Décortiqué – Les addictions selon Bernard Stiegler : de la philosophie au rayon promo

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Voici le décorticage par nos soins (Julien Lévy et Richard Monvoisin) de des deux extraits audio tirés de l’émission La tête au carré, sur France Inter – diffusée le 7 juin 2011 et rediffusée le 27 octobre 2011. Bernard Stiegler, philosophe ayant pignon sur rue, y aborde la questions des addictions.

Les extraits :
En voici la retranscription :

Extrait 1 :

Bernard Stiegler :

« Je pense que nous sommes rentrés dans la société addictogène. Il n’a échappé à personne qu’il y a des parfums qui s’appellent « addict », qu’il y a des jus de fruits qui s’appellent « addict ». Moi-même, j’ai recensé 51 marques « addict » sur Paris uniquement. Qu’est-ce que la société addictive ? Qu’est-ce que l’addiction dans ce contexte là ? Je soutiens personnellement, mais tout le monde n’a pas ce point de vue, la société addictive c’est une société dominée par la pulsion. Évidemment, l’addiction est une dépendance, mais toutes les dépendances ne sont pas des addictions, par exemple, quand on aime quelqu’un, on est dépendant de la personne qu’on aime, et cette dépendance est une bonne chose. Mais ce que je crois, c’est qu’il y a addiction lorsqu’il y a une dépendance qui produit ce que j’appelle après Gilbert Simondon, un philosophe français, de la « désindividuation ». C’est à dire qu’au lieu de m’enrichir de cette dépendance – parce qu’on peut être dépendant, moi, je suis dépendant de la philosophie, c’est mon métier mais j’en ai besoin, je ne peux pas m’en passer – il y a des dépendances qui stérilisent. Et aujourd’hui, les dépendances stérilisantes, se sont généralisées, parce que le marketing en a fait son principal objet de création de marché.

Analyse (JL & RM)

Le raisonnement de B Stiegler est tout à fait étrange. Peut-être que sa pensée est plus complexe, mais de deux choses l’une :

  • soit son discours est grand public, donc à prendre au mot, et à décortiquer comme tel.

  • Soit il est très spécialisé, et s’adresse à des spécialistes – donc n’a pas grand chose à faire à cette antenne.

Que ce soit (1) ou (2) mène à la même analyse. Ecoutons-le attentivement.

Il dit ceci :

Je pense que nous sommes rentrés dans la société addictogène.

De quelle société parle-t-il ? Est-ce de la société française ?

Que signifie addictogène ? Vraisemblablement « qui crée de l’addiction ».

Si ce que dit B. Stiegler est vrai, cela signifie

1. que notre société a pour caractéristique d’être addictogène,

2. que nous venons d’entrer dans cette société,

3. que cette caractéristique principale, la génèse d’addiction, n’était pas ou peu présente dans la/les société(s) précédente(s).

Son hypothèse est assez osée. Or à affirmation extraordinaire, preuve extraordinaire. Il faut donner des éléments de preuve en rapport avec le poids de l’affirmation. (cf. également Maxime de Hume)

Quels sont les éléments apprortés par le philosophe ?

Il n’a échappé à personne […]

C’est un détail, mais tout de même. On pourrait appeler ça de la rhétorique gluante : nous ne pouvons nous en sortir, car celui qui parle nous inclut dans une évidence largement partagée (cf. Argumentum ad populum). En gros, cela n’a a échappé à personne, on flatte donc l’auditoire en lui donnant une caresse et l’illusion qu’il a cerné un phénomène (cf. technique d’élitisme) ; et si quelqu’un dit qu’il ne l’a pas vu ou constaté, c’est lui qui passe pour un abruti qui n’a pas vu l’évidence.

 […] qu’il y a des parfums qui s’appellent « addict », qu’il y a des jus de fruits qui s’appellent « addict ». Moi-même, j’ai recensé 51 marques « addict » sur Paris uniquement.

On n’en voudra pas ici au savant de ne pas préciser sa méthode de recension (un(e) sociologue exigerait de connaitre son « terrain » d’enquête). Mais c’est cette collection de 51 marques sur Paris qui est censée étayer le fait d’être entré dans la société addictogène. A moins qu’on mesure l’entrée dans une nouvelle société à l’aune des noms de marques (qui obeissent plutôt à des modes, comme nano, super, force, etc.), et que ladite société addictogène soit cantonnée à Paris, nous n’avons pas de réel élément pouvant nous convaincre d’un vrai changement de société car rien n’est présenté pour montrer que les sociétés précédentes étaient moins encline aux addictions la « théorie » de Stiegler ressemble à une phrase puits, un concept flou dans lequel le public peu habitué est susceptible de se reconnaître (cf.  effet Barnum – lien). Nous suspectons une forme de populisme scientifique.

Avec aussi peu de preuve, on peut tout aussi bien dire :

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société anxiogène

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société violentogène.

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société canichogène.

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société n’importe-quoi-gène (si tant est que ce n’importe quoi soit peu ou prou un phénomène social plus ou moins contemporain)

 Qu’est-ce que la société addictive ?

Société addictive, ou société addictogène ?

Qu’est-ce que l’addiction dans ce contexte là ? Je soutiens personnellement, mais tout le monde n’a pas ce point de vue, la société addictive c’est une société dominée par la pulsion.

La société actuelle, addictive, serait-elle dominée par la pulsion ?

Il faudrait pour cela d’une part que la société soit percue comme une seule personne, un seul être, pour être capable de pulsion ; et d’autre part que le concept de pulsion ait un sens clair : or il n’a pas d’autre définition que psychanalytique (ce qui pose problème vu le peu de scientificité de la psychanalyse). Rappelons si nécessaire que la définition freudienne de la pulsion, sorte de poussée constante et motrice qui vise à la satisfaction d’un désir qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état de d’excitation à la source.

Nous voilà bien avancés.

Evidemment, l’addiction est une dépendance, mais toutes les dépendances ne sont pas des addictions […]

Là, c’est compréhensible (et même trivial), et nous sommes d’accord.

 […] par exemple, quand on aime quelqu’un, on est dépendant de la personne qu’on aime, et cette dépendance est une bonne chose.

Nous pensons qu’il y a trois bugs dans cet exemple :

  • on peut aimer quelqu’un sans être dépendant de lui/elle

  • cela n’est donc pas un exemple pour montrer que les dépendances ne sont pas des addictions (puisque ce n’est pas forcément une dépendance)

  • il y a un glissement sur le plan moral : cette dépendance (qui n’en est pas toujours une) est une « bonne » chose. On change de registre d’analyse, de la science à la morale.

Mais ce que je crois c’est qu’il y a addiction lorsqu’il y a une dépendance qui produit ce que j’appelle après Gilbert Simondon, un philosophe français, de la « désindividuation ».

Selon B. Stiegler, Addiction = dépendance + désindividuation (selon Simondon). Quelle est la définition du mot selon Simondon ? Malgré nos connaissances respectives en sociologie, en philosophie, et en dépit de 20 minutes de recherches webographiques, nous ne parvenons pas à bien saisir le concept, même dans un texte intitulé LindividuationselonGilbertSimondon. Désindividuation est un mot complexe qui mérite explication. On s’attend à ce qu’elle vienne ensuite, mais ce ne sera pas le cas.

Prenons alors la définition des dictionnaires : « L’individuation est le processus de distinction d’un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie ».

Cela veut-il dire que l’addiction, par exemple à l’alcool, annihile l’individuation, c’est-à-dire « le processus de distinction des autres de la même société dont il fait partie ? » Les travailleurs sociaux du corteX, pourtant en partie spécialisés sur les addictions, n’ont jamais entendu parler de cela.

C’est à dire qu’au lieu de m’enrichir de cette dépendance (…) il y a des dépendances qui stérilisent.

Donc Addiction = dépendance + stérilisation ?

Mais stérilisation de quoi ? Est-ce que par conséquent stérilisation et désindividuation sont la même chose ? On ne le saura pas.

Et aujourd’hui, les dépendances stérilisantes se sont généralisées, parce que le marketing en a fait son principal objet de création de marché.

Il y a encore quatre bugs dans cette phrase :

a. Les dépendances « stérilisantes » ne sont pas un concept bien clair.

b. Se sont-elles généralisées ? (Par rapport à un « avant » où ce n’était pas le cas ?)

c. Le marketing a-t-il fait de ces dépendances « stérilisantes » son principal objet de création de marché ?

Et

d. le parce que, qui indique une relation causale. Est-ce bien la faute du marketing que les dépendances « stérilisantes » se sont généralisées ? Cela pourrait être par exemple l’inverse (cf. effet cigogne).

 […] – parce qu’on peut être dépendant, moi, je suis dépendant de la philosophie, c’est mon métier mais j’en ai besoin, je ne peux pas m’en passer […]

Etre dépendant à un substance, ou au jeu (addictions classiques) a-t-il quelque-chose à voir avec la dépendance à l’être aimé, ou avec la dépendance à son métier ? On sera il nous semble plus volontiers dépendant de son salaire que de son métier. On mélange ici torchons et serviettes.

Voici ici résumée la trame de raisonnement que nous sert le philosophe :

Je pense que nous sommes entrés (sans preuve) dans la société addictogène (sans définition), parce que j’ai fait la collection de quelques noms de marques (ce qui effectivement, est un peu léger, mais c’est séduisant). Addictogène ou addictive, peu importe : je dis que c’est une société dominée par la pulsion, concept nébuleux n’ayant pas d’autre définition que psychanalytique (ce qui pose problème, la psychanalyse n’étant pas scientifique). L’addiction est une dépendance qui est désindividuante (?), stérlisante, et qui se répand à cause du marketing.

Que peut-on faire avec ça ? Vu l’inutilité de l’analyse et le côté complexant pour le grand public, nous faisons l’hypothèse que Bernard Stiegler n’a fait ses phrases dans d’autre but que de paraître savant.

Note : j’avais (RM) déjà eu l’occasion de m’agaçer contre les saillies socio-psychanalytiques du même philosophe en 2007.

La fabrique du conformisme : c’est le titre du dernier Manière de voir de décembre 07/Janvier 08. Je me suis précipité dessus, alléché par la couverture et par le titre, et … triste surprise. (…). Si j’excepte les publications de Martin Winckler, de François Brune et de quelques autres, le freudisme est partout, presque dans chaque page. C’en est désespérant de conformisme, justement. Goûtons au passage une petite « imposture intellectuelle ». Vous savez c’est une petite friandise qui a la forme d’une phrase qui a l’air érudite et brillante, mais qui n’est que pompeuse et creuse comme un vieux mur de plâtre. Généralement, elle est dans une papillotte de concepts scientifiques empruntés à d’autres champs, et importée sans autre justification que le vernis qu’elle procure. Cette petite friandise, spécial Noël, provient de l’article « Le désir asphyxié, ou comment l’industrie culturelle détruit l’individu », de Bernard Stiegler (p. 14) :

« […] la mise sous contrôle des écrans de projection du désir d’exception induit la tendance dominante thanatologique, c’est-à-dire entropique. Thanatos, c’est la soumission de l’ordre au désordre. En tant que nirvana, Thanatos tend à l’égalisation de tout : c’est la tendance à la négation de toute exception – celle-ci étant ce que le désir désire ».

Bernard Stiegler fut directeur au Collège International de Philosophie. J’espère que ce qu’il y disait était plus clair. (POZN°30, 2007)

Extrait 2 :

Question auditeur : « Est-ce qu’il y a un lien entre l’addiction et le rituel, et dans ce sens, l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ? »

Bernard Stiegler : « Ce qu’il y a derrière cette question des religions ou du rituel d’une façon générale, c’est l’éducation. La religion, c’est une forme d’éducation, une forme absolument respectable d’ailleurs à mes yeux, et je pense que c’est une éducation dans l’investissement précisément. C’est-à-dire que ce soit une religion, que ce soit un rituel, que ce soit l’éducation tout court, ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs investissements. C’est-à-dire que ce sont eux… Par exemple, la mère qui s’occupe de son enfant, Donald Winnicott qui a beaucoup parlé de cette relation parle d’ailleurs d’une relation addictive, il emploie le mot « addicted », cette relation, c’est une relation où la mère, en élevant son enfant, s’élève elle-même si je puis dire, où elle s’élève, elle se développe, elle s’enrichit. Toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça. C’est à dire que le bonheur d’éduquer un enfant, c’est de s’apprendre quelque chose à soi-même. Le problème se pose dans notre société là où l’éducation a été remplacée par une ingénierie du marketing qui nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc, ne sont pas des investissements de notre part. Nous sommes dans une société absolument grégaire ».

Analyse

Question d’un auditeur : « Est-ce qu’il y a un lien entre l’addiction et le rituel, et dans ce sens, l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ?« 

JL : En gros, la question de l’auditeur pourrait se résumer simplement ainsi : est-ce que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? L’auditeur prend ici le rite dans une définition restreinte, sa définition religieuse, alors que le rite, dans sa définition anthropologique ou sociologue ne se limite pas au cérémonial religieux, mais peut aussi faire référence aux cérémonies civiles par exemple.

RM : on notera (sans en vouloir à l’auditeur) un plurium interrogationum (cf. Outillage) : l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ? impose « l’augmentation des addictions », ce qui ne va pas de soi. Nous acceptons contraints et forcés l’hypothèse comme prémisse.

Bernard Stiegler : ce qu’il y a derrière cette question des religions ou du rituel d’une façon générale, c’est l’éducation.

JL : à première vue, l’angle d’approche de B. Stiegler pour répondre à la question de l’auditeur semble s’éloigner de la question initiale des addictions pour s’attacher à celle de l’éducation. Notons aussi que B.  Stiegler reprend, tout comme l’auditeur, le rite dans sa définition religieuse, assimilant les deux termes par son « ou ». Donc, pour l’instant, la réponse à la question « Est-ce-que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? » est « ce qu’il y a derrière tout cela, c’est l’éducation ». Le chemin semble tortueux, mais tentons de le suivre.

RM : technique de la seiche : il ne répond ni à l’existence du lien addiction/rituel, ni à l’augmentation des addictions, ni à la corrélation inversée addiction /rituel, et comme tu le dis, il accepte le glissement rituel -> pratiques religieuses, en allant jusqu’à religions.

La religion, c’est une forme d’éducation, une forme absolument respectable d’ailleurs à mes yeux,

 JL : qu’entend Stiegler par « forme » d’éducation ? Il semblerait que cela mériterait d’être précisé, d’autant plus qu’il souligne que, de son point de vue, cette « forme » est « absolument respectable ». Stiegler émet ici un jugement de valeur en expliquant qu’ « à ses yeux », la religion est une forme tout à fait respectable d’éducation.

RM : Que la liberté de culte soit respectable est un fait, un droit constitutionnnel. Que la religion soit respectable a pu, et peut se débattre. Que la religion soit une forme d’éducation, c’est encore autre chose, surtout dans un pays où les lois imposent un enseignement laïc.

[…] et je pense que c’est une éducation dans l’investissement précisément.

JL : que comprendre ? Que ce soit une religion, que ce soit un rituel, que ce soit l’éducation tout court, ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs investissements ? Là, ça devient vraiment obscur… Le chemin était tortueux, mais là, nous passons dans un tunnel. Si on essaie de remettre la phrase de B. Stiegler à plat (parce que, telle qu’elle est formulée, je ne comprends vraiment rien), ça donne quelque chose comme ça : La religion est une forme absolument respectable d’éducation et c’est une éducation dans laquelle ceux qui éduquent sont les acteurs de leurs investissements.

1/ On comprend ici que pour le philosophe, les rites et la religion sont de l’éducation.

 2/ ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs « investissements ». Même en essayant d’articuler plus simplement la phrase de B. Stiegler, on ne voit pas bien ce que cela peut vouloir dire « acteurs de leurs investissements ». On comprend seulement que ceux qui éduquent tout comme ceux qui sont éduqués sont concernés.

RM : on appelle ça une phrase creuse, phrase puits, ou xylolalie (langue de bois)

Par exemple, la mère qui s’occupe de son enfant, Donald Winnicott qui a beaucoup parlé de cette relation parle d’ailleurs d’une relation addictive, il emploie le mot « addicted », cette relation, c’est une relation où la mère, en élevant son enfant, s’élève elle-même si je puis dire, où elle s’élève, elle se développe, elle s’enrichit.

JL :

1/ Stiegler énonce un exemple qui s’avère largement discutable. LA relation entre LA mère et son fils. Pour asseoir son propos, il s’appuie sur Winnicott et sur son usage du terme « addicted » pour caractériser LA relation mère-enfant.

2/ Ce qu’explique Stiegler, c’est que la mère s’enrichit de l’éducation qu’elle apporte à son enfant. Cet exemple, censé servir à soutenir le propos précédent est en fait une affirmation largement discutable

3/ Je ne comprends toujours pas ce que signifie être acteur de son « investissement ».

RM : entre sexisme et trivialité. Trivialité pour le peu de portée de cette phrase, qui n’a d’autre intérêt que de citer Winnicott, pourtant représentant d’une branche psychanalytique très pauvre de la psychologie ; sexisme car héritier des concepts chers à Freud, Bettelheim et tant d’autres qui ont sans réelle preuve inscrit la relation avec l’enfant comme l’apanage de la mère (avec toutes les culpabilités que cela comporte – voir par exemple le cas de l’autisme).

Toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça. C’est-à-dire que le bonheur d’éduquer un enfant, c’est de s’apprendre quelque chose à soi-même.

JL : cette fois-ci, ce sont les parents qui sont invités à partager la pensée de B. Stiegler : « toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça ». Un savoir prétendument partagé par tous vient donc remplacer une démonstration claire de son propos. Encore une fois, cette affirmation relève du jugement de valeur lorsqu’il parle du prétendu « bonheur » d’éduquer un enfant.

RM : méthode gluante encore, car si l’on est un père ou une mère qui « sait » ça, on est flatté par l’appel à l’évidence ;  si par malheur on est un parent qui ne « sait » (ou ne croit) pas ça, on est exclu de facto de la discussion.

JL : 1/ Est-ce un bonheur d’éduquer un enfant ? Pas sûr du tout.

2/ Si effectivement c’est un bonheur pour les parents, est-ce-que la seule raison est le fait qu’ils s’apprennent quelque chose à eux-mêmes ?

3/ En prenant l’exemple tel quel, cela signifie qu’être acteur de son investissement dans l’éducation, c’est, pour celui qui éduque, en tirer un bénéfice. Cela est un peut différent de ce que disait plus haut Stiegler, car dans ce cas, ce sont ceux qui éduquent qui sont les « acteurs de leurs investissements » et pas ceux qui sont éduqués. B. Stiegler termine ici d’ « expliquer » ce qu’il entend par « éducation dans l’investissement ». On reste toutefois sceptique sur les éléments convoqués pour étayer cette « théorie », aucune preuve ou élément de démonstration tangible n’ayant été présenté.

Pour résumer : derrière les rites et la religion, il y a l’éducation. La religion est une forme absolument respectable d’éducation car elle est une éducation dans l’investissement, c’est-à-dire que celui qui éduque en tire un bénéfice.

Naïvement, je me demande pourquoi la religion est une forme d’éducation absolument respectable si la raison principale en est qu’elle tire un bénéfice de cette éducation…

Le problème se pose dans notre société là où l’éducation a été remplacée par une ingénierie du marketing qui nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc, ne sont pas des investissements de notre part.

JL : voici la conclusion de la réponse de B. Stiegler à l’auditeur, qui depuis s’est probablement pendu avec le câble de son combiné téléphonique.

1/ Le « problème » nous dit Siegler. Mais l’auditeur n’a jamais fait allusion à quelque problème que ce soit. Stigler avait, quant à lui, commencé sa réponse en parlant de l’ « éducation » comme ce qu’il y avait derrière la « question » des rites et de la religion, mais pas d’un « problème ». Stiegler, qui n’a toujours pas fait le lien avec la question de l’addiction, conclut son propos par un problème qu’il pose lui-même.

RM : Il nous arrive de parler de technique du Carpaccio à ce propos. Là, c’est un cas d’école, qui confine au Strawman

JL : 2/ Qu’est-ce que l’ingénierie du marketing pour Stiegler ?

3/ Quels sont les endroits dans lesquels l’ingénierie du marketing a remplacé l’éducation ?

4/ De quelle éducation parle Stiegler ? A nouveau de la religion comme « forme absolument respectable d’éducation » ?

5/ L’ingénierie du marketing nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc ne sont pas des investissement de notre part. En ayant suivi la logique de Stiegler sur la religion puis l’éducation parents-enfants, je ne vois pas quel est le lien entre produire des comportements soi-même et les « investissements de notre part ». D’ailleurs, est-ce tout la fait la même chose qu’être « acteur de son investissement » ?

RM : avec toi Julien, nous cumulons un certain nombre d’années d’études, toi en sociologie, et moi en sciences et en philosophie. Or nous ne comprenons pas grand chose dans une émission pourtant grand public. Soit nous n’avons pas assez étudiés, soit nous nous faisons « enfler » par une petite imposture intellectuelle.

Nous sommes dans une société absolument grégaire.

JL : cette phrase est assez énigmatique. Deux définitions sont possibles à grégaire, l’une étant plus relative aux animaux : « relatif à une espèce animale qui vit en groupe ou en communauté sans être nécessairement sociale« , l’autre qui s’applique plutôt lorsque l’on parle d’esprit ou d’instinct grégaire : « qui pousse les êtres humains à former des groupes ou à adopter les mêmes comportements« . Une société grégaire renvoie donc à l’idée que les individus se regroupent et adoptent des comportements semblables.

Essayons de reprendre le fil de l’argumentaire de Stiegler :

La religion est une forme absolument respectable d’éducation (jugement de valeur) et c’est une éducation dans l’investissement, c’est-à-dire que ceux qui éduquent sont les acteurs de leurs investissements, tout comme le sont les parents avec leurs enfants (jugement de valeur), mais le problème se pose là où l’éducation a été remplacée par l’ingénierie du marketing (où ça ? qu’est-ce que c’est que l’ingénierie du marketing qui prend la place de l’éducation ?) ce qui fait que les comportements que nous adoptons ne sont produits par nous-mêmes = ce ne sont pas des investissements de notre part (je ne comprends pas le lien) ce qui permet de conclure que les êtres humains vivent en groupe et adoptent des comportements semblables.

Et rappelons-nous la question de l’auditeur : « Est ce que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? »

1/ Où est le lien avec les addictions ?

2/ Difficile de comprendre l’articulation du propos.

3/ Je ne vois pas en quoi le propos de Stiegler répond à la question formulée par l’auditeur.

RM : moi non plus. Petit message à celles et ceux qui sont complexés par les philosophes : un-e philosophe qui parle dans une émission grand public doit être compris par le grand public. Si ce n’est pas le cas, il faut tourner son bouton de radio. Espérons que l’oeuvre de Bernard Stiegler ne soit pas à cette image.

 

 

Julien Lévy & Richard Monvoisin