Parution des mémoires de Mario Bunge – Entre deux mondes, mémoires d’un philosophe-scientifique

cortex_mario_bungeMario Bunge (pronconcez à l’espagnole [ˈbuŋxe], si vous voulez avoir l’air initié) est né en 1919. Philosophe et physicien argentin, installé au Canada, il est professeur émérite de logique et de métaphysique à l’université McGill de Montréal. Principal théoricien du matérialisme actuel, il est l’auteur de près d’une centaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’articles. Une légende pour les membres du CorteX. Nos copains des éditions Matériologiques publient ses mémoires à l’instant, traduites par le camarade Pierre Deleporte. Pénétrons entre deux mondes.

Le physicien et philosophe Mario Bunge a attendu 2015 et sa quatre vingt seizième année pour rédiger ses mémoires. C’est dire si la fresque qu’il nous propose ici est riche en idées, en événements (emprisonnement, exil, échecs et succès, honneurs et adversité), en prises de position, en troubles de l’Histoire, en jaillissements de savoirs, en ferments pour un matérialisme du XXIe siècle. 

L’« entre deux mondes » que le titre évoque se comprend de multiples façons. Bien sûr, d’abord par la position singulière de Mario Bunge, autant scientifique que philosophe, véritablement à l’interface de ces deux mondes savants. Savoirs scientifiques
et culture humaniste sont liés et Bunge voyage d’un monde à l’autre, sans se soucier d’une dichotomie courante qui contribue à un inutile conflits des savoirs.

C’est aussi un entre-deux-mondes géographique et social : une première vie en Amérique du Sud, puis le départ définitif pour l’Amérique du Nord. Une telle autobiographie se doit de revenir sur les aspérités de la vie comme sur ses bonheurs, tout comme elle doit tracer les trajectoires des rencontres avec des centaines d’éminents savants, amis ou adversaires. Avec une franchise inhabituelle dans ces milieux feutrés, au détour des pages fusent les concepts, les théories, les leçons pour les temps présents, les appels à la raison, les mises en garde contre les obscurantismes et les vaines promesses. Encore des entre-deux-mondes…

L’auteur nous convie à l’exposé d’une vie de travaux incessants dans presque tous les grands domaines savants, permettant ainsi aux lecteurs francophones d’aborder les rives d’un vaste continent de connaissances, alors qu’il existe très peu de livres de Bunge en français, moins encore de biographie… Et si l’on adhère à ses idées, à sa démarche, à sa méthode, à son humour parfois cinglant, c’est avec un plaisir rare que l’on peut se sentir appartenir à une sorte de confrérie, celle des amoureux de la pensée rationaliste et humaniste, et de son partage.

Merci aux éditions Matériologiques pour ce cadeau.

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Sommaire (table des matières détaillée ici)
Avertissements de l’éditeur, par Marc Silberstein (page 3)
Avant-propos de Mario Bunge (page 11)
Chapitre 1 : Enfance (page 13)
Chapitre 2 : Adolescence (page 43)
Chapitre 3 : Université (page 75)
Chapitre 4 : Apprentissage scientifique (page 107)
Chapitre 5 : Apprentissage philosophique (page 147)
Chapitre 6 : Premiers emplois (page 181)
Chapitre 7 : Professeur itinérant (page 227)
Chapitre 8 : Le Canada et le réalisme scientifique (page 261)
Chapitre 9 : Philosophie exacte (page 301)
Chapitre 10 : Matérialisme systémique (page 351)
Chapitre 11 : Biophilosophie (page 399)
Chapitre 12 : Monisme psychoneural (page 433)
Chapitre 13 : Philosophie sociale (page 475)
Chapitre 14 : Idées bizarres, lieux étranges,
événements extraordinaires (page 505)
Chapitre 15 : Philosophie pratique (page 543)
En guise d’épilogue (page 581)
Postface : Ma vie avec Mario, par Martha Bunge (page 587)
Index des noms (page 609)
Bibliographie complète de Mario Bunge (page 621)

RFI vs. Scepticisme scientifique : le CORTECS sur les ondes

Vous aurez probablement remarqué notre rareté sur les médias. Il ne s’agit pas d’un manque de sollicitation, au contraire ! Il s’agit d’une position collective qui ne fait que se confirmer avec le temps. Comparatif entre deux prestations, sur le ballado Scepticisme scientifique le 16 octobre 2015 et sur RFI le jeudi 29.

Épisode 1

Je passais à Louvain-la-Neuve en octobre pour de la didactique des sciences, et parmi quelques à-côtés absolument géniaux (dont une causerie avec Marc Silberstein, des génialissimes éditions Matériologiques, ainsi qu’avec Pascal Charbonnat, l’auteur de la somme Histoire des matérialismes). C’est là que les camarades du ballado sceptique Scepticisme scientifique m’ont mis le grappin dessus.

Avec un magnéto, la piaule de Jean-Michel Abrassart (alias JMA) encombrée de bouquins d’ufologie et d’ouvrages de H. P. Lovecraft, Jean-Michel lui-même et Jérémy Royaux le psychologue « hypnotiseur » (c’est son métier, branche non mystique bien entendu) qui a préparé l’entretien, ça donne une heure et demie de causette approfondie que vous pouvez :

– télécharger en deux parties ici et pour faire votre ménage ou votre vaisselle en bonne compagnie

– ou écouter directement ici :

Épisode 1

Épisode 2

– ou aller à la source et là-bas.

Le résultat, à vous d’en juger, mais j’ai eu en tout cas le temps de développer, d’approfondir, et j’ai pris grand plaisir.

Épisode 2

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Le camarade Antonio Fischetti, connu pour ses pages sciences dans Charlie Hebdo, et que je connais depuis quelques années, me propose de venir causer de pseudo-sciences sur Radio France International, radio sur laquelle il faut un remplacement dans l’émission Autour de la question. Format large (50mn), Antonio très au fait du sujet puisqu’ayant co-écrit en 2004 le fameux Charlie saute sur les sectes avec le regretté Tignous : j’arrive très confiant dans la tour de RFI, à Issy-les-Moulineaux. Antonio m’a demandé si je pouvais fournir des extraits audio éclairants, et vous reconnaîtrez peut-être quelques outils que j’ai utilisé dans mes cours.

Le résultat ? Vous serez seuls juges. J’en suis sorti perplexe pour ma part, non par le travail réalisé par Antonio – les questions étaient bonnes, les extraits adéquats – mais perplexe par le format. RFI demande, de part sa diffusion internationale, un minutage extrêmement précis, à la minute près. Guillaume Ploquin à la technique nous faisait les signes quand il fallait, et Antonio avait un script taillé au cordeau. Les normes de l’émission sont strictes : un journal à la moitié, et deux chansons. Au final ? Perplexe, donc. 50 minutes d’émission, mais une impression de peau de chagrin. J’ai eu l’impression de faire des séries de phrases brèves. J’ai même tellement été surpris par la fin que je n’ai pu ni rendre un hommage appuyé à mes camarades, ni surtout faire ce que je désirais : lancer un appel aux enseignants africains francophones.

Vous pouvez forger votre opinion en :

– téléchargeant ici pour faire votre repassage ou bêcher le jardin en bonne compagnie

– ou en écoutant directement ci-dessous :

– ou en allant à la source .

Alors c’est vrai, j’avais écouté d’autres émissions de Autour de la question, mais je ne me rappelais pas que c’était si « ramassé ». Alors si le format ne me convenait pas, pourquoi y suis-je allé ?

C’est que je suis pris dans l’éternel dilemme du CORTECS :

Choix A :  faut-il passer le message critique dans les médias, quoi qu’ils vous fassent ? (C’est l’option que prend dans une certaine mesure, le sociologue Gérald Bronner par exemple, Florent Martin de l’Observatoire zététique, le physicien Jean Bricmont, ou Jean-Michel Abrassart, du podcast Scepticisme scientifique).

ou choix B : refuser d’y aller quand le format n’est pas adéquat, ou lorsqu’il faut, pour être audible, devenir un fauve comme dans certaines émissions de prime-time – entendez par « fauve » quelqu’un qui doit couper la parole à ses interlocuteurs pour se faire entendre, faire des phrases courtes, percutantes, si possible avec le ton hargneux et hautain qu’on aime voir chez un sceptique (je ne plaisante pas : j’ai disparu d’une émission il y a quelques années, parce qu’un autre sceptique était plus télévisuel, ayant usé d’invectives et de moqueries envers des adhérents à des thérapies « alternatives »). Cette solution de retrait fut prise par exemple par le sociologue Pierre Bourdieu à la fin de sa vie (voir à ce sujet son petit livre Sur la télévision et la conférence attenante, ci-dessous) et c’est la position pour l’instant adoptée collectivement par notre collectif, depuis maintes mésaventures télévisuelles notamment.

Le choix A vous mène parfois jusqu’à la caricature. Mais le choix B vous fait disparaître. Au CORTECS, nous pensons que notre job consiste à enseigner, et pour cela, il faut du temps, difficilement compatible avec le format audiovisuel. Nous pensons aussi qu’il est sain que n’apparaissent pas de « figures » médiatiques , en mode sous-commandant Marcos, ou Lazarus – c’est d’ailleurs pour cela que nous faisons tourner entre nous les interventions que nous acceptons. Sur ce point, je connais des avis divergents : les amis de la Tronche en biais me rappelaient  tantôt qu’une figure médiatique entraînerait plus de sillage qu’une masse anonyme… et je pense que c’est vrai. Mais c’est du court terme, et c’est flatter les mécanismes psychologiques les plus archaïques chez nous. Faut-il aller parler d’esprit critique dans des émissions très regardées mais dont le format, coincé entre le rire d’une miss France et un grincement de chroniqueur, ne permet aucun développement ? Serions-nous cohérents, en allant dans la meute chez Taddeï couper la parole aux autres pour pouvoir en placer une ? D’un autre côté, faisons-nous notre boulot d’éducation populaire en refusant presque toujours de communiquer dans les médias ?

Le cas de RFI est une illustration de ce dilemme : des centaines de milliers d’oreilles, pour une émission un peu engoncée dans un grand nombre de contraintes. Le ratio était valable, et nous avons fait collectivement le choix de m’y envoyer. Nous avons accepté quelques fois France Inter, sous certaines conditions. Avons refusé le Point (qui a quand même fait un article !). Avons refusé Ruquier. Avons accepté Le Monde Diplomatique. Avons voulu refuser Le Monde, puis dûmes accepter, contraints par le fait que plusieurs personnes avaient contribué avant nous à un article sur nous, et cela devenait embarrassant. Bref, notre « algorithme » média tourne en permanence. A chaque fois, le dilemme. A chaque fois, la peur que le format ne sabote complètement le propos.

Notre crainte ? Que si nous adhérons au principe que « au fond, tant que des gens entendent un discours critique, même bref, c’est toujours ça« , et que « de toute façon,  ce format est moins pire que bien d’autres« , alors nous ne voyons pas ce qui freinerait notre descente progressive dans les médias de plus en plus médiocres – il y aura toujours pire ailleurs !

L’esprit critique vaut-il qu’on le brade chez Ardisson, chez Berlusconi ? Mais doit-il être « réservé » à des barbus qui fument la pipe à 3 heures du matin sur une chaîne que personne ne regarde, ou qui pérorent sur une radio grandes ondes qui n’a que trois auditeurs boursouflés ? Si l’on devait tourner la question scientifiquement, elle serait comme suit : quand est la limite entre le format fast-thinking et le junk-thinking ? Franchement, au CORTECS, ne sachant pas répondre à cette question, nous tendons à la discrétion.

Richard Monvoisin

PS : le travail collectif lancé par JMA compte plus de 300 émissions, qui vraiment méritent une forte audience. A nous de compenser la maigre diffusion de ces contenus précieux – d’où cet article ! Il faut piller Scepticisme scientifique (et son petit frère tout récent outre-atlantique Le monde merveilleux du scepticisme, de Isabelle Stephen et Christopher Hammock). De quoi égayer même des travaux de plomberie.