La science (2) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 2


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°1 était :

Vous parlez de science, mais moi, je n’aime pas la science. Je n’aime pas les scientifiques arrogants, je n’aime pas les OGM, le nucléaire, les experts corrompus, les médecins pompeux et les industries pharmaceutiques. Pourquoi devrais-je écouter un discours scientifique ?

Ah, ça commence bien, nous avons déjà des choses en commun ! Mais pour bien les trouver, il va falloir qu’on précise les mots. Alors avant de discuter de science, nous avons coutume de distinguer quatre voire cinq sens différents au mot science. Et si nous prenons le temps de le faire, vous allez voir que pas mal de choses s’éclaircissent.

Le mot science peut désigner :

  • Sens 1 : la démarche, qui propose des outils pour dire des choses plus vraies que d’autres sur le monde.

Dit plus pompeusement : « une démarche intellectuelle contraignante visant une compréhension rationnelle du monde naturel et social ».

  • Sens 2 : les connaissances, tout ce qu’on sait sur un sujet donné, à un moment donné.

Dit plus techniquement, « un corpus de savoirs substantiels communément acceptés, évalués comme objectifs et considérés à un moment donné ».

  • Sens 3 : la technopolitique, c’est-à-dire les sciences appliquées et la technologie.

On range dans cette case la genèse sociopolitique des axes de recherche, c’est-à-dire ce qui fait qu’on met de l’argent sur tel ou tel programme de recherche (course à la lune, technologies militaires, cosmétiques, pharmacologiques, nanotechnologiques, etc.).

  • Sens 4 : les scientifiques vus du dedans, la communauté scientifique avec ses mœurs, ses rites et ses luttes de pouvoir.

C’est le sens anthropologique du terme, la sociologie interne du champ scientifique : qu’est-ce qui fait qu’un scientifique est plus célèbre qu’un autre, grimpe dans la hiérarchie, passe dans les médias, devient consultant de la sphère politique voire entre dans cette sphère.

  • Sens 5 : les scientifiques vus du dehors : c’est le même sens qu’au sens 4, mais vu de l’extérieur, par le public qui se dit non-scientifique.

Les scientifiques tels qu’on se les représente, à l’extérieur de la tour d’ivoire (vus comme des docteurs Frankenstein, des savants fous… ou au contraire comme des bons Pasteur, bienveillants, soignant plein de gens).

Quand nous parlons de pensée critique scientifique, le mot science que nous revendiquons est le sens 1, la démarche, avec ses contraintes qui font qu’on ne peut pas dire n’importe quoi, son système de réfutation, sa preuve, ses méthodologies, en gros juste la science du sens commun, celle commune aux enquêteurs, aux plombiers, aux juges, aux cuistots et aux chimistes, qui visent à recouper l’information, la tester, la réfuter éventuellement.

On s’appuie aussi sur le sens 2, la somme des connaissances. Son seul problème, c’est qu’elle peut se périmer, avec de nouvelles découvertes, donc il faut être prudent. Mais si l’édifice est ancien (tout ce qu’on sait sur les salades par exemple) il est très probable que cette somme des connaissances soit stable – à moins d’une révolution sur la connaissance des salades.

Sauf précision, nous ne sous servons pas des trois autres sens, ou alors pour les analyser et les critiquer.

Le biologiste Guillaume Lecointre résume le tout en gros comme ceci :

Le rejet croissant de la science par le public et le succès de certaines mouvances spiritualistes viennent d’une confusion entre ces cinq définitions : la science comme démarche rationnelle d’investigation du monde (sens 1) sera rejetée parce que le clonage fait peur (sens 3), parce que le club nucléocrate prend toutes ses décisions en bafouant la démocratie (sens 5), parce que des bombes atomiques ont explosé (sens 3), parce que des querelles de pouvoir s’exercent lors des congrès scientifiques (sens 4) ou encore parce qu’un résultat que l’on tenait pour certain s’avère faux (sens 2). « La manipulation est grave, parce qu’en utilisant le seul mot science sans préciser dans quel sens on l’entend, on laisse courir le malentendu selon lequel la démarche rationnelle de la découverte du monde mène tout droit aux néfastes conséquences sociales du libéralisme économique (…) ».

En gros, il ne faut pas jeter le bébé (la démarche) avec l’eau du bain (technopolitique, sociologique, politique).

Pour aller plus loin

  • J. Bricmont, A. Sokal, Impostures intellectuelles, Odile Jacob. (1997, p. 122)

  • G. Lecointre, dans J. Debussy & G. Lecointre, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse (2001) introduction, pages 33-34

  • A. Sokal Pseudosciences et postmodernisme : adversaires ou compagnons de route ?, Sciences, Odile Jacob. (2005, p. 41)

  • R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, thèse (2007), La science : le bébé et l’eau du bain, pp.34-37

 

Question N°2

Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

 

La science (1) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 1
 


Oups, je veux retourner au début  !

Question N°1

Vous parlez de science, mais moi, je n’aime pas la science. Je n’aime pas les scientifiques arrogants, je n’aime pas les OGM, le nucléaire, les experts corrompus, les médecins pompeux et les industries pharmaceutiques. Pourquoi devrais-je écouter un discours scientifique ?

La science (3) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 3


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°2 était :
Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

C’est vrai, la science n’explique pas tout. Il y a au moins deux catégories de choses qu’elle n’explique pas. Les émotions bizarres qu’on ne parvient pas à décrire, sentiments esthétiques, artistiques, mystiques ; et des questions auxquelles la science ne peut pas répondre. Exemples : pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je moi ? Ai-je un destin ? Qu’y avait-il avant l’univers ? Où irai-je quand je casserai ma pipe ? Existe-t-il un dieu ? Plusieurs ? Un paradis ? Ce sont des questions « au-delà » de la science, dont les réponses ne sont pas dans la nature, c’est d’ailleurs pour cela qu’on les dit « métaphysiques » (de méta, après, et physique, nature en grec). Or la science, qui étudie la nature (physis, en grec, qui a donné physique), le réel, ne peut pas par définition s’appliquer aux questions métaphysiques.

Pour illustrer la chose, on peut le résumer ainsi : il n’y a pas d’expérience que je puisse mener qui m’indique mon destin. Et dans ces cas-là, l’introspection, la lecture de livres sacrés ou de poésie, la méditation, la consommation de psychotropes peuvent être des méthodes satisfaisantes. Pas la science.

Mais sur les questions visant à décrire le monde réel, et à le rendre prédictible, la science est incontestablement plus efficace que toutes les autres. Que ce soit pour décrire les propriétés des cailloux, la biologie des chèvres, pour guérir une fracture du bras ou pour faire rouler une mobylette, il n’y a pas plus précis. Bien sûr, c’est un peu froid, ce n’est pas toujours parfait, car les connaissances manquent parfois, mais… on n’a pas meilleur outillage.

Question N°3

Mais n’est-ce pas une certaine forme d’arrogance de la science de se déclarer « méthode la plus efficace » ?

Réponse ici !

Question N°2

Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

La science (4) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 4


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°3 était :

Mais n’est-ce pas une certaine forme d’arrogance de la science de se déclarer « méthode la plus efficace » ?

Attention, ce n’est pas la science qui s’auto-décrète la plus efficace. Elle est la méthode la plus efficace non parce qu’elle le décide, mais parce qu’elle est faite pour ça : cette méthode a été « fabriquée » à partir de toutes les erreurs d’observation, d’interprétation, de corrélation qu’on ait pu faire dans l’histoire de l’Humanité. Chaque erreur dans la description du réel a été un moyen de corriger la méthode en incorporant de quoi éviter ladite erreur la prochaine fois. Ce n’est donc pas une dictature de la science. Penser que la science s’arroge un droit contestable de dire ce qui semble vrai, c’est comme contester la légitimité de l’arbitrage dans un match en disant « mais de quel droit ce bonhomme, cette bonne femme décrète d’arbitrer ce match ? ».  Si la science est la plus efficace, c’est parce qu’elle a été faite pour être efficace. Alors autant s’en servir. Comme dit Jean Bricmont, « Que l’on me trouve une autre manière de faire rouler des voitures, de soigner des gens ou de faire fonctionner des machines aussi efficacement par une autre méthode, et je m’y mets ».

Question N°4

Soit. Pourtant, même les scientifiques nous disent qu’il n’y a pas de « méthode » à proprement parler, en tout cas pas de définition unique de cette méthode. Ne trouvez-vous pas cela gênant pour une démarche qui se veut efficace ?

Réponse ici !

La science (5) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 5


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°4 était :

Soit. Pourtant, même les scientifiques nous disent qu’il n’y a pas de « méthode » à proprement parler, en tout cas pas de définition unique de cette méthode. Ne trouvez-vous pas cela gênant pour une démarche qui se veut efficace ?

On parle de deux choses différentes. Il n’y a pas de méthode pour découvrir des choses. Ca peut se faire par hasard, comme les Corn Flakes de John Kellog et son frère (c’est du moins ce que raconte Kellog au dos de la boîte). On peut trouver quelque chose parce qu’on a suivi une intuition, parce qu’on avait foi en un résultat, ou au contraire parce qu’on pensait que quelque chose était impossible et qu’on voulait en être sûr. Donc pour  trouver des choses, tout est bon ! Même mû par une religion, on peut trouver des trucs justes. Par contre, pour démontrer que cette chose découverte est juste, la méthode utilisée est commune à tous les champs scientifiques : c’est de la méthode de la démonstration rationnelle, et de l’élaboration de la preuve (ou d’un faisceau de preuves convergentes sur des sources indirectes, comme dans les sciences historiques).

En gros, ça se passe comme ça : quelle que soit notre source d’inspiration (poétique, religieuse, militante) on pose une hypothèse (« ceci va marcher comme ça », ou « il est probable que ces individus-là fassent ça dans cette situation », etc.). Puis on teste cette hypothèse, en cherchant qu’est-ce qui pourrait la contredire, de la même façon qu’un joueur d’échecs va chercher les coups que pourrait lui porter l’adversaire. Si cette hypothèse se révèle valide pour une gamme d’objets, on regarde si les objets un peu différents suivent le même comportement. Si oui, alors l’hypothèse peut devenir une thèse, qui à la longue, si elle est vraiment solide, sera appelée une loi (je sais, ce mot est un effet paillasson à lui tout seul, ça fait penser aux lois humaines, négociables, ou aux lois divines, transcendantes). Si cette loi a la même forme que d’autres lois, alors on regroupe le tout dans une théorie, toujours réfutable si on trouve un cas qui n’entre pas dedans, mais d’autant plus solide que les expériences vont la confirmer.

Pour faire simple : quel que soit le domaine, si quelqu’un affirme quelque chose, il doit apporter des éléments à l’appui de son affirmation : au mieux des preuves, et sinon, un faisceau de présomptions qui font penser que ce qu’il dit a des chances d’être vrai. Ensuite, il faut vérifier. Un exemple en physique : quelqu’un dit « tous les objets tombent ». Il prend un objet, le lache, il tombe, c’est un début de preuve. Reste à voir ensuite si tous les objets, qui ont une autre couleur, une autre forme, tombent aussi. Si c’est le cas, alors on peut penser que son affirmation est vraie. Mais attention ! C’est assez injuste, mais il suffirait d’un seul corps qui ne tombe pas, et son affirmation est foutue. Un autre exemple, en sciences humaines : quelqu’un affirme que les Femmes sont toutes coquettes par nature : Il suffira d’une seule femme non coquette pour ne plus croire en son affirmation.

En gros, la science est une méthode proposant des outils pour ne pas affirmer n’importe quoi sur le monde qui nous entoure.

Question N°5

Il n’y a pas de différence de méthode entre sciences dures et sciences humaines ?

Réponse ici !

La science (6) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 6


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°5 était :

Il n’y a pas de différence de méthode entre sciences dures et sciences humaines ?

D’emblée, je t’encourage à oublier le terme de science dure, ou exacte, pour au moins trois raisons.

  • D’une part, les sciences dures ne sont pas toutes exactes. Exemple, en physique quantique il y a quelques imprécisions de mesure, et en météorologie, les équations divergent tellement que le résultat final est dur à prévoir.
  • D’autre part, les sciences dures s’opposeraient à quoi ? Aux sciences « molles » ? Cela laisse penser que les sciences humaines sont molles méthodologiquement, ce qui est absolument faux. C’était vrai dans les débuts de ces disciplines (la sociologie par exemple est une science qui, âgée d’à peine un siècle, peine parfois à trouver sa scientificité – mais regardons bien les débuts de la chimie, ou de la médecine, c’était pareil) et il reste quelques cas de politologie ou d’anthropologie bien molle, où de pompeux personnages enfument leur monde. Mais c’est de plus en plus rare, car ces sciences se disciplinent de plus en plus. Comme l’a montrée l’affaire Sokal, on ne peut plus faire ou dire n’importe quoi.
  • De trois : science dure, ça laisse penser que c’est rigide, insensible et indépendant du contexte socio-politico-économique. Or ça, c’est faux. On sait plus de choses sur les pathologies des Blancs que des Noirs, plus de choses sur le gland humain que sur le clitoris, on a plus de financement sur des sujets qui présentent un marché (les nanotechnologies) que sur ceux qui n’en ont pas…

Question N°6

Enfin, ce n’est pas la même chose, tout de même, de travailler avec des cailloux et d’étudier des humains par exemple…

Réponse ici !

 

La science (7) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 7


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°6 était :

Enfin, ce n’est pas la même chose, tout de même, de travailler avec des cailloux et d’étudier des humains par exemple… ?

La méthode est grosso modo la même et se résume ainsi : comment dire quelque chose plus vrai que faux, et comment le rendre démontrable à quelqu’un d’autre ? Les hypothèses posées sont différentes, souvent plus modestes quand l’objet est complexe (comme les objets sociaux, qui sont très souvent multiparamétrés). Et l’une des particularités des sciences sociales par exemple, c’est que l’observation des comportements est parfois chamboulée par la présence de l’observateur, en des proportions parfois difficiles à jauger. Une autre particularité de certaines sciences est de travailler du passé – il y en a en sciences humaines, l’Histoire et l’archéologie par exemple – et en sciences physiques, la géologie ou la paléoanthropologie mais aussi la physique du cosmos. Là, on fonctionne en recoupant les sources, en mettant plus de bémol, en précisant qu’il a pu probablement se passer ceci ou cela, sachant qu’on ne pourra pas refaire un big bang, revenir à la guerre de cent ans ou revoir émerger l’homo sapiens.

Question N°7

Mais vous êtes en train de dire que l’humain s’étudie comme un vulgaire silex. C’est presque l’animal-machine de Descartes ! (réplique réelle).

Réponse ici !

Effet Atchoum, ou Post Hoc ergo propter hoc

L’humain a une forte tendance à voir des liens causaux directs entre les choses qu’il aime voir liées. Les linguistes parlent à ce propos de Post Hoc ergo propter hoc – « juste après, donc conséquence de ». En zététique, nous préférons parler du plus mémorable effet atchoum : imaginons la tête de l’individu qui habitant Toulouse le 21 septembre 2001, éternue à 10h17, relève son nez humide et voit l’usine AZF et ses alentours soufflés par l’explosion. Conclure à un lien de cause à effet entre l’éternuement et l’explosion est un post hoc ergo propter hoc. Si ridicule que cela paraisse, nous faisons un certain nombre d’effets Atchoum dans nos actes thérapeutiques. Le leurre consiste en ce que huit à neuf pathologies sur dix affectant l’humain disparaissent spontanément, quoi que nous fassions, au bout d’un certain temps. Faire une danse de la pluie, recevoir des passes magnétiques ou se faire faire un lavement, et guérir tout de suite après est extrêmement convaincant à première vue. Comprenons ainsi qu’un rhume, par exemple, non traité dure sept jours, et qu’un rhume traité par les élixirs de Bach dure… une semaine. Dans le premier cas, on attribuera la guérison à sa propre capacité curative. Dans le second, à Edward Bach. À tort (tiré de Monvoisin, Les Fleurs de Bach, enquête au pays des élixirs, Book-e-book.com 2008).
Le post hoc est un sous-ensemble de l’effet Cigogne, c’est-à-dire de toutes les confusions entre corrélation et causalité.

Voici quelques exemples pédagogiques utilisés dans nos cours.

  • Extrait d’Amélie Poulain, de Jean-Pierre Jeunet – extrait dans lequel la petite Amélie prend des photos, et un méchant voisin lui fait croire que l’accident de voiture qui se produit est sa faute. (Nous n’avons pas les droits de cette vidéo).

  • Publicité Carlsberg :

  • Post Hoc Pape / viande de cheval

Richard Monvoisin, Les fleurs de Bach, enquête au pays des élixirs

Effet impact

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire l’interlocuteur en erreur.

L’effet Impact consiste à utiliser la connotation, ce que l’on peut appeler le poids des mots, pour induire une idée un peu (ou très !) différente de celle que les mots prétendent représenter. C’est jouer sur l’écart entre connotation et dénotation. Deux mots peuvent en effet dénoter la même chose mais avoir des connotations différentes, positives ou négatives selon les cas [1]. C’est l’un des principaux ressorts de la fabrique de l’opinion au travers des journaux écrits ou parlés, et les professionnel.les de l’éducation populaire l’ont bien compris, à l’instar des ateliers de désintoxication de la langue de bois de certaines coopératives d’éducation populaire comme L’Orage ou le Pavé. Ici, Franck Lepage aborde ce point dans l’émission là-bas si j’y suis en 2010.

Dans l’effet Impact, le choix des mots repose moins sur leur sens que sur l’impact affectif qu’ils génèrent.

Quelques exemples :

  •  le MODH (monoxyde de dihydrogène) est un composé chimique (moléculaire) incolore et inodore, également dénommé par certains : oxyde de dihydrogène, ou simplement acide hydrique. On le retrouve dans de nombreux composés caustiques, explosifs et toxiques tels que l’acide sulfurique, la nitroglycérine et l’alcool éthylique.CorteX_MODH_eprouvette

On voit ici le MODH dans sa forme liquide ainsi qu’une CorteX_MODH_tuyaurivière contaminée par le MODH.

Le MODH n’est que de l’eau. L’effet impact est assuré par la présence d’un vocabulaire scientifique, de mots anxiogènes, certes exacts, mais pétris de connotation1.

La France se lance dans la reconquête totale du Mali (voir ici par exemple). Ne s’agit-il pas tout simplement d’atténuer le sens d’un mot qui décrit, en tout état de cause, une guerre ? Mais le mot « guerre » aurait alors un effet impact négatif.

– Exemples repris dans le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon2

  • Frappe chirurgicale –> bombardement qu’on espère précis en raison de la proximité de civils.
  • Incursion –> invasion ; pertes collatérales –> morts de civils

Effet boule de neige

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire l’interlocuteur en erreur.

L’effet boule de neige

Untel déclare que Machin a dit que Chose avait appris chez Truc que… Témoignage de énième main où chaque intermédiaire rajoute un élément de son cru à l’histoire de départ.

  • Un groupe de doctorants encadré par R. Monvoisin a réalisé en 2009 un zétéclip sur le sujet, prenant pour exemple l’affaire Piano Man.
  • Exemple tiré du Monde Diplomatique de mars 2013, sous la plume de Pierre Rimbert.

Vite fait, bien faux

Quoi de plus savoureux qu’une fausse information rebondissant de support en support au gré des reprises non vérifiées ? Le 7 janvier 2011, le journaliste Jean Quatremer met en ligne sur son blog Coulisses de Bruxelles un texte sobrement intitulé « Jean-Luc Mélenchon aime la dictature cubaine et le dit (bis) ». Sur la base d’une information communiquée par un internaute, il écrit à propos du coprésident du Parti de gauche :

« Comme me l’a signalé Toral, voici ce qu’il [M. Mélenchon] déclarait au Monde diplomatique daté du 5 juillet 2010 : “(…) Je félicite Cuba, sa résistance et les contributions qu’elle a faites à la science, à la culture, au sport et à l’histoire universelle.” »

Las, la référence est (doublement) erronée : non seulement le propos de M. Mélenchon n’a pas été publié par Le Monde diplomatique, mais ce journal, arrimé depuis 1954 à une périodicité mensuelle, n’est daté d’aucun jour particulier comme un simple coup d’œil à la « une » suffit à s’en convaincre. Il n’y a donc pas plus de Monde diplomatique « daté du 5 juillet 2010 » que de beurre en broche.

Cette vétille aurait pu s’abîmer sans bruit dans la fosse commune des bévues de presse si la négligence de Quatremer n’avait cette fois fonctionné comme un test collectif de paresse intellectuelle. En effet, la référence falsifiée réapparaît le 17 avril 2012 — cinq jours avant le premier tour du scrutin présidentiel — dans un article de l’essayiste anticastriste Jacobo Machover publié par le site d’information Atlantico. On y lit :

« “Je félicite Cuba, sa résistance et les contributions qu’elle a faites à la science, à la culture, au sport et à l’histoire universelle”, déclarait Jean-Luc Mélenchon dans Le Monde diplomatique de juillet 2010. »

La précision « daté du 5 » a disparu mais la fausse référence demeure, Machover, parfois décrit comme « universitaire », n’ayant pas jugé utile de la vérifier.

L’idée n’a pas davantage effleuré M. Jean-François Copé. Dans son Manifeste pour une droite décomplexée (Fayard, 2012), le secrétaire général de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) se lance dans une diatribe contre M. Mélenchon et le Front de gauche.

« Quel leader politique peut affirmer sans rire qu’il “félicite Cuba, sa résistance et les contributions qu’elle a faites à la science, à la culture, au sport et à l’histoire universelle ? (1)” Jean-Luc Mélenchon ! »,

écrit-il page 188. Une note précise : « 1. Le Monde diplomatique, 5 juillet 2010. » Copié-collé : signe d’usure, style d’avenir.

Pierre Rimbert, Monde diplomatique, mars 2013