Voici le corrigé succinct de l’examen de mardi 16 décembre 2014, qui clôturait l’enseignement Zététique & Autodéfense intellectuelle de l’Université de Grenoble.
Table des matières
- Cours (5 points)
- Protocoles expérimentaux (5 points)
- Thérapie (6 points)
- Analyse de titres de presse (3 points)
- Énigme zoologique (2 points)
(Barème sur 21 points)
Cours
Quelles sont les différences fondamentales entre croire (en la gravitation, en l’évolution, en la tectonique des plaques…) et croire (en Dieu, en une volonté cosmique) et quels sont les risques à mélanger ces deux formes de croyance ?
J’attendais les éléments épistémologiques donnés au cours N°1 notamment les six suivants :
- différence structurale entre théorie et scénario ;
- caractère réfutable ou non des affirmations (critère de Popper) ;
- parcimonie des hypothèses pour le premier type de « croyance » (qu’il vaut mieux appeler « adhésion »), non pour la seconde (qu’il vaut mieux appeler « acte de foi ») ;
- empirisme de méthode et connaissances basées sur les preuves pour le premier type, nul besoin de preuves pour le second ;
- démarche rationnelle, visant à faire des énoncés prédictibles sur des sujets objectivables pour le premier, rien de cela dans le second, subjectif par essence, généralement non-rationnel et atavique ;
- enfin, l’adhésion à une théorie n’a rien de moral (on dit que la science au sens N°4 de « démarche » est amorale – cf. Dialogue sur les sciences) ; la foi, elle est moraliste, ou du moins fortement morale.
On pourra avoir quelques détails ici, ou là : le mot « croyance », la théière de Russell, le dragon de Sagan et Dryuand.
Dans mon barème, j’ai mis 1,5 points lorsque 3 éléments sur les 6 étaient présents.
Quant aux risques, j’attendais :
- brisure du matérialisme méthodologique / de la laïcité implicite du processus scientifique
- mise sur le même plan de deux structures épistémologiquement différentes
- relativisme cognitif.
1 point si deux éléments étaient donnés, 0,5 si un seul (même si les termes n’étaient pas exactement ceux-là).
Certains penseurs font l’hypothèse d’une volonté cosmique guidant l’évolution de tout l’univers depuis le début. En quoi le rasoir de Guillaume d’Occam nous est-il utile sur ce point ?
Ce point était offert en plus, à condition de bien manier le rasoir d’Occam, qui est plutôt trompeur car il ne priorise pas l’hypothèse conceptuelle la plus simple (car une volonté divine est simple à comprendre par exemple) mais l’hypothèse la moins coûteuse cognitivement (cf. Rasoir d’Occam, Métaphore de Haack). Ainsi, une volonté cosmique est conceptuellement infiniment plus coûteuse que l’hypothèse matérialiste de l’émergence de l’univers – et rompt d’ailleurs le contrat laïc en méthode du chercheur).
En quoi les deux affirmations suivantes posent-t-elles problème ?
« Comme tout dépend des yeux de l’expérimentateur, aucun énoncé n’est objectif. Donc les discours scientifiques ne sont pas différents des discours culturels : le Big Bang n’a pas plus de réalité que Atlas portant le monde sur ses épaules, ou le disque-monde porté par quatre éléphants, eux-mêmes portés par une tortue gigantesque navigant lentement dans le cosmos. La science n’est qu’une question de point de vue. Au fond, elle est une religion comme une autre, avec son propre clergé : les scientifiques. » Julian Peneck, You couldn’t die from tuberculosis before 1882, Oxvard, 2004.
Il s’agissait ici de glaner un point en pointant les immenses travers du relativisme cognitif poussé à son extrême. Pour les habitués, le titre est un clin d’oeil à un vieux texte de Bruno Latour. L’auteur, Peneck, n’existe pas : il s’agit d’une version anglaise de Julien Peccoud, mon super collègue – qui a animé avec moi le cours sur l’évolution. Même la maison d’édition n’existe pas, contraction d’Oxford et de Harvard. Quelques-un-es d’entre vous ont décelé le piège, bravo !
« Franchement, Assassin’s creed Unit, le Métronome de Lórant Deutsch, Tintin au Congo, etc. ce ne sont que des œuvres d’art. Donc ce n’est pas bien grave si leurs auteurs déforment ou ont déformé la réalité historique. De toute façon, l’histoire est subjective en soi, et il y aura autant d’histoires différentes que de gens pour les raconter ». Guillermó Manillar, Epistemológicamente sin límites, Ed. el viejo topo, 3.12.2014.
Ayant lourdement insisté sur les mésusages idéologiques de l’histoire au cours n°8, je me devais de donner un point sur ce sujet, qui est sensiblement du même ordre que le précédent (relativisme cognitif). Cette fois-ci, j’ai hispanisé mon excellent collègue Guillaume Guidon, auteur entre autres de billets percutants sur l’affaire Deutsch, en lui prêtant un texte inexistant dans une maison d’édition version espagnole de la vieille Taupe, maison connue pour ses diffusions de textes à teneur négationniste. Je n’attendais pas que quiconque relève l’imposture, bien sûr (il n’y a que Julien Peccoud qui l’a décelée, lors des relectures du sujet d’examen, en interne au CORTECS).
Protocoles expérimentaux
Un ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une femme enceinte attend une fille ou un garçon au moyen d’un pendule, qu’il fait tourner sur le ventre de la future maman. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il s’agira d’une fille, sinon, d’un garçon. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?
Il y avait 3,5 points à l’orée de cet exercice. J’attendais les points suivants.
- Test en blanc.
- Double-aveugle / triple-aveugle.
- Nombre d’essais suffisants + petit p (je n’attendais pas la méthode de calcul).
- dépassement des seuils de hasard pour valider le do.
- Randomisation des essais.
- Faisabilité technique.
Il y a avait un point bonus pour cell-eux qui préciseraient les problèmes d’échantillonnage des femmes enceintes : le sex-ratio (je n’en ai pas parlé en cours) et l’intersexuation (j’en ai parlé dans le dernier cours). Quatre étudiant-es m’ont indiqué l’intersexuation. L’invisibilité des intersexes étant criante, je les remercie ici : Thomas Cordet (Biologie), Marine Haurillon (Histoire), Pascaline Milliat (Sociologie) et Julien Pevet (Histoire).
Un (autre) ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une maison est habitée par un revenant (esprit d’un défunt mort dans cette maison) ou non, au moyen d’un pendule qu’il fait tourner sur la photographie de la maison. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il y a un revenant. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?
Cette affirmation est intestable sans caractérisation d’un revenant. On gagnait 1,5 point en refusant de répondre à cette question (ou en présumant qu’il y ait eu une caractérisation objectivable de la présence d’un revenant).
Thérapie
Lors d’un repas, un proche de la famille vous raconte l’affaire suivante : « alors que chaque hiver, je suis sujet à des grippes, cette année j’ai suivi les conseils de mon pharmacien, et j’ai pris de l’homéopathie, en l’occurrence Oscillococcinum®. Et figure-toi que je n’ai pas été malade ! C’est fou, non ? Ma cousine, pareil. Pas un rhume, rien ! Alors on peut dire ce qu’on veut, ça marche. Et pour ceux pour qui ça ne marche pas, au moins ça ne leur fait pas de mal. De toute façon, c’est toujours mieux que de prendre des antibiotiques. »
Quelle analyse zététique faites-vous de ses propos ?
J’attendais, parmi maints autres détails, les éléments qui suivent :
-
Confusion grippe / rhume
-
Pas d’échantillonnage des épisodes de maladie et évaluation subjective
-
Biais de confirmation d’hypothèse
- Généralisation hâtive
- Post hoc ergo propter hoc ou effet atchoum
-
« ça marche » sans évaluation statistique
-
« ça marche » sans double-aveugle
-
Argument « au moins ça ne fait pas de mal »
-
Faux dilemme sur les antiobiotiques (qui d’ailleurs ne fonctionnent qu’en cas d’affection bactérienne, donc pas dans les cas de rhume ou de grippe, viraux)
- Effet blouse blanche
Beaucoup m’ont détaillé le cours sur la « théorie » homéopathique, ce qui n’était pas nécessaire ici.
Analyse de titres de presse
Quelles critiques peut-on faire aux titres de presse suivants ?
Y a-t-il une malédiction africaine ? par Dov Zerah, Financial Afrik, 29 septembre 2014
Il y avait un point si les trois éléments (vus en cours) suivants étaient présents (0,33 par élément) :
- Deus ex machina – recherche d’une hypothèse ad hoc panglossienne, qui plus est spiritualiste ; désyncrétisation du processus qui amène au drame (non précisé d’ailleurs dans le titre)
- Afrique perçue comme un bloc, comme un tout (racisme ordinaire)
- point d’interrogation cache-sexe.
L’Occident ne tiendra-t-il donc pas le choc des civilisations ?, par Franz-Olivier Biesgert, Le Point, 29 novembre 2014
Il y avait un point si les trois éléments suivants (vus en cours) étaient présents (0,33 par élément) :
- Occident pseudoconcept sans définition
- Choc des civilisations concept oiseux faussement clair et vraiment manichéen, emprunté à Samuel Huntington.
- Titre trafiqué pour
- faire une interro-négation
- introduire un plurium interrogationum (car ce titre a été inventé : certain-es ont repéré d’ailleurs le petit jeu sur Franz-Olivier Giesbert, et non Biesgert.
Jeunes partant faire terroristes en Syrie : faut-il les punir ou les enfermer ?, par Garla Gregger, Das ArX-Lor, 2 décembre 2014
Il y avait un point si les trois éléments (vus en cours) suivants étaient présents (0,33 par élément) :
- Terroriste pseudoconcept + Effet impact
- Faux dilemme (+ point d’interrogation)
- Pas d’analyse des racines du phénomène : désyncrétisation les origines du phénomène.
On remarquera l’hilarant emprunt du nom de ma collègue Carla Egger, spécialiste de sciences politiques, pour l’exercice (et l’invention d’une sombre revue).
Énigme zoologique
À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs de l’allèle d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de cet allèle de gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Quelle explication donnez-vous à cette situation ?
Il s’agissait bien sûr voir si le cours de Julien Peccoud et moi-même avait été bien assimilé, en faisant réinvestir une lecture darwinienne, et non lamarkienne du processus. Une innovation ne se propage que si son propriétaire en tire un bénéfice en terme de reproduction. Pour le coup, devant la pression de braconnage, le fait de ne pas avoir de défenses est un avantage, puisque l’individu ne sera pas chassé… et pourra donc reproduire son innovation dans sa descendance, qui sera plus fournie (hélas) que celle des éléphants à défenses. Je dois cet exemple à l’excellente étude de Gérald Bronner La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements, de la Revue française de sociologie, que je mets en lien ici.
Au semestre prochain !
Richard Monvoisin