L’effet Paillasson consiste à désigner une chose ou un objet par un mot qui se rapporte à autre chose.
Pour les puristes : il recouvre en linguistique la notion de métonymie, figure de rhétorique dans laquelle un concept est dénommé au moyen d’un terme désignant un autre concept, lequel entretient avec le premier une relation d’équivalence ou de contiguïté (la cause pour l’effet, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.). Mais il est évidemment plus facile de retenir l’expression « effet paillasson » que métonymie, hypallage, métalepse, synecdoque, etc.
Pourquoi paillasson ? L’expression vient de Henri Broch, partant du grand nombre de paillasson portant l’inscription « essuyez vos pieds ». « Pourtant, dit-il, personne n’a jamais enlevé ses chaussures et ses chaussettes pour s’exécuter ! » |
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Effet paillasson (crédit François-b) |
L’effet paillasson est très répandu dans la vie quotidienne. Exemple : Boire un verre au lieu du vin contenu dans le verre, lire un Zola au lieu d’un livre de Zola, Recevoir des lauriers, pour la gloire, ne pas avoir de toit, pour la maison, croiser le fer, pour l’épée, etc.
Il permet de tirer des implications sans aucune commune mesure avec celles que l’on serait en droit de tirer ; cet effet est assez répandu dans la vie de tous les jours et c’est ce qui le rend si opérant.
Repérer un effet paillasson est un réflexe d’esprit critique particulièrement efficace dans les domaines scientifiques, où les mots ont un sens, une acception bien précise. Il évite de se laisser piéger par un discours où un mot est utilisé dans un autre sens, ou lors duquel plusieurs sens d’un terme se chevauchent et que rien dans le contexte ne permet d’indiquer quelle acception est utilisée dans le contexte en question.
Risque : acceptation a priori de l’hypothèse
Faire accepter comme acquise l’hypothèse que l’on entend prouver (voir Tautologie – effet cerceau ou sophisme de la pétition de principe).
Exemples :
- La fiole de « sang » de saint Janvier conservée à Naples et qui se liquéfie « miraculeusement » une fois par an: Il est présenté comme tel (parfois sans guillemets) alors que rien ne vient étayer l’hypothèse d’un sang, qui plus est humain (voir Laboratoire de Zététique Université de Nice-Sophia Antipolis).
- Le « suaire » ou « saint suaire » de Turin : qui est plus que vraisemblablement une étoffe de lin de la fin du 14ème siècle et qui n’est un suaire (à plus forte raison saint, et à plus forte raison celui du Christ) que dans l’esprit de certains catéchumènes sindonologues (voir Laboratoire de Zététique Université de Nice-Sophia Antipolis).
- Le « monstre » du Loch Ness : de nombreux titres de presse jouent sur connotation / dénotation du terme monstre. Alors que le fameux Nessie « le monstre du Loch Ness », n’est, au-delà de tout doute raisonnable, qu’une vue de l’esprit doublée d’une manœuvre commerciale (Moller 1994, Ellis 2000).
- « Avant J.C. » : le meilleur exemple reste sans conteste notre méthode d’ordonnancement historique, prenant sa source à la naissance de Jésus Christ. Sachant que sa date de naissance se situe probablement entre -6 et 4 de l’ère chrétienne, et que l’existence historique elle-même de Jésus est encore discutée, il y a de quoi rester dubitatif sur la graduation d’une échelle scientifique à partir d’un pseudo-événement probable (En tout état de cause, nous pouvons légitimement, dans le cadre d’un enseignement laïque, choisir de dater non plus par rapport à JC mais par rapport à EC, Ère Chrétienne, ou mieux encore, Ère commune, datée arbitrairement en 0 et qui, elle, a existé et persiste.)
Risque : dissimuler des fraudes ou des escroqueries.
En jouant sur des énoncés ou les affirmations ambigus, on peut connoter des choses radicalement différentes.
Exemples :
- Un médium, venu au laboratoire de zététique de Nice tester une transmission de pensée, utilisa à titre promotionnel la phrase « testé au Laboratoire de zététique » sans spécifier que le test avait échoué.
- Technique publicitaire de nombreux compléments alimentaires ou produits esthétique portant la mention « testé scientifiquement » dissimulant des résultats peu concluants, voire nuls.
Risque : rehausser une information médiocre.
Obtenir du lecteur / spectateur / public un assentiment plus élevé que ce que la qualité du sujet présenté laissait présumer : on parlera alors de manipulation de l’information
Exemples :
« la Bible contre Darwin » : |
- Il ne s’agit pas de la bible, mais de l’enseignement dans les écoles publiques américaines du scénario téléologique de certains lecteurs de la Bible.
- Il ne s’agit pas de Darwin, mais de l’enseignement de la théorie néo-darwinienne dans les écoles publiques américaines.
On utilise ici un effet paillasson pour scénariser le contenu et crée un effet impact sur le titre.
- Voir également l’Effet paillasson – En route vers l’infiniment moyen… et au-delà !, par Richard Taillet (septembre 2013)
Risque : dévoyer des connaissances.
Entrainer, même involontairement, une mauvaise compréhension d’un champ de connaissance, ou l’entraîner vers des interprétations paranormales, spiritualistes, mystiques ou idéologiques.
Exemples :
- La confusion énergie/puissance/force, ou l’utilisation de termes comme équilibre, magnétisme, méridiens, etc., en butte avec les acceptions populaires de ces termes, leur ambigüité. Voir les TP et exercices du CorteX sur ce principe.
- Le concept galvaudé de relativité pour affirmer que « tout est relatif ». Voir Interview de J. Bricmont sur le relativisme cognitif.
- la physique quantique à toutes les sauces. Voir Interview de J. Bricmont sur la physique quantique et ouvrage Quantox de R. Monvoisin.
- à propos de la guerre au Nord-Mali :
« Il faut aussi « habiller l’intervention et ne pas avoir l’air de ressusciter la Françafrique », selon la formule d’un diplomate. Il est donc interdit aux ministres de parler de « combattants islamistes ». Il faut les qualifier de « terroristes ». Lors de sa première conférence de presse, Fabius en fera même des tonnes, qualifiant les adversaires de la France de « terroristes et criminels ». à six reprises, pour faire bon poids. »
(Claude Angéli, L’état-major a convaincu Hollande d’ouvrir le feu, Le canard enchaîné 16 janvier 2013)
Ces équivoques possibles, engendrées par les différentes acceptations d’un même terme, peuvent confondre : acception scientifique / acception commune ; acception sens historique / sens actuel ; acception sens scientifique / sens pseudo-scientifique ; acception sens scientifique / sens métaphorique non maîtrisé.
Pour approfondir:
- Thèse R. Monvoisin : Pour une didactique de l’esprit critique (Effet Paillasson, p140 et Fiche pédagogique n°16, p395).
- Fiche sur les effets et facettes de la zététique du Laboratoire de zététique de Nice-Sophia Antipolis.
Richard Monvoisin