En tant que kinésithérapeutes, nous sommes amenés à utiliser au quotidien de nombreuses techniques, instrumentales ou non. Pour une même prise en charge nous devons faire un choix qui peut dépendre de notre expérience personnelle, du temps et du matériel disponible, de la demande du patient, etc. Il est aussi possible d’en privilégier certaines en fonction des données accessibles dans la littérature scientifique. La recherche d’informations scientifiques dans la littérature est souvent abandonnée par les kinésithérapeutes faute de temps1; ce paramètre est donc à prendre en compte dans cet article.
Table of Contents
Cet article n’a pas pour vocation de permettre de mener une recherche bibliographique exhaustive mais présente des astuces pour débusquer rapidement et gratuitement des informations scientifiques sur l’efficacité d’une technique ou d’un outil utilisé en kinésithérapie. La mise en application des différentes étapes décrites ci-dessous nécessite une connexion à internet et quelques notions d’anglais. Tout au long de cet article, j’illustrerai les différentes étapes présentées à l’aide d’une situation fictive que voici :
Partons d’une pathologie fréquente et prise en charge en kinésithérapie1 : la lombalgie chronique.
Dans cet exemple fictif, le kiné propose différentes choses aux patients dont le motif de la prescription est « lombalgie chronique ». Il consacre 30 min en face à face avec le patient, puis lui propose 30 min de prise en charge antalgique passive sans présence de thérapeute. Créons un faux dilemme pour l’occasion ; admettons que le kiné dispose au cabinet de deux appareils applicables sur le dos du patient délivrant l’un des ultrasons (US), l’autre du TENS2. Il se demande lequel il vaut mieux utiliser.
L’idée de cet article est de trouver des informations permettant d’étayer l’efficacité et l’innocuité supposées de ces techniques. Ceci permettra en pratique de privilégier, dans ce contexte, un traitement à un autre… ou aucun ! (En gardant en tête qu’il y aurait d’autres possibilités, comme proposer autre chose, ou rien etc.).
Formuler une question précise.
Il s’agit de formuler précisément la question que l’on se pose, de la clarifier, afin d’en identifier les concepts-clé. On peut par exemple utiliser les critères PICO3. Voici ce que signifient chaque lettre du mot PICO :
– P = patient ou problème médical ;
– I = intervention évaluée ;
– C = comparateur ;
– O = outcomes = résultat mesuré, critère de jugement.
Pour chacun de ces termes, il faut se questionner sur ce que l’on met derrière dans le cadre de notre recherche.
Exemple
Chez un patient atteint de lombalgie chronique, l’application du TENS comparativement aux US soulage-t-elle mieux la douleur ?
P = patient atteint de lombalgie chronique
I = l’application du TENS
C = US
O = douleur
Cette question est très large et a juste pour prétention de dégrossir le terrain.
Temps estimé : 2 minutes.
Faire ressortir des mots-clés.
Il s’agit de faire ressortir de la question formulée les mots les plus importants, qui serviront à mener nos recherches.
Exemple
Lombalgie chronique, TENS , ultrason, douleur.
Temps estimé : 1 minute.
Traduire les mots-clés.
Il faut traduire les mots-clés en anglais. Si cela est difficile spontanément, on peut utiliser Linguee que je trouve bien conçu pour trouver le bon mot en fonction du contexte.
Exemple
J’obtiens donc : chronic low back pain, Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation, ultrasound, pain
Temps estimé : 2 minutes.
Vérifier les mots-clés.
Il s’agit de vérifier que ces traductions correspondent à celles utilisées dans la littérature scientifique. Pour cela, on peut utiliser MeSH 4. Il suffit de taper dans la barre de recherche vos mots-clés les uns après les autres et de voir les propositions qui apparaissent.
Exemple
chronic low back pain → low back pain
Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation → Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation
pain → pain
Concernant la traduction d’ ultrasound, il s’agira de trouver la bonne appellation concernant le procédé délivrant des ultrasons pour le traitement d’une région du corps. Douze résultats apparaissent sur la MeSH, le premier étant ultrasonography. Grâce aux descriptifs des mots-clés, on peut relever : ultrasonic therapy et diathermy.
Si j’ai encore un doute, je peux aller sur le moteur de recherche de la base de données PEDro qui recense exclusivement des articles relatifs à la kinésithérapie. En tapant ultrasonic therapy, dans les titres, apparaissent d’autres mots semblant qualifier la même chose : low-frequency ultrasound, ultrasonic sessions, ultrasonic wave etc. Idem en tapant diathermy : microwave diathermy, shortwave diathermy, ultrasound therapy, etc.
Je décide de garder les termes qui paraissent les plus généraux, soit les mots redondants : diathermy, ultrasonic et ultrasound.
Temps estimé : 3 minutes.
Rechercher des articles sur le sujet.
Je vais maintenant utiliser ces mots-clés dans un moteur de recherche d’une base de données pour voir si des études sur le sujet existent. Il existe différents moteurs de recherche. Je choisis d’utiliser celui de la base de donnée Medline, car c’est celui que je maîtrise le mieux. Il en existe aussi un spécifique au domaine de la kinésithérapie : PEDro, et d’autres comme HAL, Cochrane, Google Scholar etc. Je vais taper d’abord un seul mot clé et en fonction du nombre de résultats, je préciserai ma recherche.
Exemple
(Recherches réalisées le 2 août 2014)
– low back pain : 25 225 résultats. Cela fait beaucoup trop d’études à trier, il faut donc être plus précis.
– low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation : 204 résultats. Là encore, trop d’études apparaissent.
– low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation AND (ultrasound OR ultrasonic OR diathermy) : 20 résultats. J’ai utilisé cette fois 3 opérateurs : AND, OR et (). La traduction littérale de cette recherche donne : je cherche les articles contenant les termes low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation en plus (AND) soit du mot ultrasound, soit (OR) du mot ultrasonic, soit (OR) du mot diathermy. Si je n’avais pas mis de parenthèses, cela aurait donné : je cherche les articles contenant les termes low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation et ultrasound, ou le terme ultrasonic, ou le terme diathermy.
Pour préciser encore plus ma recherche, je peux sélectionner seulement les Reviews qui recensent les essais cliniques de bonne qualité méthodologique. J’arrive alors à 9 résultats.
Temps estimé : 2 minutes.
Sélectionner les articles pertinents.
Je me contente dans un premier temps de lire les titres des articles.
Exemple
Voici les titres apparaissant ainsi que leur année de publication et ce que je décide rapidement d’en faire.
Mechanical therapy for low back pain. (2012) + Subcutaneous peripheral nerve stimulation with inter-lead stimulation for axial neck and low back pain: case series and review of the literature. (2011) + Managing low back pain in the primary care setting: the know-do gap. (2010)
→ Cela ne porte pas vraiment sur les techniques que j’étudie et/ou couvre un sujet beaucoup plus large : je ne sélectionne pas.
The efficacy, safety, effectiveness, and cost-effectiveness of ultrasound and shock wave therapies for low back pain: a systematic review. (2011)
→ Cela traite au moins d’un des deux traitements que j’étudie : je la sélectionne.
Evidence-informed management of chronic low back pain with transcutaneous electrical nerve stimulation, interferential current, electrical muscle stimulation, ultrasound, and thermotherapy. (2008) + Nonpharmacologic therapies for acute and chronic low back pain: a review of the evidence for an American Pain Society/American College of Physicians clinical practice guideline. (2007) + Effective physical treatment for chronic low back pain. (2004)
→ Je sélectionne ; la première traite explicitement du TENS ; la seconde traite des thérapies non pharmacologiques dont le TENS et les ultrasons font partie.
Pain management in polycystic kidney disease. (2001)
→ Cette étude porte sur les traitements contre la douleur existants pour une maladie des reins. Le sujet étant trop éloigné de ce qui m’intéresse, je ne sélectionne pas.
[Conservative therapy of backache. Part 5: TENS, acupuncture, biofeedback, traction, cryotherapy, massage and ultrasound]. (1993)
→ Celle-ci paraît traiter à la fois du TENS et des ultrasons : je la sélectionne.
Temps estimé : moins d’une minute par article.
Lire les résumés
Je me retrouve donc avec cinq études sélectionnées par leur titre. Il faut maintenant lire leur résumé. Un résumé-type aborde en quelques phrases le contexte dans lequel s’inscrit l’étude, son ou ses objectifs, la méthode employée, les résultats produits, et une conclusion. Je peux parcourir l’article en diagonale et m’arrêter surtout sur la partie évoquant les résultats de l’étude.
Exemple
Étude de 1993.
Seul le résumé de cette étude est accessible en anglais, le reste étant en allemand. Je mets de côté cette étude (je ne parle pas assez bien l’allemand) en espérant que les plus récentes soient méthodologiquement au moins aussi solides que celle-ci.
Étude de 2004.
Son résumé dit seulement qu’est abordé le cas des US et du TENS : je vais donc la regarder plus en détail.
Étude de 2007.
Dans la partie « résultats » de ce résumé, les dispositifs de TENS et US ne sont pas évoqués ; on va donc devoir se reporter à la partie résultats figurant dans la version complète de l’article.
Étude de 2008.
Son résumé ne donne aucun renseignement sur ce qui nous intéresse ; je dois me procurer l’article.
Étude de 2011.
La partie résultat est plus complète que dans les autres études. Elle m’apprend que chez les patients lombalgiques chroniques, les ultrasons sont moins efficaces (sur quoi?5) que les manipulations vertébrales, que le TENS est aussi efficace que les manipulations vertébrales, qu’il n’y a pas de cas d’effets secondaires relatés et qu’il n’y a pas d’information sur le rapport bénéfice/coût économique.
Temps estimé : entre 1 et 5 minutes par article.
Récupérer les articles en entier.
Il y a plusieurs possibilités pour cela parmi lesquelles :
– taper le titre de l’article dans un moteur de recherche : on peut parfois tomber sur une version intégrale en accès libre ;
– contacter par courriel l’auteur de l’article pour qu’il nous l’envoie ;
– y accéder via une université ou un autre endroit abonné à la revue.
Exemple
Dans notre exemple les trois études à récupérer sont disponibles gratuitement : à cette adresse pour celle de 2011, à cette adresse pour celle de 2008 et à cette adresse pour celle de 2004. Elles ont été trouvées en tapant le titre de l’article dans le moteur de recherche Google.
Temps estimé : entre 2 et 10 minutes.
Lire les parties pertinentes.
Il s’agira de survoler l’article et de s’arrêter sur les parties m’intéressant, particulièrement dans les parties résultats, discussion et conclusion.
Exemple
Sont ici retranscrits des passages des études qui permettent de répondre à la question de départ.
Étude de 2004.
*US. « The only systematic review of ultrasound in the treatment of chronic LBP concluded that ultrasound is ineffective » (Philadelphia Panel,2001). [Partie Ineffective treatments]
*TENS. « The four systematic reviews of TENS have concluded that either TENS does not have a clinically important effect [4,13,40] or is of unknown value [15,41] in the treatment of chronic LBP. » [Partie Ineffective treatments]
Étude de 2011.
*US. « Results from this review do not support the use of ultrasound or shock wave for treating patients with LBP and leg pain. (…) » [Partie discussion]
« Results from this review do not support the clinical use of ultrasound for patients with common LBP without leg pain, either. » [Partie discussion]
Tableau extrait de l’étude de 2011. Niveaux de recommandation6
Étude de 2008.
*US. « No eligible studies were found on which to base recommendations for US. » [Partie Evidence of efficacy] *TENS. « Contradictory postintervention results (two studies reported mostly positive outcomes [9,32] and two mainly negative ones [15,38]) could be explained by differences in assessment periods. (…) » [Partie Summary] « Thus, although TENS appears to immediately reduce pain, its repercussions in overall management of CLBP are not well known. » [Partie Summary]
Temps estimé : 3 minutes par article.
Se questionner sur la validité interne des études.
On peut se questionner au moins à deux niveaux :
(1) sur la rigueur de la méthode employée par les auteurs pour réaliser leur revue de littérature : ont-ils employé des mots-clés pertinents ? Que penser des critères d’inclusion des études ? Etc. Il s’agit de s’intéresser à la validité interne de la revue de littérature.
(2) sur le sérieux des essais contrôlés randomisés (ECR) sur lesquels s’appuient les auteurs pour constituer leur revue. Ces derniers en font généralement déjà eux-même une critique dans la partie « Discussion ». Il s’agit de s’intéresser à la validité interne des ECR.
Exemple
Concernant les trois études les plus récentes, je cite quelques passages extrait des études illustrant (1).
Étude de 2011.
« Two of the three RCTs on ultrasound had a high risk of bias for chronic LBP patients without leg pain, ultrasound was less effective than spinal manipulation, whereas a shock wave device and transcutaneous electrical nerve stimulation led to similar results. Results from the only study comparing ultrasound versus a sham procedure are unreliable because of the inappropriateness of the sham procedure, low sample size, and lack of adjustment for potential confounders. No study assessed cost-effectiveness. No adverse events were reported. »
→ Voici donc quelques limites des études testant les US et TENS : absence de comparaison à une thérapie placebo ou placebo faillible, faiblesses statistiques (taille de l’effet, ajustement des variables), pas de données sur le rapport coût-bénéfices.
Étude de 2008.
« Most of the included studies on TENS can be considered of relatively poor methodological quality, with four [8,9,32,39] of the six scoring 2 or below on the Jadad scale [44]. »
→ Ici sont soulignées de manière générale les faiblesses méthodologiques des études testant le TENS. Celles-ci ont été relevées en utilisant le score de Jadad7.
Étude de 2007.
« As opposed to the study on shock wave [15], the quality of reporting of the studies on ultrasound was very poor [16 # 18]. »
« All these shortcomings imply that this study has a high risk of having been affected by multiple biases (Tables 1 and 2) [18], making it impossible to rule out the possibility that ultrasound may simply be acting as a placebo for LBP patients. »
→ Les études portant sur les US comportaient aussi des risques élevés de biais et étaient donc très faibles sur le plan méthodologique.
Concernant l’étude la plus ancienne, j’illustre le (2).
Étude de 2004.
Contrairement aux autres études sélectionnées, celle-ci est moins intéressante pour différentes raisons parmi lesquelles son antériorité de réalisation ainsi que son manque de détail sur la méthode de recherche bibliographique, la sélection des études et des données. Je m’appuierai donc plutôt sur les trois autres études.
Temps estimé : 1 minute par article.
Répondre à la question de départ.
Les points 8 et 9 devraient permettre de répondre au moins partiellement à la question formulée initialement.
Exemple
Notre question était : « chez un patient atteint de lombalgie chronique, l’application du TENS comparativement aux US soulage-t-elle mieux la douleur ? ».
Je n’ai pas trouvé d’étude de bonne qualité méthodologique traitant spécifiquement de cette question.
J’ai cependant lu que l’efficacité spécifique des US sur la douleur des lombalgiques chroniques n’est à l’heure actuelle étayée d’aucune façon.
En revanche, il semble y avoir quelques preuves concernant l’efficacité spécifique du TENS.
Temps estimé : 2 minutes.
Conclusion.
Ces recherches donnent un aperçu de la littérature sur le sujet. Elles peuvent étayer notre point de vue sur une technique et permettre de privilégier une technique plutôt qu’une autre, d’acheter un matériel plutôt qu’un autre, ainsi que d’informer le patient sur ce que l’on sait à l’heure actuelle du traitement qu’on lui octroie.
Bien évidemment, elles ne peuvent se substituer à une étude plus exhaustive et approfondie du sujet, prenant en compte la validité interne et externe des études, ainsi que les failles du système de publication8.
À titre indicatif est indiqué le temps supposé de réalisation de chaque étape sans entraînement préalable. Je pense qu’avec l’habitude, ce type de recherche ne prend pas plus de quinze minutes. Lorsque je la présente à un étudiant, je prévois trente minutes, si j’ai au préalable déjà récupéré les articles.
Sur le sujet.
* Jean-Michel Vandeweerd. Guide pratique de médecine factuelle vétérinaire, Lavoisier, 2009.
Cet ouvrage, rédigé par un vétérinaire enseignant notamment en méthodologie scientifique, traite de l’application de cette dernière en sciences vétérinaires (mais cette démarche est généralisable pour d’autres domaines d’application). Il s’appuie sur des cas concrets et ne nécessite pas de pré-requis particuliers, même si certaines parties sont plus denses que d’autres.
* Vidéo de Nicolas Pinsault sur le site du CorteX. Comment lire et comprendre des articles scientifiques, novembre 2013.
* PDF en accès libre de la Haute Autorité de Santé. Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, 2000.
Nelly Darbois
- Depont F, Hunsche E, Abouelfath A, et al. Medical and non-medical direct costs of chronic low back pain in patients consulting primary care physicians in France. Fundamental Clin Pharm 2009
- Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation ou Neurostimulation électrique transcutanée
- Voir d’autres exemples ici
- MeSH pour Medical Subject Headings, ou principales rubriques médicales en français. Grâce à lui on accède à des listes de termes normalisés dans le domaine biomédical facilitant la recherche documentaire
- Lors de la formulation de la question de recherche initiale, il est important de préciser sur quel aspect on souhaite étudier l’efficacité de la technique (le O, « outcomes », du système PICO), car parler d’efficacité de manière générique est large.
- Ce tableau classifie les différentes techniques (associées à une application et des résultats attendus bien spécifiques) en fonction de leur niveau de preuve (A étant le meilleur et D le plus faible). Il existe différentes façons d’attribuer des niveaux de preuve, généralement avec des lettres ou des chiffres.
- Score de Jadad
- Voir notamment la vidéo de Ben Goldacre en 2012 pour TED.