Évolution, biologie et concepts psychanalytiques sur France Inter

Les émissions radio dites de vulgarisation scientifique laissent parfois une large tribune aux idées et concepts pseudo-scientifiques. L’évolution est un thème sensible dans lequel ce discours peut trouver une expression parfois difficile à déceler, notamment quand il s’adresse à un public jeune. L’argumentation est alors construite sur des sophismes que l’on peut apprendre à repérer.

Cet atelier propose une introduction à :

  • L’identification de concepts pseudo-scientifiques dans un discours;
  • Le repérage de sophismes dans l’argumentation ;

1ère phase

Séquence audio

Montage 3’46 –  Les p’tits bateaux,  France Inter, Dimanche 19 septembre 2010. (Emission de Noëlle Breham, Michel-Alain Barjou, Marjorie Devoucoux, de découverte scientifique à partir de questions d’enfants.)
Questions n°5 de l’émission : Je voudrais savoir si les êtres humains sont des animaux ? Et ; Quelle est la différence entre l’homme et l’animal ? Réponse de Charles PÉPIN, Philosophe et écrivain.

  • Proposer de repérer le propos central et l’argumentation

Aiguillage possible : retranscription de passages clefs :
01 :16 « Mais toutes ces pistes on peut les entendre par référence à une idée plus précise qui est qu’en fait on est des animaux, mais on est des animaux avec une particularité qu’aucun autre animal ne connaît c’est que nous, une partie de notre nature n’a pas le droit de s’exprimer dans notre civilisation ; ça s’appelle le refoulement, ça s’appelle la censure et cela vient constituer l’inconscient »
01 :37 « Autrement dit, on est des animaux dénaturés et on est des animaux refoulés, et cette animalité refoulée constitue notre humanité »
02 :41 « Autrement dit, on a des pulsion agressives, sexuelles, possessives, naturelles mais on a pas le droit de les satisfaire dans la civilisation humaine, ce qu’aucun autre animal ne vit »
02 :58 « On a une victoire sur la sauvagerie, un victoire sur l’animalité, qui est en même temps notre grande fragilité. Elle est notre fierté, elle est aussi notre faille. De là, effectivement, toutes les manifestations de la spiritualité, de l’art, de la religion, qui nous distinguent des bêtes, parce qu’elle sont en fait des sublimations de tout ce qui été refoulé dans la petite enfance »
  

2ème phase

  • Proposer de repérer le concept central et les arguments s’y rattachant

Aiguillage possible : repérage du champ lexical psychanalytique (angoisse, refoulement, inconscient, pulsions).

  • Discuter de la terminologie psychanalytique de ces termes

Aiguillage possible : rechercher la définition de ces termes et évaluer leurs pertinences dans ce propos : Sur quoi se base l’auteur pour étayer ses affirmations ? Sur quels arguments ? Peut-on douter de leur validité ? Le parti pris conceptuel est-il présenté clairement ?

3ème phase

  • Repérer parmi les arguments utilisés, ceux appartenant au registre du sophisme

Aiguillage nécessaire : définition de quelques figures sophistiques et leur présence dans l’argumentaire de l’émission. Par exemple:
Sophisme de l’homme de paille (travestir d’abord la position de son interlocuteur de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire l’épouvantail en prétendant avoir réfuté la position de l’interlocuteur. Détails)
00:27 « la plupart des philosophes qu’on appelle des sceptiques qui ont voulu faire douter les hommes de leur prétendues certitudes parlent de ça, de cette frontière introuvable. Sachez que tout ce qui a été présenté dans l’histoire de la philosophie a toujours été critiqué par l’éthologie : la raison, le rire, l’angoisse, l’altruisme, la morale, les éthologues ont toujours trouvé une espèce animale, incarnant le prétendu propre de l’Homme. »
01 :06 «[…] Donc difficile frontière, évidemment il y a des pistes qui résistent mieux comme : la représentation, la religion, l’art, l’angoisse, des choses comme ça. »
Sophisme de la pétition de principe (faire une démonstration qui contient déjà l’acceptation de la conclusion, ou qui n’a de sens que lorsque l’on croit déjà en cette conclusion. Détails)
01 :16 « […] toutes ces pistes on peut les entendre par référence à une idée plus précise qui est qu’en fait on est des animaux, mais on est des animaux avec une particularité qu’aucun autre animal ne connaît c’est que nous, une partie de notre nature n’a pas le droit de s’exprimer dans notre civilisation ; ça s’appelle le refoulement, ça s’appelle la censure et cela vient constituer l’inconscient. Autrement dit, on est des animaux dénaturés et on est des animaux refoulés, et cette animalité refoulée constitue notre humanité. Pour le die plus simplement, ce qui nous distingue des animaux c’est la petite enfance, une petite enfance tellement plus dur que celle des animaux. » 
Raisonnement panglossien (raisonner à rebours, vers une cause possible parmi d’autres, vers un scénario préconçu ou vers la position que l’on souhaite prouver. Exemple)
02 :14 « On est des animaux prématurés : il faudrait 12 mois pour que les cellules du fétus arrivent à maturation et on naît au bout de 9 mois et c’est de là que tout vient : l’angoisse mais aussi le rattrapage par l’intelligence, la représentation. Et on peut tout interpréter : les religions, l’art, le rapport à l’autre, le rapport au temps, comme venant de cette petite enfance, de cette naissance prématurée et de cet interdit qui est porté à notre nature par la civilisation sur certaines pulsions. Autrement dit, on a des pulsions agressives, sexuelles, possessives, naturelles mais on n’a pas le droit de les satisfaire dans la civilisation humaine, ce qu’aucun autre animal ne vit »
Sophisme de la pente savonneuse (infirmer un argument en montrant que si on accepte cet argument, alors quelque chose de néfaste, de catastrophique, de nauséabond risque d’en découler. Détails)
02 :58 « On a une victoire sur la sauvagerie, une victoire sur l’animalité, qui est en même temps notre grande fragilité. Elle est notre fierté, elle est aussi notre faille. De là, effectivement, toutes les manifestations de la spiritualité, de l’art, de la religion, qui nous distinguent des bêtes, parce qu’elles sont en fait des sublimations de tout ce qui a été refoulé dans la petite enfance.» 

Effet_paillasson_essuyez_vos_pieds

Effet paillasson – métonymie

L’effet Paillasson consiste à désigner une chose ou un objet par un mot qui se rapporte à autre chose.

Pour les puristes : il recouvre en linguistique la notion de métonymie, figure de rhétorique dans laquelle un concept est dénommé au moyen d’un terme désignant un autre concept, lequel entretient avec le premier une relation d’équivalence ou de contiguïté (la cause pour l’effet, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.). Mais il est évidemment plus facile de retenir l’expression « effet paillasson » que métonymie, hypallage, métalepse, synecdoque, etc.

Effet_paillasson_essuyez_vos_pieds

Pourquoi paillasson ? L’expression vient de Henri Broch, partant du grand nombre de paillasson portant l’inscription « essuyez vos pieds ». « Pourtant, dit-il, personne n’a jamais enlevé ses chaussures et ses chaussettes pour s’exécuter ! »

Effet paillasson (crédit François-b)  

L’effet paillasson est très répandu dans la vie quotidienne. Exemple : Boire un verre au lieu du vin contenu dans le verre, lire un Zola au lieu d’un livre de Zola, Recevoir des lauriers, pour la gloire, ne pas avoir de toit, pour la maison, croiser le fer, pour l’épée, etc.

Il permet de tirer des implications sans aucune commune mesure avec celles que l’on serait en droit de tirer ; cet effet est assez répandu dans la vie de tous les jours et c’est ce qui le rend si opérant.

magritte

René Magritte nous met en garde… c’est un tableau !

Repérer un effet paillasson est un réflexe d’esprit critique particulièrement efficace dans les domaines scientifiques, où les mots ont un sens, une acception bien précise. Il évite de se laisser piéger par un discours où un mot est utilisé dans un autre sens, ou lors duquel plusieurs sens d’un terme se chevauchent et que rien dans le contexte ne permet d’indiquer quelle acception est utilisée dans le contexte en question.

Risque : acceptation a priori de l’hypothèse

Faire accepter comme acquise l’hypothèse que l’on entend prouver (voir Tautologie – effet cerceau ou sophisme de la pétition de principe).

Exemples :saintjanvier

  • La fiole de « sang » de saint Janvier conservée à Naples et qui se liquéfie « miraculeusement » une fois par an: Il est présenté comme tel (parfois sans guillemets) alors que rien ne vient étayer l’hypothèse d’un sang, qui plus est humain (voir Laboratoire de Zététique Université de Nice-Sophia Antipolis).
  • Le « suaire » ou « saint suaire »  de Turin : qui est plus que vraisemblablement une étoffe de lin de la fin du 14ème siècle et qui n’est un suaire (à plus forte raison saint, et à plus forte raison celui du Christ) que dans l’esprit de certains catéchumènes sindonologues (voir Laboratoire de Zététique Université de Nice-Sophia Antipolis).
  • Le « monstre » du Loch Ness : de nombreux titres de presse jouent sur connotation / dénotation du terme monstre. Alors que le fameux Nessie « le monstre du Loch Ness », n’est, au-delà de tout doute raisonnable, qu’une vue de l’esprit doublée d’une manœuvre commerciale (Moller 1994, Ellis 2000).
  • « Avant J.C. » : le meilleur exemple reste sans conteste notre méthode d’ordonnancement historique, prenant sa source à la naissance de Jésus Christ. Sachant que sa date de naissance se situe probablement entre -6 et 4 de l’ère chrétienne, et que l’existence historique elle-même de Jésus est encore discutée, il y a de quoi rester dubitatif sur la graduation d’une échelle scientifique à partir d’un pseudo-événement probable (En tout état de cause, nous pouvons légitimement, dans le cadre d’un enseignement laïque, choisir de dater non plus par rapport à JC mais par rapport à EC, Ère Chrétienne, ou mieux encore, Ère commune, datée arbitrairement en 0 et qui, elle, a existé et persiste.)

Risque : dissimuler des fraudes ou des escroqueries.

En jouant sur des énoncés ou les affirmations ambigus, on peut connoter des choses radicalement différentes.

Exemples :

  • Un médium, venu au laboratoire de zététique de Nice tester une transmission de pensée, utilisa à titre promotionnel la phrase « testé au Laboratoire de zététique » sans spécifier que le test avait échoué.
  • Technique publicitaire de nombreux compléments alimentaires ou produits esthétique portant la mention « testé scientifiquement » dissimulant des résultats peu concluants, voire nuls.

Risque : rehausser une information médiocre.

Obtenir du lecteur / spectateur / public un assentiment plus élevé que ce que la qualité du sujet présenté laissait présumer : on parlera alors de manipulation de l’information

Exemples :

alt « la Bible contre Darwin » :
  • Il ne s’agit pas de la bible, mais de l’enseignement dans les écoles publiques américaines du scénario téléologique de certains lecteurs de la Bible.
  • Il ne s’agit pas de Darwin, mais de l’enseignement de la théorie néo-darwinienne dans les écoles publiques américaines.

On utilise ici un effet paillasson pour scénariser le contenu et crée un effet impact sur le titre.

Risque : dévoyer des connaissances.

Entrainer, même involontairement, une mauvaise compréhension d’un champ de connaissance, ou l’entraîner vers des interprétations paranormales, spiritualistes, mystiques ou idéologiques.

Exemples :

« Il faut aussi « habiller l’intervention et ne pas avoir l’air de ressusciter la Françafrique », selon la formule d’un diplomate. Il est donc interdit aux ministres de parler de « combattants islamistes ». Il faut les qualifier de « terroristes ». Lors de sa première conférence de presse, Fabius en fera même des tonnes, qualifiant les adversaires de la France de « terroristes et criminels ». à six reprises, pour faire bon poids. »

(Claude Angéli, L’état-major a convaincu Hollande d’ouvrir le feu, Le canard enchaîné 16 janvier 2013)

Ces équivoques possibles, engendrées par les différentes acceptations d’un même terme, peuvent confondre : acception scientifique / acception commune ; acception sens historique / sens actuel ; acception sens scientifique / sens pseudo-scientifique ; acception sens scientifique / sens métaphorique non maîtrisé.

Pour approfondir:

Richard Monvoisin

Interview de Jean Bricmont

CorteX_Bricmont

Relativisme cognitif et post-modernisme selon Jean Bricmont

Interview de Jean Bricmont du 3 décembre 2010 – Philosophie et histoire des idées. Pour consulter les autres questions-réponses, voir ici.

  • Comment définis-tu le relativisme cognitif, et en quoi est-ce une erreur ?

Jean Bricmont en profite pour parler du sens commun, de la science, et du réalisme de la vie quotidienne d’une manière assez simple et réutilisable par des enseignants.

  • Qu’est-ce qu’on appelle le post-modernisme, et en quoi est-ce une impasse ?

Jean Bricmont aborde là ce courant de pensée dit POMO, ou post-moderne, tel que défini et dénoncé dans son livre cosigné avec Alan Sokal Impostures intellectuelles, qui justement prend le relativisme cognitif comme thèse centrale.

  • Le relativisme cognitif est-il une spécificité française ?

Phrase à décortiquer pour les férus d’histoire des idées : « Le relativisme, c’est l’idéalisme + la décolonisation« 

Article à analyser : une jeune Croate sort du coma en parlant couramment allemand ?

Qu’en est-il des fantasmes sur les comas ? Les cas comme celui présenté ci-contre sont-ils réels ? Devant les dérives interprétatives, comme dans l’affaire Rom Houben, il convient d’être prudent devant les déclarations fracassantes des médias, comme celle du 22 avril 2010, dans Le Monde
Objectif : détecter les rhétoriques, raccourcis, scénarisations, arguments d’autorité, puis comparer l’étude en question et l’article qu’en tire le journal. Sommes-nous vraiment devant un vrai phénomène ? Nous vérifierons la « transposition médiatique » de ladite découverte quand nous trouverons le temps.
Ecrivez-nous pour toute suggestion.

Une jeune Croate sort du coma en parlant couramment allemand

Le cerveau humain est encore très loin d’avoir livré tous ses secrets. Une adolescente croate de 13 ans, hospitalisée à l’hôpital de Split mi-avril, a perdu conscience durant vingt-quatre heures pour se réveiller, en parlant couramment allemand. Ce qui a stupéfié son entourage et l’équipe médicale. La collégienne venait tout juste de débuter l’apprentissage de la langue de Goethe à l’école. Elle cherchait à l’assimiler rapidement en lisant des ouvrages ou en regardant la télévision allemande.

« Depuis, elle ne communique qu’en allemand et pas en croate même si elle le comprend. Elle répond à toutes les questions dans un allemand trop riche pour une fille de son âge et de son niveau d’instruction », selon plusieurs soignants cités, sous couvert d’anonymat, par le journal croate Slobodna Dalmacija. « Après une perte de conscience ou un coma, on ne sait jamais comment le cerveau va réagir et ce qui va s’activer en premier. Mais, elle commence à parler croate, maintenant », a déclaré il y a quelques jours à la presse locale Dujomir Marasovic. Depuis, le directeur de l’établissement refuse de s’exprimer publiquement sur le sujet évoquant la protection du secret médical.

« COMME UN MAGNÉTOPHONE »

Ce cas suscite interrogation et perplexité chez les spécialistes. Ils admettent, seulement, connaître le phénomène de patients qui se réveillent du coma en parlant une langue apprise plutôt que leur langue maternelle. « C’est rare mais cela arrive. En vingt ans de carrière, j’ai soigné cinq patients français qui se sont réveillés en parlant anglais », raconte Philippe Azouri, neurologue à l’hôpital de Garches, en région parisienne. Il suffit que la zone qui s’active lorsque le sujet utilise sa langue maternelle soit endommagée, pour qu’une autre région du cerveau, utilisée lorsque le sujet parle une langue apprise, prenne le relais.

Et l’adolescente croate a bien dû apprendre l’allemand même sans en avoir conscience, selon Mijo Milas, neuropsychiatre et expert judiciaire à Split : « Son cerveau a, sans doute, ingurgité davantage de connaissances en allemand que ce qui apparaissait à la surface. Elle a dû assimiler, un peu comme un magnétophone en mode enregistrement, davantage que ce qu’elle avait été capable de reproduire consciemment. »

Loin d’être un « miracle », ce cas pourrait simplement illustrer l’existence de capacité d’apprentissage non-consciente. Les scientifiques, qui commencent à s’y intéresser, se sont méfiés longtemps du phénomène. Aujourd’hui, ils admettent que ce n’est pas de la science-fiction mais une réalité. Ce qui n’étonne qu’à moitié Henriette Walter, linguiste réputée. « Un de mes anciens étudiants avait entendu sa famille parler le dialecte breton toute son enfance. Lui avait interdiction de le faire et devait s’exprimer exclusivement en français. Pourtant, à 24 ans, il s’est mis à parler couramment breton. »

ÎLOTS DE « CAPACITÉ COGNITIVE »

Des études récentes ont montré que la perception, la mémorisation et l’utilisation des informations qui parviennent du monde extérieur, sont en grande partie effectuées de manière non-consciente. « Pour le flux permanent d’informations que nous traitons en permanence, l’accès à la conscience est plus une exception qu’une règle », analyse Stein Silva, chercheur en neurologie à l’Inserm de Toulouse. « Je prendrais un exemple de la vie courante : la conduite automobile. Une quantité importante d’informations visuelles sont perçues et intégrées pour permettre la mise en place de comportements automatiques, en dehors de la focalisation de l’attention et de l’émergence des processus conscients. »

Autre exemple : des études sur la perception des visages ont montré que le cerveau humain est capable de détecter les états d’âme des personnes rencontrées. « Si je pénètre dans une pièce en percevant sans en être conscient l’hostilité que je suscite, j’adopte mon comportement en fonction », poursuit M. Silva. Le chercheur explique que la mémoire et l’apprentissage sont en partie dissociés du niveau de conscience. Son équipe vient de prouver que même le cerveau des patients dans le coma, est loin d’être au repos. Des îlots de « capacité cognitive » continuent d’exister.

Certains peuvent percevoir des sons, des mots ou des phrases donc poursuivre un processus d’apprentissage. Le développement des nouvelles technologies devraient permettre aux chercheurs, dans les années qui viennent, de mieux comprendre les capacités fonctionnelles du cerveau humain.

Mersiha Nezic

Objectif : détecter les rhétoriques, raccourcis, scénarisations, arguments d’autorité, puis comparer l’étude en question et l’article qu’en tire le journal. Sommes-nous vraiment devant un mystère levé ? Nous vérifierons la « transposition médiatique » de ladite découverte quand nous trouverons le temps. Ecrivez-nous pour toute suggestion.

Deus ex machina

Deus ex machina : locution latine signifiant « dieu issu de la machine ».

 Les médias ont tendance à « déhistoriciser » ou désyncrétiser les connaissances. Déhistoriciser, c’est en gros gommer toute l’histoire de la construction du savoir connaissance. Désyncrétiser, c’est cacher les cheminements, les hésitations, les errements, c’est présenter le résultat, par exemple E=mc2 comme un cri de génie venu du plus profond d’un cerveau parfait. Un peu comme lorsque le gamin que j’étais trime pendant des heures sur une énigme, trouve la solution et vient raconter à tout le monde qu’il lui a fallu moins d’une minute.

En vulgarisation des sciences, nous dénonçons la désyncrétisation, ou déhistoricisation des connaissances, le fait d’extraire les informations sans les inscrire dans le processus humain qui amène à leur découverte. Du fait que le phénomène ou que la découverte apparaît sans cause apparente, ils deviennent très facilement interprétables en terme de destin, de fatalisme, de faveur ou de défaveur des dieux. La présentation de l’événement comme le fruit, dans le théâtre du monde, d’un Deus ex machina qui conduit tout en fonction de ses desseins secrets.

D’une part, ça ne montre pas du tout comment la méthode scientifique fonctionne, par essai, par erreur. D’autre part, ça appuie l’idée qu’il y a des gens qui ont la « bosse » des sciences (comme à l’époque de la phrénologie, en 1820), ou qui sont des purs êtres de lumière, nés pour ça – comme si on naissait pour quelque chose. Dans les deux cas, cela contribue à éloigner le quidam de la démarche scientifique. On entretient  le « eurêka », le mythe de la « création spontanée » de savoir sans trace de la moindre hésitation, de la plus infime goutte de sueur ou soupçon de doute.

Les journalistes font régulièrement la même chose en science politique. L’exemple le plus frappant en 2010 fut certainement la « malédiction » d’Haïti.

Haïti : La malédiction. Avec le tremblement de terre en Haïti, la nature semble s’acharner avec une terrible cruauté sur l’un des pays les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète. (…) Le Figaro, 13 janvier 2010, Pierre Rousselin.

Haïti, la malédiction.  C’est un pays dont la naissance sonnait comme une promesse universelle, et qui semble depuis plus de deux siècles condamné au malheur (…). Le Monde, 14 janvier 2010, Jérôme Gautheret.

La malédiction, le sort, la condamnation au malheur, autant de techniques sémantiques pour effacer les raisons sociopolitiques qui ont fait que Haïti soit resté si pauvre. Marines, Armée française, coups d’état, dépôt de président, spoliations, tout cela nous fait une belle malédiction que même la plus hideuse des momies n’aurait osée lancer sur un pays.

Le journalisme en panne de talent invoque, comme dans les vieilles tragédies d’Horace, un Deux ex machina, un dieu qui intervient dans le cours des humains et vient d’un doigt noueux fourrer le pli des fesses des populations pécheresses. Finalement, avec ces titres de journaux, on n’est pas bien loin des anathèmes de Pat Robertson, qui voit dans le 11/9 une punition divine, et dans l’ouragan Katrina une conséquence d’une trop grande libéralité en matière de gay-pride et d’avortement.

Vous m’arrêtez si je me trompe, mais j’ai tendance à penser que la malédiction est à la science politique ce que le blanchiment d’argent est à la finance, un savant mélange d’enfarinage de connaissance, de théorie du complot et de théologie à la mords-moi la quenelle.

Richard Monvoisin


1 Voir le concept de Good-enough Mother, dans Winnicott, La mère suffisamment bonne, 2006.

2 Bettelheim était convaincu, alors même que les preuves s’accumulaient contre sa théorie, que l’autisme n’avait pas de bases organiques mais était dû à un environnement affectif et familial pathologique. Voir Bettelheim, la forteresse vide, l’autisme des enfants et la naissance du moi, 1969. Pour un début de critique, voir Hacking, Philosophie et histoire des concepts scientifiques, sur le site du Collège de France, p. 391. Pour aller plus loin, lire Pollack, Bruno Bettelheim ou la fabrication d’un mythe (2003). Un autre trop rare livre critique de Bettelheim est également paru sous la plume de Peeters, La forteresse éclatée (1998).

Effet bi-standard

L’effet bi-standard consiste à raisonner selon deux standards différents selon les circonstances, en gros changer les règles en cours du jeu. L’exemple le plus simple concerne les clubs de sport : s’ils veulent de moi au club, c’est un bon club. S’ils ne veulent pas de moi, c’est de toute façon un club de « nazes ».

Cet effet est assez fréquent dans les discours « relativistes », qui usent d’arguments scientifiques quand ils servent leur cause, mais dénèguent la valeur de la science quand elle infirme une de leurs croyances.

Nous allons tenir ici un catalogue des effets bi-standards les plus spectaculaires que nous pourrons trouver.

  • Bi-standard de l’AFSSAPS. Exemple tout frais donné le 2 décembre 2010 sur France Culture, dans l’émission Du CorteX_mediatorgrain à moudre. Le médecin Philippe Even parle du médicament Médiator, qui vient d’être retiré avec fracas du marché en novembre 2009, et illustre l’effet bi-standart de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) en terme de mise sur le marché et de retrait du marché.
  • Bi-standard sur l’Académie de médecine.

On fait couramment (par exemple sur meridiens.org ) de la caution de l’Académie de médecine un argument de poids à l’appui d’une médecine alternative :

« L’acupuncture [est] reconnue comme pratique médicale par l’Académie Nationale de médecine depuis les années 1950″

On fait aussi couramment (par exemple sur colortherapie.eu) du refus de l’Académie de médecine un argument de poids à l’appui aussi d’une médecine alternative :

« Le Docteur Agrappart (…) revendique la paternité de la chromatothérapie (…) Sa technique est d’ailleurs condamnée par l’académie de médecine, ce qui peut apparaître paradoxalement comme un critère d’efficacité, sinon, cette instance ne s’en serait pas mêlée. Le docteur Agrappart devait commencer à déranger…« 

(Exemple fourni par Lucie Duret, Boina Houzaïra, Samuel Duband et Colin Picart, étudiants de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle, décembre 2010, dossier Colorothérapie).

  • Bi-standard du bus. Exemple sous forme de blague

Emy : tu vas en cours demain ?
Max : non, y a pas de bus
Emy : tu prends le bus d’habitude toi ?
Max : Non, mais demain exceptionnellement je le prendrai.

(Merci à Florent Martin, de l’Observatoire Zététique, pour cet exemple qu’il a déniché semble-t-il ici – 13 décembre 2010)

  • Bi-standard en politique

L’emploi du bi-standard est répandu en politique et se dévoile particulièrement dans les périodes d’alternance gouvernementale. Ainsi un groupe politique au gouvernement écartera l’utilisation du referendum qu’il avait pourtant ardemment défendu quand il était dans l’opposition.

Les manifestations

Voici un exemple dégoté par notre ami Franck Villard : « Quand Copé (ne) soutient (pas) les manifestations » selon s’il est au gouvernement ou dans l’opposition.

N’y voyez pas d’acharnement spécifique sur ce personnage politique ! Mais effectivement, Jean-François Copé est fournisseur officiel d’effet bi-standard. Merci encore à Franck Villard.

Enfouissement de déchets nucléaires

Dès la primaire pour la présidentielle en 2006, Ségolène Royal s’est déclarée « farouchement opposée » à l’enfouissement de déchets nucléaires sur le site de Bure » (Meuse). Rebelote lors de la primaire de 2011 : interrogée par Greenpeace, S. Royal avait persisté et signé « pour l’abandon » de Bure : « Nous réorienterons la recherche vers des solutions d’élimination et de retraitement. Lors des premiers enfouissements, je me souviens d’avoir été la seule députée socialiste à voter contre, tout le groupe votant pour de pseudo-« laboratoires souterrains ». Plus loin : « J’ai de la constance dans le domaine« .

Interrogée sur la poursuite du chantier de Bure par le député UDI (Union des démocrates et indépendants) de la Meuse Bertrand Pancher, Ségolène Royal s’est fait représenter, le 27 mai 2014, par la sous-ministre de l’Economie numérique, Axelle Lemaire, qui a répondu : « Mme Royal réaffirme l’attachement du gouvernement au respect des principes établis par la loi de 2006 sur les déchets radioactifs ; cet attachement concerne aussi la concrétisation du projet de stockage réversible en couche géologique profonde« .

 Sources : Canard enchaîné, 4 juin 2014, et L’affranchi, 14 avril 2014.

 Traitement des deux parties du conflit israélo-palestinien

Voir l’article de Serge Halimi Une question d' »équilibre » (ici).

Traitement différencié d’attentats similaires

Les événements tragiques du 13 novembre ont remplis de pleines pages dans une majorité de pays. Facebook active la fonction « safety check » qui permet en un clic, de signaler à ses proches que l’on est en sécurité. Pourtant, la veille, à Beyrouth, Daech perpétrait l’attentat le plus meurtrier au Liban depuis la guerre civile. Comme à Paris, des kamikazes bourrés d’explosifs sont entrés à Bourj el-Barajneh, dans la banlieu sud de la capitale. Dans ce fief du Hezbollah, au milieu de la population chiite, un premier terroriste actionne sa bombe : explosion, panique, reflux. Puis les habitants reviennent secourir les victimes. C’est alors que le deuxième tueur déclenche la sienne : 43 morts, plus de 230 blessés. Et compassion minimum du reste du monde. De Beyrouth, la correspondante du New York Times regrette  que Facebook n’ait pas proposé aux Libanais la fonction « safety check » que le réseau social avait offerte aux Français dès le lendemain. « Quand mon peuple meurt, aucun pays ne se colore de notre drapeau. Quand mon peuple meurt, le monde n’est pas en deuil », note amèrement sur son blog un médecin libanais, cité par le quotien étasunien (15/11/15). « Facebook n’a pas demandé non plus aux internautes de mettre le drapeau libanais sur leur photo, alors que Mark Zuckerberg a coloré son profil en bleu-blanc-rouge« , remarque une internaute. « Mais où sont les « #prayForBeyrouth »?« , se demande un autre. Merci au Canard enchaîné du 18 novembre 2015. Voir notre article Troque ceinture d’explosifs à grenaille contre boite à outils critiques.

Enfin, d’autres ressources pour s’entraîner sont disponibles dans l’article de G. Reviron « Exemples d’effet bi-standard – La laïcité et la défense des droits des femmes« .

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Naturel_chimique_complet

Chimie – Naturel, chimique, artificiel, synthétique

Le but de ce cours est de clarifier des notions complexes, le plus souvent mal maîtrisées et liées à des idées reçues sur le concept de nature ou naturel.
Ce cours a été présenté en classe de 3ème (physique-chimie), dans la partie A du programme : La chimie, science de la transformation de la matière. Sous-partie A2 : Synthèse d’espèces chimiques. Pré requis : notion d’atome, ion, molécule.

1.     Quelques rappels

Définitions :

– Un ensemble d’entités moléculaires, ioniques ou atomiques identiques constitue une espèce chimique.

– L’entité de base de l’espèce chimique est elle-même constituée à partir de la centaine d’éléments chimiques décrits dans la classification périodique de Mendeleïev.

– Toute espèce chimique possède un nom et peut être représentée par une formule ou un symbole.

– Une espèce chimique possède des propriétés physiques et chimiques intrinsèques comme la température de changement d’état, la densité ou la solubilité.

– Une espèce chimique peut être reconnue en utilisant (à bon escient) les cinq sens ou en effectuant des tests de caractérisation.

  • Exemple 1 : l’eau est une espèce chimique constituée de molécules identiques appelée molécule d’eau H2O
  • Exemple 2 : le chlorure de sodium (sel de cuisine) est une espèce chimique.
    Il n’a pas une structure moléculaire mais une structure ionique. On le représente aussi par une formule chimique NaCl qui n’a pas la même signification que celle de la molécule d’eau. Le chlorure de sodium est un cristal. Il est formé d’un assemblage compact et ordonné d’ions chlorure et d’ions sodium. La formule du chlorure de sodium est une formule statistique. Elle traduit le fait que dans le cristal, il y a autant d’ions chlorure que d’ions sodium (1Na+ pour 1 Cl).
  • Exemple 3 : le fer est une espèce chimique atomique constituée d’atome de Fer de formule Fe.

2.     Démarrer le cours

On peut démarrer ce chapitre par une sorte de jeu qui consiste à écrire un (ou plusieurs) mot au tableau puis à demander aux élèves, sans parler, de venir écrire le premier mot qui leur est venu à l’esprit. Les manières de procéder sont multiples mais de façon générale et simple, on fait passer le feutre entre les élèves et chacun peut écrire ce qu’il veut (pourquoi pas deux ou trois fois).

Le but de cette introduction est de mettre sur la table les idées des élèves liées aux mots introduits.

En principe, j’écris les mots naturel et chimique. Les résultats sont toujours à peu près les mêmes : il ressort bien souvent qu’on associe chimique à dangereux, artificiel, produits toxiques, etc. alors que naturel se voit gratifier de bon, bien, normal, bio, sauvage, végétal, terre, etc. On engage alors la réflexion sur la signification de ces termes, dans le langage de la vie quotidienne et dans langage scientifique.

Mais pour entrer dans le débat, il faut faire attention et bien maîtriser les concepts. En effet, il m’est arrivé, les premières fois où je proposais ce cours, de me planter assez lourdement : autant la définition de chimique est aisée, autant celle de naturel peut poser problème. Par exemple, si l’on définit naturel comme « ce qui existe dans la nature sans intervention de l’espèce humaine », on se retrouve vite devant des questionnements du type : « mais alors, si un chimpanzé construit un abri avec des morceaux de bois, c’est naturel mais pas si c’est un bûcheron canadien ? » ou « L’abeille qui fabrique du miel dans une ruche (placée là par l’apiculteur), ce n’est pas naturel alors ? »

Devant ces difficultés, il est important de préciser les expressions employées en ayant en tête quelques pistes pour discuter : il faut par exemple éviter de parler de « ce qui est naturel » ou de « la Nature » au sens large car cette notion ne signifie pas grand-chose (voir TP Nature). Je préfère alors utiliser le terme de « réalité » pour désigner tout ce qui existe, nous y compris. En effet, pour beaucoup la Nature est synonyme de ce qui est extérieur à l’être humain, non altéré. Ne revenons pas sur l’étrange chose qui ferait de l’Homme un être hors nature : nous faisons partie de la réalité et ce fait est difficilement discutable.

Mais ce concept du « naturel » renvoie à nombre de dérives, tels le racisme ou toute forme d’extrémisme idéologique, et c’est là que résident les écueils majeurs. Le problème n’est pas de vouloir définir une réalité non modifiée par l’Homme mais plutôt de vouloir lui donner des vertus particulières : il serait « normal », et donc « bon », d’être en accord avec « La Nature », donc pas de mariage ou d’enfants adoptés pour les homosexuels, pas de fécondation in vitro, pas d’avortement, pas de préservatif, pas de clonage, pas d’OGM et si l’on va plus loin, pas de substances artificielles, donc pas de plastique, pas d’ordinateur, pas vêtement synthétique, pas de papier, pas de ruches, pas d’agriculture, pas de feu, bref, retour à l’homo primitus naturalis (oui, j’invente) qui cueillait des plantes et mangeait du mammouth cru (oui, bon, j’exagère un peu). Attention, le but ici n’est pas de dire que toutes ces pratiques sont équivalentes et sont forcément à promouvoir ou à utiliser sans vigilence, réflexions, ou contrôle : ceci relève d’un autre débat. Non, le but est de mettre le doigt sur la confusion largement acceptée et qui assimile automatiquement tout produit qualifié de naturel en sacré, authentique, traditionnel, immuable, dans l’ordre des choses, etc. Tout débat sur ces thèmes devrait dès lors se détacher des idées reçues concernant cette fameuse Nature bonne et bienveillante.

Voilà pourquoi les définitions mentionnées ci-dessus deviennent primordiales pour la suite. En effet, on pourra définir que toute espèce chimique non créée/inventée par l’être humain est une espèce chimique naturelle (sans pour autant supposer qu’elle ait des qualités supérieures à d’autres, ou qu’elle soit dans un certain « ordre des choses »). Plus précisément, c’est l’entité de base de cette espèce (atome, molécule, ion) qui est naturelle si elle existe indépendamment de toute création/invention humaine. Évidemment, on peut objecter à cela le coup du chimpanzé : et si un jour un de ces primates arrive délibérément à fabriquer une espèce chimique inconnue ? Eh bien la définition changera !

Parler d’espèces chimiques permet d’éviter de confondre avec des termes comme objet, matière, substance, mélange, etc. En effet, une substance contient plusieurs espèces chimiques. Du coup, la question « Une épée en fer est-elle naturelle ? » n’a pas de sens car il faudrait alors préciser quelles sont les espèces chimiques qui la constituent. « Du jus d’oranges pressées est-il naturel ? » Oui, si les espèces chimiques le constituant sont naturelles (et pourtant il y a eu pressage par une main humaine !)

3.     Le cours

Ces précisions étant faites, il est temps de clarifier le plan du cours. Je n’ajoute pas de numérotation, chacun étant libre de procéder comme il le souhaite. Cette façon de faire est celle que j’utilise, mais n’est pas figée :

– Tout d’abord, définir le terme chimique : il est connoté péjorativement dans le langage quotidien, associé à danger, pas naturel, toxique. Mais en réalité, chimique signifie l’ensemble des éléments qui constituent la matière : les atomes, molécules, ions, etc. Comme je dis aux élèves : tout est chimique ! J’aime beaucoup ce passage car les élèves se prennent au jeu et me proposent toutes sortes d’objets, matières, substances : « Mais monsieur, donc l’air/l’eau/les fruits/etc., c’est chimique ??? » Je pose alors toujours la même question : de quoi sont-ils/elles constitué(e)s ? D’atomes ? De molécules ? D’ions ? Oui ! Donc… ils/elles sont chimiques ! C’est un moment important car il permet aux élèves de revenir sur ce qu’est la matière, et de quoi elle est constituée, conception qui a parfois du mal à être bien digérée.

– Ensuite, il faut préciser ce que l’on entend par espèce chimique : un ensemble d’entités moléculaires, ioniques ou atomiques identiques constitue une espèce chimique. Par exemple, la substance que l’on nomme « eau » désigne un ensemble de molécules identiques appelées  molécules d’eau et a pour formule H2O. C’est une espèce chimique. Parfois je rappelle aux élèves  que l’eau provenant de n’importe quel endroit sur Terre, du pôle Nord à la Méditerranée, n’est jamais pure : c’est toujours un mélange de plusieurs espèces chimiques. On peut également parler du fer qui est une espèce chimique atomique constituée d’atomes de Fer de symbole Fe.

– Puis on définit une espèce chimique naturelle : toute entité – morceau de base – (molécule, atome, ion) de l’espèce chimique ou bien l’espèce chimique elle-même non créée/inventée par l’être humain est une espèce chimique naturelle. Avec les élèves, on peut se passer de tous les détails (entité ou espèce) et se contenter de « toute espèce chimique non créée par l’être humain ». On utilisera le terme de substance naturelle dans le cas d’un mélange d’espèces chimiques naturelles. Je donne cet exemple en général : si un extraterrestre débarque avec de l’eau pure de la planète Melmac (gloire à Alf) et qu’il la pose dans un verre à côté d’une carafe d’eau pure provenant de la Terre, les deux sont identiques et naturelles. Autre exemple : si j’ajoute du jus d’oranges pressées avec du jus de citrons pressés, j’obtiens une substance naturelle, même s’il y a intervention humaine.

– On peut alors revenir sur les idées reçues évoquées dans le jeu au tableau. Par exemple, tout ce qui est naturel est-il forcément bon ? Les exemples sont fournis en pagaille grâce à toutes les substances naturelles présentent dans les poisons, venins et autres acide sulfurique, chlorhydrique, fluorhydrique que la « Nature » nous fournit. Le pétrole est typiquement un moyen de faire comprendre qu’une substance naturelle n’en est pas pour autant « bonne » à rejeter n’importe où.

– Un dernier écueil : il faut en outre éviter de définir naturel par  « présent dans la Nature », le concept de Nature étant lui-même flou : on trouve du plastique dans la « Nature ». Est-ce pour autant naturel ? (voir ci-desus)

Ces étapes franchies, on peut passer aux suivantes. Il nous reste en effet à introduire et définir les termes artificiel et synthétique.

– Des paragraphes précédents, on déduit qu’à l’opposé des espèces chimiques naturelles, il existe des espèces chimiques qui sont créées, inventées par l’être humain (à l’aide de transformations chimiques). On les nomme espèces chimiques artificielles. On peut alors les mélanger entre elles (ou avec des substances naturelles) et obtenir des substances artificielles. Eh oui, du moment qu’une substance contient des espèces chimiques artificielles, elle sera considérée comme artificielle. Des exemples peuvent être donnés : tous les polymères (plastiques, nylon) dérivés du pétrole, des arômes (éthylvanilline), des médicaments (aspirine), des atomes (einsteinium), etc. Attention là aussi aux termes utilisés : au départ, je ne faisais pas vraiment de nuances et j’employais des verbes comme « créer », « fabriquer », « inventer », « produire », « préparer » indifféremment. Or c’est très important de faire la distinction entre créer/inventer et fabriquer/produire/préparer. Les premiers s’appliquent aux espèces artificielles spécifiquement (notion de donner existence à) alors que les seconds s’appliquent aux espèces synthétiques (notion de mise en œuvre technique, voir paragraphe suivant).

– On introduit donc enfin la notion d’espèces chimiques de synthèse (ou synthétiques). Celles-ci proviennent tout simplement d’une transformation chimique opérée par l’être humain. Elles peuvent donc être artificielles ou naturelles.  Les premières sont crées/inventées, les autres copiées. J’aime bien donner l’exemple de l’eau, que l’on peut synthétiser (au sens de copier dans ce cas) de diverses manières, comme en faisant réagir du dioxygène avec du dihydrogène (2H2+O2 = 2H2O). L’eau obtenue est une espèce chimique de synthèse naturelle (= copie) mais totalement identique et indiscernable d’une molécule d’eau sortie d’une rivière au Canada. On peut multiplier les exemples en présentant quelques molécules aux propriétés diverses que l’être humain a reproduit à l’identique, notamment tous les arômes des fruits : la vanilline peut être utilisée à ce moment du cours ; c’est une molécule présente dans les gousses du vanillier mais que l’on synthétise aussi à partir du clou de girofle, de la lignine du bois ou de la pulpe de betterave.

Pour résumer, voici un schéma que je trouve intéressant et que les élèves comprennent plutôt bien. Je le construis avec les élèves (voir ci-dessous) et, à mon avis, c’est indispensable pour qu’il soit bien assimilé :
Naturel_chimique_complet
Voici les commentaires associés et l’ordre dans lequel je bâtis ce schéma :
1. Il existe des espèces chimiques (pointillés) :
chimique
2. Parmi celles-ci, certaines sont naturelles (bleu) et d’autres artificielles (rouge) :
naturel
3. Les espèces chimiques artificielles sont forcément inventées/crées par l’être humain, mais on sait également copier des espèces chimiques naturelles : elles forment l’ensemble des espèces chimiques de synthèse (vert hachuré) : toute espèce chimique fabriquée (obtenue par transformations chimiques) par l’être humain est alors nommée synthétique:
naturel_chimique_mini
On peut également résumer sous forme de phrases :

– Il existe des espèces chimiques naturelles que l’on sait copier : ce sont des espèces chimiques de synthèse.

– Il existe des espèces chimiques qui sont crées par l’être humain : ce sont des espèces chimiques de synthèse artificielles.

4.     Une vidéo à décortiquer

En fonction du temps dont vous disposez, je trouve intéressant de diffuser un document vidéo tiré de l’émission Envoyé Spécial (France 2) intitulé : Vanille, aux sources du goût (si le téléchargement s’arrête, le relancer pour obtenir la vidéo en entier). On peut y décortiquer les propos des journalistes et des personnes interrogées et les comparer aux informations données dans le cours.
La vidéo ci-dessous commence à la dix-huitième minute :

Voici un « décorticage » possible :

– Le début du documentaire présente la culture de la vanille à Madagascar.

18’ (0′) Le journaliste parle de vanilline naturelle comme principal composant de la vanille. Il ajoute ensuite qu’il existe de la vanilline synthétique fabriquée par l’industrie chimique. Les industriels feraient passer cette dernière pour de la vraie vanille. On peut s’étonner ici qu’il ne soit à aucun moment précisé que les deux molécules sont parfaitement identiques et que seul le mode de fabrication est différent. On note également l’amalgame fait entre synthétique et industrie chimique, pas que cette relation soit fausse, mais simplement parce qu’elle est connotée péjorativement dans le langage de la vie quotidienne. Enfin, dire que les industriels font passer la vanilline pour de la « vraie vanille » ne veut rien dire. Il faudrait dire que les industriels utilisent les étiquettes (images de gousses ou fleurs de vanilles et appellations) et peuvent ainsi induire le consommateur inattentif en erreur, persuadé qu’il va trouver de la vanille (inutile de dire vraie, personne de sait faire de la fausse vanille) dans son yaourt. Par contre, on peut faire réfléchir les élèves sur la suite du reportage qui pointe la législation sur les appellations (saveur vanille, goût vaille, arôme vanille = vanilline synthétique). A ce moment, je précise aux élèves que si la vanilline présente dans ces yaourts était issue de l’extraction des gousses de vanille (ce qui serait idiot car inutile : on sait faire la même chose pour beaucoup moins cher !), il n’y aurait aucune différence, ni sur le goût, ni sur la composition. C’est assez difficile à comprendre pour les élèves car pour eux, les deux ne doivent pas être identiques : elles ne sont pas obtenues de la même façon ! N’oublions pas qu’en procédant à l’extraction sur des gousses de vanilles, on obtient plusieurs centaines d’arômes ce qui ferait une grande différence dans nos yaourts ! Mais là n’est pas la question, et j’insiste vraiment sur la parfaite copie obtenue par synthèse.

19’50 (1’50) Le journaliste évoque le prix de revient de la vanilline chimique et naturelle. On peut, là aussi, faire réagir les élèves qui savent dorénavant que l’expression « vanilline chimique » ne veut rien dire puisque « tout est chimique ». Qu’aurait-on dû dire ? Vanilline synthétique et vanilline naturelle pardi !

20’15 (2’15) On entend parler « d’arôme naturel ». J’arrête alors la vidéo et je pose la question aux élèves : qu’est-ce que cela peut être ? En général, ils répondent que c’est de l’extrait de vanille. Eh bien non ! C’est une catégorie d’ingrédients aromatisants d’origine biotechnologique… ! L’explication suit : ce serait une technologie utilisant « des produits naturels qui n’ont rien à voir avec la gousse de vanille ». On peut déjà discuter des termes « produits naturels », le journaliste précisant que la vanilline est obtenue à partir de pois, betterave, riz, bref, « plus rien de chimique ». Il faut là aussi rebondir sur ce terme connoté : on sous-entend que la vanilline obtenue par les industriels « classiques » serait faite à partir de produits chimiques, donc mauvais, dangereux, polluants, etc.

21’08 (3’08) Le journaliste pose la question à l’exploitant : « c’est quoi la différence entre la vanilline d’origine biotechnologique et la vanilline de synthèse » Avant de commenter la réponse, le journaliste utilise encore des termes inadéquats car les deux vanillines sont synthétiques. Le patron répond : « la différence réside dans le mode de fabrication. » Il parle de « catalyseurs chimiques » opposés aux « catalyseurs biologiques ». Le journaliste ajoute « en clair, l’une vient de la chimie, l’autre de la biologie ». Si la différence de forme justifie ce genre de précisions, il est vraiment important de faire comprendre que dans chaque cas, ce sont des transformations chimiques qui sont responsables de la synthèse ! Sauf que dans le cas des biotechnologies, cela passe par l’intermédiaire d’enzymes. Heureusement, le journaliste précise : « au bout, aucune différence », ce qui est exact. La question est alors posée « mais alors, pourquoi payer plus cher pour la fabriquer ? » Simplement car elle bénéficie de l’étiquetage « arôme naturel », ce qui, d’après l’exploitant, est très demandé par les consommateurs qui « veulent du naturel ». On doit alors vraiment insister sur la non différence entre les deux formes de vanilline.

22’10 (4’10) Sans trop de rapport avec le débat naturel-chimique, on entend parler de l’importance de la vanille auprès des enfants prématurés pour lesquels on diffuse des effluves de vanille pour les soulager ou les aider à mieux respirer. Un chercheur au CNRS précise que les enfants présentent les signes d’un état amélioré grâce à la vanille. Le problème vient du commentaire du journaliste qui pose les questions : « Sommes-nous prédisposés à aimer ce parfum ? Possédons une attirance inscrite dans nos mémoires collectives, au plus profond de nous même ? » Si la première partie peut être comprise comme un lien avec la génétique, la seconde a des allures de pensée magique aux relents ‘newageux’ : qu’est-ce donc que la mémoire collective d’un nouveau-né ? Nous n’aurons pas de réponse du journaliste. Mais le meilleur est pour la suite : on s’attend à ce que le journaliste enquête au sein d’instituts de recherche en génétique ou apparentés. Eh bien, non. C’est auprès d’un parfumeur que les réponses sont cherchées, un certain Jean-Paul Guerlain…(voir : http://www.dailymotion.com/video/xf9uc7_jean-paul-guerlain-ses-propos-racis_news

DC

Figure resplendissante d'intelligence, grâce à la barbe.

Vulgarisation – Le jeu des 20 pièges, comment éviter les arguments d’autorité ?

Fiche pédagogique – Le jeu des 20 pièges, comment éviter les arguments d’autorité ?

« Quand un être humain obtient un Ph. D (un doctorat), il se produit dans son cerveau une mutation qui l’empêche de prononcer les deux phrases : « je ne sais pas » et « je me suis trompé ».

James Randi

Copain vous raconte qu’un Ami lui a dit avoir lu dans Moisi que le célèbre Duschmoll, professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields, auteur prolifique de centaines de publications scientifiques, réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « On a tout distordu » et auteur du livre « Du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires en vente chez tous les bons marchands, a déclaré récemment : « je dis que blablaabla ! » ; ce qui

Version 1 : confirme l’intuition du sage aborigène visionnaire Oum l’Ancien, ̶ qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin̶ , et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris il y a des siècles.

Version 2 : vient bouleverser les lois de la physique et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein, un des plus grands défis à la science depuis Copernic. Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla, ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance.

Reprenons l’assertion en la tronçonnant :

(1) Copain

(2) vous raconte qu’un Ami lui a dit

(3) avoir lu dans Moisi

(4) que le célèbre Duschmoll,

(5) professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields,

(6) auteur prolifique de centaines de publications scientifiques,

(7) réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « on a tout distordu »

(8) auteur du livre « du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires

(9) en vente chez tous les bons marchands,

(10) a déclaré récemment « je dis que blablabla »

Version 1 :

(11) Ce qui confirme l’intuition du sage aborigène

(12) visionnaire Oum l’Ancien,

(13) -qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin,

(14) et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris

(15) il y a des siècles.

Version 2 :

(16) Ce qui vient bouleverser les lois de la physique

(17) et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein,

(18) un des plus grands défis à la science depuis Copernic

(19) Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla,

(20) ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance

(1) Copain

Qui est-il ? Est-il compétent sur le sujet ? Tient-il à vous plaire / à vous déplaire ? Y a-t-il une relation hiérarchique entre vous ? Un conflit d’intérêt ?

Facette Z : la compétence de l’informateur est fondamentale.

(2) vous raconte qu’un Ami lui a dit

L’Ami est-il une source généralement fiable ? (Attention : c’est bien, mais pas suffisant)

Facette Z : un, mille témoignages ne sont pas une preuve.

Faisceau de preuves : plusieurs demi-preuves ne font pas une preuve.

Effet boule de neige possible syndrome de l’ADUA (Ami d’un ami) ou de l’HQAVHQAVO (Homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours)

Facette Z : l’origine de l’information est fondamentale

Utiliser l’argument de Hume sur les miracles

(3) avoir lu dans Moisi

Vérifiez ce qu’est le magazine Moisi.

Argument d’autorité, effet vitrine version « lu dans le journal ».

Facette Z : un mot écrit n’est pas auto-validant

Ultra-méfiance sur les journaux et les magazines : la science est généralement publicitarisée

Super-méfiance sur les revues scientifiques sans comité de lecture

Grande méfiance sur les revues au facteur d’impact faible

Méfiance encore même dans les grandes revues scientifiques (se rappeler la fusion froide, ou l’affaire mémoire de l’eau)

Facette Z : l’origine de l’information est fondamentale

Vérifier également les annonceurs du journal (on ne mord pas la main qui nous nourrit)

(4) que le célèbre Duschmoll,

Argument d’autorité, effet vitrine médiatique

Starification – Duschmoll occupe-t-il sa place médiatique par sa compétence, ou par d’autres paramètres ? (charisme, phrases-slogans, etc.)

(5) professeur à l’Institut Bétombe, médaille Michel Fields,

Vérifier si le titre / la médaille valident une compétence (professeur universitaire ≠ professeur des écoles ≠ « qui professe »)

Prétendre à un doctorat n’est pas suffisant (exemples d’Elisabeth Teissier, des frères Bogdanov)

Vérifier si l’Institut Bétombe existe, est universitaire, fonctionne, n’est pas une coquille vide – car « institut » ne valide rien de précis

(6) auteur prolifique de centaines de publications scientifiques,

Ne pas confondre articles dans Libération ou dans Science & Vie et articles scientifiques (dans des peer-reviews)

Attention : on peut écrire des centaines de mauvais articles

On peut aussi plagier des centaines de mauvais articles sur d’autres ou sur des étudiants, voire sur son fils (comme Bernouilli)

Effet Matthieu, « À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. »

(7) réputé pour ses apparitions régulières dans l’émission « on a tout distordu »

Compétence à l’aune des médias (Hubert Reeves, Yves Coppens)

Pseudo-compétence à l’aune des médias (Frères Bogdanov)

Effet paillasson sur la discipline (Nicolas Hulot n’est pas écologue, mais écologiste)

Sensationnalisme (les médias préfèrent l’iconoclastie, exemple : les climatosceptiques)

(8) auteur du livre « du pain, du vin, Duschmoll » vendu à plus de 300.000 exemplaires

Effet vitrine

Effet Panurge : ce n’est pas parce que le livre est vendu à 300 000 ex. qu’il faut suivre

Double effet cigogne : qu’il ait été vendu ne signifie pas qu’il ait plu, et qu’il ait plu ne signifie pas qu’il soit bon (exemple : John Gray, Les hommes viennent de Mars… , ou Jacques Salomé)

(9) en vente chez tous les bons marchands,

Effet vitrine de librairie, tête de gondole

(10) a déclaré récemment « je dis que blablabla »

A-t-il effectivement dit cela ? Vérifier que le journaliste a bien retranscrit. Attention aux coupes et aux éductions : il arrive que la phrase soit sortie de son contexte, ou que la vraie déclaration « je dis que blablabla est une foutaise » se transforme en « je dis que blablabla ».

Version 1 :

(11) Ce qui confirme l’intuition du sage aborigène

Effet « vieux sage de l’antiquité »

Lecture à rebours – raisonnement panglossien

Argument exotique : on mise sur l’exotisme de l’origine, et sur les représentations populaires (Orient, Tibet, Aborigènes, etc) qui frôlent le primitivisme

(12) visionnaire Oum l’Ancien,

Syndrome Jules Verne

(13) – qui le subodorait déjà sur un vieux parchemin ,

Effet vieux pot

(14) et qui vient appuyer ce que nos ancêtres avaient, dans leur bon sens populaire, fort bien compris

Argument ad populum

Passéisme, argument d’historicité

(15) il y a des siècles.

Argument de la nuit des temps

Version 2 :

(16) Ce qui vient bouleverser les lois de la physique

Argument ad novitatem

Scénarisations Scoop / révolution

Prudence dans l’interprétation : blablabla est-il confirmé par d’autres chercheurs ?

(17) et offrir, à travers cette gifle révolutionnaire administrée à Einstein,

Accentuation lapidaire

(18) un des plus grands défis à la science depuis Copernic.

Scénario du défi

Baignoire d’Archimède

Analogie à justifier (N’est pas révolution copernicienne qui veut – exemple de Freud)

(19) Espérons que les scientifiques, refusant traditionnellement la thèse du blablabla,

Description paranoïaque : scénario de la thèse qui dérange les scientifiques

Distorsion épistémologique : hormis dans le contexte de Berthelot (syndrome du poulpe) ou dans celui de Lyssenko (« science officielle »), la science n’a pas de tradition de ce type.

Garder à l’esprit que :

« Quand les experts sont unanimes, l’avis opposé ne peut être considéré comme certain »

« Quand les experts ne sont pas d’accord, aucun avis ne peut être considéré comme certain »

« Quand les experts se disent perplexes, le non-spécialiste sera sans doute bien avisé de suspendre son jugement » (Bertrand Russell)

(20) ne brûleront pas Duschmoll tel un Galilée moderne, sur l’autel de leur arrogance.

Syndrome Galilée : Galilée n’a pas été brûlé, n’a pas été un martyr de la science – ni martyr, ni de la science, mais du clergé.

Ce TP a été construit pour le cours Zététique & autodéfense intellectuelle consacré à la critique des médias scientifiques et notamment de la presse de vulgarisation.

Richard Monvoisin

Pour aller plus loin : un groupe de doctorants-moniteurs du CIES de Grenoble ont réalisé un Zétéclip sur l’effet blouse blanche, en prenant pour exemple les frères Bogdanov. Voir ici.

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Non sequitur

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

Non sequitur

« qui ne suit pas les prémisses »

Ce raisonnement est un syllogisme, où deux prémisses composent une logique pour aboutir sur une conclusion valide. C’est le principe d’énoncés très connus tel que :

  • Tous les hommes sont mortels
  • Socrate est un homme
  • Donc Socrate est mortel

Méthode : tronquer un raisonnement logique du type :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or B est vrai,
  • Donc A est vrai.

Ou l’inverse :

  • Si A est vrai, alors B est vrai
  • Or A est faux,
  • Donc B est faux.

Dans le sophisme Non sequitur, la conclusion est tirée de deux prémisses qui ne sont pas logiquement reliées, même si elles peuvent êtres vraies indépendamment l’une de l’autre. On crée alors l’illusion d’un raisonnement valide.

Exemples :

– Le monde est d’une prodigieuse perfection, à l’image de l’œil humain.

– Il est fort probable qu’une intelligence supérieure soit en jeu dans l’élaboration de l’univers. Le hasard ou une quelconque théorie de l’évolution des espèces ne peuvent donc être les seuls responsables de cette perfection.

– Tous les consommateurs d’héroïne ont commencé par le haschisch. Tu fumes du haschisch, donc tu vas finir héroïnomane.

– Française des Jeux : 100% des gagnants auront tenté leur chance. décomposé en non sequitur: tous ceux qui ont gagné ont joué. Donc si tu joues, tu gagnes

– On m’a dit « Si tu ne manges pas ta soupe, tu finiras au bagne », or je mange ma soupe, donc je n’irai pas au bagne.

Exemple amusant dans Sacré Graal des Monty Python :

   

– Les sorcières brûlent ; On brûle également le bois: Donc les sorcières sont faites en bois.
– Les sorcières sont faites en bois ; Le bois flotte, comme les canards : Donc si une personne pèse le même poids qu’un canard, c’est bien une sorcière !

Exemple dans la BD de Bourgeon Les passagers du vent, T3 – le comptoir de Juda.

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Exemple plus compliqué:

Freud déclarant dans son auto-présentation que la psychanalyse est le contenu de sa vie, et d’autre part que son travail s’inscrit dans l’esprit du nouveau judaïsme, on est alors tenté de faire un amalgame entre le personnage de Freud, le Freudisme, la psychanalyse et le judaïsme. Il y a donc un suspicion permanente d’un antisémitisme dissimulé dans la critique du freudisme :

– Vous critiquez la psychanalyse freudienne. Freud était juif, vous êtes donc antisémite.

En avril 2010, Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, tient un propos similaire dans une interview au Nouvel Observateur. « Il y a bien souvent en France une jonction inconsciente entre antifreudisme, racisme, chauvinisme et antisémitisme, fondée sur la haine des élites et le populisme […] Les éternels complots et affabulations attribués aux psychanalystes sont douteux : on voit l’œil, la main et le nez de Freud partout… »

Un extrait du developement de Michel Onfray sur ce sophisme (2mn15′)

Développement entier (17mn12′) 
N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme. 

NG
 
CorteX_Sophisme_Figaro

Faux dilemme

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

Le faux dilemme

Méthode : consiste à n’offrir que deux alternatives déséquilibrées en omettant toute autre alternative pourtant possible. Il peut s’agir de réduire le choix à deux alternatives qui ne sont pas réellement contradictoires. Au final, le choix est confisqué et la décision étriquée.

Exemples :

L’argument de G. W. Bush : Ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous

Si tu n’es pas ceci, alors tu es comme ça, si tu n’es pas contre, tu es pour, si tu n’es pas pour le complot du 11/9 tu es pro-Bush… nous avons là un mode de pensée assez primitif où il n’y a pas de troisième, de quatrième ou cinquième voie, non, c’est le yin yang, le noir et le blanc, le lumière-ténèbres du manichéisme perse du IIIe… En fermant les yeux, on entendrait résonner la voix de Michel Fugain : Qui c’est qui est très gentil (les gentils) Qui c’est qui est très méchant (les méchants).[1]

C’est un sophisme très rependu, souvent utilisé pour opposer le moins pire au pire :

– Marcher pieds nus ou acheter des chaussures fabriquées par des enfants en Chine ?

– La guerre en Irak ou laisser le champ libre au totalitarisme ?

– L’interdiction du voile ou l’extrémisme religieux ?

– Le Pen ou Chirac ?

– L’axe du bien ou celui du mal ?

Le faux dilemme fonctionne également avec deux propositions négatives, qui, de la même façon réduisent les choix. On appelle ce faux dilemme le « ni-ni ». « Ni pute ni soumise » en est le meilleur exemple. Le ni-ni sent parfois le brun. Il se cache par exemple dans « La France, aimez-la ou quittez-la ! » du Front National, transformé en « La France, tu l’aimes ou tu la quittes » par De Villiers.

Cette stratégie est redoutable car elle oriente sournoisement le débat en le simplifiant en un unique antagonisme. Mais celui-ci n’est qu’apparent : le fait que deux propositions soient compétitives ne signifie pas forcément qu’elles soient contradictoires. Le faux dilemme crée l’illusion d’une « compétitivité contradictoire ». Dans l’affirmation « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », on peut trouver des arguments acceptables pour ne pas être « avec eux » sans pour autant « être contre eux » : il n’y a pas contradiction.

Enfin, les deux hypothèses compétitives peuvent se révéler toutes les deux fausses !

Exemple dans les médias:

– Le Figaro du 28/01/10 présente en une un titre évocateur : « 9 Français sur 10 pour une réduction des dépenses publiques »

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L’article fait référence à un sondage de l’IFOP et indique que « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) 92% des enquêtés privilégient de réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) ». Passons ici sur l’origine de la commande de ce sondage et son utilisation très orientée [2] pour nous intéresser à la formulation de cette question sous forme de faux dilemme :

Question 2 : « pour faire face à la situation actuelle (crise économique, déficits publics élevés) quelle solution faut-il selon-vous privilégier ?

1/ « Réduire les dépenses de l’État et celles des collectivités locales (villes, départements, régions) » ou la seule autre option proposée :

2/ « Augmenter les prélèvements obligatoires (impôts locaux, impôts sur le revenu) »

Ce faux dilemme oriente soigneusement la réponse en interdisant toute autre solution, comme par exemple : la suppression des niches fiscales et des exonérations de cotisations sociales des entreprises, l’augmentation de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, le rétablissement de l’impôt sur les successions, l’augmentation de l’ISF, etc. On évite également de préciser les domaines de réduction de dépenses publiques comme la défense et l’armée plutôt que les aides sociales. Ainsi présenté ce faux dilemme permet d’affirmer l’écrasante majorité de réponses 1, et appuyer fallacieusement le propos de fond de l’article, du journal, du propriétaire du journal, etc.

– Un exemple rigolo de faux dilemme dans le dernier « Pirates des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence » de Rob Marshall, 2011.

N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

NG

[1] Le culboto, l’effet bof et autres ni-ni, Richard Monvoisin, La Traverse N°1

[2] Voir le brillant article sur ce sondage de l’Observatoire des médias, sur le site ACRIMED action-critique-médias.

Cette ébauche du monde de sophisme est basée, entre autre, sur la fiche « Petit recueil de 18 moisissures argumentatives« .