Notre amie Claire Barraud, doctorante au Centre de Recherche en Économie de Grenoble* (que vous avez déjà pu lire ici) nous conseille son top 4 des ouvrages accessibles sur l’économie et sa critique. Dans sa grande bonté, elle nous a épargné les livres pompeux et complexe. Bonne lecture.
*Centre de Recherche en Économie de Grenoble
Adresse : 1241 rue des résidences
Domaine universitaire
38400 Saint Martin d’Hères
André Orléan, Le pouvoir de la finance, Odile Jacob (1999).
Une des plus grandes qualités d’André Orléan est sûrement sa pédagogie. Ce livre est donc relativement facile d’accès. Il y explique les rouages de la finance, ou plutôt la psychologie des foules appliquée aux marchés financiers. L’ouvrage s’appuie sur deux thèses fondamentales qui viennent balayer les idées reçues en la matière. D’abord, l’idée est de réfuter la thèse d’une psychologie de l’intervenant sur le marché, pour mettre l’accent sur les « conventions » dominantes qui « font » les prix. À ce titre, les mouvements de prix sur les marchés, notamment sur les marchés spéculatifs, ne sont pas issus de la somme des comportements de plusieurs intervenants, mais bien du comportement de la foule, laquelle est définie en tant que groupe distinct des individus qui la composent. Deuxièmement, le fonctionnement de cette foule, testée dès les années 1970 en laboratoire par des psychologues, est loin d’être « irrationnelle », au contraire. L’idée largement répandue sur le fonctionnement des marchés fait appel aux notions de comportements passionnels et déraisonnés, inclus dans le champ de l’irrationalité, pour aborder les phénomènes de bulles et de crashs. Orléan rappelle alors que compte tenu des conventions existantes et de la formation des prix sur les marchés, le comportement du groupe, à chaque étape de l’évolution des prix, est bel et bien rationnel. Il s’agit juste d’une rationalité différente des autres, une rationalité dite « cognitive »…
John K. Galbraith, Brève histoire de l’euphorie financière, Seuil (1992).
Sûrement mon auteur favori. Un économiste, mais pas « que ». Or, comme le pensait Keynes et l’affirmait Hayek, l’économiste qui n’est qu’économiste est potentiellement dangereux ! Galbraith ne raisonne pas comme l’économiste lambda (chiffres, taux, évolution, économétrie, modèles, formalisation etc.), mais bénéficie en sus d’une vision d’homme d’État, d’historien, de sociologue et de psychologue à ses heures, d’où la richesse de tous ses ouvrages. Dans cet essai, court, passionnant et très facile d’accès, il réfute la thèse du « cette fois-ci c’est différent », pour au contraire démontrer que toutes les crises financières ont le même type de source, le même déroulement, et le même type de fin. Si le livre d’Orléan défend cette idée sous un angle surtout théorique, on peut dire que Galbraith la démontre grâce aux faits historiques… Et quelle démonstration !
Liêm Hoang-Ngoc, 10+1 questions sur la dette, Michalon (2007).
L’auteur de « Vive l’impôt » (2007) infirme ici la plupart des idées véhiculées pour démanteler l’État social en tant que mauvais gestionnaire. Hoang-Ngoc rappelle que, contrairement à ce que laissent penser les médias, tous les économistes ne sont pas d’accord sur les causes de l’accroissement de la dette publique depuis une trentaine d’années, ni sur ses conséquences et encore moins sur les remèdes possibles. Quelques exemples pour attiser la curiosité : l’auteur montre que la dette ne pénalise pas les générations futures à cause des dépenses de la génération présente, qu’il n’existe aucune corrélation entre le taux de prélèvements obligatoires et les performances économiques d’un pays, ou encore qu’une réforme efficace et équitable du système de retraite n’implique aucunement une privatisation, mais bien un renforcement de l’action publique.
Joseph E. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard (2006).
Stiglitz n’a pas toujours été ce qu’il représente aujourd’hui. Et malgré les nombreux reproches qui peuvent lui être faits, il n’en reste pas moins qu’après « La grande désillusion » et « Quand le capitalisme perd la tête », « Un autre monde » vient enfoncer le clou dans la liste des dégâts causés par la mondialisation telle qu’elle a été conçue. Tout y passe, du commerce à la finance, en passant par le développement social, l’écologie et le maintien sous pression des pays du Tiers-Monde grâce au plus puissant des instruments de domination depuis que la monnaie existe, j’ai nommé la dette. Un livre pédagogique, clair et, malgré ses 400 pages, synthétique, compte tenu du nombre de problèmes à énoncer publiquement et à résoudre. Car oui, malgré ce que l’on pense souvent, la situation actuelle n’est pas immuable. Le politique a construit cette mondialisation, il peut la réguler s’il le veut vraiment. Stiglitz rappelle donc que d’autres modèles de cette sacro-sainte croissance sont envisageables, à l’instar ce qui a été pratiqué dans les pays nordiques, voire aussi dans une partie de l’Asie. C’est donc un livre qui réitère la gravité de la situation internationale actuelle, mais qui rassure en proposant également des solutions.
Claire Barraud