Aurélien Barrau est astrophysicien à Grenoble. Pédagogue réputé, il a une manière inimitable d’instiller un mélange d’esprit critique, de science et de poésie. Il a essayé de nous faire croire qu’il était relativiste sur le plan philosophique, mais il ne l’est que pour stimuler et questionner des dogmes. La preuve, il fourbit du matériel critique ce mois de février 2012 dans Le Monde Diplomatique, en politisant la question des origines de l’univers, critiquant la nasse libérale dans laquelle la technoscience actuelle engonce la recherche de la connaissance.
Et bel effet kiss cool ! Aurélien m’explique que le titre, le sous-titre et premier paragraphe tape-à-l’oeil sur le Boson de Higgs / particule de Dieu [1]… ne sont pas de lui ! Nous avons donc en outre une petite leçon de journalisme pour le même prix.
Par respect pour les revues et journaux qui ne vivent que de leurs ventes, je ne reproduis ci-dessous que ce que le journal propose en lecture sur son site, avec en vert la partie qui n’est pas de la main d’Aurélien (et en note 3 pourquoi ce n’est pas un détail anodin).
Pour les plus impatients, voici un extrait [2] pris sur France Inter le 3 février dernier, lors de l’émission Là-bas si j’y suis consacrée au Monde Diplomatique.
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Monde Diplomatique,février 2012 La cosmologie, science de l’Univers, discipline rebelle Trois hypothèses pour un Big BangA l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, à Genève, les chercheurs traquent la fameuse « particule-Dieu », comme l’appelle le Prix Nobel Leon Lederman. Le boson de Higgs, du nom du physicien Peter Higgs, pourrait permettre d’expliquer les propriétés du cosmos. La quête de l’infiniment petit transformerait alors la physique pour nous éclairer sur la naissance de l’Univers… Off – Aurélien Barrau : « [Le] titre et l’introduction, je les ai découverts après publication. Autant le titre est sympa et adapté (y compris le sous-titre), autant l’introduction n’a à mon avis aucun sens. Le mécanisme de Higgs qui est ici évoqué n’a aucun lien avec le contenu de l’article et je condamne le terme « particule-dieu » qui me semble insensé.« Science de l’Univers dans son ensemble, tentant de le décrire depuis son instant initial jusqu’à son éventuel instant final, la cosmologie est une discipline singulière. L’expérience « création de l’Univers » n’est évidemment pas reproductible, ce qui rend impraticable la démarche usuelle d’inférence et de vérification par l’observation réitérée de processus similaires. De plus, l’observateur fait partie du système qu’il entend décrire, ce qui est incompatible avec la distance nécessaire pour une observation neutre et objective. Enfin, les « conditions initiales », c’est-à-dire l’état du système à partir duquel l’évolution est calculée, sont très mystérieuses puisqu’il n’existe, par définition, ni antériorité ni extériorité au « système-univers ». Sans compter que les énergies en jeu dans les premiers instants de l’histoire du cosmos sont sans rapport avec ce qui a été testé sur Terre et que, à l’inverse de la démarche habituelle, c’est l’état « final » de l’objet d’étude qui est connu — et son état initial qui est recherché. Pourtant, en dépit de ces difficultés (et en partie grâce à elles), la cosmologie est devenue une science, et même une science de précision. Le modèle standard du Big Bang, c’est-à-dire un univers en expansion depuis près de quatorze milliards d’années, est aujourd’hui convaincant, car étayé par de solides éléments. Sur le plan observationnel, l’idée d’un univers en expansion s’est imposée au milieu du XXe siècle pour plusieurs excellentes raisons. Les galaxies s’éloignent les unes des autres, l’abondance des éléments chimiques dans l’Univers est en accord avec les prédictions de la physique nucléaire dans un scénario de type Big Bang, et le contenu du cosmos évolue manifestement avec le temps, ce qui serait difficilement explicable si celui-ci était statique et éternel. Enfin, le rayonnement fossile, véritable première lumière de l’Univers, se comporte exactement comme attendu. Ce fond diffus de photons, rayonnement en provenance de toutes les directions du ciel, découvert en 1965 et actuellement scruté avec une précision inégalée par (…) |
Richard Monvoisin
[1] Sur cette vulgarisation « pop » et insensée de particule de Dieu, on pourra lire la fiche pédagogique « Scénario du Graal et de la recherche scientifique de Dieu » (à venir)
[2] Brin de critique : ranger Freud, que l’on sait désormais faussaire, vénal, pseudoscientifique et politiquement conservateur, à côté de méthodistes comme Copernic ou Darwin, fait sourire. C’est une image d’Épinal des soi-disantes trois grandes blessures narcissiques de l’Humain : viré du centre de l’univers, de la création, et agi par un « inconscient ». A qui doit-on cette association entre les trois personnages ? … A Freud lui-même. Pour en savoir plus, Darwin, Freud et l’évolution, par Pascal Picq, 2010.
[3] Courriel à la rédaction, le 12 février 2012.Bonjour,
il est permis de douter que l’introduction, premier paragraphe de l’article d’Aurélien Barrau, soit de sa plume. Il serait très étonnant qu’un astrophysicien de son niveau, qui critique dans ses enseignements l’idiotie du concept de « particule de Dieu » qui ne fait florès que chez les mauvais vulgarisateurs, les vendeurs de livres et les Bogdanoff, écrive quelque-chose de semblable. Ce n’est pas un sujet anodin : la « particule de Dieu » est fort appréciée des concordistes religion-science, qui tentent tout ce qu’ils peuvent pour lezarder le contrat laïc de la science ; elle est plébiscitée aussi comme poudre aux yeux pour justifier les grands investissements extraordinairement coûteux (CERN, etc.). Toute proportion gardée, le boson de Higgs est aux projets d’accélérateurs ce que la course à la Lune était à l’armement. Un joli alibi. Quant au Nobel Lederman, il justifie l’une des raisons du pourquoi de ce terme : « L’éditeur ne nous aurait pas laissé l’appeler la « p… de particule », bien que cela soit probablement un titre plus approprié ».
Deux scénarios s’offrent à nous : soit A. Barrau a été pris d’un malaise soudain en écrivant cette introduction ; soit elle lui a été imposée par quelqu’un qui ne maîtrise pas l’astrophysique, et qui y a vu une accroche facile. En vertu du puissant rasoir d’Occam, nous élaguons les hypothèses en ne conservant que la moins coûteuse. Ce qui mène à la deuxième question, qu’il est douloureux de poser à un journal qu’on lit depuis longtemps et dans lequel nous avons une grande confiance : dans quelle mesure votre rédaction est-elle prête à instiller des poncifs (qui plus est théologiques) pour s’assurer un lectorat ? Dites-nous par pitié que c’est dans une toute petite mesure. Votre journal n’a absolument pas besoin de ça pour nous captiver.
Bien à vous
Richard Monvoisin
Et le journal a diffusé la partie centrale du courrier dans le numéro de mars 2012.