Vous connaissez probablement par coeur la technique du faux dilemme et la rhétorique du « ni-ni » (si non, allez voir ici). En voici une illustration dans le domaine politique de la légifération en matière de drogue, dénoncée avec brio par Fabrice Olivet de l’association ASUD (Auto-support et réduction des Risques parmi les Usagers de Drogues).
Il s’agit du « ni répression, ni dépénalisation », discours facile et non-engageant, sorte d’effet bof pour un sujet pourtant fortement documenté scientifiquement où deux consensus sont acquis à peu près chez tous les spécialistes, sauf chez les législateurs :
1) la répression ne réduit pas la consommation de drogues, et
2) la Réduction des Risques (RdR) notamment par les salles de shoot dont les médias ont beaucoup parlé est un bienfait social net.
Fabrice Olivet a fait du texte ci-dessous l’Edito de l’excellente et trop rare revue ASUD journal N°47 de juin 2011, ainsi que l’Edito du journal Libération du 3 juin 2011.
« Qu’est-il arrivé à ce pays ? », se demandait Jack Nicholson juste avant d’être massacré à coup de barre de fer par une bande de « Red Necks » dans Easy Rider. Le film culte de Dennis Hopper sorti en 1971 est à la fois prophétique et réaliste. « Ils n’ont pas peur de toi, ils ont peur de ce que tu représentes… Ils vont te parler tout le temps de liberté individuelle. Mais, s’ils voient un individu libre, ils prennent peur, ça les rend dangereux… »
La politique du « ni-ni » est l’allié objectif du maintien du statu quo, de la prohibition. Le refrain qui consiste à verser quelques larmes de sauriens sur les pauvres toxicomanes tout en martelant la doxa de l’inaltérabilité de la loi est une imposture intellectuelle dont l’absurdité en rappelle bien d’autres. Car l’autre particularité du discours « ni-ni » est le sort fait aux opinions des usagers : si vous voulez exprimer une opinion sur les drogues, dites surtout que vous n’en consommez pas.
L’analogie avec d’autres débats de société est source de perplexité. Un antiracisme dont seraient exclus les non-Blancs, au prétexte que l’expérience de la discrimination empêche une analyse « objective » du phénomène, un féminisme qui craindrait d’être discrédité par l’opinion des femmes, une pétition contre l’antisémitisme qui prendrait soin de n’avoir aucun signataire juif… À bien y réfléchir, tous ces groupes ont eux aussi été, à un moment ou l’autre, taraudés par le même syndrome.