Histoire – Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ?

Très instructives sont les oeuvres de fiction dans leur manière de traiter ou de maltraiter la connaissance scientifique. Nous sommes plutôt coutumiers de films ou de séries qui traitent de physique ou de chimie, mais l’OVNI historique qu’a représenté le Métronome de Lorant Deutsch mérite un regard critique appuyé. Dans sa propension à proposer une interprétation dévoyée de l’histoire, l’analyse du Métronome rejoint les critiques du Comité de Vigilance sur les Usages de l’Histoire, que nous faisons nôtre. Nous n’avons pas les compétences pour décortiquer scientifiquement le Métronome, mais en attendant une déconstruction analytique, nous souhaitons placer en contre-point de l’immense couverture médiatique du livre puis des documentaires cette critique lancé par l’élu Alexis Corbière, sur un plan historico-politique.

Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ? 

(…) Il est temps que sur ce blog je m’exprime clairement à propos du volumineux et inattendu « buzz » qui est né en fin de semaine, depuis que la nouvelle s’est répandue que j’allais proposer un vœu au Conseil de Paris de demain et après-demain à propos du livre de Lorant Deutsch, le « Métronome ». Par naïveté, je pensais que l’écho médiatique de nos batailles sociales pour les parisiens, et notamment notre opposition à la volonté de la majorité socialiste que désormais les personnes âgées payent la carte Emeraude (qui leur donnait droit à la gratuité des transports), serait plus important que ma volonté d’ouvrir un débat sur le contenu de cet ouvrage. J’ai eu tort. Mais du coup, j’étais parti en province quelques jours et dans l’incapacité d’écrire sur ce blog pour apporter quelques précisions. De nombreux journalistes m’ont appelé et c’est au téléphone que j’ai pu m’exprimer pour préciser mon propos. C’est avec amusement que j’ai découvert par la suite les titres de ces différents articles. Ils sont révélateurs. En voici quelques uns, en vrac : « Lorant Deutsch attaqué par les élus communistes » (ça, c’est le Figaro qui ne connaît pas le Front de Gauche et le PG manifestement). Pour un autre : « Les élus PCF-PG réclament la tête de Lorant Deutsch » (Bigre, ça sent la guillotine et le sang… ! ). Pour un autre encore nommé Médiatterranée : « L’auteur du Métronome dans le collimateur des élus communistes » (Ils ne connaissent toujours pas le Front de Gauche ? Et pourquoi ce mot de collimateur qui sous-entend que je souhaite abattre un homme ?). Etc.. Et puis, il y a aussi l’extrême droite qui se déchaîne. Sur des sites de Fédérations FN, on affirme à mon sujet « La Gôche n’aime pas l’histoire » et l’on défend Lorant Deutsch. Selon des sites d’extrême droite, déjà connus pour m’insulter et me calomnier sur ma vie privée, je ferai preuve d’un « Totalitarisme de gauche » en osant m’en prendre à M. Deutsch. Enfin, « Jeune Nation », le site du groupuscule de l’ultra droite antisémite, affirme : « Lorant Deustch et son Métronome donnent de l’urticaire à la gauche maçonnique parisienne » et se moque de notre initiative en termes abjects. J’arrête, la liste est encore longue.CorteX_vignette_Metronome

Je m’amuse et m’indigne à la fois de cette façon de prendre le débat. Il faut donc remettre à l’endroit ce qui semble à l’envers dans l’esprit de certains. Je ne demande pas l’interdiction du Métronome de Lorant Deustch. Ce serait ridicule, je serais de plus un bien mauvais censeur, ce livre est vendu depuis deux ans avec le succès que l’on sait. Non, non, et non, je ne réclame aucune censure. C’est même l’inverse. Je refuse par contre que l’espace public et médiatique soit saturé d’une certaine façon de raconter l’histoire qui donne la part belle aux monarques et affaiblit la laïcité. Je veux défendre la liberté de conscience et la démocratie en demandant que ce ne soit pas seulement les ouvrages mâtinés d’obscurantisme qui dominent le haut du pavé. Je veux que l’école publique laïque et républicaine ne soit pas le lieu dans lequel se transmettent les légendes portées depuis des siècles par l’Eglise catholique. Est-ce trop ? Est-ce possible de faire entendre ma voix ? M. Deutsch et son éditeur disposent d’une puissance de feu médiatique 10 000 fois supérieure à la mienne et l’on me montre du doigt en me dépeignant comme une brute épaisse car j’oserais critiquer le contenu de ce livre ? Prenons garde. Si des gens comme moi ne peuvent se faire entendre, ou sont systématiquement ridiculisés, c’est là que résidera la nouvelle censure. Place aux marchands de produits à connotation historique, de préférence portés par un comédien ou un présentateur TV,  et silence du côté de ceux qui veulent défendre une histoire basée sur des faits historiques réels et prenant en compte l’existence du peuple, et ses aspirations, et non seulement de quelques « héros » et monarques glorifiés à longueur de pages. Car le paradoxe de la situation est le suivant : nous vivons désormais dans une société marchande et médiatique où il n’est plus besoin d’interdire un livre pour qu’il soit censuré, c’est de façon plus sournoise que les choses se déroulent. Il suffit d’ultra médiatiser certains ouvrages et de taire l’existence d’autres pour que l’affaire soit réglée.  C’est là le cœur du problème. C’est là le sens de mon vœu déposé au Conseil de Paris et qui va être débattu sans doute mardi après midi.

En voici l’essentiel du contenu. Rappel des faits. En 2009, le comédien Lorant Deutsch a publié un livre « Métronome » proposant une histoire de Paris construite au gré de promenades suivant des stations du métro parisien. Cet ouvrage a rencontré un vif succès a été vendu à près de 2 millions d’exemplaires. Pour moi, cela traduit une volonté, tout à fait positive, de la part de beaucoup de personnes, et évidemment de parisiens, de mieux connaître l’histoire de notre ville.

En plus de son succès commercial, cet ouvrage a immédiatement bénéficié d’une forte promotion médiatique, d’un soutien de la part du service public qui a financé la production de quatre épisodes diffusés à la télévision (France 5) qui reprennent son contenu historique, animé et présenté par son auteur M. Lorant Deutsch. Ce dernier a même été invité dans des écoles parisiennes, où en présence des représentants du Rectorat et d’élus de la Ville de Paris, il a proposé des conférences basées sur ses travaux, à de jeunes élèves d’écoles élémentaires. Le 4 juin 2010, le Maire de Paris a remis la médaille Vermeil de la Ville de Paris à M. Deutsch pour lui assurer « la gratitude, l’admiration et les encouragements » de la Ville. A cette occasion, le Maire de Paris a qualifié son livre de « remarquable récit » et a assuré à M. Deutsch que « cette ville vous doit beaucoup ».

On ne peut rester indifférent à cette situation. La façon dont se transmet l’histoire de notre ville n’est pas une question secondaire. Elle a nécessairement des conséquences sur la perception qu’en ont et auront nos concitoyens . Il y a ici un problème majeur. Le Conseil de Paris doit savoir que l’ouvrage de M. Deutsch contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques flagrantes qui ont choqué beaucoup d’historiens spécialistes de l’histoire de notre Ville. Il propose en réalité une vision orientée, répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie notamment des convictions religieuses de l’auteur, bien particulière de notre histoire commune. L’auteur, au cours d’un entretien a d’ailleurs affirmé : « L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique ». Ainsi, il ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie (cf. l’émission On n’est pas couché). Les révolutionnaires de l’an II sont systématiquement montrés comme destructeurs et méprisables. Il invente par exemple une scène où Maximilien Robespierre couperait des poils de la barbe du cadavre d’Henri IV. Cette scène imaginaire vise à moquer une des principales figures du jacobinisme. Il assure dans son épisode 1 diffusé sur France 5, sans recul, que si Biscornet, le serrurier et ferronnier du portail de Notre Dame de Paris a pu réaliser dans les délais demandés son œuvre : « sans aide surnaturelle, c’est impossible.. alors Biscornet signe un pacte avec la diable qui permet de l’aider en temps voulu, contre son âme.. ». Est-ce bien raisonnable de présenter les choses ainsi, dans des conditions où les parents pensent que leurs enfants peuvent se cultiver en regardant ces épisodes (et les choses sont écrites de façon quasi identique dans le bouquin ) ?  Et le livre est rempli d’exemples comparables. Il consacre généralement plusieurs pages à des légendes pures et simples (notamment celle de saint Denis, saint Marcel ou saint Martin relatées comme des faits quasi réels) mais oublie ou minimise des moments importants de l’histoire de Paris (la Commune de 1871, l’occupation, etc…).

Selon moi, le Conseil de Paris ne saurait cautionner sans commentaire ni mise en garde, une telle vision de notre histoire commune. Bien sûr, l’histoire appartient à tous et chacun peut écrire et publier ce qu’il veut. Mais, il convient notamment de préciser aux lecteurs et aux amoureux de Paris que l’ouvrage de M. Deutsch et son adaptation télévisée,  ne sont pas des outils pédagogiques qui peuvent être utilisés, sans recul ni critique, dans nos écoles. Actuellement, le site de la Ville de Paris fait encore la promotion de cet ouvrage apportant là une « caution » particulièrement valorisante.

C’est pourquoi, je demande :
–          que cesse la promotion acritique de la part de la Ville de Paris (sur son site, dans les écoles parisiennes, etc…) de l’ouvrage de M. Lorant Deutsch

–          que les associations d’historiens faisant la promotion d’une éducation populaire de l’histoire de la Ville de Paris soient sollicitées pour promouvoir une histoire de Paris conforme à la réalité historique

–          qu’un débat public soit proposé et organisé entre M. Lorant Deutsch et des historiens sur l’histoire de Paris

–          que des outils pédagogiques « grand public » (DVD, brochure…) proposant une découverte de notre capitale soient encouragés et réalisés avec l’aide de la Ville de Paris.

Voilà donc, ce que je demande au Conseil de Paris. J’ignore encore les conditions dans lesquelles tout ceci sera débattu dans les jours qui viennent. J’en ferai état sur ce blog. Je précise une dernière chose. Je suis un homme de gauche, engagé dans le débat public. Mais, cette « polémique » n’est pas d’ordre privée entre M. Lorant Deutsch et moi sous prétexte qu’il ne partage pas mes opinions politiques. Il existe , selon moi, des historiens de droite et monarchistes tout à fait rigoureux et dignes de foi. Je sais tout cela. De grâce, que l’on ne caricature pas ce que je veux faire entendre avec d’autres. Je suis surtout la voix dans cette affaire d’historiens et d’associations d’historiens qui essayent de se faire entendre depuis des mois, en vain. Je pense ici aux associations d’Education populaire Goliards animé par M. William Blanc et aussi Histoire pour tous. Que l’on soit d’accord ou pas avec les critiques que nous portons, ils veulent, et moi avec eux, d’abord une chose : que le débat soit possible et qu’il soit à armes égales La façon dont se transmet l’histoire d’une Nation est un enjeu majeur. Ne laissons pas cela entre les mains des marchands et des nostalgiques de l’Ancien régime. Débat d’apparence mineur aujourd’hui, c’est pourtant de l’avenir de la République qu’il s’agit. Que chacun y réfléchisse.

Alexis Corbière

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Le Métronome de Lorànt Deutsch : un exemple de pseudo-histoire

Doctorant en histoire, j’ai réalisé une relecture critique et cette petite synthèse des polémiques autour du Métronome de Lorànt Deutsch lors d’un cours de présentation et d’initiation à la zététique (dans un stage doctoral, à Grenoble). Ce travail se veut aussi une invitation aux chercheurs et historiens, au-delà de ce cas précis, à une réflexion autour de ce que l’on pourrait qualifier « d’impostures intellectuelles » et de falsifications historiques, qui sont en passe de supplanter les recherches scientifiques grâce à leur puissance médiatique et à leurs réseaux de diffusion.

Par Guillaume Guidon, Centre de Recherche en Histoire et histoire de l’Art à l’Université Pierre-Mendès France (Grenoble)

Note du CorteX – Ce travail fait suite à l’appel lancé ici : Histoire – Peut-on critiquer le Métronome de Lorànt Deutsch ?


Contexte de l’histoire et de la polémique

Le Métronome, livre écrit par Lorànt Deutsch, est sorti en 2009. Plus de deux millions d’exemplaires ont été vendus jusqu’à présent. Il a, entre autres, obtenu le soutien de la Mairie de Paris, tandis qu’une adaptation télévisuelle a été faite et diffusée l’été dernier sur le mode de la série sur France 5 qui a coûté plus d’un million d’euros, financée avec de l’argent public. Chaque épisode a été suivi par près d’un million de personnes.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=CoOaKxutniE]

Jusque là, peu de médias ont été critiques, autant à l’égard du livre que de la série télévisée :

  • « Un pavé d’une science impressionnante » selon BibliObs ;CorteX_scene_metronome

  • « Un récit enlevé de l’histoire de France vue de Paris, entre vulgarisation et effluves d’une réelle érudition » selon Libération ;

  • « Cette série donne envie de chausser ses meilleures baskets pour parcourir la ville » selon Le Monde.

  • « Une prouesse technique et ultra pédagogique » selon Télérama.

Pourtant, une polémique éclate en 2012, suite à la diffusion des épisodes télés. Des historiens critiquent l’histoire de Paris telle qu’elle est présentée par Lorànt Deutsch (LD). L’affaire prend de l’ampleur quand le Front de Gauche demande à la mairie de Paris de retirer son soutien au livre de l’écrivain. La réponse de ce dernier ne tarde pas : il essaye de circonscrire la polémique en disant que les critiques ne sont que le fait d’une jalousie. Ce faisant, il détourne le sujet en évitant de répondre aux critiques sur le fond et la méthode de travail qu’il a employé.

William Blanc, historien, accuse LD de livrer une vision « extrêmement royaliste de l’histoire » au point de donner « une vision très positive des rois et une vision par exemple extrêmement négative du peuple parisien ». Pour Alexis Corbière, du Front de Gauche :
« il y a un problème majeur, ce livre « contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques ». De plus, « il propose une vision orientée répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie de convictions religieuses de l’auteur (…) qui ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie ». »
La presse de droite comme Nouvelles de France s’empare aussi de la polémique en s’attaquant au personnage de William Blanc pour le discréditer. Dans une tribune libre datée du 16 juillet, Frédéric Laurent s’attaque à une campagne de presse faite « dans la plus pure tradition des tentatives de manipulation de l’opinion dont la gauche s’est fait une spécialité ». La présentation est assez caricaturale :
« Ce gros garçon était tout simplement l’un des leaders des mouvements d’extrême-gauche, qui ont fait du lieu leurs quartiers généraux dans le monde universitaire parisien. Violent (accusé notamment par une opposante de lui avoir cassé le bras au sein même de l’université) et quelque peu fanatisé (impossible de discuter avec lui), il était resté de longues années à Tolbiac, où l’on n’était censé – à l’époque – ne passer que les deux années de Deug. C’est à se demander où il trouvait son argent pour vivre. Pour tout dire, le garçon faisait penser à ces hommes de main payés par l’extrême-gauche pour maintenir son contrôle du système éducatif en fomentant des mouvements pseudo-révolutionnaires et étouffer toute opposition. »

… Une attaque qui ne dit encore pas grand chose des critiques de fond et de forme portées à l’encontre du Métronome.

Lorànt Deutsch a riposté, se défendant d’être « un idéologue » ou « un faussaire historique » et affirmant être un « amoureux de l’histoire ».

« J’ai dit que j’étais royaliste mais je ne suis pas un militant politique. Je suis un enfant de la République, j’aime mon pays » (…) « Je veux bien débattre de mon livre avec des historiens mais pas avec des militants politiques ». 

Pourtant, il s’y est toujours refusé jusqu’à présent, préférant débattre dans les médias avec des non-spécialistes.

 

Méthode Deutsch vs. Esprit critique

CorteX_lorant-deutschQuels sont les éléments qui ont amené à une telle polémique, alors que le livre donne l’image d’un flâneur sympathique, amoureux de Paris, qui veut nous faire découvrir sa ville au rythme des stations de métro ?

  • Un livre idéologique qui se heurte à la réalité et aux recherches scientifiques

En premier lieu, la « méthode Deutsch » repose sur des sources anciennes et connotées, prises sans aucun recul critique. Le tout pour aller dans un sens qui, au contraire de ce qu’il dit, est bien plus idéologique que les critiques qui lui sont faites. Car Lorànt Deutsch estime que l’histoire de France, c’est avant tout la monarchie et l’Église, et que l’on doit rendre hommage à cet héritage presqu’éternel, en opposition à une révolution violente et synonyme de chaos. Ce faisant, il rejette alors les nombreux travaux scientifiques déjà existants : il prétend faire une histoire personnelle, mais tout de même basée sur des sources écrites, et ne rien inventer. Lors d’une rencontre avec ses lecteurs à la FNAC à Paris le 21 avril, il déclare que « l’histoire de France est une matière subjective ». Une citation résume cette « méthode Deutsch » :

« L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique […] si on peut tendre vers le fait scientifique, tant mieux, surtout si ça accrédite ma chapelle, et ce que je pense, mon éclairage de l’histoire » (Les Affranchis, France Inter, 18 avril 2012).

Tout est là : Lorànt Deutsch choisit certains travaux et sélectionne des faits qui vont dans son sens idéologique, ne les étudie pas avec recul critique, et va même jusqu’à tordre les faits. Mieux, sans que l’on sache si c’est volontaire ou non, le comédien parvient à interpréter de façon erronée les sources ou les travaux qu’il prétend avoir utilisés. En procédant ainsi, il opère des choix significatifs ; des faits essentiels de l’histoire de France sont ainsi passés sous silence, ou bien évoqués de façon plus qu’allusive. C’est le cas pour la Seconde Guerre mondiale par exemple, et notamment pour tout ce qui touche à la Collaboration. Seules quelques lignes y sont consacrées qui ne disent pas grand chose (p. 360). Ces choix significatifs peuvent s’expliquer de la bouche même de Lorànt Deutsch quand il déclare au Figaro en mars 2011  :

« Pour moi, l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche […]. C’est comme avec la religion, on essaie de faire triompher la laïcité, je ne sais pas ce que cela veut dire. Sans religion et sans foi, on se prive de quelque chose dont on va avoir besoin dans les années à venir. Il faut réintroduire la religion en France, il faut un concordat. »

Une histoire faite par les (grands) hommes

L’histoire, pour l’auteur, est avant tout l’histoire des rois et des saints, c’est eux qui sont le moteur de l’histoire. Ils sont constamment glorifiés, mis en valeur. En voici un exemple sur Philippe Auguste (p. 218) :

« Comme sa muraille, Philippe Auguste est fascinant ! Il a tout fait, tout imaginé, tout réinventé. Il a imposé l’autorité royale, agrandi le pays, renouvelé Paris. »

Quand on en sort, cela relève de l’anecdotique ; les femmes n’ont pas grand droit de cité : elles sont au mieux des reines et des princesses, au pire des intrigantes dévergondées…

L’exemple page 84 de Honoria, sœur de l’empereur d’occident Valentinien, est éclairant :

« La dame aux yeux de velours est bien malheureuse car son frère, personnage aussi austère qu’intransigeant, veille avec suspicion et méticulosité sur la virginité sororale. Làs, la gourgandine a pris un amant ! L’empereur, hors de lui, fait exécuter le gaillard, mais cela ne suffit pas car la drôlesse attend un bébé. »

… des roturières, ou des prostituées, plus intéressées par le « shopping » et ce dès l’antiquité.

Page 41 :

« Et les lutéciennes, qui n’ont pas changé, viennent « faire les magasins » pour se fournir en onguents délicats, en huile d’olive ou en fibules plus fines et plus brillantes que celles de la voisine ».

Comme le dit un article du mensuel CQFD paru en avril 2012 :

« Chez Lorànt Deutsch, l’histoire est marquée par les grands hommes. Pour les grandes femmes, on repassera ! Seule sainte Geneviève trouve grâce à ses yeux pendant que les autres, les Lutéciennes puis les Parisiennes, font du shopping. Une vision somme toute classique, développée tout au long des XIXe et XXe siècles, quand l’histoire était écrite pour célébrer les chefs de guerres, les rois, les saints… ».

Une histoire des vainqueurs 

L. Deutsch a fait un choix plus que problématique en centrant son livre uniquement sur l’histoire des rois. La légende de Saint-Denis occupe huit pages ; la manifestation du 6 février 1934, qui est quasiment la seule manifestation citée pour le XXe siècle, est vue comme une manifestation populaire alors que la réalité est beaucoup plus complexe (on se réferrera entre autres à Serge Bernstein, Le 6 février 1934, Gallimard (1975).

Mais la réalité, l’écrivain semble ne pas s’en soucier énormément, préférant nous offrir une vision caricaturale, à l’instar de celle véhiculée sur les femmes, du « peuple » parisien. Ce dernier serait « violent, sanglant » (4ème de couverture), et ne pense qu’à grogner et se soulever. À Lorànt de lui réserver un traitement tout deutschien. Alors qu’il consacre huit pages à saint Denis, treize à sainte Geneviève, quinze à Pépin le Bref, la Commune de Paris et ses vingt mille morts sont résumés en un seul petit paragraphe ! En quelques lignes, il n’est pas question d’expliquer pourquoi le peuple parisien s’est soulevé en 1871. Tout au plus l’acteur évoque-t-il une « fureur populaire » venue d’on ne sait où, et des soldats rompant les rangs parce que « fatigués, démoralisés, déboussolés » (p. 353). Mais il est vrai que le peuple a toujours été un peu bourrin : lorsque Geneviève, animée d’une « foi parfaite » (p. 86), lance un appel contre les Huns – « l’envahisseur asiatique » (p. 89) –, « les plus excités des Parisiens parlent […] de [la] jeter dans un puits, manière radicale de la faire taire » (p. 87).

Une sainte horreur des révolutionnaires

Enfin, avec Lorànt Deutsch, il ne fait pas bon être révolutionnaire et défier l’ordre, la monarchie ou la royauté. Car avant même que la Révolution de 1789 ne soit évoquée par l’écrivain, les acteurs en prennent pour leur grade. L’écrivain parle, dans un premier temps, de « fureur révolutionnaire » (p. 98) ; des « déprédations révolutionnaires »(p. 118), de la « fureur populaire » et des « nouveaux persécuteurs » qui « saccagèrent » une abbaye bénédictine. Et lorsqu’il évoque le roi Dagobert, au sujet de sa mauvaise réputation et de sa fameuse « culotte à l’envers », la faute en revient à « la brutalité révolutionnaire ». Il précise :

« La Révolution, qui se moque bien de la vérité historique, a produit cette rengaine pour railler les rois et les saints. » (p. 128)

Pour l’auteur, la colère ne peut être qu’irrationnelle, des causes politiques ou économiques par exemple ne lui semblent pas particulièrement légitimes. On en voit un exemple page 327 à propos de la Révolution française :

« Cette population miséreuse, qui appartient au paysage quotidien du faubourg tout en venant de l’extérieur, se montre toujours prompte à exprimer sa colère ! C’est elle qui, pour une épidémie de trop, une mauvaise récolte ou une taxe additionnelle, entraîne les artisans sur la route dangereuse de la protestation et de la rébellion ».

Mourir de faim ne semble donc pas une raison légitime, et la rébellion ne serait qu’une « route dangereuse »… Mais c’est vrai, pour Deutsch, c’est le début de la fin pour la monarchie et le 14 juillet 1789 nous est donc présenté comme un « jour de guerre civile, d’affrontements et de violences » (p. 335). Matthieu Lépine, professeur d’histoire, résume bien la situation quand il parle en ces termes de l’adaptation télévisuelle dans un article consacré à la série :

« Cette émission, présentée comme un outil d’éducation populaire n’est en réalité qu’une arme de propagande, faisant à la fois l’éloge de la monarchie, la glorification de la chrétienté et le réquisitoire de la Révolution française. ».

Les sources, la méthodologie, les erreurs historiques

Il y a en outre une question de méthode qui est aux antipodes de ce qu’il faut enseigner aux étudiants, quel que soit le niveau de scolarité. Citer ses sources, disposer d’un appareil de notes et d’une bibliographie qui permettent de discuter des thèses qui sont avancées et des interprétations qui sont faites, sont une des bases d’un travail sérieux. Les coquilles sont une chose, avancer des faits sans « étayer », en est une autre :

« Lorànt Deutsch affirme mais ne livre aucune vision critique. Par exemple, sa théorie comme quoi Jeanne d’Arc serait la demi-sœur du roi Charles VII […]. Avancer des hypothèses, c’est le b.a.-ba de tout livre d’histoire. Mais on ne peut pas se contenter de lancer un pavé dans la mare en quelques mots, sans rien justifier, et passer ensuite au paragraphe suivant. » (histoire-pour-tous.fr, J. Perrin)

Le système narratif pose également de gros problèmes. Il se fait en effet systématiquement au présent, ce qui permet de mettre sur un même plan histoire et légendes (les exemples sont évidemment multiples mais on peut entre autres relever ceux de Saint Denis, (p. 52) [1] et de Saint Martin (p. 77) [2], et l’exemple vidéo de Biscornet et de la porte de la cathédrale Notre-Dame). Ces affirmations sont très souvent accompagnées d’un « effectivement », qui par sa force rhétorique est censé mettre fin à tout débat (p. 203). Il y a toutefois quelque-chose d’assez vicieux dans le fait que, épisodiquement, Deutsch précise pour certaines histoires farfelues qu’il cite, qu’il s’agit d’une légende (l’évêque Marcel qui affronte un dragon page 82 : « il assène deux bons coups de crosse sur la tête de cette bête, qui devient alors pour la légende pieuse un authentique dragon »). Pour le reste, il se contente de répondre aux critiques que « C’eût été faire peu de cas du bon sens et de l’intelligence du lecteur » [3] s’il avait mis ses affirmations au conditionnel. Au-delà des cas légendaires et mythologiques présentés de façon douteuse, il y a aussi des reconstitutions de scènes « banales » qui sont largement discutables, surtout en l’absence de sources (p. 69 [4]).

Quand il est interviewé, L. Deutsch ne fait que s’enfoncer : par exemple au Journal Télévisé de 20h sur TF1, en septembre 2011, il raconte que Charlemagne a régné autour de l’an mil. Raté, c’était plus de 200 ans plus tôt. Des erreurs, il en fait des tonnes, que ce soit sur des plateaux télévisuels ou dans son livre. Il affirme par exemple que l’art gothique est l’œuvre des Goths : encore raté, le terme gothique dans le domaine de l’art a été inventé au XVIè siècle par Giorgio Vasari. Rien à voir avec ce peuple de langue germanique actif entre le IIIe et le VIIIe siècle.

Il y a d’un côté des erreurs historiques non négligeables qu’il ne faut pas sous-estimer, mais il y a surtout un parti pris politique assez nauséabond qu’il convient de souligner. Citons notamment les exemples du Louvre ou de la Commune, pour lesquels il a une fois de plus recours à des sources datées et relativement discutables. Son récit de la fondation du Louvre en est une bonne illustration ; sa « théorie » est contredite par de nombreux travaux scientifiques sur le sujet, de même que par les fouilles archéologiques (voir Geneviève Bresc-Bautier, Mémoires du Louvre, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1998). Lorànt Deutsch nous dit que le Louvre a été construit par le père de Clovis ; en réalité c’est l’œuvre de Philippe Auguste, sept siècles plus tard. En d’autres termes, il n’a pas mené une démarche de chercheur; ce qui semble pourtant essentiel lorsque l’on écrit des ouvrages historiques. Autre exemple lors de son interview sur RMC par Eric Brunet le 10 juillet : les Communards qui auraient tiré sur la colonne de Juillet depuis Montmartre (« Métronome », p. 336). Là, l »écrivain affirme avoir utilisé Eugène Hennebert, « qui reprend des témoignages directs de la Commune« . Le choix de cette source est intéressant, le Hennebert en question, contemporain des faits, en était un acteur en tant qu’officier supérieur de l’armée de Versailles ! Mieux, M. Deutsch dit s’être appuyé sur lui pour évoquer la fameuse canonnade. Or, Hennebert parle bien d’une canonnade sur la Bastille, mais depuis le Panthéon, pas Montmartre et surtout, des tirs venus de canons versaillais, et pas communards (Guerre des Communeux, p. 258) !

Un non-historien peut tout à fait écrire un livre d’histoire, mais à condition qu’il se soumette aux principes de base du travail historique, ce que Deutsch n’a pas fait avec « Métronome ». Il ne respecte pas la démarche de l’historien. En effet, il n’y a aucun travail sur les sources, et celles-ci sont complètement absentes de son ouvrage. Ce n’est pas un travail de chercheur mais un point de vue empreint d’a priori sur l’histoire de France et de Paris. La vulgarisation n’équivaut pas à la falsification. La recherche consiste à faire tomber ses propres préjugés sur le sujet en question. Deutsch fait exactement l’inverse: il part de ses opinions pour aller aux faits (ce qui ressemble beaucoup au raisonnement panglossien – cf. ici Effet Pangloss, ou les dangers du raisonnement à rebours).

L’ouvrage a été présenté comme de la vulgarisation historique, mais il n’en est rien puisqu’il n’offre pas au grand public l’accès aux plus récentes recherches scientifiques. Au contraire, il réactualise CorteX_metronome_Bloc_identitaireune histoire partisane et réactionnaire, fantasmée et mythifiée. Plutôt que de mettre en avant les polémiques entre historiens autour de certains faits problématiques, ce qui, de son avis, « serait d’un ennui mortel », il préfère raconter la version qui lui plaît le plus. Mais le problème s’amplifie puisque le comédien « a même été invité dans des écoles parisiennes (par exemple au lycée Turgot) où il a proposé des conférences basées sur ses travaux » et le maire PS Bertrand Delanoë l’a décoré de la médaille Vermeille de la Ville. Son livre devient donc un outil pédagogique, et Deutsch en vient à prendre la place des professeurs.

Il convient toutefois de relever dans cette histoire le rôle joué par la puissance médiatique et les nombreux canaux dont dispose le monsieur pour la diffusion de son livre. Le même genre de bouquin écrit par un illustre inconnu n’aurait jamais dépassé les 2000 ventes. Au contraire, il joue sur son image d’acteur jeune et comique, grand public. Le succès du livre s’explique donc par une construction médiatique.

Conclusion

À travers la publication du Métronome, ses promoteurs ont reproduit la coupure savant/populaire. Aux savants (dont eux), la culture d’élite, l’accès au savoir critique, et aux masses, et bien le rebut, la pensée light, l’histoire « bling-bling » dont parle Nicolas Offenstadt qui permet tout, sauf de réfléchir. Lorànt Deutsch n’est pas un phénomène isolé. Aujourd’hui, les livres d’histoire les plus vendus ne sont pas des livres d’histoire. Max Gallo et ses « romans-histoire », Alain Minc et sa pitoyable histoire de France (un proche de Nicolas Sarkozy qui comme comme Jacques Attali, incarne la figure française de l’analyste-essayiste à tendance polémico-prophétique qui croit penser son époque quand il ne fait que travestir des lieux communs) voient leurs œuvres tirées à des milliers d’exemplaires non pas parce qu’ils produisent de la qualité, mais parce qu’ils ont accès aux médias, et surtout parce qu’ils ne dérangent pas, car leurs écrits cadrent parfaitement avec les préjugés contemporains.

Et dire qu’il paraît que Lorànt Deutsch nous prépare une histoire de France…

Guillaume Guidon

 

Notes

 

[1] « On dresse une croix sur laquelle on noue Denis, et on lui tranche la tête. Mais le corps sans vie est transfiguré par l’apparition du Sauveur, et le corps s’anime, et le corps se libère de ses liens, et le corps se met en marche… Denis prend sa tête entre ses mains, va la laver à une fontaine et redescend la colline de son martyre. Il marche deux lieues et demie et, enfin, confia sa tête à une bonne romaine nommée Catulla. Là, il s’écroule. Respectueuse, Catulla enterre le pieux évêque à l’endroit même où il s’est effondré. Et sur cette sépulture un blé d’un blond unique pousse bientôt, comme un dernier miracle. »

[2] « L’évêque marche le long de la voie romaine du nord, et les fidèles se pressent pour embrasser sa robe. Mais le prélat ne voit pas la foule, il fixe de son regard un misérable lépreux adossé contre les remparts non loin de la porte nord de la ville, le visage défiguré, les bras lacérés et les jambes flageolantes… Il s’approche du malheureux, chacun retient son souffle. Martin se penche sur le malade et dépose sur sa joue scrofuleuse un baiser fraternel, puis il porte ses mains sur la tête du pauvre homme et le bénit… Le lendemain matin, le lépreux entre à l’église, et chacun peut voir le miracle accompli : ce visage hier encore ravagé est à présent lisse et doux. On le sait maintenant, Martin peut provoquer des guérisons. »

[3] L. Deutsch, « Polémique sur « Métronome » : fausses erreurs et vraies affabulations sur mon livre », 20 juillet 2007. Nouvel Observateur.

[4] Promenade de l’empereur Julien dans les rues de Paris : « Il aime Paris quand il se balade comme un simple légionnaire à travers ses ruelles de boue, quand les échoppes largement ouvertes laissent déborder leurs grappes de jambons, de boudins, de têtes de porcs […]. Il aime Paris quand il hèle joyeusement le marchand : – Patron, as-tu du vin relevé au poivre ? – J’en ai. – Alors donne et remplis ma gourde ! ».

 

Bibliographie utilisée pour construire ce travail

« Polémique « Métronome » : réponse aux contre-vérités de Lorànt Deutsch », Leplus.nouvelobs.com, article de Christophe Naudin, enseignant en histoire, 17 juillet 2012

«Lorànt Deutsch a une vision biaisée de l’histoire», In bibliobs.nouvelobs.com, 10 juillet 2012

« La gauche parisienne demande à la Ville l’arrêt de la promotion du « Métronome » », In tempsreel.nouvelobs.com, 5 juillet 2012

« Polémique autour du « Métronome » de Lorànt Deutsch », In LeMonde blog, 10 juillet 2012
« Polémique Métronome : Lorant Deutsch réplique », Arrêt sur images, 24 juillet 2012

« Qui est donc William Blanc, l’ « historien » critique du Métronome ? », In Nouvelles de France, 16 juillet 2012, tribune libre de Frédéric Laurent

CorteX_historiens_gardeEt pour aller plus loin, un livre à lire : William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin, Les historiens de garde – De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, Inculte Essai, 2013, ainsi qu’une entrevue avec William Blanc (voir AudioteX).