Pseudo-médecines : paroles de victimes

Pseudo médecine, paroles de victimes. Illustration.

Après un revirement sceptique opéré au début de la pandémie de Covid 19, j’ai abandonné ma pratique de la naturopathie pour me reconvertir professionnellement. Si j’émettais déjà quelques réserves en cours de formation en naturopathie, il m’a fallu plusieurs années de pratique pour me défaire complètement de l’irrationalité de ses concepts de base. Petit à petit, en questionnant la pertinence de la réflexologie, du « naturel » (quoi que cela puisse signifier…), de la mémoire de l’eau et de tant d’autres principes phares de la naturopathie, j’en étais arrivé à me détacher de la naturopathie au point de me cantonner à de basiques recommandations nutritionnelles (de l’exercice illégal de la diététique en fait…). Le regain de popularité des discours antivax au début de la pandémie de Covid 19 et ma prise de conscience de la dimension extrêmement conservatrice des pseudo-médecines a achevé de me convaincre de la nécessité de quitter ce milieu pour de bon. Je dédie désormais une bonne partie de mon temps libre à produire des contenus destinés à mettre en lumière l’irrationalité et les dangers des pseudo-médecines…

C’est notamment un des objectifs de la série de témoignages que je mets en ligne sur mes chaînes YouTube et PeerTube. Dans cette série « Pseudo-médecines – Paroles de victimes », je laisse la parole à des personnes qui s’estiment victimes de pratiques de soin dites alternatives, complémentaires ou douces, non éprouvées mais pourtant largement répandues : par exemple la naturopathie, le reiki, l’homéopathie, l’acupuncture, la kinésiologie, le crudivorisme, les cures de jeunes, ou toute autre discipline comparable.

Je souhaite permettre la prise de parole de personnes qui s’estiment victimes de ces pratiques, que ce soit en raison de leur parcours personnel, ou des expériences de personnes de leur entourage. Ces personnes ont été éloignées de la médecine conventionnelle, ont été privées de soin, ont vu se dégrader leur état émotionnel ou psychologique, ont souffert au niveau relationnel ou bien encore ont engagé des dépenses excessives. Chaque personne a un parcours différent et chaque ressenti est légitime. Ces témoignages leur permettent de revenir sur leur parcours, leurs espérances… et leurs déceptions.

Il me semble important de mettre en avant la diversité des profils, des parcours, des vécus et des ressentis, afin de mieux comprendre ce qui peut amener à adhérer à ces croyances, à persévérer dans ce cheminement, et aussi à en en sortir bien sûr.

Il n’est pas question ici de prétendre qu’un témoignage a valeur de preuve et puisse être généralisé. Ces témoignages visent tout d’abord à libérer la parole des victimes, à leur permettre de dépasser cette condition et de contribuer à éviter à d’autres personnes de suivre le même parcours. Ils permettent d’illustrer les problématiques que j’évoque dans mes autres vidéos, et de comprendre les mécanismes qui conduisent à adhérer à ces pratiques. J’espère que ces témoignages pourront nous amener à réfléchir, ensemble, aux meilleurs leviers d’action dont nous disposons pour limiter l’impact des pseudo-médecines.

Et cela passe très souvent par la remise en question de certaines pratiques de la médecine conventionnelle, par la nécessité d’accepter certaines de ses limites, et d’œuvrer à rendre la médecine conventionnelle accessible à toustes, bienveillante et non discriminante.

Pour ma part, je trouve particulièrement enrichissant d’échanger avec les personnes qui souhaitent témoigner. Chaque parcours me touche et me conforte dans l’idée que personne n’est à l’abri d’être victime un jour des pseudo-médecines. Je découvre à chaque témoignage des aspects jusqu’alors insoupçonnés des rouages des « thérapies alternatives », et je suis inquiète de constater l’ampleur du phénomène. Tout ceci renforce ma détermination à œuvrer pour une médecine conventionnelle accessible à toustes et à dénoncer les dangers des pseudo-médecines.

Les témoignages déjà en ligne peuvent être écoutés sur PeerTube :

ou sur YouTube :

La liste de l’ensemble des témoignages est disponible ici :
https://sohan-tricoire.jimdofree.com/articles-vidéos/pseudo-médecines-paroles-de-victimes/

Si vous souhaitez contribuer à cette série de témoignages, n’hésitez pas à me contacter par mail à l’adresse suivante : temoignage-pseudomedecine [@] protonmail.com

Couverture de l'ouvrage de Raphaël Hammer

Lecture : Raphaël Hammer – Expériences ordinaires de la médecine, confiances, croyances et critiques profanes

Couverture de l'ouvrage de Raphaël HammerRaphaël Hammer est docteur en sociologie, et actuellement enseignant et chercheur en Suisse au sein d’une structure regroupant différentes formations paramédicales. Cet ouvrage 1 retranscrit les résultats d’une enquête sociologique menée dans le canton de Genève en l’an 2000, qui s’intéressait aux formes principales de reconnaissance, de valorisation et de critique portées par les « profanes » vis-à-vis des médecins, du système de santé et des thérapies dites alternatives. Son contenu fait écho à de nombreuses problématiques soulevées et traitées au sein du Cortecs. Un livre de plus à ajouter à la bibliothèque critique du praticien en santé !

Une saine méthodologie

Dans le cadre de l’étude sur laquelle s’appuie l’ouvrage, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 64 hommes âgés de 40 à 60 ans habitant dans le canton de Genève, recrutés via l’annuaire téléphonique, appartenant à différentes catégories socio-professionnelles : travailleurs manuels, instituteurs, employés de bureau. Les conclusions tirées de cette enquête concernent donc un échantillon bien spécifique de la population suisse ; l’auteur insiste à juste titre sur cet élément épistémologique important. Surtout, ce qui est intéressant ici, c’est de voir comment une méthodologie qualitative fréquemment utilisée en sciences sociales (la conduite d’entretien) peut être menée de manière rigoureuse.

Des précisions sur la critique de « la science »

Souvenons-nous, le mot science peut revêtir différents sens2. Rappelons-les brièvement ; le mot science peut renvoyer à la méthode, à la somme des connaissances, aux sciences appliquées et aux technologies, à la communauté scientifique vue de l’intérieur, à la même communauté vue de l’extérieure. Lorsque quelqu’un remet en cause la science médicale, il est donc légitime de se questionner sur ce qu’il désigne par ces termes. C’est ce que fait Raphaël Hammer.

Ainsi, nous découvrons que les personnes interrogées ne remettent pas du tout en cause la science en tant que méthode. En effet, « c’est moins la science en tant que telle qui est l’objet des inquiétudes et des contestations, que les aspects politiques et économiques de son fonctionnement et de son insertion dans la société globale » (p220). Plus précisément, «  ce sont bien les aspects politiques et économiques qui sont au centre des acquisitions les plus fréquentes et les plus vives : l’influence du néo-libéralisme sur la gestion des institutions de soin, l’importance de la rentabilité des politiques sanitaires, ou encore le pouvoir des industries pharmaceutiques et des assurances-maladie sur le système de santé et les pratiques médicales. Nombre de discours sont ainsi marqués par ce sentiment inquiet que la qualité des soins, la santé comme bien en soi et l’équité sont des valeurs menacées par la logique capitaliste et la quête du profit » (p221).

Critères de légitimité des thérapies alternatives selon leurs usagers ou sympathisants

Aiguilles d'acupuncture
Des aiguilles servant à pratiquer l’acupuncture

Le chapitre IV s’intitule « Médecines alternatives et populaires : représentations et usages » et tente de cerner les éléments socio-institutionnels, symboliques, et pratiques qui fondent la crédibilité de ces thérapies aux yeux de leurs usagers.

Les positionnements des interrogés sont différents selon le type de thérapie proposée. Lorsque la pratique est présentée comme étant le fruit d’un talent ou du don d’une personne (c’est souvent le cas avec les barreurs de feu ou les rebouteux), les critères de rationalité, de scientificité et de reconnaissance institutionnelle sont plus fréquemment suspendus ; on se fie alors aux témoignages, à la gratuité de l’acte, comme garants de son efficacité. Lorsque les pratiques sont présentées comme étant le fruit d’un savoir (l’homéopathie, l’acupuncture par exemple), elles sont jugées comme étant digne de confiance, puisque s’appuyant sur un savoir théorique constitué et énonçant peu voir aucun effet secondaire. L’adhésion aux idéologies et aux principes qu’elles véhiculent (l’approche globale de l’individu, la valorisation des défenses propres de l’organisme etc.), le parcours académique des pratiquants, le contrôle par les autorités scientifiques et politiques rassure et leur confère plus de crédibilité.

Le développement de ces pratiques serait avant tout la conséquence d’un profond désenchantement vis-à-vis de la technicité médicale, de la déshumanisation des soins, de la barrière relationnelle et statutaire entre le soignant et la patient. Il est alors étrange de s’apercevoir que les pratiques « alternatives » sont finalement évaluées et choisies selon les mêmes critères que les pratiques dont elles prétendent se démarquer. Les interlocuteurs désirant les utiliser disent qu’elles doivent répondre à des impératifs de validité, de compétence, et d’efficacité. Vis-à-vis d’elles, ils adoptent un positionnement agnostique, qu’Hammer qualifie de « scepticisme libéral » (p173) : ils n’y croient pas, sans pour autant dire qu’elles ne sont pas valides ou efficaces.

Pour de vraies alternatives en santé

Si Raphaël Hammer ne prend pas vraiment position vis-à-vis du statut des thérapies « alternatives », on peut penser qu’en plus de ne pas avoir fait la preuve de leur efficacité propre, elles ne sont pas des alternatives politiques ou économiques 3. Mais alors, que proposer pour parvenir à un système plus efficace et satisfaisant pour le plus grand nombre ? Quelques éléments de réponse sont esquissés dans cet ouvrage. Hammer postule que la question n’est plus d’être pour ou contre la science, mais plutôt de définir le cadre de son développement, d’instaurer un débat autour des questions éthiques. J’ajouterais à cela que tous les citoyens devraient potentiellement pouvoir y prendre part. Mais pour que les échanges soient fructueux, cela nécessitera de bien poser la cadre épistémologique et théorique de départ (notamment, ce que l’on entend par « science »), et de détecter les argumentations fallacieuses, ce qui nécessite que les participants soient formés au préalable au maniement d’outils d’analyse spécifiques.

À titre individuel, en tant que professionnel de santé, l’ouvrage nous rappelle, s’il le fallait, l’importance du dialogue, du facteur relationnel et de l’attention que l’on doit porter aux aspects psychosociaux de la prise en charge de nos patients. Encore faut-il que notre contexte professionnel nous le permette, où que nous nous octroyons cette possibilité.

Nelly Darbois