Biologie, évolution – Attention à la mauvaise vulgarisation

L’art de malmener la théorie de l’évolution dans les médias – et d’offrir des travaux pratiques pour vos élèves et étudant-es !

Premier exemple : l’évolution future de l’être humain

Dans l’émission Révolutions médicales du 7 juin 2016 sur France Culture, intitulée Croquer la vie à pleine dent : oui mais !, le professeur Philippe Bouchard, parodontologue, nous offre un lieu commun classique, nous faisant revenir près de 200 ans en arrière en une phrase. Extrait :

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Il m’arrive dans mon cours de biologie de l’évolution d’introduire la question suivante : selon vous, quelles évolutions du corps humain sont à attendre dans les siècles prochains ? Immanquablement défilent les lobes d’oreilles disparaissant, tout comme les petits orteils, tandis que les doigts s’allongeraient et le dos se voûterait. Cette idée très répandue a fait l’objet d’un dessin saisissant du tabloïd The Sun en 2012, donnant ainsi un excellent support pédagogique.

Extrait :

« L’homme du futur sera peut-être plus grand qu’aujourd’hui CorteX_Evolution_Human_The_Sun_6.10.2012mais il aura moins de dents (alimentation plus molle, voire pilules) et un petit cerveau (devenu moins utile avec les ordinateurs), un quadruple menton et moins de poils (vie dans des habitats bien chauffés), des grands yeux (communication davantage visuelle qu’orale) et des petits testicules (baisse de la fertilité masculine). Les intestins seront plus courts, pour éviter de devenir obèse en absorbant trop de sucre et de gras. Pour finir, notre Homo sapiens de l’an 3000 aura les bras et les doigts plus longs, «pour saisir des objets plus loin» probablement sans bouger. »

Or cette projection, transformiste, réalisée à partir des projections d’un dentiste, d’un ostéopathe et un chirurgien esthétique (aucun n’étant spécifiquement formé en évolution) est désormais dépassée depuis 1859.

Pour un transformiste (comme Jean-Baptiste de Lamarck, au début du XIXe siècle) l’usage intensif ou délaissé d’un organe chez un animal en développement modifierait cet organe, modification qui pourrait selon les circonstances être transmise à la descendance. Ainsi, les girafes allongeraient leurs cous en « tirant dessus » systématiquement pour aller chercher  les branchages hauts, procréeraient ainsi progressivement des descendants aux cous de plus en plus longs, ce qui au fil des générations aurait fait apparaître le caractère actuel. Or ceci est faux : une espèce n’évolue que si une pression de sélection dans le milieu l’affecte et qu’une innovation ou une caractéristique quelconque confère à un individu porteur un avantage qui se traduira par un avantage reproductif, augurant ainsi d’une transmission accrue de ses caractéristiques (les caractéristiques génétiques ou comportementales étant, elles, transmissibles à la descendance). Par conséquent, à moins que toutes celles et ceux qui veulent se reproduire se mettent à trouver attirant un partenaire sans petit orteil ou sans lobe, il n’y a pas de raison que ce caractère se répande. Idem pour la petite mâchoire et le grand crâne de Philippe Bouchard.

Second exemple : l’utilité de l’attention

Dans l’émission la Tête au carré du 8 mars 2013 de France Inter portant sur l’attention (déjà abordée ici) est abordée l’utilité de l’attention. La réponse du psychiatre Christophe André prête à confusion.

Christophe André :

(…) Quand un guetteur surveille l’horizon, faut pas qu’il s’endorme, faut qu’il fasse attention à tout ce qui va y avoir comme changementCorteX_guetteur dans l’environnement, pour voir arriver les dangers, ou si c’est un animal qui cherche de la nourriture, pour voir les sources de nourriture, donc ses capacités attentionnelles ont été façonnées par des centaines de milliers d’années chez la plupart des espèces animales (…)

Monsieur André est psychiatre (et féru de méditation, c’est l’objet de son livre) et non paléoanthropologue ni biologiste. Pour un expert, il est tout à fait indiqué de ne parler que de son champ d’expertise, sinon il arrive de dire des bêtises qui peuvent avoir des conséquences.

Il faut être particulièrement précis en biologie, dans un contexte où il y a des polémiques entretenues autour de l’évolution. Dans les propos cités, on entend que l’attention est un caractère acquis de génération en génération (« façonnées par des centaines de milliers d’années »). Or l’hérédité des caractères acquis (l’affaire de la girafe dont le cou a grandi de génération en génération) est désormais abandonnée. Quitte à être rigoureux, on sait désormais que se sont plus volontiers reproduits (en mangeant plus, en mourant moins, etc.) dans un milieu donné les individus les plus attentifs. Donc s’est transmis préférentiellement ce caractère au cours des générations.

Pour se convaincre que le contexte est propice aux mauvaises interprétations, il suffit d’écouter la fin de l’extrait et l’intervention du journaliste Mathieu Vidard :

C. André : « le processus attentionnel est nécessaire à toute forme de vie évoluée ».

M. Vidard : « Donc là on l’inscrit dans l’évolution… on peut l’interpréter comme ça ».

On sent bien que le présentateur pense que l’évolution est une interprétation parmi d’autres, et c’est assez grave pour un journaliste scientifique. Car à moins d’adhérer au Dessein intelligent ou aux avatars de créationnismes, il n’y a pas d’autre interprétation disponible. Que le processus attentionnel soit inscrit dans une évolution des être vivants est une chose qui, à ce jour, ne peut s’interpréter scientifiquement qu’avec l’évolution. Dire que « on peut l’interpréter comme ça » laisse croire que d’autres alternatives rationnelles existent, ce qui n’est actuellement pas le cas.

Alors potassons vraiment nos sujets pour anticiper ce genre de piège, et faisons attention à nos manières de parler qui entretiennent bien souvent des contre-vérités, voire des formes de vitalismes (« un organe sert à ça », « la fleur mime l’insecte », …)

Richard Monvoisin

Pour aller plus loin

  • Sur les risques dans le jargon biologique, voir dir. Lecointre, Guide critique de l’évolution, ou alors regarder les vidéos de G. Lecointre ici.

  • Un exemple d’anthropomorphisme et de finalisme dans un documentaire sur les insectes.
  • Leçon serinée par Julien Peccoud : quand on parle évolution, il faut essayer de ne pas mettre le mot « pour » – permettant ainsi d’éviter des formes de finalisme, de volonté immanente, de téléologie. Julien dit parfois : « quand j’entends en biologie le mot « pour », je sors mon Colt ».
  • Pour un autre exemple du même type au sein d’un film (Snatch !), on pourra aller .
  • Sur les aspects philosophiques, on lira (attention, lecture pointue !) le premier chapitre du Matérialisme scientifique de Mario Bunge.