Une preuve, c’est subjectif? Partie 5/6 : Repenser la rationalité et les débats

Cédric Stolz est professeur de philosophie. Il est l’auteur de plusieurs livres et achève actuellement la rédaction de Réponses contemporaines à dix questions philosophiques, à paraître début 2026. Sa série d’articles porte sur un thème qu’il juge essentiel mais négligé voire absent dans le milieu de l’esprit critique

Note préalable : cet article (et la série dans laquelle il s’insère) plonge dans des réflexions philosophiques plus approfondies que nos publications habituelles. Il s’adresse donc en priorité à celles et ceux qui ont déjà quelques repères dans ce domaine ou aux lecteur·trice·s en quête d’un regard philosophique sur ces questions.

Dans l’épisode précédent, j’ai présenté le constructivisme des attachements axiologiques : thèse selon laquelle les raisons d’agir et de croire sont constituées par certaines de nos attitudes psychologiques que sont les attachements axiologiques. Les attachements axiologiques sont des motivations finales généralement stables qui portent sur des états du monde que l’on estime, valorise. Ainsi, l’énoncé « il faudrait faire X » signifie « selon mon système axiologique et les faits pertinents, il y a une raison décisive de faire X ».

Dans cette partie, je vais montrer que le constructivisme des attachements axiologiques est une conception méta-normative pertinente au sens où il permet, mieux que les conceptions méta-normatives concurrentes1, de satisfaire conjointement ces quatre éléments2 :            
(1) Être ontologiquement parcimonieux : ne pas présupposer de propriétés dont l’existence est peu plausible3 et ne pas entraîner des croyances potentiellement fausses à leur propos4.   
(2) Être compatible avec nos pratiques délibératives et discursives au niveau individuel et collectif : ne pas supprimer la normativité et la rationalité5 et laisser une place pour la possibilité de se tromper6.   
(3) Être pragmatiquement pertinent : favoriser les discussions constructives.
(4) Être éclairant : rendre compte de nos attitudes et de leurs incohérences apparentes déjà existantes, notamment dans les cas de dilemmes. 

(1) Le constructivisme des attachements axiologiques est ontologiquement parcimonieux

L’épisode précédent nous a déjà permis de comprendre en quoi il est ontologiquement parcimonieux7 : il ne suppose pas l’existence de propriétés à la fois objectives et normatives, mais seulement de certaines attitudes que sont les attachements axiologiques. 

(2) Le constructivisme des attachements axiologiques est compatible avec nos pratiques délibératives et discursives

Le constructivisme des attachements axiologiques est compatible avec nos pratiques délibératives et discursives au niveau individuel et collectif. Cela est notamment rendu possible par le fait qu’il ne supprime pas complètement (a) la normativité8 et (b) la rationalité9 et qu’il (c) laisse une place pour la possibilité de se tromper10
L’article précédent nous a permis de voir qu’il (a) ne supprime pas complètement la normativité : les valeurs et les raisons sont des propriétés subjectives constituées par les attitudes que sont les attachements axiologiques.
Il nous a également permis de voir qu’il (c) laisse une place pour la possibilité de se tromper : la vérité des énoncés sur les valeurs et les raisons ne dépend pas de n’importe quelle attitude isolée du locuteur ou de la locutrice, mais de l’ensemble de ses attachements axiologiques formant son système axiologique hiérarchisé. Ainsi, il est possible qu’une personne approuve X ou désire X et que son jugement « X est bon » ou « il faut faire X » soit faux.
Je vais maintenant montrer comment il permet de (b) préserver une forme de rationalité. Dans la section suivante, j’exposerai plus en détail la manière dont les discussions restent possibles.

Le constructivisme des attachements axiologiques permet de préserver une forme de rationalité.
Dans un cadre objectiviste, la rationalité pratique renvoie à la capacité à accéder à des raisons objectives indiquant ce que l’on est censé faire indépendamment de nos attitudes subjectives, à les mettre en balance et à y adapter nos motivations pour agir. Par exemple, le fait que sortir d’un immeuble en feu a de bonnes conséquences sur mon solde plaisir/douleur à long terme, et le fait que mon solde plaisir/douleur à long terme a de la valeur objective, constituent une raison d’en sortir indépendamment de mes attitudes.
Dans le cadre subjectiviste qui est celui du constructivisme des attachements axiologiques, la rationalité renvoie plutôt à la capacité à justifier qu’une action est un bon moyen de satisfaire ses attachements axiologiques et à être motivé à faire cette action. Mais cette forme de rationalité n’est pas pour autant peu exigeante. Voyons cela de plus près.

La rationalité pratique consiste à suivre les étapes suivantes :

  1. Rationalité épistémique introspective : former des croyances épistémiquement justifiées par introspection à propos de ses attachements axiologiques. On peut par exemple identifier un attachement à son solde plaisir/douleur personnel à long terme, un autre attachement au solde plaisir/douleur général à long terme, à la vérité personnelle ou encore à la vérité générale.
  2. Rationalité épistémique : former des croyances épistémiquement justifiées à propos des faits pertinents, à savoir les effets des différentes actions possibles. Plus précisément, il faut considérer les différents états de choses pouvant résulter des actions et la probabilité que chaque état de choses en résulte11.
  3. Rationalité instrumentale : raisonner sur la base de sa croyance épistémiquement justifiée concernant ses attachements axiologiques et de ses croyances épistémiquement justifiées concernant les effets des différentes actions pour en déduire ses raisons d’agir (de faire les actions qui sont des moyens de satisfaire ses attachements axiologiques), et plus particulièrement sa raison décisive d’agir. On a alors une croyance épistémiquement justifiée concernant ce qu’on a une raison décisive de faire. Par exemple, Ernestine arrive à la conclusion que, tout bien considéré, elle ferait mieux de rentrer dormir plutôt que de rester boire encore un verre : c’est le meilleur moyen, parmi les options disponibles, de maximiser la satisfaction de ses attachements axiologiques.
  4. Être motivé·e à faire ce qu’on croit avoir une raison décisive de faire. En la reliant aux étapes précédentes, c’est le fait de traduire en acte ce qu’on croit de manière justifiée être un moyen de maximiser la satisfaction de ses attachements axiologiques, autrement dit d’être motivé à agir selon la considération rationnelle qu’une action est le meilleur moyen de parvenir aux états de choses auxquels on est axiologiquement attaché. Soit les attachements axiologiques et les croyances causent directement l’action qu’on croit avoir une raison décisive de faire, soit les attachements axiologiques et les croyances causent une décision de faire ce qu’on croit avoir une raison décisive de faire, et celle-ci cause ensuite l’action.

On peut alors distinguer quatre possibilités pour être pratiquement irrationnel :

  1. Manque de rationalité épistémique introspective : ne pas identifier ses attachements axiologiques, c’est-à-dire ne pas former de croyances épistémiquement justifiées à propos de ses attachements axiologiques. Par exemple, Bernie ne sait pas qu’il est axiologiquement attaché à son solde plaisir/douleur à long terme.     
  2. Manque de rationalité épistémique : ne pas former des croyances épistémiquement justifiées à propos des faits pertinents, à savoir les effets des différentes actions possibles12. Par exemple, Didier-Eustache a l’opinion que faire une thèse sur Hegel aura de bonnes conséquences sur son solde plaisir/douleur à long terme.
  3. Manque de rationalité instrumentale : ne pas raisonner sur la base de sa croyance épistémiquement justifiée concernant ses attachements axiologiques et de ses croyances épistémiquement justifiées concernant les effets des différentes actions pour en déduire ce qu’on a une raison décisive de faire. Par exemple, Esmeraldine ne raisonne pas sur la base de ce qu’elle croit que sont ses attachements axiologiques et de sa croyance que prendre de l’héroïne n’aura pas de bonnes conséquences sur son solde plaisir/douleur à long terme pour en déduire qu’elle n’a pas de raison décisive de prendre de l’héroïne.
  4. Acrasie : ne pas faire ce qu’on croit avoir une raison décisive de faire, c’est-à-dire accomplir une action en croyantavoir une meilleure raison d’accomplir une autre action (même si on pense avoir une raison moins forte d’accomplir l’action qu’on accomplit). Cela consiste à « céder à la tentation ». En la reliant aux étapes précédentes, c’est le fait de ne pas traduire en acte ce qu’on croit de manière justifiée être un moyen de maximiser la satisfaction de nos attachements axiologiques, c’est-à-dire d’échouer à être motivé à agir selon la considération rationnelle qu’une action est le meilleur moyen pour parvenir aux états de choses auxquels on est axiologiquement attaché·e. Cela peut s’expliquer par des désirs plus forts déconnectés de notre système axiologique (intempérance) ou par un processus psychologique qui empêche la transmission de la force motivationnelle des attachements axiologiques à l’action (paralysie mentale).
    L’acrasie est le fait de croire ou de savoir être intempérant (manque de maîtrise de soi et excès dans la poursuite de désirs déconnectés du système axiologique). Par exemple, Esmeraldine fait preuve d’acrasie si elle reconnaît qu’elle n’a pas une raison décisive de prendre de la drogue (voire qu’elle n’a pas de raison du tout de se droguer), mais succombe à un désir d’être sous l’effet de la drogue procurant du plaisir à court terme, qui cause son action de prendre de la drogue (ou qui cause sa décision de prendre de la drogue qui cause ensuite son action). De même, Jeanne-Michelle est acratique si elle reconnaît ne pas avoir une raison décisive de tuer son voisin mais a tout de même un désir de se venger qui l’amène à tuer son voisin. Dans ces cas, les agents ont généralement une motivation qu’ils préfèreraient ne pas avoir et la sensation d’agir malgré eux, d’être les esclaves ou les témoins passifs et impuissants de forces qui les traversent et qui leur sont étrangères. Le problème n’est pas d’avoir un désir inapproprié (déconnecté du système axiologique), mais le fait d’y succomber, c’est-à-dire que ce soit ce désir qui devienne effectif13.

On peut penser qu’être rationnel à toutes les étapes est le moyen le plus efficace pour faire ce que l’on a effectivement une raison décisive de faire, mais cela ne garantit pas que ce soit toujours le cas. La rationalité pratique est le fait d’agir conformément à ce qu’on croit de manière justifiée avoir une raison décisive de faire (cette croyance découle déductivement de ce qu’on croit de manière justifiée être nos attachements axiologiques et de ce qu’on croit de manière justifiée être les effets des actions possibles) et non le fait d’agir conformément à ce qu’on a effectivement une raison décisive de faire (cette raison est constituée par ce que sont effectivement nos attachements axiologiques et ce que sont effectivement les effets des actions possibles). Il est donc possible d’être rationnel à toutes les étapes sans agir conformément à sa raison décisive : on peut mal l’identifier à cause de croyances justifiées mais fausses. Par exemple, il peut être rationnel de boire un verre qui contient du poison si, compte tenu des informations disponibles, on est justifié à croire qu’il ne contient que de l’eau, que boire un verre d’eau est l’action qui satisferait le mieux nos attachements axiologiques, et donc qu’on a une raison décisive de boire ce verre.

(3) Le constructivisme des attachements axiologiques est pragmatiquement pertinent

Dans le cadre du constructivisme des attachements axiologiques, bien que les raisons normatives soient subjectives, la discussion reste possible14 :

  • On peut argumenter que quelqu’un·e a tort de faire ce qu’iel fait ou de croire ce qu’iel croit compte tenu de ses propres attachements axiologiques : une autre action ou une autre croyance permettrait davantage de satisfaire ses attachements axiologiques ; ses attachements axiologiques et les faits pertinents constituent une raison décisive de faire ou de croire autre chose.
  • On peut soutenir que quelqu’un·e a des croyances fausses à propos de ses propres attachements axiologiques ou de leur hiérarchie et aider quelqu’un à mieux identifier ses propres attachements axiologiques et leur hiérarchie.
  • On peut tenter de faire changer les attachements axiologiques (ou leur hiérarchie) de quelqu’un·e. Par exemple, à l’Antiquité on aurait pu faire prendre conscience à un·e esclave que la croyance selon laquelle l’Univers est un Cosmos hiérarchisé où chaque être a une fonction à remplir n’est pas justifiée, pour supprimer ou diminuer la force de son attachement axiologique qui porte sur le respect de l’autorité (lequel engendrait une raison d’être un bon esclave). De même, on peut me faire prendre conscience que j’ai des croyances non justifiées concernant les implications du concept de mérite et que je suis ignorant des déterminismes sociaux et génétiques afin de diminuer la force de mon attachement axiologique qui porte sur la justice sociale et pénale comme rétribution selon le mérite, le supprimer ou en changer le contenu au profit d’une autre conception de la justice sociale et pénale.

En particulier, bien que les raisons épistémiques soient subjectives, la discussion reste possible :

  • On peut argumenter que quelqu’un·e a tort de croire ce qu’iel croit compte tenu de ses propres principes épistémiques (qui constituent le contenu de son attachement axiologique épistémique).
  • On peut aider quelqu’un·e à mieux identifier ses propres principes épistémiques et leur hiérarchie (méthode de l’équilibre réfléchi, méthode introspective).
  • On peut tenter de faire changer les principes épistémiques (ou leur hiérarchie) de quelqu’un·e, c’est-à-dire le contenu de son attachement axiologique épistémique.      
  • Si quelqu’un·e affirme ne pas avoir d’attachement axiologique épistémique (ne pas être axiologiquement attaché au fait de former des croyances d’une certaine manière), on peut tenter de lui faire prendre conscience du contraire.
  • Si quelqu’un·e n’a pas d’attachement axiologique épistémique, on peut tenter de faire changer ses attachements axiologiques.
  • Si quelqu’un·e n’a pas d’attachement axiologique épistémique, on peut argumenter qu’iel a d’autres attachements axiologiques lui fournissant une raison (pratique, non épistémique) de former certaines croyances conformément à certains principes épistémiques.

    Le constructivisme des attachements axiologiques peut même, en étant utilisé en tant que postulat plus ou moins explicite et au moins dans certains cas, être pragmatiquement pertinent en favorisant les discussions constructives, c’est-à-dire :
  • Favoriser la compréhension réciproque : les participant·e·s comprennent mieux pourquoi les autres pensent ce qu’iels pensent et ce qui explique ou justifie les divergences de jugements relativement à des systèmes axiologiques différents.
  • Favoriser le changement d’avis : les participant·e·s sont plus susceptibles de se remettre en question et de faire évoluer leurs jugements du fait des marques d’intérêt et de considération apportées par les autres qui ont cherché à comprendre leurs attachements axiologiques.
  • Favoriser la conciliation : les participant·e·s parviennent davantage à des conciliations à partir de situations de désaccords raisonnables où chacun·e identifie ses propres raisons de croire et d’agir.
  • Favoriser le changement d’action : les participant·e·s sont plus susceptibles de changer leurs habitudes et d’agir différemment à la suite d’une discussion où chacun·e a argumenté à partir des attachements axiologiques des autres qui constituent pour elleux non seulement des raisons normatives mais également des états motivationnels plutôt que des faits objectifs inertes.

(4) Le constructivisme des attachements axiologiques est éclairant

Le constructivisme des attachements axiologiques permet de rendre compte de nos attitudes et de leurs incohérences apparentes déjà existantes, notamment dans les cas de dilemmes axiologiques.
Je vais illustrer cela avec le célèbre dilemme du tramway dont les différents scénarios révèlent généralement des jugements moraux asymétriques. Dans certains scénarios, on juge souhaitable de détourner le tramway pour qu’une personne soit tuée et cinq autres sauvées, mais pas dans d’autres. Plusieurs hypothèses explicatives à cette incohérence apparente ont été proposées.Par exemple, selon la doctrine du double effet, il est moralement permis de sacrifier une personne seulement si cela est un dommage collatéral non intentionnel et que le tort causé n’est pas disproportionné ; selon le déontologisme kantien, il est moralement permis de sacrifier une personne uniquement lorsqu’on ne la traite pas comme un simple moyen ; selon le conséquentialisme, il faut prendre en compte les conséquences indirectes ou suivre les procédures de décision qui garantissent en moyenne les actions ayant les meilleures conséquences à long terme ; selon la théorie des coûts d’opportunité, il faut prendre en compte les coûts d’opportunité qu’on fait payer à la personne à sacrifier (se demander dans quelle mesure cela lui nuit relativement à ce qui aurait pu lui arriver d’autre dans la situation où elle se trouve), lesquels varient selon les scénarios.
Toutes ces explications sont monistes : elles tentent de supprimer l’incohérence apparente grâce à une théorie morale unique permettant de rendre compte des différents jugements. À l’inverse, le constructivisme des attachements axiologiques suggère naturellement une hypothèse explicative pluraliste : il s’agit d’un dilemme axiologique dans la mesure où plusieurs attachements axiologiques distincts appellent des actions contraires. Par exemple, j’ai un attachement axiologique portant sur le solde plaisir/douleur général (qu’on peut appeler « le bien moral ») qui plaide en faveur du sacrifice systématique et un attachement axiologique portant sur le respect de certains principes (qu’on peut appeler « le juste ») qui plaide à l’encontre du sacrifice (au moins dans certains cas). En fonction de la hiérarchie entre ces attachements axiologiques, on peut avoir une raison décisive de sacrifier une personne dans un scénario mais pas dans un autre. Cela rend tout particulièrement compte du fait que certaines personnes refusant le sacrifice pour épargner cinq personnes acceptent le sacrifice s’il s’agit d’en sauver 10 000. Dans cette perspective, conséquentialisme, déontologisme et éthique des vertus ne sont pas nécessairement des théories morales rivales qui s’excluent mutuellement ; elles apparaissent plutôt comme des manières de rendre compte d’attachements axiologiques distincts et répandus, ou des candidates potentielles à des attachements axiologiques distincts. On les retrouve dans mon système axiologique hiérarchisé avec l’attachement n°1 (mon solde plaisir/douleur à long terme), le n°6 (la justice globale) et le n°7 (être quelqu’un de vertueux).

Et pour finir ?

À la lumière de tout ce chemin parcouru, le dernier épisode de la série sera consacré à la question suivante : pourquoi développer son esprit critique et éduquer les autres à l’esprit critique ?

Référence de l’image : Camille Pissarro, Femme au fichu vert, 1893, huile sur toile, 65,5 × 54,5 cm, Musée d’Orsay, Paris, inv. RF 1972 30. Domaine public ; source : Wikimedia Commons (photo Time3000)

  1. L’abolitionnisme, le conservatisme, le fictionnalisme et les autres variantes de révisionnisme.
  2. Je parie sur le fait que, compte tenu de leurs propres attachements axiologiques, les lecteur·rice·s considèrent la satisfaction de ces quatre éléments comme importante, mais il se peut que cela ne soit pas le cas.
  3. Je parie sur le fait que, compte tenu de leurs propres principes épistémiques (en tant que contenu de leur attachement axiologique épistémique), cela sera également peu plausible pour les lecteur·rice·s.
  4. Contrairement à une thèse objectiviste non naturaliste et à une théorie de l’erreur conservatrice.
  5. Contrairement à une théorie de l’erreur révisionniste objectiviste naturaliste réductionniste et à une théorie de l’erreur abolitionniste.
  6. Contrairement à une théorie de l’erreur révisionniste relativiste classique.
  7. Contrairement à une thèse objectiviste non naturaliste et à une théorie de l’erreur conservatrice.
  8. Contrairement à une théorie de l’erreur abolitionniste ou révisionniste objectiviste naturaliste réductionniste. Tandis que l’abolitionnisme consiste à se passer des énoncés normatifs, le révisionnisme objectiviste naturaliste réductionniste invite à changer la signification des énoncés normatifs : il s’agit de ne plus décrire des propriétés non naturelles à la fois objectives et normatives qui n’existent pas, pour décrire à la place des propriétés naturelles et objectives du même coup dépourvues de force normative.
  9. Contrairement à une théorie de l’erreur abolitionniste.
  10. Contrairement à une théorie de l’erreur révisionniste relativiste classique.
  11. Précision des étapes 2) et 3) : en théorie normative de la décision (économie), un critère de la prise de décision rationnelle stipule que l’agent doit :
    a) Prendre en compte toutes les actions possibles et les états de choses qui peuvent en résulter.
    b) Estimer la valeur de chaque état de chose.
    c) Estimer la probabilité que chaque état de chose en résulte.
    d) Calculer la valeur instrumentale espérée de chaque acte en multipliant les valeurs des résultats (les valeurs des états de choses qui peuvent en résulter, lesquelles dépendent du degré auquel les états de choses qui peuvent en résulter correspondent aux états de choses auxquels on est axiologiquement attaché·e, autrement dit on estime le degré auquel les effets de l’acte satisfont nos attachements axiologiques) par leur probabilité (par la probabilité que chacun des différents états de choses résulte de l’acte), puis en additionnant ces valeurs. La valeur espérée doit être calculée sur la base de croyances justifiées.
    e) Comparer la valeur instrumentale espérée des différents actes possibles.
    f) Constater l’action qui a la plus grande valeur espérée, c’est-à-dire identifier ce qu’on a une raison décisive de faire.
    Concernant l’étape b), il convient de préciser que l’estimation de la valeur d’un état de choses découlant d’une action implique de penser de manière contrefactuelle en se demandant ce qui se passerait si on agissait autrement. Par exemple, il semble à première vue qu’accepter un poste de chercheur en physique est un bon moyen de satisfaire un attachement axiologique lié au progrès dans la vérité globale, mais dans le cas où il y a d’autres chercheur·euse·s motivé·e·s et prêt·e·s à accepter ce poste qui feraient un aussi bon travail que moi si je refusais le poste, il se pourrait qu’accepter le poste ne soit pas un bon moyen de satisfaire cet attachement axiologique.
  12. Le manque de rationalité épistémique s’explique notamment par des stratégies d’évitement ou de réduction de la dissonance cognitive (la gêne née d’un conflit entre pratiques et croyances), ainsi que par la cognition motivée (formation de croyances guidée par des motivations indépendantes de la recherche de la vérité, comme le confort psychologique, l’estime de soi, la loyauté de groupe, et les intérêts matériels).
  13. Précision : pour ne pas faire preuve d’acrasie (supprimer l’incohérence au moment de l’action), il suffirait d’adapter sa croyance concernant ce qu’on a une raison décisive de faire à ce qu’on fait ou désire le plus faire (cognition motivée). Par exemple, quelqu’un·e qui désire prendre de la drogue peut se mettre à croire qu’iel a une raison décisive d’en prendre. Mais dans ce cas, nous ne faisons pas pour autant preuve de rationalité pratique : la croyance formée pour l’occasion ne sera pas justifiée ; or, en prenant en compte les étapes précédentes, la rationalité pratique consiste à faire l’action qu’on croit de manière justifiée avoir une raison décisive de faire. L’acratique qui respecte les étapes précédentes et reconnaît qu’iel agit de manière contraire à ce qu’iel croit de manière justifiée qu’iel ferait mieux de faire a, au moins, par rapport à la personne qui évite l’acrasie par la cognition motivée, le mérite de l’honnêteté, de la rationalité épistémique (étape 2) et de la rationalité instrumentale (étape 3).
  14. Il faut cependant prendre en compte les deux obstacles majeurs suivants :
    Le biais de désirabilité sociale : on croit qu’on valorise ce qu’il est socialement attendu de valoriser.

    La rationalisation post-hoc : on invente des attachements axiologiques pour justifier nos actions, par exemple en situation de dissonance cognitive.