’incrémenter un peu le sujet, avec le matériel suivant, dans un ordre de complexité croissant.
- Racisme ordinaire et début d’analyse socio-économique – Daniel Balavoine chez P. Gildas, Canal + (1985)
Comment le chanteur Daniel Balavoine et le présentateur Philippe Gildas ramènent sur le plan socio-économique la question du racisme ordinaire et bousculent des effets cigogne (confusions corrélation/causalité). Date présumée du document : 6 novembre1985.
-
Moustafa Kessous, journaliste du Monde, balaye quelques cas de racisme ordinaire dans la vie de tous les jours France Inter, Zapping, 26 septembre 2009)
- Bi-standard pour le Rwanda – Clip de campagne I hate you, de Hands for hope
Attention ! Cette vidéo peut choquer un jeune public !
Ce clip introduit la différence de traitement médiatique selon la proximité du public avec le sujet qui souffre, en vertu de cette « loi » journalistique qui veut qu’un demi-mort local vaut mille morts lointains*. Il balaye aussi une représentation souvent primitiviste des « noirs qui s’entre-tuent »**, en transposant de manière plausible une scène dans un monde blanc (merci à Eric Bévillard, de l’Observatoire Zététique, de nous l’avoir transmis).
Note : ne sachant pas exactement ce qu’est l’objet social de l’association australienne Hands for hopes, j’utilise en public une version de la vidéo sans la mention de cet organisme.
- Les propos de Nicolas Sarkozy, prélevés par Désentubages cathodiques (2007)
Discours prélevés chez N. Sarkozy, avec les amalgames essentialistes suivants.
– Jeune des banlieues = pas de formation qualifiante = oisiveté = trafic
– Jeune des banlieues = non-blanc
– Musulman = faciès particulier (« ça n’a rien à voir avec la religion, quand on est musulman ça se lit sur sa figure »)
Passage incontournable : « Zinedine c’est formidable ! Mais les musulmans de France, ils sont capables aussi d’avoir des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des médecins, des professeurs et si on ne donne pas à tous ces jeunes de banlieues des exemples positifs de réussir, comment ils vont croire en la République ? »
Racines de la discrimination
Le moment est tout indiqué pour réfléchir aux racines de la discrimination, sa genèse et la manière dont elle s’installe dans un groupe.
La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).
C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille -, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…
Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus de renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.
Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.
Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (Combien êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder là (version originale également).
Il est loisible ensuite de donner une sorte de recul historique, et de cadre théorique pour « penser » les origines de ce racisme ordinaire.
- Nénuphar, chanson officielle de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris (extrait INA prélevé dans 2000 ans d’Histoire, de Patrice Gélinet sur France Inter, 19 août 2010).
- Fabrication de l’éthnicité chez les mineurs d’Afrique du Sud – Extrait d’interview du géographe Philippe Gervais-Lambony dans l’Afrique enchantée, France Inter, 17 juillet 2011 (émission « le chant des mineurs »).
- Fabrication de l’ethnicité chez les Rwandais. Le cas fut pratiquement similaire ans le Rwanda belge, dont l’ethnicité Hutu/Tutsi est une construction coloniale réinterprétant en terme raciste/ethniciste ce qui relève d’anciens clivages socio-économiques. Les cartes d’identité « ethniques », instituées par le colonisateur belge en 1931, décrètent des critères biométriques qui n’ont pas de pertinence scientifique.
- Race, chaînon manquant : la science au service de la politique – extrait du documentaire Zoos Humains, de Pascal Blanchard et Éric Deroo (2002).
Analyse de la construction de la différenciation des races. Dévoiement des concepts darwiniens, et entreprise de hiérarchisation. Le biologiste André Langaney explique comment placer le « nègre » comme chaînon manquant au XIXe, permet « d’expliquer » à rebours du même coup le rabaissement de l’esclavage et la théorie de l’évolution.
Et le narrateur explique comment en essentialisant ainsi une infériorité, on justifie ainsi une politique coloniale sans merci.
Des éléments de cette compilation ont été déroulé par Richard Monvoisin :
- Dans le midi critique « Racisme ordinaire » (14 octobre 2009, campus de Grenoble)
- Dans la formation Critique des médias, au centre pénitentiaire de Varces (octobre 2010)
- Certains de ces éléments sont utilisés dans le cours Zététique & autodéfense intellectuelle (Licences sciences, Université de Grenoble) et dans le cours Sciences et pseudosciences politiques, à Science Po, avec Clara Egger.
Vous voulez aller plus loin ? Nous vous enjoignons à lire ce monument de la littérature scientifique qu’est « La malmesure de l’Homme », de Stephen Jay Gould (1983) qui compile toutes les (pseudo-)théories ayant tenté d’accréditer scientifiquement le racisme, le sexisme et le criminalisme.
Vous voulez aller…. encore plus loin ? Vous pouvez lire une analyse critique de La malmesure de l’Homme écrite par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).
* Lire à ce propos Aubenas & Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, la Découverte (2007).
** Représentation battue en brêche entre autres dans B.Diop, O.Tobner-Biyidi, F-X. Verschave, Négrophobie, éditions Les Arènes (2005).
Richard Monvoisin