C’était la première année qu’un tel examen sur table était proposé, contraint en cela par le nombre de personnes à évaluer (entre 300 et 350 chaque semestre). Alors qu’auparavant, des dossiers d’enquête scientifique étaient attendus, j’ai voulu voir si 350 copies étaient moins lourdes que 80 dossiers. Fatale erreur ! Non seulement c’est très pénible (35 heures de correction environ, avec pause obligatoire toutes les 10-12 copies sous peine de massacrer la dernière), mais en outre c’était sans compter le fait que j’avais, pour atténuer l’évaluation normative, proposé à qui souhaitait de rendre un dossier… Au final, j’avais mes centaines de copies, auxquelles se sont greffées une quinzaine de dossiers et… des étudiant-es non inscrit-es venu-e-s passer l’examen pour le fun (que j’ai évidemment corrigées). En conclusion, je me conforte dans l’idée que l’évaluation normative telle qu’elle est pratiquée devrait être abolie – hélas c’est difficile de faire entendre ça à l’université.
L’énoncé est disponible ici. Voici le corrigé-type. (total sur 21 points)
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Cours (5 points)
Question 1 (3 points)
Igor et Grishka Bogdanoff affirment que les lois de notre univers sont trop précises pour être apparues par hasard ou par accident. Par conséquent, l’univers doit avoir été créé par un être intelligent, pourquoi pas Dieu. Avons-nous affaire à une théorie scientifique ? Justifiez votre réponse.
Cette question était facile, car l’Intelligent design (dans sa version fine-tuning ici) a été traité à deux moments du cours. J’attendais :
- raisonnement panglossien
- irréfutabilité au sens de Popper
- et entité surnuméraire au coût démesuré ne souscrivant pas à la parcimonie du rasoir d’Occam
- éventuellement en plus une réflexion sur le hasard peu probable mais possible
- (et pour les plus acharné-es, introduire les principes anthropiques forts et faibles)
Question 2 (2 points)
2) Quel est l’intérêt pédagogique et intellectuel du Monstre en spaghetti volant (Flying spaghetti Monster) ?
À l’instar de la théière de Russell, de la licorne invisible et rose ou du Dragon de Sagan et Druyand, le Monstre est utile pour les points suivants :
- incontradictibilité, comme les autres dieux ;
- la non-impossibilité n’est pas un argument d’existence ;
- la charge de la preuve incombe à celui qui prétend (onus probandi) ;
- les critiques exercées sur le monstre se retourne sur les autres croyances, qui elles aussi sont posées sans preuve et prônent l’acte de foi ;
- contre-balance les revendications créationnistes ou intelligent design dans les contenus d’enseignement (si vous introduisez un argument téléologique dans l’enseignement, pourquoi pas celui du monstre ?)
Thérapie (6 points)
Question 1 (3 points)
Le naturopathe autrichien Rudolf Breuss a développé dans les années 80 une cure contre le cancer appelée cure Breuss. Son principe est le suivant : faire « mourir le cancer de faim », en de donnant au malade que des jus de légumes (et un peu de tisane) pendant 42 jours. Dans son livre Krebs. Leukämie und andere scheinbar unheilbare Krankheiten, il affirme :
– qu’il s’agit d’une guérison naturelle,
– que 100 % des gens qui l’utilisent sont satisfaits.
Quelles critiques pouvez-vous faire de ces deux affirmations ?
J’attendais la critique de la notion de « naturel » (voir à cette fin les travaux pédagogiques de G. Reviron et D. Caroti, ici) – sachant que même une tisane n’est pas « naturelle » puisque c’est une décoction artificielle. On pouvait pointer le discours latent « naturel / plantes / spiritualités vs. artificiel / médicaments / médecine scientifique ».
Le second point nécessitait une critique du mot « satisfait » (non équivalent à « guéri »), ainsi qu’une réflexion sur les probabilités inversées et le biais d’attrition ou « perdus de vue ».
Question 2 (3 points)
Un de vos amis vous dit ceci : « C’est fou, je me suis brûlé la main avec une casserole d’eau bouillante, j’ai téléphoné à un barreur de feu et hop ! Non seulement la douleur est partie rapidement, mais en outre je n’ai pas eu de cicatrice. C’est incroyable, mais les barreurs de feu, ça marche ».
Votre ami a-t-il raison ? Justifiez votre réponse.
Le mécanisme avait été expliqué en cours, mais même en ratant cet enseignement, on pouvait pointer suffisamment de biais classiques (effet cigogne douleur / gravité + Post hoc ergo propter hoc + tri sélectif des données + « ça marche » généralisé hâtivement + hypothèse du don par téléphone peu parcimonieuse au sens du rasoir d’Occam). Avec finesse, on pouvait indiquer que l’ami a probablement tort, mais que pour en être certain, un protocole était nécessaire.
Protocoles expérimentaux (5 points)
Question (1,5 points)
Un monsieur vous dit que chaque fois qu’il est seul, des esprits de défunts lui parlent dans sa tête. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour vérifier l’affirmation de ce monsieur ?
Ayant fait une question intestable de ce type au semestre dernier, l’effet de surprise n’a pas été le même, et beaucoup d’étudiant-es ont répondu « il est impossible de répondre à cette question« , ou « Mu » (que j’ai accepté mais ce qui n’est pas exactement adapté, Mu pointant un plurium affirmatum : « On ne peut correctement répondre à votre question car elle se fonde sur des présuppositions erronées ».). Cependant, certain-es m’ont pris à la lettre, et ont proposé de tester « des esprits de défunts s’expriment-ils dans sa tête quand le monsieur est seul ou en présence d’un sujet, présence randomisée ? » Cela ne teste pas l’affirmation complète, mais un petit bout, et c’est élégant, et j’ai compté quelques points tout de même.
Question 2 (3,5 points)
Une dame vous dit être capable, avec sa baguette de sourcier, de deviner où il y a de l’eau sur n’importe quel terrain. Il lui suffit de se promener, et la baguette lui indique l’endroit. « Selon les mouvements de la baguette, je peux même donner la profondeur ». Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour vérifier la capacité de la dame ?
Nombre d’étudiant-es m’ont recraché le cours, sans donner la faisabilité de ce qu’ils proposaient. Rarement a été proposé concrètement une solution pratique type estrade avec tuyauterie et écoulement randomisée. Est fréquemment oublié le traitement statistique des résultats : même si je ne demandais pas le calcul, il faut préciser la prétention, la p-value, le mode de rejet ou d’inclusion des données, qui sont primordiaux pour ce genre d’expérience.
Analyse de titres de presse (5 points)
Quelles critiques peut-on faire aux titres de presse suivants ?
Le sort s’acharne-t-il encore sur le Népal ?, Ismaël Karakawiwo’ole, Rainbow Press, 1er mai 2015
- « Sort », notion téléologique sans fondement, venant se substituer à l’aléa des phénomènes naturels.
- « encore », plurium affirmatum, sous-entendant qu’il s’est déjà acharné.
- « acharné » : mot à effet impact
Bien sûr je ne demandais pas de voir que l’auteur est un mixte entre mon collègue Ismaël Benslimane et Israël Kamakawiwo’ole, interprète hawaïen connu sous le sobriquet de IZ, célèbre pour sa version de la chanson de Arlen et Stothart « Over the rainbow ».
Hypnose : science ou arnaque ?, Alain Guillebot, Sciences & Avenir, mars 2015
- Structure en faux dilemme, carpaccio dual ou de combat.
- Opposition science et arnaque injustifiée – compétitive, mais non contradictoire.
- « ? » qui permet au journaliste de ne pas se mouiller.
Alain Guillebot lui non plus n’existe pas: son nom est un semi-anagramme de mon collègue Albin Guillaud.
Les grévistes de la RATP prennent encore en otage les parisiens, Mrkev Denisova, DNES, 14 février 2015
- « Prise d’otage » effet impact maximal et partisan
- Désyncrétisation de l’information (rien sur les causes)
- « les » grévistes opposés aux « parisiens », alors que les deux sous-ensembles sont fortement mêlés.
- On pouvait aussi pointer que l’affirmation du journaliste est une sorte d’Homme de paille.
Si DNES (« aujourd’hui ») est une réelle revue tchèque, l’auteure n’existe pas. Mrkev en tchèque signifiant carotte, on a une pensée émue pour Denis Caroti.
On pense avoir trouvé le gène de la violence, Lucas Bécou, Périgord sciences, décembre 2014
- « on pense » mots fouines vidant la phrase de sa substance.
- « gène de… » carotte, marronnier de la vulgarisation scientifique des années 2000.
- plurium affirmatum : on présuppose que ce gène existe, ne reste qu’à le trouver.
- Un gène n’est pas responsable d’un comportement spécifique, encore faut-il que le contexte se prête à son expression.
- « Violence » : terme « puits ».
- Carpaccio « appel à l’espoir ».
Périgord science n’existe bien sûr pas, mais appuyait le lamentable jeu de mot avec Cabecou, clin d’œil lointain à mon collègue intervenu en cours Julien Peccoud. Un étudiant a indiqué sur sa copie « Périgord science nous prend pour des truffes ».
Les femmes sont sensibles, c’est leur nature, Virgolette Virrone, Freudismeonline.com, mars 2015
- « les » femmes, généralisation abusive
- ndistinction sexe / genre, sans parler des intersexuations (abordées en cours)
- argument essentialiste très coûteux au sens du rasoir d’Occam, alors que la construction du genre l’est bien moins.
Virronne est un anagramme de Reviron, virgolette le terme italien pour guillemet : encore un lamentable clin d’œil à ma collègue Guillemette Reviron. Quant a freudismeonline.com, il n’existe pas, mais il permettait à ceux qui le souhaitaient de faire référence au sexisme latent de la théorie freudienne. Anecdote : alors que je voulais parler de freudisme, certain-es étudiant-es y ont lu « Freud is me ».
Richard Monvoisin