Bi-standard et biais du monde juste : une question d’« équilibre », par Serge Halimi

L’effet bi-standard est sournois, et peut, adossé au biais du monde juste, se tapir dans les discours des plus érudits. En voici un exemple, absolument tragique puisque tiré de la terrible actualité du conflit israélo-palestinien, décrypté par Serge Halimi.
Cet article a été publié dans le Monde Diplomatique d’août 2014, en édito. Version en ligne ici.

 

Une question d’« équilibre »

L’expédition punitive de l’armée israélienne à Gaza a réactivé l’une des aspirations les plus spontanées du journalisme moderne : le droit à la paresse. En termes plus professionnels, on appelle cela l’« équilibre ». La chaîne de télévision américaine d’extrême droite Fox News se qualifie ainsi, non sans humour, de « juste et équilibrée » (fair and balanced ).

Dans le cas du conflit au Proche-Orient, où les torts ne sont pas également partagés, l’« équilibre » revient à oublier qui est la puissance occupante. Mais, pour la plupart des journalistes occidentaux*, c’est aussi un moyen de se protéger du fanatisme des destinataires d’une information dérangeante en faisant de celle-ci un point de vue aussitôt contesté. Outre qu’on n’observe pas ce même biais dans d’autres crises internationales, celle de l’Ukraine par exemple (lire « Médias français en campagne ukrainienne »), le véritable équilibre souffre pour deux raisons. D’abord parce que, entre les images d’un carnage prolongé à Gaza et celles d’une alerte au tir de roquettes sur une plage de Tel-Aviv, une bonne balance devrait pencher un peu… Ensuite, parce que certains protagonistes, israéliens dans le cas d’espèce, disposent de communicants professionnels, tandis que d’autres n’ont à offrir aux médias occidentaux* que le calvaire de leurs civils.

Or inspirer la pitié ne constitue pas une arme politique efficace ; mieux vaut contrôler le récit des événements. Depuis des décennies, on nous explique donc qu’Israël « riposte » ou « réplique ». Ce petit État pacifique, mal protégé, sans allié puissant, parvient pourtant toujours à l’emporter, parfois sans une égratignure… Pour qu’un tel miracle s’accomplisse, chaque affrontement doit débuter au moment précis où Israël s’affiche en victime stupéfaite de la méchanceté qui l’accable (un enlèvement, un attentat, une agression, un assassinat). C’est sur ce terrain bien balisé que se déploie ensuite la doctrine de l’« équilibre ». L’un s’indignera de l’envoi de roquettes contre des populations civiles ; l’autre lui objectera que la « riposte » israélienne fut beaucoup plus meurtrière. Un crime de guerre partout, balle au centre, en somme.

Et ainsi on oublie le reste, c’est-à-dire l’essentiel : l’occupation militaire de la Cisjordanie, le blocus économique de Gaza, la colonisation croissante des terres. Car l’information continue ne semble jamais avoir assez de temps pour creuser ce genre de détails. Combien de ses plus gros consommateurs savent-ils, par exemple, qu’entre la guerre des six jours et celle d’Irak, soit entre 1967 et 2003, plus du tiers des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ont été transgressées par un seul État, Israël, et que souvent elles concernaient… la colonisation de territoires palestiniens (1) ? Autant dire qu’un simple cessez-le-feu à Gaza reviendrait à perpétuer une violation reconnue du droit international.

On ne peut pas compter sur Paris pour le rappeler. En déclarant, le 9 juillet dernier, sans un mot pour les dizaines de victimes civiles palestiniennes, qu’il appartenait au gouvernement de Tel-Aviv de « prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces », M. François Hollande ne se soucie plus d’équilibre. Il est devenu le petit télégraphiste de la droite israélienne.

Serge Halimi
(1) Lire « “Deux poids, deux mesures” », Le Monde diplomatique, décembre 2002.
* NdRM : Seul bémol à ce texte : l’utilisation du mot Occidental, qui n’a pas de définition précise, et sert de cache-sexe à ce qui se rapproche certainement de « capitalisto-chrétiens ».

Atelier Cinéma et stéréotypes : Analyse de la représentation de l’Autre dans les films Disney à travers l’exemple d’Aladdin

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Andréa Rando-Martin, doctorante en lettres au Centre de Recherche sur l’Imaginaire a élaboré une séquence éducative sur la normativité et le racisme latent dans l’une des oeuvres des studios Walt Disney, Aladdin. Cette séquence est remarquable d’adaptabiliité : elle est aisément utilisable dans le secondaire, peut être simplifiée pour des primaires, et se complexifie rapidement pour un public du supérieur, faisant lien avec cet autre atelier de Djamel Hadbi, Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma.

Cette analyse ne se prétend pas exhaustive : si Aladdin pourrait faire l’objet d’une étude longue et précise, je vais plutôt essayer de créer ici une « séquence » qui pourrait être montrée aux étudiants tout en leur laissant le temps de débattre et de formuler leurs propres analyses, exercice impossible si j’essaie de prendre en compte tous les éléments du film. Plutôt que tenter de faire le maximum d’analyses et de les présenter l’une après l’autre sans réelle ligne directrice, il m’a semblé préférable de poursuivre une même analyse (restreinte) appliquée à Aladdin. Ce long-métrage, produit en 1992 et considéré comme un des grands classiques d’animation Disney, est le premier dont le héros est un homme et le second où le personnage principal n’est pas « de type européen » (le premier est Mowgli du Livre de la Jungle, sorti en 1967), il sera suivi par Pocahontas (1995), Mulan (1998), Kuzko l’Empereur mégalo (2001), Lilo et Stitch (2002), Frère des Ours (2003) et La Princesse et la Grenouille (2009). Souvent taxée d’ethnocentrisme, parfois de racisme12, l’oeuvre globale des studios Disney est un exemple intéressant d’une façon de représenter l’ « Autre » dans un long-métrage.

Dans Aladdin, si Agrabah se situe dans un temps et un espace qu’il est impossible de restituer, Aladdin3 est considéré comme étant de nationalité arabe4. Cependant, afin de créer la ville d’Agrabah, les dessinateurs de Disney ont étudié l’écriture arabe, des miniatures persanes et des villes afghanes et iraniennes. Sur le site Wikipedia on lit en anglais :

For the scenery design, layout supervisor Rasoul Azadani took many pictures of his hometown of Isfahan, Iran for guidance.5 Other inspirations for design were Disney’s animated films from the 1940s and 50s and the 1940 film The Thief of Bagdad.6

Et d’après l’article français:

 Les directeurs artistiques ont pris comme sources les enluminures perses et la calligraphie arabe7

La diversité des sources d’inspiration utilisées pour dessiner Aladdin montre deux choses : d’une part une représentation qui se fonde sur un imaginaire de l’exotisme tiré par exemple des Mille et une nuits (Xe siècle, mais figés par l’écrit au XIIIe siècle seulement), d’autre part l’absence de distinction et la confusion de deux cultures totalement différentes : la culture perse et la culture arabe. Cependant, cette confusion semble volontaire, puisqu’il y a un véritable travail de documentation de la part du studio. Plutôt qu’une méconnaissance des cultures arabe et perse, on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’une construction volontaire d’un monde qui répondrait aux critères des pays capitalisto-judéo-chrétiens8 » de l’exotisme et qui mélangerait alors les différentes cultures. Il s’agira alors de montrer comment les héros (Aladdin et Jasmine) sont d’abord distingués des autres personnages et comment cette distinction sert à marquer à la fois leur supériorité par rapport aux autres et leur proximité avec le spectateur « occidental », disons, eurocaucasien.

1. Les femmes et Jasmine

Si l’on relève le nombre de femmes dans Aladdin9 et qu’on les classe en fonction de leurs vêtements (qui est un moyen de représentation de la femme arabe) on peut distinguer quatre catégories : les femmes au visage voilé, les femmes avec le visage découvert mais un voile sur les cheveux, les femmes sans voile et les femmes « courtisanes » ou « danseuses du ventre » (Jasmine n’est pas incluse dans ce décompte).

Documents à présenter aux étudiants:

Tableau récapitulatif des apparitions de femmes dans Aladdin

Femme au visage voilé Femme aux cheveux voilés Femme non voilée Courtisane, danseuse du ventre
29 8 3 24

 Les représentations de femmes voilées et non voilées:

Aladdin femmes 2

–> Question : quelles remarques peut-on faire à partir de ces données et images ?

On peut constater dans un premier temps que la femme arabe est avant tout représentée voilée (cheveux et/ou visage) mais que le nombre de femmes voilées n’est que très légèrement supérieur au nombre de celles que j’ai appelé « courtisanes » ou « danseuses du ventre »

aladdin courtisanes
Représentation des courtisanes ou danseuses du ventre

et qui sont en fait les trois femmes du harem, les trois danseuses créées par le Génie, les trois femmes assises à côté du Prince Ali sur l’éléphant, les femmes sur le char des paons et les nombreuses danseuses du cortège. Si j’ai classé toutes ces femmes dans la même catégorie, c’est parce qu’elles portent, en dépit de leurs fonctions très différentes, des vêtements extrêmement similaires. Elles ont toutes une sorte de brassière destinée à souligner la poitrine, des vêtements de couleur rose ou violette (qui tranchent nettement avec les couleurs moins vives portées par les autres personnages féminins) et (dans le cas des danseuses uniquement) elles sont vêtues de pantalons (ou jupes) transparents. La part érotique de l’imaginaire exotique lié à la femme arabe est donc largement représentée dans Aladdin et permet de comprendre le choix du costume de Jasmine : très similaire aux vêtements des courtisanes, il vient ici érotiser l’héroïne et la démarquer très nettement des autres femmes arabes (cf l’image « femmes voilées et non voilées).

aladdin femmes

Attention cependant : Jasmine n’est absolument pas associée aux courtisanes, et on peut le constater en comparant deux scènes, qu’il serait intéressant de montrer aux étudiants pour nuancer la première remarque :

Vidéo 1:

Vidéo 2:

Que montre la première vidéo et que les étudiants pourront remarquer ? Le fait que ces femmes soient séduites par l’apparence (« and I absolutely love the way he dresses »10 disent-elles avant de s’évanouir dans les bras du Génie) et la démonstration de puissance et de richesse du Prince Ali alors que Jasmine montre clairement son désintérêt (elle quitte le balcon avant la fin du défilé) et son agacement.

Dans la seconde vidéo, les mêmes femmes méprisent Aladdin (« Aladdin’s hit the bottom 11» ) et se détournent à tour de rôle quand il s’adresse à elles. Au contraire, c’est quand Aladdin n’est encore qu’un « street rat 12»  que Jasmine est séduite.

Conclusion : si Jasmine a le même potentiel érotique que les femmes du harem, elle est montrée comme supérieure du point de vue moral, puisqu’elle est capable de discerner la valeur d’Aladdin, celle dont parle le marchand au début du film, lorsqu’il présente la lampe :

Do not be fooled by its commonplace appearance. Like so many things, it is not what is outside, but what is inside that counts. This is no ordinary lamp! It once changed the course of a young man’s life. A young man who liked this lamp was more than what he seemed. A diamond in the rough.13

2. Les voleurs dans Aladdin

Dès les premières minutes du documentaire Reel Bad Arabs : How Hollywood vilifies a people, Jack Shaheen, spécialiste de cinéma, affirme que:

All aspects of our country project the Arabs as villain (2:37)14 (voir note 3).

2.1. Représentation des voleurs

Aladdin est présenté, lors de sa première apparition, en train de fuir les gardes du sultan.

Le pain dans sa main est un pain volé : Aladdin est donc, dès son entrée dans le film, clairement représenté comme un voleur. Et il n’est pas le seul : dans les premières minutes du film apparaît un bandit, Gazeem, engagé par Jafar.

Cependant, ces deux voleurs sont représentés de façons totalement différentes. Si Aladdin est le héros du film, Gazeem est tué dès le début, englouti par la caverne aux merveilles.

aladdin gazeem

[Montrer deux images de voleurs, l’une d’Aladdin, l’autre de Gazeem, demander quelles sont les différences notables]

Voici les descriptions d’Aladdin et Gazeem dans leur fiche Disney respective :

Gazeem : d’après le wiki Disney il est « short, obese, mustachioed, wears worn down clothes 15».

Aladdin, toujours d’après le wiki Disney, est « slender, handsome, slightly muscular, medium skin, black hair, brown eyes, thick black eyebrows 16».

Le seul point commun entre les deux personnages pourrait être les vêtements, des guenilles. Gazeem porte des vêtements sales, en lambeaux. Aladdin lui, a un pantalon rapiécé mais juste en un endroit et ses vêtements n’en restent pas moins très propres (le pantalon est blanc) et en parfait état. Les vêtements d’Aladdin sont surtout là pour mettre en valeur sa musculature.

Si le visage de Gazeem est composé de traits caricaturaux qui se retrouvent dans d’autres exemples de représentations arabes (cf. Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006) le visage d’Aladdin, lui, a été réalisé en partie sur le modèle de Mickaël J. Fox puis, étant jugé trop enfantin, a été refait sur le visage de Tom Cruise

 At first, though, Keane’s character sketches looked boyishly cute, rather like Michael J. Fox in Back to the Future. The refrain in story meetings became,  »What does Jasmine see in him? » To hunk Aladdin up, the directors offed his shirt and upped his age from mid- to late teens. Keane also took Katzenberg’s suggestion that he study Tom Cruise movies.  »There’s a confidence with all of his attitudes and his poses, » says Keane. Photos highlighting Cruise’s eyebrows and straight-off-the-forehead nose, as well as shots of male Calvin Klein models, adorned the artists’ bulletin boards for months, and Keane even used rap star Hammer’s movements for inspiration, distilling their « total exuberance. » 17

La différence est là : que l’on veuille qu’Aladdin soit « boyishly cute » ou plus mature et séduisant, c’est sur un canon de beauté étasunien que se basent les dessinateurs. Le visage de l’Autre devient alors le visage du spectateur et Aladdin peut être le héros du film.

De la même façon Jasmine a été dessinée à partir du visage de Jennifer Connelly, actrice étasunienne.

Jennifer-Connelly-Jasmine

et de la sœur de Mark Henn (responsable de l’animation de Jasmine).

beth jasmine

Revenons aux remarques précédentes concernant Jasmine : sa tenue correspond à un stéréotype fantasmagorique de l’ « orientale », mais, en faisant correspondre Jasmine à des canons de beauté qui sont aussi familiers à leurs spectateurs, Disney s’assure de l’attractivité de son héroïne, ce qu’on peut voir même dans les commentaires de certains fans : « Jasmín, inicialmente tenía un toque más exótico. Sin embargo, creo que el diseño final es el perfecto: una mezcla árabe-caucásica, jajajaja.18 »

 2.2. Vol et morale

Le vol étant moralement condamné, il semble contradictoire de voir le héros, dans sa première apparition à l’écran, dans le rôle du voleur. Il s’agit là d’amener l’étudiant à analyser la façon dont les vols d’Aladdin sont dépourvus de jugements négatifs. En fait, Aladdin vole, certes, mais par nécessité : ses vols sont liés à la nourriture (première apparition, un pain à la main ; chaque fois qu’on lui reproche son vol pendant la chanson One jump ahead, sa réponse est liée à la nourriture) :

“I’ll have your hands for a trophy, street rat! // All this for a loaf of bread?19« 

“Riffraff! Street rat! Scoundrel! Take that! // Just a little snack, guys!20

“Oh, it’s sad Aladdin’s hit the bottom. He’s become a one-man rise in crime. I’d blame parents, except he hasn’t got ’em!//Gotta eat to live,gotta steal to eat, Tell you all about it when I got the time!21

Gotta eat to live, gotta steal to eat, Otherwise we’d get along! //-WRONG!22

et sa nécessité est soulignée par le raisonnement répété deux fois “gotta eat to live, gotta steal to eat23” et par le fait que le vol est toujours limité au strict nécessaire:

La cupidité du voleur, que l’on trouve chez Gazeem, « Ah, ah, ahhh! The treasure! » et qui n’a pas de limite morale (Gazeem est un meutrier « I had to slit a few throats but I got it 24») ne se retrouve pas chez Aladdin.

Le pain, alors même qu’il a été présenté comme de première nécessité (ce qui explique aussi pourquoi Aladdin risque sa vie pour le garder) est donné sans hésiter aux enfants de rue. Il n’y a donc pas de paradoxe entre les derniers mots de Jafar « I must find this one, this…diamond in the rough 25» et la première apparition d’Aladdin : la scène de la poursuite permet surtout de porter à son paroxysme la générosité du don et la bonté d’Aladdin. Quant à la cupidité liée au personnage du voleur, elle est en fait transférée sur le singe Abu.

Remarques : Abu ne pouvant contrôler sa cupidité, c’est Aladdin qui le réprimande. Si ce dernier admire les richesses dans la Caverne aux Merveilles, il ne songe pas un instant à transgresser l’avertissement de la Caverne et à s’en emparer.

La valorisation d’Aladdin passe également par la dévalorisation du système judiciaire :

Remarques : le marchand ne prétend pas appliquer sa propre loi, il ne dit pas à Jasmine « sais-tu ce que je fais aux voleurs ? » mais « do you know what the penalty is for stealing ?26 » Il se place donc du point de vue de la loi (même s’il l’applique lui-même) et son action trouve écho dans la phrase de Razoul, le capitaine des gardes, qui crie à Aladdin lorsqu’il le poursuit : « I’ll have your hands for a trophy, street rat! »

La justice est représentée comme violente, disproportionnée (une main pour une pomme ou un pain) et moralement injuste (grâce à la scène dans laquelle Jasmine donne une pomme à l’enfant affamé), tout comme la loi. La scène qui oblige Jasmine à épouser un prince par exemple est qualifiée d’injuste à plusieurs reprises par Jasmine :

Dans la scène du jardin : (le sultan) « the law says you must be married to a prince.By your next birthday.27 »// (Jasmine) « The law is wrong. 28»

Dans la scène finale (Jasmine) “Oh, that stupid law. This isn’t fair29.”

Et même le sultan: « That’s right. You’ve certainly proven your worth as far as I’m concerned. It’s that law that’s the problem.30

En présentant un monde où la loi et la justice sont cruelles et injustes, le film Aladdin justifie les vols et les délits commis par son héros. Il n’est cependant pas nécessaire d’opérer une tell justification pour son personnage principal féminin Jasmine, malgré l’épisode de la pomme, parce que Jasmine donne le fruit à l’enfant sans même savoir qu’il faut payer pour en avoir, tandis que quand Aladdin vole, il connaît les conséquences de son geste. Le comportement du jeune homme était donc plus difficile à justifier moralement, d’autant plus que ses vols sont récurrents tandis que dans le cas de Jasmine, il ne s’agit que d’un épisode ponctuel.

En marge du système judiciaire, Aladdin est aussi en marge de la société :

Remarques : Aladdin se différencie des autres personnages qui se moquent de lui ou le rejettent (comme les femmes du harem).

Résumons. Aladdin est hors de la structure familiale (orphelin) et hors de la société. Il se démarque donc clairement des autres et peut ainsi revendiquer son statut de héros. C’est parce qu’il est différent qu’il est le seul à pouvoir accéder à la Caverne aux Merveilles et à s’élever au-dessus de sa condition.

Conclusion: pour lier Aladdin et Jasmine au spectateur, Disney joue sur les contrastes entre des représentations clichées des personnages secondaires (les femmes du harem, le méchant voleur…), représentations habituelles du cinéma américain, et le caractère exceptionnel des deux personnages principales qui, tant physiquement que moralement, se détachent des autres. Aladdin et Jasmine ressemblent plus au spectateur (étasunien) que les autres personnages, ce qui leur permet de s’identifier davantage. De plus, Aladdin transgresse les codes de ce qui est représenté comme étant la société arabe et il en est valorisé moralement et socialement (puisqu’il devient héritier du trône). Le spectateur s’attache donc d‘abord à ce personnage et dénigrera la société qui le rejetait.

 Andréa Rando-Martin

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Sociologie des parasciences : la preuve par l’absurde ? Lecture critique de la thèse de Pierre Lagrange

Voici un compte rendu de lecture critique de la thèse du sociologue Pierre Lagrange, figure de l’ufologie et de sa sociologie. L’analyse de « Une ethnographie de l’Ufologie : la question du partage entre science et croyance », soutenue en 2009, est effectuée par David Rossoni, co-auteur avec Erik Maillot et Eric Déguillaume de « Les OVNI du CNES – 30 ans d’études officielles« , aux éditions Book-e-Book, et par Jean-Michel Abrassart, bien connu par son podcast balado Scepticisme scientifique [1]. Gageons qu’elle ouvrira des réflexions épistémologiques fécondes.
L’équipe du CorteX

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Sociologie des parasciences : la preuve par l’absurde ?

À propos de Pierre LAGRANGE (2009) – Une ethnographie de l’ufologie : la question du partage entre science et croyance. Thèse de doctorat en sociologie, École des hautes études en sciences sociales.

Dans sa thèse de doctorat consacrée à Une ethnographie de l’ufologie (Lagrange, 2009), Pierre Lagrange ambitionne de réaliser une vraie sociologie des parasciences. Ce que sociologues, anthropologues et historiens auraient jusqu’ici quasiment tous échoués à faire, en raison selon l’auteur de leur incapacité à se séparer de l’idéologie du Grand Partage, c’est-à-dire de « l’idée qu’il existerait une différence intellectuelle entre les façons scientifique et magique de penser » (p. 10), et de leur besoin de la réalité définie par la science, puisqu’ils postuleraient, à tort, « que la science parvient parfois à saisir ce qu’est la réalité, tout simplement, alors que les autres processus, religion, croyance, parasciences, etc., croient juste saisir la réalité mais en fait construisent quelque chose qui n’est pas la réalité » (p. 35).

Lagrange se propose concrètement de mener une étude symétrique, d’une part, des sceptiques critiquant l’hypothèse extraterrestre et, d’autre part, des ufologues qui pensent que les ovnis témoignent de visites extraterrestres (ou du moins ne sont pas réductibles à des phénomènes connus). Nonobstant les idées reçues, le comportement des premiers n’aurait rien de scientifique, car ils ne construiraient point de réseaux pour produire des faits, ne chercheraient pas à s’allier avec des sociologues professionnels et ne feraient qu’envenimer la controverse sur l’existence des ovnis, alors que les seconds auraient mis en place des réseaux visant à produire des faits indiscernables du type de fait que produisent les scientifiques « normaux ». Les ufologues se comporteraient en scientifiques nomades (un concept original de l’auteur), contrairement aux sceptiques qui en définitive seraient les seuls authentiques parascientifiques (p. 378).

À l’inverse d’autres sociologues ayant étudié le soucoupisme, c’est-à-dire l’adhésion à l’explication extraterrestre du phénomène ovni (Renard, 1988 ; François et Kreis, 2010), l’auteur prétend que son analyse de l’ufologie invaliderait cet argument du Grand Partage et toutes les explications en termes de croyances. Pour lui, « le discours opposant science et parascience, savoir et croyance, ne tient pas devant les faits » (p. 11). Son travail présente malheureusement nombre de biais et faiblesses argumentatives, caractéristiques d’une certaine dérive de la mouvance postmoderne (Sokal et Bricmont, 1997 ; Raynaud, 2003 ; Boudon, 2008).

I. Double contrainte pour le lecteur

On retrouve chez Lagrange la thèse d’une science d’origine occidentale ne se distinguant pas fondamentalement des autres formes de connaissances alléguées, sans séparation claire entre ce qui relève de la prémisse méthodologique (étudier les savoirs comme s’ils ne différaient pas) et ce qui relève de la conclusion (déduire des résultats des travaux menés qu’ils ne diffèrent pas foncièrement).

Tout au long de l’étude, le lecteur se trouve confronté à cet étrange paradoxe : d’un côté, le sociologue le prévient qu’il ne faut pas « sombrer dans un relativisme où toute forme de connaissance est considérée comme également vraie » (p. 26) mais, de l’autre, lui affirme qu’existent seulement « différentes façons de construire la réalité », différents « régimes d’existence » (p. 339).

Lu attentivement, l’auteur se révèle adhérer à la forme la plus extrême de relativisme cognitif, celle de la simultanéité d’existence de réalités multiples. Il assure par exemple que « les sciences ne sont pas moins construites que les revenants. […] Le résultat est différent non parce qu’il y aurait d’un côté la réalité et de l’autre la fiction ou les mentalités, mais parce qu’il y a des deux côtés des réalités différentes, construites différemment. » (p. 37) L’approche symétrique de Claverie (2004) entre les apparitions de la Vierge et les faits scientifiques montrerait que les « faits construits dans le cadre de ces apparitions […] sont vrais, tout simplement vrais […]. Certes la Vierge n’est pas construite comme un fait scientifique de laboratoire, c’est le moins que l’on puisse dire, mais elle n’en est pas moins réelle et présente. » (p. 89)

Il n’explique cependant pas comment promouvoir un « monde à choix de réalité multiple » (p. 108) sans pour autant « sombrer dans une utopie où tout le monde a également raison » (p. 26). Or il s’agit là d’une question clé. En effet, si les savoirs ne sont pas équivalents, cela implique d’une façon ou d’une autre de les hiérarchiser. Mais sur quel fondement ? Le relativisme cognitif nie de facto l’existence de la fausseté. Or, si le faux n’existe pas, le vrai non plus. Dès lors, il n’est plus possible de légitimement critiquer quoi que ce soit. Dans ce contexte, il est inéluctable, comme l’a justement remarqué Sokal (2005), que le postmodernisme devienne le compagnon de route des pseudosciences.

Le principal effet pervers de ce relativisme cognitif est en effet de conduire à substituer aux critères cognitifs pour l’évaluation des théories des considérations personnelles. En pratique, le chercheur tend à considérer avec bienveillance les théories qui semblent soutenir ses buts idéologiques, ou dont les partisans, d’une manière ou d’une autre, lui sont sympathiques et à réserver les arguments postmodernes, pourtant universels d’un point de vue logique, pour les théories antipathiques.

Ce travail laisse de fait ressortir un pan ufologique (prendre parti pour ou contre un modèle explicatif du phénomène ovni), qui tend d’emblée à invalider le programme sociologique annoncé (étudier symétriquement ufologie sceptique et ufologie croyante).

L’auteur y entretient en filigrane un débat proprement ufologique (ce qu’il affirme pourtant refuser) en stigmatisant sans cesse l’un des acteurs de la controverse. Dans ses travaux antérieurs, en plus d’inciter les sociologues à adopter une approche dite irréductionniste (Lagrange, 2000), c’est-à-dire s’interdisant de réduire le phénomène ovni à du connu, il était allé jusqu’à prétendre avoir réfuté le modèle explicatif sceptique (Lagrange, 2007). Dans la présente thèse, il continue de dénoncer ce modèle, et lui seul, comme étant irréfutable (sous-entendant par-là sa nature pseudoscientifique) et la remise en question par ses partisans de l’existence de cas inexpliqués.

Le falsificationnisme naïf a déjà été largement critiqué en épistémologie. Kuhn (1962), par exemple, a introduit le concept de paradigme pour cette raison. Plus aucun épistémologue aujourd’hui ne défend l’idée que le critère de réfutabilité permette à lui seul de distinguer sciences et pseudosciences. La démarche sceptique ne se résume cependant pas à « imaginer tel ou tel facteur psychologique pour rendre compte d’observations » (p. 155), mais repose bien sur des hypothèses testables, confirmées ou exclues au fil de vérifications successives, au cas par cas. Elle permet même parfois de faire des prédictions ensuite corroborées. L’existence d’un résidu de cas restés sans explication n’y est aucunement niée, mais il est en revanche montré que ceux-ci ne se distinguent pas de la masse des cas déjà élucidés. Remarquablement, les positions sceptiques sont présentées de façon plus exacte, fine et nuancée par l’un des anciens informateurs de Lagrange (Scornaux, 2012).

Bien que défendant en réalité un parti-pris fort dans le débat ufologique (Maugé, 2001), qui relève plus du dédoublement statutaire (Olivier de Sardan, 2008) que de l’observation participante classique, l’auteur tient néanmoins à se présenter comme rigoureusement symétrique. Ce qui ne l’empêche pas d’indiquer toujours aussi paradoxalement ne pas être parvenu à conserver une position neutre face aux ufologues et à leurs contradicteurs rationalistes (p. 123, p. 156), avoir sa propre vision ufologique (p. 129) ou avoir eu du mal à concilier sa position d’ethnographe et celle d’ufologue occupée « par la force des choses » [sic] (p. 128).

Son hostilité vis-à-vis de certains acteurs de la controverse tranche avec l’affinité manifestée envers d’autres. Il cite ainsi régulièrement de façon positive voire élogieuse Aimé Michel ou Bertrand Méheust, tous deux promoteurs d’hypothèses ufologiques exotiques. Héritier intellectuel en ce domaine de Jung (1958), Méheust (1978) considère par exemple le phénomène ovni comme étant une réalité mythico-physique, qui comprendrait un aspect physique inédit et une composante paranormale. Nous sommes ici effectivement loin du modèle sociopsychologique, qui propose de l’expliquer de manière prosaïque.

Sceptiques et rationalistes seraient d’ailleurs responsables de l’existence même de l’ufologie, en tant que discipline autonome marginalisée, en refusant aux gens le droit de tenter de se comporter de façon scientifique, en leur imposant des séries d’épreuves (non précisées) destinées à les décourager (p. 334). Ils seraient aussi seuls coupables de la persistance de la controverse sur les ovnis en n’acceptant pas la solution trouvée par les ufologues pour prouver l’existence des ovnis (p. 345). Néanmoins, juge Lagrange, « malgré la critique rationaliste qui trouve cela inacceptable, ce travail finit par porter ses fruits puisque ce qui était au départ une croyance marginale et irrationnelle [sic] a fini par convaincre de plus en plus de gens de son efficacité. L’ovni est devenu un fait pour de plus en plus de personnes. » (p. 346)

S’il ne visait qu’à renforcer l’approche symétrique en sociologie, l’auteur ne multiplierait pas les attaques contradictoires envers une partie de ses informateurs, qu’il perçoit manifestement comme faisant obstacle à ce « que l’ovni devienne un sujet de recherche normal » (p. 178).

II. Pas de « régime d’existence » pour les rationalistes

Lagrange reprend également la critique radicale postmoderne du rationalisme hérité de la modernité occidentale. Le partage instauré entre vraies et fausses sciences ne serait selon lui nullement lié à l’invention des sciences modernes mais seulement à l’idée d’être moderne et à la volonté de séparer les sciences du reste de la société, et notamment du populaire.

Les chercheurs « asymétriques » ne sont que des « chiens de garde du rationalisme » (p. 14) se livrant à de primaires discours de dénonciation des croyances :« irrémédiablement rationalistes », « les sociologues partent du principe que les ovnis et autres phénomènes paranormaux sont des croyances. Or comme on le sait depuis longtemps, « si c’est une croyance ça n’est pas vrai ». » (p. 113). A contrario, lui-même soutient que « le problème de l’ufologie n’a […] rien à voir avec l’incapacité de se comporter de façon scientifique mais avec la nécessité de se comporter autrement en raison (c’est notre hypothèse) de la nature des faits, des caractéristiques de l’objet construit par l’ufologie » (p. 203).

Lagrange retourne contre les rationalistes (constamment présentés comme un bloc indifférencié) les arguments dont ils sont censés se servir, les accusant de crédulité et superstition. Croyant au Grand Partage, à la science en tant que discours vrai sur la réalité extérieure, à l’existence d’une seule réalité possible, ils imposeraient l’idée fallacieuse que « la connaissance scientifique serait le seul savoir qui s’imposerait à tous, quel que soit son origine culturelle ou ethnique » (p. 18). Ils s’arrogeraient ensuite le droit de séparer sciences et parasciences et, partant de là, d’exclure des disciplines comme l’hypnose ou la psychanalyse, de résister à des médecines parallèles, voire d’aller jusqu’à se méfier de certaines sciences sociales… Ils auraient ainsi déclenché une guerre des sciences en se permettant de critiquer des travaux issus des science studies ou de demander des comptes au jury de la thèse d’Élizabeth Teissier, célèbre astrologue française promue à cette occasion docteur en sociologie (Lahire, Cibois, Desjeux et al., 2001). Inacceptable pour l’auteur qui préconise que « ces résistances du rationalisme » deviennent désormais l’« objet d’interrogation pour le sociologue » (p. 338).

Pourtant, les rationalistes actuels ne prétendent en général pas qu’il soit possible d’établir une ligne de démarcation nette entre sciences et pseudosciences, et moins encore une démarcation fondée sur l’unique critère de réfutabilité de Popper. Sokal (2005) parle ainsi d’un continuum avec des stades successifs, partant de la science solidement établie, passant par la science d’avant-garde, la science spéculative et la science controuvée, puis atteignant la pseudoscience, sans que l’on puisse fixer de démarcation à un endroit précis.Les méthodes employées et les confirmations empiriques demeurent pour lui les plus pertinents critères de classification. Pigliucci (2010) utilise plutôt la métaphore d’un paysage avec ses pics et ses vallées. L’épistémologie bayésienne a par ailleurs fait l’objet ces dernières années de nombreuses études dans les milieux rationalistes (Wagenmakers, Wetzels, Borsboom & van der Maas, 2011 ;Carrier, 2012). Leurs réflexions épistémologiques apparaissent plus élaborées et nuancées que la présentation qu’en fait Lagrange. Les lecteurs intéressés par l’état actuel des débats sur la question de la démarcation entre sciences et pseudosciences pourront utilement se reporter à Philosophy of pseudoscience: Reconsidering the Demarcation Problem (Pigliucci & Boudry, 2013).

III. Une démarche axiomatique

Pour Lagrange, la réalité ne s’étudie pas, elle se construit socialement et la science n’est qu’une façon parmi d’autres de le faire. Il entend donc d’abord faire partager une autre vision du monde, héritée d’Ernesto De Martino, dans laquelle « il n’y a pas le monde social et le monde naturel, mais une nature « culturellement conditionnée ». La réalité est indissociable du contexte dans lequel elle est discutée et elle varie donc en fonction de ces contextes. Ce n’est pas juste notre perception qui varie, mais bien la réalité elle-même. » (p. 76) Appliqué aux ovnis, cet axiome lui fait déduire que « ce n’est pas à la base qu’il y a des hallucinations ou des erreurs de perception puis des croyances qui rendraient artificiellement le tout matériel [?], c’est bien plutôt à la suite du travail des rationalistes que les soucoupes disparaissent et c’est à la suite du travail des ufologues qu’elles prennent forme, rentrent dans des catégories, etc. » (p. 94) Il suffit en effet pour lui que des gens se mettent à discuter ou à écrire sur le sujet d’une façon ou d’une autre pour rendre les soucoupes volantes soit réelles, soit irréelles.

Force est de constater ici que l’adhésion de l’auteur au relativisme n’est pas simplement méthodologique, mais constitue bien une affirmation de nature ontologique. Ce ne sont pas nos savoirs sur la réalité qui fluctuent, mais la réalité elle-même. On peut naturellement se demander si le projet scientifique même reste alors possible. Une réalité foncièrement instable rend caduque la répétabilité, qui est au cœur de la démarche scientifique : en toute logique, l’expérimentateur obtiendra en effet systématiquement des résultats consistants avec la réalité qu’il s’est choisie…

IV. Une approche parcellaire

Loin d’intégrer l’ensemble des acteurs de l’ufologie francophone, et alors même qu’il estime impossible de traiter ce sujet si tous ne sont pas inclus dans l’analyse (p. 116), l’auteur les trie sélectivement pour ne retenir que ceux susceptibles de conforter ce qu’il entend démontrer dès le départ. L’ufologie n’est présentée qu’à travers les quelques groupes de recherche et d’enquête amateurs en apparence à peu près sérieux (Hill, 2012), en particulier la Société belge pour l’étude des phénomènes spatiaux (Sobeps). En quoi la défunte Sobeps est-elle plus représentative de cette ufologie « croyante » que, par exemple, ce qui est surnommé la frange lunatique dans la littérature ? L’auteur ne dit rien non plus de la « web-ufologie » née avec internet, pourtant depuis le tournant du siècle siège essentiel des controverses ufologiques.

L’approche sceptique du phénomène est quant à elle circonscrite à quatre de ses amis (cinq autres individus sont simplement mentionnés ou très brièvement décrits). De surcroît, l’un des quatre, Méheust ne peut, nous l’avons vu, que difficilement en être considéré un représentant . Comment tirer des conclusions aussi définitives à partir d’un échantillon si réduit ? Lagrange ignore délibérément l’approche sceptique lorsqu’elle teste la pertinence de ses hypothèses avec la méthodologie expérimentale (voir notamment la thèse de doctorat en psychologie de la perception de Jimenez, 1994) ou quasi-expérimentale, à travers par exemple la reproduction d’observations en tirant parti du saros (Cnegu, 1994). Sans cela, il ne pourrait affirmer que « l’ufologue qui réalise une enquête ne peut pas profiter des résultats obtenus sur cette enquête pour l’enquête suivante [et] doit recommencer à zéro la fois suivante » (p. 273), constat sur lequel repose le concept de « scientifique nomade ». Or, pour les observations de masse de rentrées atmosphériques ou de bolides, qui représentent somme toute une fraction significative des rapports d’ovnis allégués, les données d’enquêtes antérieures (répartition géographique des témoins, évaluations angulaires, enregistrements photographiques ou vidéos, etc.) permettent justement de définir des caractéristiques communes, nécessaires pour comprendre des méprises ou clore des pistes, et parvenir à la connaissance des faits réels.

Le plus étonnant reste que l’auteur ne discute pas de la façon dont le Centre national d’études spatiales (Cnes), à travers le Groupe d’étude des phénomènes aérospatiaux non-identifiés (Gepan) et ses avatars ultérieurs (Sepra, Geipan), étudie le phénomène ovni continûment depuis 1977. Il ne dit rien des protocoles mis en place, des enquêtes de terrain réalisées, de ce qui les distinguerait le cas échéant de celles menées par les groupes amateurs, ni des controverses qu’elles ont déclenchées (pour une critique sceptique des travaux du Cnes en ce domaine, voir Rossoni, Maillot & Déguillaume, 2007). On ne sait donc où cet organisme officiel se place dans le cadre de son analyse. Les parcours des membres du Geipan et de son comité d’experts le Copeipan, dont il a pourtant lui-même fait partie, ne présenteraient-ils curieusement aucun intérêt dans une étude centrée sur « la question du partage entre science et croyance » ?

V. Ethnographie de l’ufologie ou étude d’un cas singulier ?

Une bonne partie de la thèse est de nature autobiographique. Lagrange explique l’ensemble de ses activités ufologiques (écrire des articles et entrer dans le comité de rédaction de revues ufologiques, participer à des congrès d’ufologie, contribuer aux recherches de ses amis/informateurs ufologues) uniquement par son intérêt pour l’étude ethnographique de ce micromilieu. Rien pourtant dans son travail n’indique au cours de ces années quelque préparation d’enquête que ce soit, de stratégie(s) définie(s), pas même d’objet d’étude clairement circonscrit. Ce n’est que rétroactivement qu’il revêtira l’habit du sociologue en situation d’observation participante (« à cette époque l’idée d’étudier en ethnographe ce milieu ne me vient pas à l’esprit », p. 156). Avant que le sociologue des sciences relativiste Bruno Latour ne l’accueille et le forme, il n’avait simplement « aucun sujet de recherche précis » (p. 2).

De fait, l’auteur ne s’embarrasse point d’études statistiques, d’enquêtes par entretiens ou de questionnaires afin d’étayer la compréhension sociologique de son objet d’étude. Il se focalise en pratique sur un unique sujet, Thierry Pinvidic, dont il dit pourtant que « l’attitude qu’il défendait n’était pas liée à ses idées sceptiques » (p. 196). Le mouvement sceptique apparaît en réalité assez divers et ne peut certainement pas être appréhendé à partir d’un seul cas, aussi intéressant soit-il. Après un livre de jeunesse où il soutenait encore l’hypothèse extraterrestre (Pinvidic, 1979), Pinvidic a été l’éditeur scientifique d’un ouvrage collectif, OVNI, vers une anthropologie d’un mythe contemporain (Pinvidic, 1993). Seul parmi ses informateurs à avoir privilégié l’approche sociologique du phénomène, il se trouve par ailleurs en désaccord théorique avec son ami ethnographe : « Pour [Pinvidic] qui tente de sortir l’ufologie de la croyance aux extraterrestres il est impensable d’en faire une sociologie qui ne soit pas l’étude d’une erreur. Pour moi au contraire l’erreur est précisément de vouloir entreprendre une sociologie de l’erreur. » (p. 197)

Les sceptiques se réfèrent généralement davantage à des travaux relevant de la psychologie que de la sociologie (voir par exemple Spanos, Cross, Dickson et Dubreuil, 1993 ; Jimenez, 1994). La psychologie anomalistique, domaine en plein développement à l’heure actuelle, se penche pour sa part plus particulièrement sur les récits d’enlèvements par des extraterrestres (Clancy, 2005 ; Holt, Simmonds-Moore, Luke, & French, 2012 ; Cardena, Lynn & Krippner, 2013 ; French & Stone, 2013). Par principe, Lagrange ne veut pas entendre parler de psychologie en matière de rapports d’ovni, et encore moins tenir compte des résultats expérimentaux obtenus par cette discipline.

L’auteur fait donc reposer l’essentiel de sa double démonstration sur l’observation approfondie d’un même sujet. Pinvidic est ainsi convoqué à la fois pour montrer le caractère pseudoscientifique du sceptique (car rechignant à s’associer à des sociologues, tels que l’auteur), puis, en compagnie de Monnerie (1977, 1979), pour démontrer cette fois le caractère scientifique du défenseur de l’hypothèse extraterrestre (car apte à monter des réseaux sociotechniques, comme par exemple un réseau de surveillance photographique du ciel). En fait, les quelques ufologues à s’être comportés « dignement en tant qu’amateurs » (p. 218) dans les années 1970 sont « les mêmes que l’on retrouve sceptiques au début des années 1980 » (p. 220).

Seulement, bien qu’ayant eu la possibilité de nouer des alliances avec des réseaux de sociologues, ses anciens amis continuent de s’intéresser plus à l’ufologie qu’à la sociologie des sciences relativiste. Du coup, Lagrange leur reproche d’avoir opté pour la sociologie qui dénonce les illusions et les croyances (« un mélange entre la sociologie critique et le statut d’ancien stalinien », p. 178), de se prendre pour des sociologues en discutant le sujet (p. 126), d’avoir la volonté de ne surtout pas transformer les ovnis en objet de science (p. 146), de prolonger les disputes sur leur existence de telle façon qu’aucun fait ne serait jamais produit (p. 331) et ne donne pas tort aux ufologues défendant l’hypothèse extraterrestre qui explique être les véritables sceptiques (p. 132).L’auteur semble au bout du compte, et d’une façon hautement subjective, simplement inverser ce discours de dénonciation dont il affirmait pourtant vouloir se démarquer.

VI. Des démonstrations problématiques

Lagrange use couramment dans ses démonstrations de sophismes ou de paralogismes (comme cela a déjà été souligné dans Maugé, 2001), enchaînant analogies boiteuses (cf. p. 34), faux dilemmes (cf. p. 37), implications infondées (non sequitur) (cf. p. 307-308), raisonnements circulaires (cf. p. 308) et autres principes d’explosion (ex contradictione sequitur quodlibet) (cf. p. 346). Pour lui, par exemple, soit on croit soi-même naïvement à la pensée magique, soit on doit renoncer illico au concept de croyance. Or, différents chercheurs ont depuis longtemps proposé des définitions élargies de la notion de rationalité ou distingué plusieurs types ou niveaux de rationalité, sans par conséquent faire appel pour expliquer des idées non fondées objectivement ni à des théories explicatives irrationnelles (au sens cognitif) du type pensée magique, mentalité prélogique, besoins psychologiques inconscients, etc. ni à la théorie exotique des réalités multiples chère à l’auteur. En fait, ce dernier prétend souvent avoir démontré ce qu’il s’est en réalité contenté d’affirmer.

De plus, nombre de ses affirmations successives paraissent logiquement incompatibles. Le discours qu’il déploie lui permet, au coup par coup, d’affirmer une chose puis son contraire, en fonction de ses besoins argumentatifs immédiats :

– L’ufologie est une science normale : « nous allons voir, comme Collins et Pinch l’ont montré à propos de la parapsychologie, qu’ »en ufologie, rien ne se passe qui ne soit scientifique » » (p. 203) ; « l’ufologie […] est une « science » qui produit un nouveau type d’objet et sa normalité est démontrée par le fait que le programme Seti se retrouve exactement dans la même situation » (p. 335). Remarquons que le programme de recherche d’intelligence extraterrestre Seti ne relève lui-même pas de la science normale pour un épistémologue comme Pigliucci (2010), ce qui invaliderait l’argument.

– L’ufologie n’est pas une science normale : « nous proposerons de rendre compte de l’ufologie en opposant le travail de la science, décrit comme un effort pour domestiquer et sédentariser les faits, et le travail de l’ufologie, décrit comme une science nomade, qui oblige sans cesse à recommencer l’analyse. […] Alors que la science « normale » (ou sédentaire) consiste à toujours plus étendre le réseau scientifique pour englober et produire toujours plus de faits scientifiques, la science « nomade » consiste à construire les dispositifs de production de faits les plus légers possibles et au lieu d’enrôler toujours plus de faits, se déplacer de faits en faits en remettant en place le dispositif ufologique. » (p. 205)

– L’ufologie n’est pas une science : « je n’ai pas dit ni voulu montrer que l’ufologie est une science comme Seti » (p. 327) ; « l’ufologie […] n’est sans doute pas non plus une science » (p. 333).

– L’ufologie redéfinit la notion même de science : « cette ufologie, loin de chercher à être une science, redéfinit en fait la notion de science dans sa façon de produire des faits » (p. 238).

L’auteur a encore besoin en vérité de redéfinir lui-même, ou à défaut de rendre plurivoque, des notions fondamentales pour atteindre son objectif. Il retient de son ancien maître Bruno Latour que la science consiste en la production de faits pouvant devenir des acteurs sociaux : « le plus important n’est pas la « découverte de la vérité », mais la capacité à transformer les faits en acteurs sociaux », « de participer à la construction de la société en sociabilisant les non humains » (p. 327). La démarche scientifique se caractérise alors pour lui uniquement en termes sociaux : appartenance à un certain milieu social, intégration au monde académique, souci de calmer les controverses et volonté de les limiter aux acteurs compétents (ce qui ne l’empêche pas de se prononcer parallèlement, faisant fi de toute logique argumentative, pour la négociation des contenus scientifiques par l’opinion). Le rôle des contenus cognitifs, des méthodologies et confirmations empiriques dans la fabrication des connaissances scientifiques est sciemment négligé.

Il devient dès lors possible de conclure que l’approche des sceptiques n’a rien de scientifique (« leur pratique n’avait rien à voir avec la pratique scientifique, non pas du point de vue du contenu qui aurait pu paraître dans des revues académiques, mais du point de vue de leur fonctionnement, de leur trajectoire »), de les désigner comme « ceux qui avaient définitivement ruiné la possibilité de domestiquer les soucoupes, d’en faire des êtres sociaux » et de trouver in fine « plus de science » chez les apologistes des hypothèses extraordinaires (p. 142).

Le mot « fait » revêt quant à lui une signification variable. Concernant l’existence possible d’extraterrestres proches, « Seti se retrouve devant des faits qui présentent le même type de caractéristique que l’ovni » (p. 205). Mais l’ufologue « ne produit pas de fait puisque rien de ce qu’il recueille ne tient, n’est capable de résister à la critique » (p. 274). Il n’en conclut pas moins que « Seti a un réseau et pas de faits, alors que l’ufologie a des faits mais pas de réseau » (p. 327-328)… Cependant, « la distinction entre les faits et les non-faits, cela revient à réintroduire le jugement de notre époque, cette doctrine des choses actuelles dont parlait Bergson ». Impossible par conséquent de « distinguer entre des non-faits alchimiques ou astrologiques et des faits expérimentaux chimiques ou astronomiques » (p. 29).

Enfin, pour présenter un dernier exemple d’incohérences, si l’auteur plaide abstraitement pour une négociation et une cohabitation entre les savoirs (p. 108), il n’admet pas en pratique que diverses manières d’envisager sa discipline puissent coexister : « On ne peut pas avoir en même temps une sociologie des sciences […] et de l’autre une sociologie de la croyance […]. Impossible d’avoir ces deux sociologies en même temps. C’est comme d’imaginer que le système de Ptolémée et celui de Copernic soient vrais en même temps. » (p. 102) Étrangement, il ne semble alors plus considérer que plusieurs façons de construire le réel ou que des pratiques scientifiques diversifiées (p. 18) soient possibles.

Conclusion

« Le vrai débat, ce n’est pas : « est-ce que c’est des fumistes ou pas ? ». Le vrai débat, c’est que longtemps on a pensé qu’il y avait véritablement l’opinion, le public, les non-experts et puis le domaine de l’expertise qui nécessitait des outils très précis, très particuliers. Et qu’est-ce que nous apprend l’affaire Bogdanoff ? Si on regarde l’histoire, ils n’ont pas triché – je veux dire ils n’ont pas recopié la thèse de quelqu’un d’autre –, ils ont fait chacun une thèse et ils l’ont obtenu devant un jury. Cela nous enseigne une leçon : ce n’est peut-être pas si compliqué d’être expert. » Pierre Lagrange, « Le changement climatique : science ou pseudoscience ? », Université de Lausanne, 5 mars 2012.

La distinction opérée entre une ufologie « croyante » qui posséderait un caractère scientifique et une ufologie « sceptique » qui ne le serait pas du tout demeure à l’issue de cette étude très problématique. Si les ufologues ont inventé « un type de science différent », que l’auteur appelle donc science nomade, grâce aux enquêtes de terrain (p. 205), pour quel motif refuse-t-il ce statut de scientifiques nomades aux sceptiques qui réalisent également des (contre-)enquêtes ? Si une telle activité permet d’engranger des faits, pourquoi les enquêtes menées par ces derniers ne le permettraient-elles pas ? Quid, par exemple, des méprises avérées avec des objets au final bien identifiés (astres, rentrées atmosphériques, etc.) ? Ne peut-on les considérer comme des faits scientifiquement établis ? Leurs pratiques ne se rapprocheraient-elles alors pas davantage d’activités scientifiques normales, contrairement à ce que tente de soutenir l’auteur ?

Au final, on ne peut qu’être déçu à la lecture de cette étude au long cours de Pierre Lagrange, qui nous semble plus obscurcir qu’éclairer le débat sur la nature du phénomène. Les sciences humaines et sociales peuvent, et doivent à nos yeux, étudier aussi bien le phénomène ovni stricto sensu que les croyances censées l’expliquer. Elles sont aptes à engager le débat ontologique sur la nature des expériences inhabituelles que sont les observations d’ovnis ou les « abductions » extraterrestres (voir sur ce sujet Abrassart, 2013).

Certains auteurs aux penchants relativistes nous objecteront vraisemblablement que les incohérences, paradoxes et contradictions décelés ne sont qu’apparents et que nous avons échoué à appréhender la profondeur des arguments exposés. Pour notre part, nous ne considérons pas être tenus de faire une herméneutique de textes présentés comme étant de nature scientifique, c’est-à-dire en l’occurrence de spéculer sur ce que le sociologue des sciences a peut-être réellement voulu exprimer sous son discours de surface. La pratique scientifique exige une écriture claire et non pas volontairement ambiguë. Dans ce cadre, ce n’est certainement pas aux lecteurs d’y projeter le sens que leur auteur a potentiellement cherché à y mettre, mais à ce dernier d’expliciter son argumentation de la manière la plus limpide et la plus logique possibles.

David Rossoni et Jean-Michel Abrassart

[1] Jean-Michel Abrassart réalise actuellement un doctorat en psychologie à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) sur le soucoupisme, c’est-à-dire la croyance dans l’hypothèse extraterrestre pour expliquer le phénomène ovni. David Rossoni, historien de formation, a publié sur le même sujet un livre (Les OVNI du CNES : 30 ans d’études officielles (1977-2007), pour la collection zététique dirigée par Henri Broch) et plusieurs articles (Pour la science, Skeptical Inquirer…).

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous  la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.

1. Pourquoi ce thème

L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.

À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues  expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici). 

Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou ) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.

2. Support choisi et public

CorteX_Reel-bad-Arabs_mixChaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :  

– tous les Arabes ne sont pas Musulmans

– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)

– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)

– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.

Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.

Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.

Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées. 

CorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen_DVDLe corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.

La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]

La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]

Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.

3. Enchainement de la séquence

Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.

Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur  (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).

Télécharger ici.

On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?

Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.

Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?

Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.

Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le  meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là

 

4. Public et déroulement recommandé

La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur,  avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).

  • Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on pCorteX_Reel-bad-Arabs_bugs_bunnyrépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).

  • Lancer les extraits pour mCorteX_Arabe_Aladinontrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.

  • Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits  en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009). 

Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel BadCorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen CorteX_jack-shaheen Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.

Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir  ici.

 Djamel Hadbi

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

A lire : La République des censeurs, et Noam Chomsky activiste, de Jean Bricmont

Albert Londres avait écrit en 1929 dans Terre d’ébène, reportage sur les méfaits du colonialisme : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». C’est ce que fait Jean Bricmont, avec talent1.

 

Voici deux ouvrages tout frais : La République des censeurs, et Noam Chomsky activiste.

CorteX_Bricmont_Republique_censeurs

Le premier, La république des censeurs, édité récemment à l’Herne (15 euros), porte sur la pauvreté des arguments qui justifient la censure en France, en particulier celle liée aux grosses affaires sensibles (Loi Gayssot, Dieudonné, Faurrisson, Gollnisch, etc.). Bricmont a l’intelligence et le courage, en anarchiste de gauche, de s’opposer tout particulièrement à son propre bord politique : intelligence car ses arguments nous paraissent implacables. Courage car il sait que le déshonneur par association ira bon train – qui défend le droit d’un imbécile à parler est souvent taxé de soutenir les idées de l’imbécile. Pour écouter l’auteur, voir ci-dessous.

CorteX_Bricmont_Chomsky_activiste

Le second livre est un essai intitulé Noam Chomsky activiste. Nous ne l’avons pas encore lu – même si les opinions de Bricmont sur Chomsky sont bien détaillées ailleurs (cf. plus bas). Il semble que l’auteur y synthétise méthodiquement la démarche intellectuelle de Noam Chomsky, abordant des sujets tels que la responsabilité de l’intellectuel ou encore le contrôle de l’opinion par l’idéologie politique. L’ouvrage publié par les Forges de Vulcain (10 euros) sera disponible en librairie dès le 26 juin 2014, mais il peut d’ores et déjà être commandé ici (ce que nous avons fait).

Bonne lecture sur la plage.

Et pour en savoir plus sur la pensée de Jean Bricmont, voir notre entrevue ici.

RM

Une bonne poignée de mini-conférences CORTECS

Depuis août 2012, le centre névralgique du CORTECS est hébergé dans la bibliothèque des sciences de l’université de Grenoble (appelé aussi SICD1). L’occasion était belle pour agiter un peu l’auditorium qui trône au milieu. Sous la maîtrise technique de Jean-Michel Mermet, nous avons procédé depuis septembre 2012 à plusieurs conférences thématiques critiques, d’un format très court (30mn + questions), qui sont toutes disponibles, soit sur le site des Ateliers de l’information là-bas, soit ci-dessous, en cliquant sur celle qui vous intéresse.


[TOC]


Zététique et autodéfense intellectuelle, par Richard Monvoisin

(14 octobre 2012) Durée avec les questions : 51 min. Télécharger (format .m4v, 605Mo). Télécharger le support.

Tester l’extraordinaire : 2 cas expliqués, par Richard Monvoisin

(22 novembre 2012). Durée avec les questions : 50 min.

Le placebo et ses facettes, par Nicolas Pinsault

(28 novembre 2012). Durée avec les questions : 55min. Télécharger (format .m4v, 438Mo) Télécharger le support.

Choisir un thérapeute – des outils pour nous aider, par Nicolas Pinsault

(30 janvier 2013) Ostéopathie, kinésithérapie, chiropractie, kinésiologie, micro-kinésithérapie… L’offre de thérapies disponible pour prendre en charge nos maux quotidiens est pléthorique. Comment choisir ? Sur quels critères ? Durée avec les questions : 61min. Télécharger (format .m4v, 478Mo) Télécharger le support.

Dérives sectaires & esprit critique, par Richard Monvoisin

(6 février 2013). Les dérives sectaires font sourire, jusqu’à ce qu’un de nos proches se retrouve engoncé dans une de ces mécaniques aliénantes. Nous verrons comment fonctionnent ces aliénations mentales, quels sont les terrains les plus propices à leurs développement et quelques outils de préventions simples. Durée avec les questions : 58mn. Télécharger (format .m4v, 685Mo) Télécharger le support.

Analyse scientifique de l’homéopathie, par Richard Monvoisin

(20 février 2013). Homéopathie, pour ? Contre ? Pour ou contre quoi, au fait ? Pour ou contre son enseignement, son remboursement, sa théorie sous-jacente, le retrait de certains produits ? Aborder ce sujet en 30 minutes est un sacré pari. Durée avec les questions : 54 min. Télécharger (format .m4v, 730Mo) Télécharger le support.

Critique du système de publication scientifique, par Nicolas Pinsault

(6 mars 2013). Le processus de publication scientifique par le biais d’une validation par les pairs est construit pour s’assurer de la qualité des informations publiées. Qu’en est-il vraiment ? Où sont les failles du processus ? Durée avec les questions : 48min. Télécharger (format .m4v, 214Mo) Télécharger le support.

La psychogénéalogie et ses dérives, par Nicolas Gaillard

(10 avril 2013). Cette méthode de psychothérapie consiste à rechercher dans le vécu de nos ancêtres les sources de nos troubles psychologiques et maladies. Avec ses calculs mathématiques, son vocabulaire psychologique et ses « succès » thérapeutiques, elle se pare de scientificité. Pourtant, derrière cette apparence, une analyse critique s’impose. Durée avec les questions : 52 min. Télécharger (format .m4v, 418Mo) Télécharger le support.

Les argumentocs – sophismes et rhétoriques fallacieuses, par Nicolas Gaillard

(20 juin 2013). Marre des discours pompeux, des phrases fumeuses, des joutes oratoires moisies ? Ad hitlerum, ad populum, faux dilemmes et technique de l’homme de paille… Venez apprendre à reconnaître à 10 kilomètres une escroquerie rhétorique ! Durée avec les questions : 54 min. Télécharger (format .m4v, 429Mo) Télécharger le support.

Mésusages mathématiques dans les médias, par Guillemette Reviron

(11 septembre 2013). Chiffres de la délinquance, du chômage, de la fraude aux allocations, de l’immigration, des dépenses publiques, de la croissance, du moral des ménages, du CAC 40, de la consommation : les recours aux chiffres dans les médias sont particulièrement courants. Face à ces avalanches de chiffres, le public adopte souvent deux attitudes contradictoires : d’une part un grand respect des données chiffrées (qui deviennent ainsi un argument d’autorité très performant), d’autre part une « mathophobie » très présente. Ces réactions peuvent inciter à baisser les bras et à renoncer à comprendre ce qui se dit et surtout ce qui ne se dit pas. Ne reste alors que les impressions créées par les chiffres énoncés. L’objectif de cette conférence est de présenter des outils simples, accessibles à tous, pour démystifier les chiffres et surtout pour apprendre à oser les questionner. Durée avec les questions : 42min. Télécharger (format .m4v, 490Mo) Télécharger le support.

Psycho-pop, psychologies de comptoir et leurs dérives, par Nicolas Gaillard

(18 septembre 2013). La gamme de concepts de psychologie humaine que l’on retrouve exposés dans les ouvrages ou les médias dits « grand public » s’avèrent souvent plus proches de la pseudo-science que de la véritable vulgarisation scientifique. En entrant dans le langage quotidien, cette psychologie « populaire » semble offrir les clés d’interprétation de notre environnement : éducation, vie de couple, relations familiales, réussite personnelle et professionnelle, etc. Mais Comment se prémunir face à des concepts nébuleux propices aux interprétations les plus fantaisistes et aux conséquences parfois dramatiques ? Comment s’y retrouver dans le monde du « psy » et éviter ses travers ? Nous aborderons quelques outils d’autodéfense intellectuelle utiles pour maintenir notre vigilance critique dans ce domaine. Durée avec les questions : 46 min. Télécharger (format .m4v, 412Mo) Télécharger le support.

Les historiens de garde : pourquoi Lórant Deutsch et son Métronome posent problème, par Guillaume Guidon

(2 octobre 2013). A travers l’exemple de Lórant Deutsch et de son désormais célèbre « Métronome », déjà vendu à plus de deux millions d’exemplaires, l’objectif de cette séance est de s’interroger sur les usages et l’écriture de l’histoire. Comment ces dernières années, à contre-courant total de l’évolution des sciences humaines et de la recherche historique, certains « historiens » improvisés comme Lórant Deutsch en reviennent à l’écriture d’une histoire nationale, patriotique, faite par les « grands hommes » ? Comment la méthode historique qui se veut scientifique est complétement balayée par ces auteurs ? Comment ces « historiens de garde » parviennent à toucher un auditorat large grâce à des relais médiatiques puissants ? Voici quelques unes des questions auxquelles nous tacherons de répondre. Durée avec les questions : 52 min. Télécharger (format .m4v, 434Mo) Télécharger le support.

L’identité européenne et la fabrique des Européens : décryptage d’une construction politique, par Clara Egger, IEP

(9 octobre 2013). L’ identité en science politique fait référence aux valeurs et aux modes de vie communs mais aussi au processus d’attachement des citoyens à la communauté politique. Après avoir construit l’Europe, voilà qu’on s’efforce de construire les Européens. Oui mais voilà on ne s’attache pas facilement à une Union Européenne perçue comme lointaine, froide et technocratique. Dans ce contexte tous les moyens sont bons : recours à l’imaginaire politique, aux mythes, et, pourquoi pas à la peur. Décryptage. Durée avec les questions : 39min. Télécharger  (format .m4v, 335Mo ) Télécharger le support.

L’art de corrompre les futurs médecins. Exemple vécu, par Jessica Guibert

(16 octobre 2013). Itinéraire d’une étudiante en médecine parmi les diverses sollicitations des laboratoires pharmaceutiques… Comment les industries de santé cherchent-elles à influencer les futurs médecins ? Peuvent-ils échapper à cette stratégie de promotion ? Durée avec les questions : 47min. Télécharger  (format .m4v, 398.14Mo ) Télécharger le support.

Idées reçues et récupérations idéologiques de la théorie de l’évolution, par Julien Peccoud

(23 octobre 2013). Bien que traitée dans les programmes de l’Éducation Nationale, la théorie de l’évolution est souvent surinterprétée ou mal comprise. Son enseignement reste difficile car nécessite une attention toute particulière sur les analogies et les termes utilisés afin de ne pas entretenir des conceptions fallacieuses, déjà bien trop présentes dans les médias. Mieux connaître les facettes de cette théorie permet de se prémunir face aux interprétations classiques (anthropocentrisme, finalisme, complexité irréductible) qui font le lit des créationnismes de toutes sortes. Durée avec les questions : 39min. Télécharger  (format .m4v, 457.11Mo ) Télécharger le support.

Comment lire et comprendre des articles scientifiques ?, par Nicolas Pinsault

(13 novembre 2013) Un point commun des crèmes anti-rides, shampoings contre la perte des cheveux, thérapies manuelles révolutionnaires pour faire disparaitre les migraines est souvent le critère d’efficacité « scientifiquement prouvé » dont ils se parent. Mais comment savoir si la méthode utilisée est bonne pour évaluer une efficacité ? Durée avec les questions : 41min. Télécharger  (format .m4v, 443Mo ) Télécharger le support.

Les rouages de la propagande de guerre : des Sudètes (1938) à la Syrie (2013), par Clara Egger & Richard Monvoisin

(20 novembre 2013) La propagande est un ensemble de moyens psychologiques développés pour influencer la perception publique des événements ou des enjeux, de façon à endoctriner ou embrigader une population et la faire agir et penser d’une manière prédéfinie. La propagande de guerre a ceci de particulier qu’elle est extrêmement simple à décrypter, et pourtant efficace, même en France. Petit survol. Durée avec les questions : 1h06min. Télécharger  (format .m4v, 548Mo ) Télécharger le support.

Mieux comprendre la croyance aux conspirations, par Anthony Lantian

(27 novembre 2013) Pour quelles raisons certaines personnes ont-elles tendance à voir derrière les faits d’actualités les signes d’une vaste conspiration mondiale ? Cette présentation aura pour objectif de donner un aperçu de ce que les recherches en psychologie sociale peuvent nous apprendre au sujet des croyances aux théories de la conspiration. Durée avec les questions : 59min. Télécharger  (format .m4v, 508Mo ) Télécharger le support.

Qu’est-ce qu’une imposture intellectuelle ?, par Denis Caroti

( 24 janvier 2014). L’utilisation d’un jargon scientifique pour impressionner le quidam n’est pas l’apanage des charlatans : l’usage plus subtil de concepts mathématiques ou physiques pointus, notamment pour alimenter des analogies et extrapolations abusives, se retrouvent dans les textes de nombreux auteurs bien connus. Dénoncées par Alan Sokal et Jean Bricmont il y a plus de dix ans, ces « impostures intellectuelles » surfent sur la vague d’un relativisme à la mode, pour lequel l’objectivité est une simple convention sociale. Comment pouvons-nous les déceler et les désamorcer ? Durée avec les questions : 35min. Télécharger  (format .m4v, 295Mo ) Télécharger le support.

Est-il utile de dormir ?, par Patrick Lévy, président de l’UJF

(26 janvier 2014). 1/ Dans les sociétés modernes, la privation de sommeil semble être le prix à payer de l’évolution des modes de vie et de travail ; 2/ dans le même temps, la recherche a mieux cerné pourquoi nous dormons et quelle est la fonction du sommeil pour l’équilibre général de notre organisme ; 3/ c’est cette contradiction qui doit être explorée dans ces différentes dimensions. Durée avec les questions : 46min. Télécharger  (format .m4v, 389Mo ) Télécharger le support.

Il faut sauver la neutralité d’Internet ! par Silvie Renzetti, bibliothécaire SICD1

(19 mars 201). La neutralité de l’Internet est une question technique qui met en jeu des opérateurs économiques puissants et implique des enjeux politiques forts, c’est pourquoi au-delà du débat d’experts, il serait tout à fait imprudent de se désintéresser d’un tel sujet. Cet exposé tente de comprendre quels sont les termes, les acteurs et les conséquences de cette question débattue depuis des années. Durée avec les questions : 42min. Télécharger  (format .m4v, 351Mo ) Télécharger le support.

Les créationnismes et l’intrusion de valeurs en sciences, par Julien Peccoud

(26 mars 2014). Le créationnisme nait avec les textes sacrés mais le débat autour de la question des origines et de l’évolution de la vie a émergé avec l’avènement des pensées évolutionnistes et plus précisément de la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Ces courants créationnistes, très divers, se réclament originellement des écritures saintes mais s’en éloignent dans des courants plus récents. Pour autant, les procédés rhétoriques restent équivalents, unifiés dans des schèmes de pensée communs. Afin de se faire un avis objectif, il est donc important de pouvoir identifier les origines, les pensées et les liens que ces différents courants entretiennent ainsi que de discerner leurs arguments fallacieux à l’encontre de la théorie de l’évolution. Durée avec les questions : 46min. Télécharger  (format .m4v, 383Mo ) Télécharger le support.

L’Intelligent Design : la face pseudo-scientifique du créationnisme, par Julien Peccoud

(2 avril 2014). L’intelligent design (ID) est un courant proposant une alternative souvent séduisante à la théorie de l’évolution. Les arguments sont très divers et les tenants de l’ID peuvent se réclamer d’un évolutionnisme mais révoquent la notion de hasard en proposant que des « forces » transcendantes puissent guider ou être à l’origine de cette évolution. Le but de cette conférence sera de contrer quelques arguments de l’ID sur le champ de la biologie évolutive mais surtout d’analyser sa légitimité dans le champs de la science et en quoi l’ID reste un créationnisme, une porte d’entrée aux intrusions spirituelles et aux valeurs en sciences ainsi qu’une stratégie politique. Durée avec les questions : 46min. Télécharger  (format .m4v, 392Mo ) Télécharger le support.

Peur sur la ville : les islamistes, Al Qaïda et le djihad global, par Clara Egger, Collectif CorteX

(9 avril 2014) « Internationale terroriste », « arc de crise djihadiste » sont autant de pseudo-concepts créés depuis le 11 Septembre 2001 pour analyser les relations internationales sous le prisme d’un affrontement entre l’ « Occident » et l’ « Islam ». A l’image de la prise d’otage à Nairobi en septembre dernier, chaque événement est utilisé pour confirmer la thèse d’un terrorisme islamiste susceptible de frapper partout, n’importe quand au nom du djihad global. Mais qu’y a-t-il derrière le concept d’« islamisme » ? Peut-on réduire l’ensemble des mouvements se revendiquant de cette idéologie à ce mot-valise ? Le 11 Septembre a-t-il véritablement changé la donne de la politique internationale ? Durée avec les questions : 38min. Télécharger  (format .m4v, 323Mo ) Télécharger le support.

La trépidante histoire du droit d’auteur (1) « le piratage c’est du vol », et autres phrases chocs, par l’Association Grésille

(16 avril 2014). Une courte vidéo annonçant que « le piratage, c’est du vol » est imposée à tous les spectateurs de DVD achetés dans le commerce. Pourtant, ces six mots contiennent un nombre de contre-vérités assez impressionnant. Dans cet atelier, nous décortiquerons cette phrase, ainsi que quelques autres à propos du droit d’auteur et d’Internet. Internet signe-t-il la mort de l’industrie du disque ? Internet est-il une zone de non-droit ? Le droit d’auteur encourage-t-il la création artistique ? Le piratage nuit-il à la création artistique ? Durée avec les questions : 37min. Télécharger  (format .m4v, 311Mo ) Télécharger le support.

La trépidante histoire du droit d’auteur (2) La crise, par l’Association Grésille

(23 avril 2014). Le droit d’auteur est forcé de changer. Ses conditions d’existence ne tiennent plus : il est remis en cause par la possibilité de s’abstraire du support physique des œuvres, et de copier celles-ci pour un coût négligeable. L’industrie du divertissement l’a bien compris et déploie une énergie importante pour contrôler la distribution culturelle sur ce nouveau média. Si Internet et l’informatique révolutionnent la création, ils fournissent aussi aux industries du divertissements des moyens de contrôle pour préserver leur position et s’opposer à cette révolution. Dans cet atelier, nous aborderons cette crise et l’évolution de la création culturelle qui en résulte.
Durée avec les questions : 42min. Télécharger (format .m4v, 344Mo ) Télécharger le support.

La « théorie » du genre, par Guillemette Reviron

(28 mai 2014). Depuis son entrée dans les programmes des classes de 1ères L et ES en 2011, ladite « théorie du genre » a suscité de vives inquiétudes et de fortes oppositions (lettre de députés demandant son retrait des programmes scolaires, veilles de parents d’élèves dans les écoles, tracts distribués devant les écoles, journée de retrait de l’école). La médiatisation de cette protestation a fortement contribué à entretenir de grandes confusions sur la notion de genre, véhiculant notamment l’idée que la « théorie du genre » a pour objectif de gommer les différences entre les sexes. Or, contrairement à ce qui fut souvent affirmé, les études sur le genre ne nient pas les différences entre les sexes : elles mesurent les différences non biologiques entre les sexes, mettent en évidence les processus qui les perpétuent et étudient les rapport de domination entre les sexes qui en résultent. Durée avec les questions : 62min. Télécharger (format .m4v, 503Mo ) Télécharger le support

Le freudisme : un conte scientifique ? Par Jacques Van Rillaer

(09 oct. 2014). Partant du commentaire fait par Krafft-Ebing d’une conférence de Freud : « cela ressemble à un conte scientifique », on montrera que Freud, qui croyait que sa place était à côté de Copernic et Darwin, est à placer à côté de Charles Perrault et les frères Grimm, les auteurs de contes. Durée avec les questions : 57min. Télécharger (format .m4v, 498.8Mo )

Peur sur la ville : les islamistes, Al Qaïda et le djihad global (2), par Clara Egger.

(2 dec. 2014). Durée avec les questions : 45min. Télécharger (format .m4v, 503Mo ) Télécharger le support

Les neuromythes, par Nelly Darbois

(26 mai 2015). Dans le milieu de l’éducation comme de la santé, le recours à des concepts découlant des neurosciences est fréquent, souvent pour donner du crédit à des méthodes pédagogiques ou des thérapies et ainsi en légitimer l’usage. Il existe dans ces domaines ce qu’on appelle parfois des neuromythes : des concepts ou théories fausses ou non vérifiées sur le fonctionnement cérébral, découlant parfois d’une erreur de compréhension d’un fait scientifiquement établi. En parallèle de cela, nous avons tendance à accorder plus de crédit à une idée qui se réclame des neurosciences, qui utilise son langage ou ses images. Nous expliciterons quelques-uns de ces neuromythes et leur potentielles dérives. Durée avec les questions : 46min. Télécharger (format .m4v, 389Mo ). Télécharger le support

Exercice – Décryptage de la colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre colon

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.
(publicité réelle, composée de 10 pages scannées – voir plus bas)

   En vous appuyant sur votre outillage zététique, il est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

CorteX_intestin

Le corrigé en pdf est téléchargeable ici

Colo p1Colo p2Colo p3Colo p4Colo p6 Colo p5 Colo p4 Colo p7 Colo p8 Colo p9 Colo p10

Corrigé – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Analyse du texte « le panda est une création tout à fait étrange »
(Pour l’énoncé, voir ici).

« Le panda

Catégorie imprécise. Rappelons-nous que la notion d’espèce est une catégorie créée par le cerveau humain. En gardant cette catégorisation, il faut être précis : il y a deux grands genres de panda, les Ailuropodes et les Ailurides (de ailos, en grec : le chat). Ils sont tous les deux du sous-ordre des caniformes, mais les premiers appartiennent à la famille des ours, les Ursidés. Chez les Ailuropodes, il y a deux sous-espèces, le panda géant, Ailuropoda melanoleuca, auquel il est fait référence ici dans ce texte, et le panda de Qinling, Ailuropoda melanoleuca qinlingensis. Quant aux Ailurides, qui n’ont qu’un seul représentant vivant, le panda roux, ou panda fuligineux, Ailurus fulgens, ils sont de la famille des ratons-laveurs, les procyonides. Pour les embranchements phylogénétiques, voir plus loin.

est une création

Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’une espèce créée telle quelle, ce qui nous ramène au fixisme.

 tout à fait étrange

Norme. Étrange par rapport à quelle norme ? Cette « étrangeté » relative fait le jeu de la lecture téléologique

 et inadaptée à son milieu

Erreur d’analyse évolutive. Aucune espèce n’est « inadaptée » à son « milieu » (sauf éventuellement lors d’un bouleversement colossal de celui-ci). Elles sont toutes au contraire fortement adaptées à leur niche. Le panda géant, avec ses spécificités, a justement une niche écologique « très sensible », au point qu’une simple variation de ladite niche peut le mettre en péril.

 : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande

Terme téléologique. Un organe n’est pas « fait pour » quelque-chose. Il n’est pas « fait », et pas « pour » (dans le but de). Il est le fruit d’un ensemble de caractéristiques héritées d’individus les ayant possédés et leur ayant conféré un avantage par rapport aux autres individus pandas. De ce fait, ces caractéristiques se sont propagées à toute la population car augmentant le succès reproducteur de leurs porteurs.

  ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant

Notion désuète et fausse. Un fossile vivant, ou espèce panchronique est une espèce actuelle présentant des ressemblances morphologiques avec des espèces éteintes, identifiées sous la forme de fossiles. Ces appellations, abandonnées, suggéraient, à tort, que ces espèces n’ont plus évolué depuis les temps fossilifères. Or l’apparente stabilité morphologique des espèces panchroniques ne concerne que la morphologie externe globale de ces groupes d’espèces, l’anatomie interne et a fortiori le patrimoine génétique de ces espèces varient et évoluent au cours du temps (cf. ouvrages de Lecointre et Le Guyader). En clair, comme l’écrit le Maître de conférences parisien Patrick Laurenti, un bon fossile vivant est un fossile mort 🙂

 est le chaînon manquant

Notion désuète et fausse. Le chaînon manquant, ou forme transitionnelle serait une espèce vivante ou fossile qui présenterait une mosaïque de caractères de deux autres espèces ou groupes d’espèces actuelles, laissant penser qu’il est une forme intermédiaire entre ces dernières, dans une logique de classification linéaire que l’on sait illusoire. Cette expression est à bannir, à l’instar de « chaînon manquant » ou « maillon », car l’identification d’une forme transitionnelle n’est possible qu’a posteriori et en négligeant l’aspect continu, buissonnant et non directement orienté du processus évolutif. En gros, on lit à rebours le processus, en un beau raisonnement panglossien. En outre, une forme transitionnelle entre espèces actuelles ne peut pas exister, au contraire d’ancêtres communs ou d’ « intermédiaires structuraux ».

 des ours

→ « chaînon manquant des ours »  ne veut rien dire : même si chaînon manquant avait du sens, il faudrait dire « entre les ours et …. quelque chose d’autre ».

Problème de filiation. Si on raisonne sur le panda roux, de récentes recherches en phylogénie moléculaire le situent dans un genre indépendant, les Ailures, de laquelle il serait la seule espèce encore vivante. Ce genre fait lui-même partie de la super-famille des Musteloidea qui inclut aussi les Mephitidae (mouffette) d’une part, les Procyonidae (raton laveur) et les Mustelidae (belette) d’autre part. Selon cette nouvelle classification, il n’appartient donc pas à la famille des Ursidae. Il serait plus proche des ratons-laveurs, en raison des grandes affinités du squelette, de la dentition, des organes génitaux et du pelage.

Si on raisonne vraiment sur les deux sous-espèces de pandas géants (Ailuropoda melanoleuca), alors effectivement il est classé dans la catégorie Ursidae, bien que longtemps considéré comme une sorte de « raton laveur aberrant ».

Précisons que Dwight Davis, de Chicago, a montré en 1964 que s’il y a une forte ressemblance entre les deux familles de panda, cela résulte davantage d’une évolution vers des fonctions semblables que d’une ascendance commune. Cela fut confirmé dans les années 80 par l’équipe de généticiens de Stephen J. O’Brien. Anecdote : le contre-argument contre le classement des pandas géants dans les Ursidés reposait sur le nombre de chromosomes : les ours possèdent 74 chromosomes et les grands pandas seulement 42, ce qui semblait contredire une étroite parenté. Mais on découvrit que les chromosomes plus courts de l’ours avaient fusionné, et formé les chromosomes moins nombreux et plus longs du panda géant. Remonter le buisson phylogénétique nous fait remonter dans le temps. On sait désormais que les familles de l’ours et du raton laveur se séparèrent sur l’arbre de l’évolution; il y a plus de 40 millions d’années, tandis que les pandas géants se différencièrent des ours il y a seulement 22 à 25 millions d’années.

 CorteX_Phylogenetique_panda

 , mais aucun fossile n’a jamais été découvert.

Erreur de raisonnement, et biais d’échantillonnage. Primo, nombre de fossiles n’ont pas été découvert ; secundo, un ancêtre commun à deux espèces peut avoir existé sans, hélas, se voir figé dans la roche ; tertio, fin 2012 ont été découverts deux jeux de dents fossiles d’un ancêtre commun entre l’ours et le panda géant… au nord de l’Espagne. Ce fossile, daté de 11,6 millions d’années, appartiendrait à un genre disparu, Kretzoiarctos beatrix, ou ours de Kretzoi, nommé ainsi en l’honneur du paléontologiste Miklos Kretzoi et de sa collègue Beatriz Azanza.

 Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie

Terme téléologique. « Stratégie » impliquerait que l’acquisition d’un caractère se ferait par la volonté, la perspicacité ou le choix propre de l’espèce. Or primo il n’y a pas de « conscience » d’espèce. Secundo, il n’y a aucune part à la volonté des individus dans l’adaptation au milieu.

 fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel,

Terme téléologique. « Pour » signifierait qu’il y a un but, séduire son partenaire. L’évolution se lit à rebours : ceux qui ont développé cette couleur ont été avantagé par rapport aux autres dans la compétition sexuelle.

 mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme

Double erreur épistémologique : primo, glacial s’interprète comme « froid, inhumain, immoral ». Or l’évolution n’est ni morale ni immorale, mais amorale, comme toutes les descriptions scientifiques. Secundo, le terme « évolutionnisme », avec son suffixe -isme, instille l’idée d’une école de pensée, ou une école de morale. On ne parle pas de gravitationnisme, ou de quanticisme, fort heureusement.

 qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin.

Métaphore de la religiosité de la science, très fréquente depuis Paul Feyerabend, et en vogue dans les courants relativistes. Or, quel que soit le sens que l’on donne au mot science la métaphore de la religion ne fonctionne pas vraiment : il n’y a pas de morale immanente, pas d’entité sur-naturelle, pas de rédemption, pas de texte sacré ni de prophète. Bien sûr, sous certains aspects, certains scientifiques ont prôné des courants à l’exclusion d’autres (ce qui n’était d’ailleurs pas du tout le cas de Darwin) mais on parlera plutôt de paradigmes, au sens de Kuhn. Et la notion de prophète (une personne qui tient, d’une inspiration que l’on croit être divine, la connaissance d’événements à venir et qui les annonce par ses paroles ou ses écrits) s’évapore.

 En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature

Terme téléologique. Même remarque que plus haut.

 soit le fruit du hasard,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « argument de l’impossibilité ».C’est un raisonnement panglossien. Notez que la théorie de l’évolution ne décrit pas l’apparition des espèces comme le fruit du hasard. C’est un mélange de hasard (comme par exemple les mutations) et de nécessité (contraintes du milieu). La rhétorique dont procède cette phrase relève de l’Homme de paille (argument du strawman).

 car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible.

Raisonnement panglossien. Voir point précédent.

De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « Métaphore de l’horloger du Révérend William Paley ». Raisonnement panglossien.

de même

Analogie fausse entre la montre et le panda : le fait de comparer une production humaine à une espèce est injustifié, sauf à prendre ce qu’on veut montrer comme prémisse (ce qui deviendrait un raisonnement circulaire).

il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable.

Termes téléologiques. Création : terme téléologique, impliquant un créateur ; « être improbable » n’a pas de sens, car en soi tous les êtres sont improbables (mais possibles ! Avec des degrés de possibilité différents).

Défaut de rasoir d’Occam : postulat d’une volonté immanente, entité sans preuve ni nécessité pour expliquer le phénomène, donc surnuméraire.

Cela démontre

Erreur de démonstration : la métaphore (fausse qui plus est) ne démontre rien.

qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable de l’espèce. Cela nous ramène au fixisme primitif, propre aux créationnismes.

de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable des groupes sociaux (comme dans l’anthropologie du XIXe).

Effet paillasson : délinquant est un terme bien trop flou et composite

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam : prêter à la « nature » d’un individu son caractère délinquant est coûteux sur le plan des connaissances. Rien ne permet de penser que la « délinquance » soit la nature de quelqu’un. Par contre on a maintes données sur le lien entre « délinquance » (hors délinquance en col blanc) et situation socio-économique. Cette seconde hypothèse est donc bien moins « coûteuse » selon le principe de parcimonie du rasoir d’Occam.

ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme, variante sexiste

dichotomie entre deux sexes, là où il y a pourtant un continuum inter-sexe.

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam. Prêt d’un instinct guerrier propre aux Hommes, d’un instinct maternel propre aux femmes, là où une explication socioéconomique des tâches est bien plus pertinente et étayée : la guerre est une activité politique, domaine réservé aux Hommes pendant longtemps ; la maternité une activité dévolue aux femmes. Sur ce point, il ne semble pas qu’il existe un instinct maternel dissociable du paternel, et qui ne soit pas le fruit d’un apprentissage très tôt chez la jeune fille, couplé à un temps accru passé avec les enfants, par la grossesse d’abord, par le partage des tâches ensuite.

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

Canular. Version allemande de R. Monvoisin, Pour une imposture intellectuelle réussie sur la question du panda, livre qui n’existe pas. Oxbridge, contraction de Oxford et de Cambridge.


Cette correction est le fruit d’une étroite et glutineuse collaboration entre Richard Monvoisin et Julien Peccoud
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CorteX_Monvoisin_casque_barbe_pipe

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Exercice – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  posé par Richard Monvoisin en mai 2014 aux étudiants de  niveau Licence de l’Université de Grenoble.

 

Analyse de texte

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Faites une analyse critique zététique du texte suivant :

« Le panda est une création tout à fait étrange, et inadaptée à son milieu : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant est le chaînon manquant des ours, mais aucun fossile n’a jamais été découvert. Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel, mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin. En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature soit le fruit du hasard, car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible. De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée, de même il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable. Cela démontre qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce, de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains, ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275.

Le corrigé est ici.

Précis de réfutation – The debunking handbook

Fin 2011, deux Australiens, John Cook, chargé de communication au Global Change Institute de l’Université du Queensland1, et Stephan Lewandowsky, professeur de sciences cognitives à l’Université Australie-Occidentale2 ont publié gratuitement The Debunking Handbook (« Précis de réfutation »), un livret de huit pages qui vise à faire comprendre aux scientifiques et aux enseignants critiques que l’important n’est pas tant de s’attaquer aux fausses croyances et à leurs démythifications (debunking) que d’y mettre… une certaine forme. Les apports de la psychologie scientifique nous confirme en effet que ce n’est pas ce que savent ou pensent les gens qui prime, mais « comment » et avec quelle intensité ils le pensent. Car aussi étrange que cela puisse paraître, démythifier peut parfois renforcer le mythe.
Bien sûr, c’est succinct, et parfois très raccourci. C’est en revanche aussi utile que pratique pour faire circuler une information qu’il n’est pas évident d’aller chercher par soi-même.
Il y a plusieurs traductions disponibles de ce manuel. Celle en français, produite par Alexandre Hanin, est téléchargeable ici ou .

Richard Monvoisin