Nous cherchions depuis quelque temps des éléments d’esprit critique faciles en rapport avec la géographie Il y aurait bien sûr toute une littérature à éplucher sur l’archéofiction, les traces de l’Atlantide, de Mu, ou sur les cartes extraordinaires comme celles de Piri Reis. Mais hors des sentiers de l’étrange, voici quelques extraits radios pouvant servir pour un enseignant de géographie à montrer que la composition des cartes n’est pas toujours exempte du cadre idéologique qui l’entoure, avec l’exemple à l’appui de l’Amérique.
Ceci est un appel pour tout-e géographe qui souhaiterait nous fournir d’autre matière.
Ce qui suit est un découpage à peine complété de l’excellente émission La Fabrique de l’Histoire par Emmanuel Laurentin, qui a pour invités l’historienne Raymonde Litalien et le professeur de littérature en Sorbonne Franck Lestringant.
Puissent-ils nous pardonner d’en avoir reproduit quelques morceaux.
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Histoire « sexiste » du nom d’Amérique, offert à Amerigo Vespucci – sans se poser la question du nom « natif ».
(1mn26)
Le texte :
«Nunc Vero et hae partes (Europa, Africa, Asia) sunt latius lustratae, et alia quarta pars per Americum Vesputium (ut in sequentibus audietur) inventa est, quam non viecto cur quis jure vetet ah Amerigo inventore, sagacis ingenii viro Amerigen quasi Americi terram, sive Americam dicendam : cum et Europa et Asia a mulieribus sua sortita sint nomina. Ejus situm et sentis mores ex bisbinis Americi navigationibus quae sequuntur liquide intelligidatur».
Traduction :
« Aujourd’hui ces parties de la terre (l’Europe, l’Afrique et l’Asie) ont été plus complètement explorées, et une quatrième partie a été découverte par Amerigo Vespucci, ainsi qu’on le verra plus loin. Et comme l’Europe et l’Asie ont reçu des noms de femmes, je ne vois aucune raison pour ne pas appeler cette autre partie Amerigé c’est-à-dire terre d’Amerigo, d’après l’homme sagace qui l’a découverte. On pourra se renseigner exactement sur la situation de cette terre et sur les coutumes de ses habitants par les quatre navigations d’Amerigo qui suivent ». (Merci à Jean-Pierre Urvoy, Herodote.net).
- Résistance de la cartographie biblique
L’Amérique est considérée longtemps comme un archipel d’îles avant d’être représenté comme un tout à partir de Verazzano. Avant cela, pas de continent, car il y a une résistance de la représentation biblique « en trèfle » de la planète – le monde étant divisé entre les trois fils de Noé.
Explication de Raymonde Litalien :
(1mn33) Télécharger
Complément de Franck Lestringant :
(0mn58) Télécharger
II faudra attendre Mercator en 1538 pour ancrer définitivement le nom Amérique.
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Toscanelli et les hémisphères « supérieur » et « inférieur », conception de l’Orient en haut, où se lève le soleil, Occident en bas séjour des morts.
On comprend ainsi que la représentation de la carte du monde obéit à des règles implicites, comme situer le haut du bas, et quel centrage choisir (en l’occurrence, dans de nombreux atlas de l’époque, on place Jérusalem au centre de la croix christique).
(3mn12) Télécharger
Pour l’anecdote, sachons que fut l’objet d’un long débat en 1945 le positionnement de la mappemonde dans le logo de l’ONU (Organisation des Nations Unies), afin de récuser le positionnement arbitraire des États-Unis pile au centre.
(1mn33) Télécharger
Source : P. Gelinet, France Inter, 2000 ans d’Histoire, narré par Yves Berthelot, 6 décembre 2010.
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Hypothèses ad hoc : un quatrième continent, alors qu’il n’y a que trois fils de Noé ?
Commencent alors les hypothèses ad hoc, crées de toutes pièces pour faire coller les découvertes à la religion. Des phéniciens à la 10ème tribu d’Israël, des frères vénitiens Nicolò et Antonio Zeno, l’histoire de Saint-Brandent, les Islandais, Jean Cousin, les Chinois (qui auraient découvert l’Amérique vers 1421) et les Vikings qui l’auraient découverte au VIIIe siècle. Mais peut-on prétendre découvrir l’Amérique quand des populations vivaient dessus ?
(12mn16) Télécharger
Et l’on relève avec Anaïs Kin qu’on parle à l’époque non pas de géographe, mais de « cosmographe », terme théologique par définition, mais pas exempts de conflits d’intérêt.
Et dans la manière de positionner les lignes de démarcation, les Moluques, grand enjeu économique pour ses épices, entrent sous influence soit des Portugais ou des Espagnols. Ainsi, la délimitation cartographique devient un enjeu impérialiste et de réunification du monde « chrétien ».
On cherchera alors dans le nouveau continent les origines du monde et le Paradis, corroborées par le fait de trouver des humains nus comme aux tous premiers temps. Paradis que trou
Colomb, d’ailleurs, aux sources de l’Orénoque, qu’il dessinera à la pointe d’un « sein » de femme dans une représentation cartographique en poire de la planète.
(2’25) Télécharger
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Concordisme
Tout le monde n’a pas vu d’un bon œil l’affranchissement de la cartographie de la coupe théologique, aussi certains durent en quelque sorte « tortiller » et faire du concordisme, comme Mercator qui fait précéder son atlas de Méditations cosmographiques portant sur la genèse, tentant de réconcilier la cartographie avec l’Écriture sainte.
(1mn16) Télécharger
Cela n’est pas sans nous rappeler ce dessin de Sack :
Assez pour aujourd’hui sur la leçon de biologie à propos du « Dessein Intelligent »,
et passons à la « Géographie Intelligente ».
RM