Et si les attentats de janvier dernier pouvaient s’expliquer par une islamisation de la société ? Cette question serait pertinente si cette hypothétique islamisation était avérée. Dans le cas contraire, il faudra nécessairement envisager d’autres pistes d’analyse1.
Raphael Liogier, politiste, décortique et réfute de manière implacable l’hypothèse de l’islamisation dans son dernier ouvrage : le mythe de l’islamisation – essai sur une obsession collective paru au Seuil en 2012 dont voici la description par l’éditeur.
Depuis le milieu des années 2000, un mot s’est immiscé dans le débat : islamisation. Les musulmans, dont la population s’accroîtrait dangereusement, chercheraient à submerger numériquement et culturellement l’Europe. L’imaginaire du complot déborde ainsi peu à peu le cadre de l’islamophobie ordinaire. Si cette perception paranoïaque était restée l’apanage d’une poignée d’extrémistes, elle ne ferait pas question, mais elle envahit aujourd’hui l’espace public, imprègne les discours de politiciens écoutés et les analyses d’auteurs réputés sérieux. Cet essai salutaire s’attelle à déconstruire ce qui n’est autre qu’un mythe et interroge l’obsession collective qu’il recèle. Il montre ainsi que la « bombe démographique musulmane » qui serait prête à éclater sur le triple front de la natalité, de l’immigration et de la conversion relève du fantasme. Quant au regain de ferveur spirituelle et au renouveau identitaire des musulmans, ils n’ont pas la signification conquérante ni même politique que suggère l’épouvantail de l’« islamisme ». Cette réfutation en règle permet enfin de comprendre pourquoi l’Europe et la France en particulier ont tant besoin de l’« ennemi musulman ».
La démonstration de Raphaël Liogier est synthétisée dans l’article « Le mythe de l’invasion arabo-musulmane » publié dans Le Monde diplomatique en mai 2014 (disponible ici).
Le 15 février 2013, il fut l’invité de l’ancienne émission de France Inter (aujourd’hui exclusivement en ligne) Là-bas si j’y suis.
Nous trouvons par exemple une concrétisation de ce mythe dans cette vidéo que décortique Raphaël Liogier dans son ouvrage :
https://www.youtube.com/watch?v=S9mfvDoARQY
Certaines racines de ce mythe ne datent pas d’hier. Même s’il s’agissait plus des arabes (et en fait des Algériens) que des musulmans, on trouve déjà des traces de la peur d’une « invasion » dans certains propos du Général de Gaulle. Par exemple, en 1959, pendant la guerre d’Algérie, le Général de Gaulle disait à propos de l’intégration des Algériens dans une perspective de non-indépendance2:
« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux, puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? » Nous trouvons également ces réflexions faites à son ami Raymond Dronne3: « Voulez-vous être bougnoulisé ? Voyons, Dronne ! Donneriez-vous votre fille à marier à un bougnoule ? ».
On trouve par ailleurs des éléments statistiquement significatifs d’une forte hostilité à l’égard des musulmans dans les enquêtes d’opinion historiques et ce, dès 19514.
Plus récemment, la thèse « Eurabia » détaillée par l’universitaire britannique Bat Y’eor dans son ouvrage Eurabia, l’axe euro-arabe a contribué à alimenter le même mythe. Cette thèse d’un « axe euro-arabe » est également critiquée par Raphaël Liogier dans son ouvrage.
Le mythe de l’islamisation et ses différentes facettes que déconstruit rigoureusement Raphaël Liogier se situe à la croisée de différents domaines scientifiques tels la science politique, la sociologie du religieux et la démographie.
Le mythe de l’islamisation peut fournir un réservoir de matériel efficace pour illustrer divers aspects de la démarche critique : identifier la source de l’information (multiples affirmations démographiques erronées) ; repérer des confusions corrélation/causalité5 (délinquance et islamisme) ; décortiquer des scénarios complotistes6 (une intentionnalité islamique cachée) ; débusquer des essentialisations7 (le musulman comme possédant une essence, une nature propre) ; démêler des amalgames (islamistes, musulmans, arabes, maghrébins, etc.) ; traquer les généralisations abusives8 (tous des extrémistes ces musulmans !) ; dénicher des « biais de la cause unique » 9 (l’extrémisme expliqué par la nature des propos coraniques) et enfin déceler des interprétations erronées ou de fausses inférences causales (port de l’hijāb – un des différents voiles islamiques – comme un signe systématique de radicalisation et/ou signe de soumission à l’homme).
Au CorteX, nous avons déjà décortiqué différents matériaux en lien direct avec ce sujet :
Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma par Djamel Hadbi et Richard Monvoisin
TP : analyse d’une publicité partisane sur l’immigration par Julien Peccoud
Perception subjective amplifiée de l’immigration et de la pratique musulmane par Richard Monvoisin
Peur sur la ville : les islamistes, Al Qaïda et le djihad global (deux ateliers de l’information) par Clara Egger
Bonan legon kaj pripensojn !10
AG