Décortiqué – Réactions à l'entrée du genre dans les programmes de 1ère

Nous avons suivi la fameuse polémique médiatique sur l’entrée du genre dans les programmes de SVT en première L et ES et, au fur et à mesure de nos lectures ou des reportages, notre stupéfaction n’a fait qu’augmenter : ce fut le grand bazar des idées fausses et des arguments fallacieux. Je crois qu’il faut se rendre à l’évidences : la plupart des gens qui se sont exprimés sur le sujet et dont on a relayé les propos, les coups de gueule, les indignations ne savent pas ce qu’est le genre. Les journalistes qui les ont questionnés ne devaient pas en savoir beaucoup plus. A défaut d’être pertinents, ils nous auront donné une formidable matière pour élaborer des travaux pratiques. Les documents que j’analyse ici sont regroupés ici. Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire part de vos propres analyses.
 Pour en savoir plus sur le genre, on pourra se référer à ces deux articles :

Sélection commentée de ressources sur la notion de genre
Sociologie, biologie – Atelier-débat sur la théorie du genre


Analyse de la vidéo 1
Analyse des vidéos 2 et 2bis
Analyse de la vidéo 3 (à venir – envoyez-nous la vôtre) 


Analyse de la vidéo 1

Erreur n°1 : le genre n’est pas une théorie
Le genre ou sexe social n’est pas une théorie, c’est un concept, un objet d’étude. Il désigne l’ensemble des différences non biologiques (psychologiques, sociales, économiques, démographiques, politiques…) distinguant les hommes et les femmes. Il n’y a pas une théorie du genre mais des théories scientifiques issues de domaines très variés (histoire, sociologie, psychologie, neurobiologie, ethnologie, etc.) qui expliquent comment ces différences se construisent et se perpétuent. Chaque domaine d’étude propose et teste ses hypothèses et produit un savoir scientifique sur ce sujet, c’est-à-dire qu’il retient les affirmations qui sont plus vraies que fausses dans l’état actuel des connaissances.
Rien de bien sorcier en fait : en effet, la plupart des détracteurs de la « théorie » du genre reconnaissent les différences non biologiques entre les hommes et les femmes (ce qu’ils dénoncent, c’est justement le fait qu’on chercherait à les gommer) et si le genre existe, il est possible l’étudier. On aurait d’ailleurs pu découvrir en l’étudiant que les hormones ou la taille des cerveaux expliquaient tout. Ce n’est simplement pas le cas.

Homme de paille + faux dilemme

Dans deux des reportages diffusés à heure de grande écoute, il est affirmé que la théorie (sic !) du genre consiste à dire que l' »on ne naît pas homme ou femme, on le devient en fonction d’un choix personnel ». Voilà un magnifique homme de paille ou strawman. Je ne connais pourtant pas de théorie scientifique qui défende ce point de vue. Je suppose que ce dévoiement des propos de Simone de Beauvoir – « on ne naît pas femme, on le devient » – provient d’un faux dilemme qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : soit les différences entre les sexes sont biologiques, soit les individus choisissent leur sexe. C’est paradoxal puisque justement, les travaux sur le genre démontrent que les mécanismes qui sous-tendent la construction du sexe social sont extrêmement complexes et sont, la plupart du temps, subis par les individus et véhiculés par ces mêmes individus de manière non consciente. Evoquer un choix n’a pas de sens dans ce contexte.
Derrière ce faux dilemme se cache l’idée reçue suivante : biologique = déterministe et non-biologique = choix possible. C’est entièrement faux : d’une part les travaux en sociologie et en psychologie décrivent justement comment de nombreux comportements sont en quelque sorte hérités de notre environnement social, d’autre part, ce n’est pas parce qu’un caractère est (aussi) biologique, qu’il dicte sa conduite à un individu.
Faux dilemme : genre versus explications biologiques

La plupart des reportages opposent « genre » et « causes biologiques de la différence entre les sexes ». Etudier le genre ne revient pourtant pas à nier les différences biologiques évidentes : cela consiste simplement à identifier les différences non biologiques. D’ailleurs certains neurobiologistes abordent cette question d’un point de vue biologique en cherchant des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes qui pourraient être à l’origine des différences comportementales.
De la même manière que ce n’est pas parce qu’on étudie l’estomac qu’on nie l’existence du foie, ce n’est pas parce qu’on étudie les différences entre les sexes sociaux qu’on nie les différences biologiques. Les deux approches ne sont pas contradictoires. Dans un premier temps, il est nécessaire de les étudier de manière indépendante pour mettre en évidence les mécanismes relevant du caractère social ou du caractère biologique ; il est ensuite possible de chercher à comprendre si ces mécanismes s’additionnent ou interagissent et comment. Un point de vue purement biologique comme un point de vue purement psycho-social ne nous donnerait qu’une vision partielle du phénomène.

Effet « ad etatsunium »

Il est sans arrêt répété dans les JT que la théorie (sic !) provient des Etats-unis. Il est étonnant de remarquer le bi-standard qu’il y a sur les références aux travaux états-uniens : lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies, par exemple, cela nous est présenté en comme un gage de sérieux. Dans notre cas, cette référence a tendance à disqualifier la « théorie ». Quoi qu’il en soit, d’une part un savoir scientifique n’est ni états-unien, ni congolais, ni chinois, ni russe, d’autre part l’étude du genre n’est plus une spécificité états-uniennes : si c’était le cas jusqu’en 2000, de nombreuses recherches sont menées en France. Et puis la fameuse phrase « on ne naît pas femme, on le devient » que tous se sont empressés de reprendre et de déformer est due à Simone de Beauvoir, de nationalité française.

Effet Panurge + effet paillasson + intrusions idéologiques en sciences : une théorie contestée

Contestée par qui ? On apprend au cours d’un des reportages qu’une pétition a été signée, en majorité par des catholiques. Catholique ou non, là n’est pas la question. Il faudrait d’abord se demander quels sont les fondements de cette contestation : les signataires de la pétition remettent-ils en cause la validité scientifique de certains aspects de ladite « théorie » ? La contestation est-elle d’ordre idéologique ? Mettre ces deux types de contestations sur le même plan provoque une confusion importante : dans le premier cas, il serait légitime de refuser d’enseigner une théorie fausse, tandis que dans le deuxième cas, cette revendication n’a plus lieu d’être.
Par ailleurs, l’utilisation de l’effet Panurge – qui sous-entend que le nombre important de gens qui s’opposent à la « théorie » du genre suffit à qualifier la « théorie » de contestable – joue sur un effet paillasson concernant l’adjectif contestable : une affirmation scientifique est toujours contestable scientifiquement, c’est à dire avec les règles imposées par le contrat scientifique, règles qui excluent toute contestation uniquement d’ordre idéologique. Ceci ne signifie pas pour autant que l’affirmation n’est pas validée : elle l’est jusqu’à preuve du contraire. En revanche, dans le sens commun, contestable signifie douteux, problématique, incertain. Ce double sens peut entraîner une grande confusion sur le statut – valide ou non valide – de l’affirmation.

Homme de paille + Pétition de principe

Dans le deuxième reportage (France 2, 30 Août 2011), le commentaire dit : « or certains éditeurs ont choisi d’aborder la théorie du genre sans la nommer explicitement. Exemple : l’identité sexuelle se réfère au genre sous lequel une personne est socialement reconnue (extrait d’un manuel) ».

NG : Homme de paille car c’est une insinuation de « la » position « des » éditeurs et une pétition de principe car les éditeurs ne peuvent pas aborder la théorie si ce n’en est pas une (sauf si l’on le sous-entend au départ).


Analyse des vidéo 2 et 2 bis (à voir ici)

  • 1ère intervention : Lionel LUCA, député UMP des Alpes-Maritimes sur M6 BONUS.fr (non diffusé à la télévision) – analyse de la version intégrale

Homme de paille + appel à la peur + intrusions idéologiques :

L’extrait commence par  » cette théorie est dangereuse  » passe par  » [La théorie] veut légitimer à terme la pédophilie  » et se termine sur « les homosexuels n’ont pas besoin de cette théorie-là pour être reconnus dans notre société et admis comme tels ». Or une théorie scientifique n’est ni dangereuse, ni pas dangereuse, ni sexiste, ni pro-homosexuels, etc. ; une théorie ne veut rien, n’a pas de but politique, elle est valide ou non (et cela peut évoluer au cours du temps et des découvertes) et permet d’expliquer un phénomène.

Je ne pense pas avoir besoin de m’attarder trop longtemps sur le gigantesque homme de paille que brandit ce député :  » ce qui est grave, c’est que cette théorie, sous couvert de reconnaître différentes identités sexuelles, veut légitimer à terme la pédophilie, voire la zoophilie, puisque ceux qui le revendiquent aux Etats-Unis, défendent l’amour pour les jeunes enfants. « 

Plurium affirmatum et Pétition de principe

M. Luca dit : « si Adam et Eve s’étaient posé la question avec le livre, on ne serait pas là pour en parler, tout simplement parce qu’on naît bien homme et on naît bien femme et on se reproduit . » Il admet donc snas le préciser qu’Adam et Eve ont existé (plurium affirmatum) et bâtit sa démonstration de l’affirmation : « on naît homme ou femme » sur deux prémisses :
– l’existence d’Adam et Eve, qui est une hypothèse extrêmement coûteuse (voir Rasoir d’Occam)
– on naît bien homme ou femme
On pourrait « simplifier » le raisonnement et se passer de la première prémisse : « on naît homme ou femme puisqu’on naît homme ou femme ». Sans commentaire.

NG – Je pense a un non sequitur avec une prémisse en pétition de principe:
A – Si Adam et Eve avaient choisi leur genre ils ne se seraient pas reproduits.
B – Or ils se sont reproduits, ils n’ont donc pas choisi leur genre
Donc on naît bien homme ou femme.

Bi-standard sur la reconnaissance d’une théorie

Dans la phrase « Ca ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait que l’amour entre l’homme et la femme, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] », M. Luca dit ne pas pouvoir nier l’homosexualité puisqu’elle est reconnue. Il me semble qu’il aurait pu dire de la même manière : « ça ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait pas de construction sociale de l’identité sexuelle, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] ». Le critère de validation d’une théorie semble évoluer selon la théorie : c’est un bi-standard.
A moins que la reconnaissance dont il parle soit l’acceptation sociale – on pourra au passage noter l’effet paillasson sur le terme reconnu, mais l’acceptation sociale d’une théorie n’est ni suffisante ni nécessaire pour la valider.

Homme de paille

« …mais ce qui n’est pas la grande majorité des cas ne doit pas imposer sa norme à son tour »
Qui a dit qu’il ou elle souhaitait imposer l’homosexualité à la Terre entière ?

Une phrase puits :

  « je crois que c’est la confusion plutôt que la clarification. »
Je ne le lui fais pas dire…

  • 2ème intervention : Jean-François Coppé

Le genre n’est pas une théorie
voir ici
Mise sur le même plan de la connaissance scientifique et des opinions
« Ce qui est profondément choquant dans cette affaire, c’est que la théorie du genre, qui est une théorie défendue par des personnes mais qui est combattue par d’autres, soit présentée comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas »
Il est tout à fait certain que les scientifiques débattent sur la validité et le poids relatif des causes invoquées pour expliquer la construction du genre. ceci dit, l’existence du genre est une « vérité scientifique », non pas dans le sens « vérité absolue », mais dans le sens « affirmation validée dans l’état actuel de nos connaissances ». Comme je l’ai déjà stipulé dans l’analyse de la vidéo 1, les personnes qui s’opposent à l’enseignement du genre ne remettent pas en question l’existence de différences entre les sexes. Si maintenant ils réfutent les causes sociales, historiques, psychologiques, etc., sur quels arguments, sur quelles études fondent-ils leur réfutation ?
A décortiquer
« C’est comme si on présentait dans les manuels d’économie le marxisme comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas, ce n’est qu’une théorie ».

  • 3ème intervention : Eric Zemmour

Homme de paille

« le scandale est double : quand on marginalise le biologique et qu’on pense que la construction d’un homme et d’une femme n’est QUE sociale, parce que c’est CA la théorie du genre, il faut arrêter de se raconter des bobards. La théorie du genre, c’est un constructivisme psychologique et social. L’homme et la femme ne sont QUE ça et on évacue le biologi… c’est ça la théorie du genre. »
C’est le même argument que celui analysé ici

Homme de paille
« comme si la minorité devenait la majorité, comme si l’exception devenait la norme. »
Voir ici

Guillemette Reviron, Nicolas Gaillard

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Août 2011 Le CorteX dans Sport & Vie (Richard Monvoisin)

altOn trouve dans le Sport et Vie n° 127 de juillet-août 2011 un article de Richard Monvoisin intitulé « Petit cours de zététique accéléré« .

Pourquoi Sport & Vie ? Parce que cette revue est une des très rares revues sportives à faire de l’analyse critique non seulement des pratiques, mais également des affirmations et allégations étranges qui jalonnent le monde sportif. Eric Bévillard, de l’Observatoire zététique, m’en avait souvent parlé. Sur demande, j’ai donc accepté de faire une introduction à la démarche zététique dans ce magazine grand public.
J’avoue que cet article a vécu quelques péripéties : ma première version allant être assez maladroitement retouchée et truffée de coquilles, je devrai quelque peu froncer le sourcil que j’ai épais pour que, bon an mal an, on éradique toutes les petites bêtises. Il aura fallu que je bataille aussi sur des affirmations péremptoires placées en légende d’image ou en titre de colonne, sans parler des images elles-mêmes, que je n’ai absolument pas choisies : je suis particulièrement tombé de ma chaise quand j’ai vu l’image d’introduction (un entraîneur mâle coachant une équipe féminine de Hand-ball ou de volley-ball russe) qui non seulement avait peu à voir avec la choucroute, mais entérinait un cliché sexiste que j’abhorre (voir ci-contre).
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Finalement, l’article n’a pas exactement la teinte, ni l’iconographie que je souhaitais. La plupart des erreurs incrustées ont été corrigées sur le fil, après maints allers-retours. Tout je crois – hormis cette satanée photo sexiste qui n’illustre en rien mon propos. Mais le jeu en valait peut-être la chandelle ? Dois-je accepter de voir mes textes remaniés si c’est la condition pour qu’ils soient lus dans une telle revue, qui détonne dans le milieu de la pratique sportive ? N’hésitez pas à me faire part de votre avis.

J’oubliais : dans le même numéro, Olivier Beaufays signe un très bel article que j’ai eu le privilège de relire et d’annoter avant publication. Il traite de la magnétothérapie. Merci de sa confiance. Et mercis amicaux à Eric Bévillard.

Richard Monvoisin

CorteX_El_Esceptico

Janvier 2011 Le CorteX dans El Escéptico (Richard Monvoisin)

CorteX_El_EscepticoJuan Soler, ami sceptique rencontré lors de mon  passage en  Catalogne, co-gère le magazine sceptique espagnol El Escéptico, qui est une « Revista para el fomento de la razón y la ciencia » (une revue pour le développement de la raison et de la science). Pour son magazine, je me suis prêté au jeu de l’entrevue.
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La version espagnole a paru dans El escéptico N°34. Voici la version française.

 


 

JS : On a appris que vous êtes venu à Barcelone d’une façon gratuite, sans toucher un sou. Jusqu’où va votre altruisme ?

RM : Je n’étais pas complètement désintéressé : c’était ma première venue en Catalogne ! Et je rencontrais les Escépticos ! Rien que pour ça, cela en valait largement la peine 🙂

Entre nous, je ne sais pas si l’altruisme est une notion bien claire. Certes, je ne gagne pas d’argent, mais je participe un peu à la transmission de la démarche sceptique, en donnant quelques éléments pédagogiques tels que je les développe au CorteX, au Laboratoire Zététique, ou dans l’Observatoire Zététique. CorteX_Elesceptico_p35redC’est de l’activisme, en quelque sorte, en vue d’un monde où personne n’abuserait du manque d’esprit critique des autres, où personne n’exercerait du pouvoir sur autrui par des manipulations même involontaires autour du paranormal et des pseudo-sciences. Et plutôt que de combattre ceux qui abusent de la faiblesse des autres – ce qui est une stratégie de très court terme – je préfère partager des outils d’autodéfense intellectuelle, avec tout type de public.

Pouvez-vous nous raconter l’histoire du scepticisme et de la zététique en France ?

 Il y a toujours eu des sceptiques en France, mais rarement fédérés. Il y a une forte tradition laïque, une Libre Pensée, une Union Rationaliste, et des personnages connus qui en firent partie. Mais à proprement parler le mot zététique (« méthode pour pénétrer la raison des choses », en grec ancien) est sorti de la cave vers 1975, avec Henri Broch, professeur de physique à l’Université de Nice – Sophia Antipolis. En appelant « zététique » la méthode scientifique d’investigation des phénomènes surnaturels, il a cherché à enseigner la démarche sceptique aux étudiants sur des sujets qui suscitent un très fort intérêt. Un laboratoire universitaire de zététique a été créé en 1992, et a regroupé autour de la démarche un certain nombre de gens. Puis ont commencé à naître diverses associations locales en France. Fin 2002, j’ai pris pour directeur de recherche Henri Broch, et j’ai orienté une thèse de didactique des sciences portant sur la zététique (téléchargeable ici). En 2003, avec quelques amis extraordinaires, nous avons monté à Grenoble l’Observatoire Zététique, l’association la plus connue et la plus influente. Entre temps, dans la ligne directe du Prof. Broch, certains collègues et moi avons construit des cours universitaires, en particulier à Grenoble, formant à la démarche sceptique, aux outils zététiques et à l’analyse des prétentions extraordinaires. L’objectif de ces cours étant qu’ils soient répliqués par d’autres, avec trois collègues nous avons bâti en 2010 un Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit Critique & Sciences, qu’on orthographie souvent CorteX, et qui tente de réunir sur son site web tous les outils pédagogiques possibles visant à l’enseignement de l’esprit critique, à tous les niveaux. Toutes les contributions sont souhaitées, à partir du moment où le matériau est enseignable, scientifiquement irréprochable, et avec un ton « doux », car nous sommes lassés de voir une certaine frange de sceptiques désagréables et arrogants.

Juan Soler et Richard Monvoisin

Quelle est le niveau de crédulité vis-à-vis du paranormal et des non-sciences en France ?

Petite remarque de départ : la non-science n’est pas un problème en soi. La poésie est une non-science, et c’est très bien. La non-science, c’est également une hypothèse qui s’avère fausse (par exemple l’éther des physiciens, qui s’est écroulé vers 1905). Ce n’est pas ça qui est grave. Ce qui est terrible, ce sont les pseudo-sciences (de pseudes, en grec, signifiant menteur), c’est-à-dire les théories qui se font passer mensongeusement pour solides alors qu’elles ne le sont pas.

Revenons à votre question. L’adhésion à des thèses « paranormales » ou pseudoscientifiques est assez répandue en France. Les derniers chiffres ont entre 7 et 10 ans, et montrent qu’un peu plus de la moitié des gens interrogés croient aux guérisons par les mains, par le « magnétisme », et environ 40% croient aux rêves prémonitoires et à la transmission de pensée. Ces chiffres sont intéressants car on se rend compte de plusieurs choses : d’une part, cela n’augmente pas. D’autre part, cela se transforme, avec des systèmes de modes. En outre, on remarque que le niveau d’adhésion n’est pas corrélé au niveau d’étude – ce qui montre que ce ne sont pas les études classiques qui permettent à l’élève ou l’étudiant de distinguer science et pseudoscience. Mais les questions de ces sondages sont généralement mal posées. Entre croire et ne pas croire, il y a tout un tas de positions intermédiaires. C’est pour ça que je n’utilise pas le terme crédulité, car on se rend vite compte qu’il n y a pas les crédules d’un côté, les sceptiques de l’autre : entre les deux, il y a un continuum, et la place sur ce continuum dépend des champs questionnés. Et puis beaucoup de gens sont sceptiques sur 95% des sujets, et ont comme un « ilôt » d’irrationalité qui flotte au milieu.

En voyageant, je me rends compte que les croyances varient, les thèmes à la mode dans ce pays-ci ne le sont pas dans celui-là, etc. En Catalogne, j’ai remarqué qu’il y a beaucoup d’émissions sur l’astrologie, ce qui n’est pas le cas en France, où la spécificité est plutôt dans le recours à l’homéopathie dans les soins de santé, et l’omniprésence du cadre conceptuel de la psychanalyse, même dans nos contenus d’enseignement.

En parallèle, quelle est la situation en France vis-à-vis du scepticisme et de la défense de la pensée critique ?

En France, tout le monde, pédagogues, enseignants, ministres, tout le monde déclare que l’esprit critique est nécessaire pour faire un bon citoyen. C’est un mot magique, mais il n’y a pas grand chose de fait pour aider les associations, ou pour soutenir les enseignements universitaires. Il faut dire que l’enseignement en France est de plus en plus tourné vers la professionnalisation, et que ce qui n’est pas réellement rentable sur le plan professionnel comme les arts ou l’histoire, n’est pas vraiment soutenu. Pour l’esprit critique, c’est encore pire, car parmi les compétences données, il y a la discussion des arguments d’autorité, ce qui n’encourage pas à la paix sociale.

Y-a-t’il d’habitude une attitude crédule vers les pseudoscience dans les Mass média ?

Une attitude crédule, je ne dirais pas ça, mais une attitude mercantile, c’est sûr ! Les pseudosciences font vendre du papier, de nombreuses émissions existent sur ces thèmes. Il faut dire que le créneau est vendeur, car la scénarisation sensationnelle est facile à faire, et on obtient sans trop d’effort des titres très accrocheurs pour le client. Se rajoute à cela le champ de l’introspection personnelle, des thérapies « alternatives », du bien-être et du développement personnel, auxquels une pléthore de journaux se consacrent presque exclusivement.

Dans les médias plus sérieux, la précarisation progressive des journalistes et leur soumission à un flot d’informations continues ne leur permet pas de faire de l’investigation lente et patiente. Leur travail consiste essentiellement à reprendre les dépèches des agences de presse, sans vérifier la teneur scientifique du propos. A la fin tout le monde recopie sur tout le monde, et dans le lot de fausses informations circulent : les deux exemples qui me viennent à l’esprit sont l’affaire Rom Houben, et Piano Man. Piano man, cet homme retrouvé au bord d’une plage, amnésique, muet, et qui jouait des symphonies au piano, ce que personne n’a pris soin de vérifier. Et Rom Houben, cette personne plongée depuis très longtemps dans un coma, et que la presse a annoncée (sans vérifier) être capable de communiquer à l’aide d’une technique appelée Communication Facilitée. Le pire est que les médias font une explosion médiatique sur l’annonce des choses sensationnelles, mais ne s’excusent jamais lorsqu’ils se sont trompés. La culture populaire garde alors essentiellement l’idée de départ, fausse. Beaucoup de gens croient encore que Rom Houben communique vraiment, et que du plus profond du coma, on peut converser avec une personne. Ça peut faire naître des espoirs factices, et avoir des conséquences tragiques.

Y a-t’il des rapports parmi les groupes de sceptiques français et ceux d’autres pays ?

Il y a quelques liens formels, notamment avec l’ECSO, l’European Council of Skeptical Organisations, mais il n’y a pas d’activité réellement concertée. Il y a par contre des liens amicaux, avec les italiens du CICAP (Comitato Italiano per il Controllo delle Affermazioni sul Paranormale) en particulier, avec des sceptiques québecois, belges. Nous avons des relations avec le monde anglosaxon, Skeptic Society, le CSI (Center of Skeptic Inquiry, ancien CSICOP) ,le  James Randi Educational Foundation, etc. Mais il n’y a pas de réelle collaboration. Il faut dire que les groupes sceptiques sont essentiellement des associations, et qu’en France la lecture de l’anglais n’est pas si courante que ça.

Quelle est la situation sur les soit-disant médecines « alternatives » en France ?

Il y a une omniprésence des médecines dites « alternatives », dans les pratiques, dans les magazines, dans les pharmacies. C’est un marché très important.

Je pense qu’il n’est pas pertinent de s’opposer frontalement aux thérapies alternatives, et qu’il faut d’abord se poser la question suivante : que viennent chercher les gens dans ces thérapies qui soit si important pour qu’ils en viennent à opter pour des méthodes inefficaces ?

Je vois trois types de réponses : 1) une meilleure prise en charge, plus longue et plus personnalisée. 2) un retour vers des méthodes moins médicamenteuses et 3) une réappropriation de la santé, un peu confisquée par le corps médical, lui-même grandement à la merci des influences industrielles.

Je suis d’accord avec ces trois points, moi aussi !

Je pense qu’une troisième voie peut être créée : plus de service public de santé, pour un personnel plus disponible pour le point 1. Encourager la patientèle à ne pas réclamer de médicaments systématiquement pour le point 2. Se battre pour une indépendance de la formation médicale vis-à-vis des industries pour le point 3. Et surtout, donner une information complète sur l’efficacité de chaque thérapie, pour que les patients puissent faire leurs choix en connaissance de cause.

Les thérapies « alternatives » ont-elle le soutien des universités et sont-elles apprises dans les programme d’études, par grade universitaire spécialisé ou un moyen analogue ?

Je ne connais que le cas de l’homéopathie, qui est enseigné comme spécialité dans certaines facultés de médecine, et bien sûr, la thérapie psychanalytique, omniprésente. Il y a beaucoup de diplômes inter-universitaires (DIU) de spécialités complémentaires (ostéopathie, acupuncture, etc.). Hélas, pas de DIU de zététique ou d’autodéfense intellectuelle pour l’instant.

Quant aux associations des médecins, est-ce qu’elles agissent et expliquent les risques liés aux thérapies « alternatives » dont l’efficacité n’a jamais été prouvée ?

C’est assez timide, car les enjeux sont importants : l’homéopathie est très appréciée, et le N°1 mondial, Boiron, est français. Et puis on évalue à près de 10 % le nombre de médecins qui utilisent eux-mêmes une pratique « alternative ». Le conseil national de l’ordre des médecins a beaucoup de mal à se positionner. En 2004, l’Académie de médecine a préconisé le déremboursement des médicaments homéopathiques, qui sont remboursés à hauteur de 35 % (alors qu’ils n’ont pas à faire preuve de leur efficacité). Cela a soulevé une immense polémique. L’homéopathie est une institution en France, on évalue à 36% la proportion de français qui y ont recours chaque année.

Les médicaments homéopathiques représentent 0,3 % des dépenses totales de santé et entre 1,2 et 2 % des remboursements de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie.

Quel est ton avis sur les diètes miraculeuses ?

On pourrait penser qu’il faut les prendre une par une, et les analyser pour être formel. Mais c’est l’inverse qu’il faut exiger : c’est aux défenseurs de ces diètes de faire la preuve qu’elles marchent.

Il ne faut pas inverser la charge de la preuve, qui incombe à celui qui prétend quelque chose. Transposons ce raisonnement ailleurs : est-ce à l’acheteur de prouver que le shampooing n’est pas efficace, ou que le véhicule ne fonctionne pas, ou que le médicament anti-cancer ne marche pas ? On n’accepterait cela dans aucun autre domaine.

Proposer une diète miraculeuse sans preuve, surtout sur des pathologies urgentes et graves, c’est comme s’assurer en escalade avec une corde trouvée par terre. C’est comme sauter avec un parachute trouvé dans une poubelle : peut-être qu’il marche bien, mais risquerai-je ma vie ainsi sans faire d’autres vérifications ?

Bracelets de la guérison, aimants pour améliorer la sante, etc. les avez-vous aussi en France ?

Bien sûr. La magnétothérapie, le soin par les aimants sont un grand « classique » des expositions à tendance écologistes et New Age. Cela fait un lien intuitif avec ce que le public sait plus ou moins clairement sur le magnétisme terrestre, sur la sensibilité au magnétisme des oiseaux migrateurs, et sur les prétendues capacités de sourcier. Dans mes enseignements de zététique et d’autodéfense intellectuelle, c’est exactement le genre de sujets sur lesquels je fais travailler les étudiants.

Y a-t’il des risques avec le créationnisme ou le dessin intelligent ?

Oui, il y a un créationnisme musulman assez virulent, et un Dessein Intelligent (ID, pour Intelligent Design) très vendeur, proposé entre autres par des associations financées largement par des groupes États-uniens visant à « réconcilier science et religion ». Mais l’ID est également proposé par des personnages médiatiques pseudo-scientifiques, au nom des arguments comme le fine-tuning ou la complexité irréductible. De plus en plus d’enseignants de biologie sont contestés en classe par des élèves qui disent ne pas croire à la théorie de l’évolution.

En général quelle est la position de la France envers les problèmes du changement climatique ?

Je ne peux pas répondre à cette question, car je suis incompétent sur le sujet – et puis la France, c’est 60 millions de personnes et « l’opinion publique » n’existe pas.

Tout ce que je peux dire, c’est que les climatosceptiques sont contestés en France, et d’une manière très maladroite. Pour moi, le scepticisme raisonnable est justifié dans tous les champs, moyennant qu’on soit rigoureux scientifiquement, ce qui n’est pas le cas de tous les climatosceptiques, loin de là. Si leurs arguments étaient attaqués sur ces points, ça irait, mais l’opposition à ces doutes est plus posturale que scientifique. Derrière la question sur le réchauffement, se cache une posture politique qui vise à minimiser ou amplifier l’impact de l’Humain sur l’environnement. Le débat se déplace alors sur « l’humain a-t-il un impact, ou non ? », qui se déplace ensuite en « faut-il ou non changer quelque chose dans notre manière d’exploiter les ressources planétaires ? », ce qui est une question politique, et non plus scientifique.

Chez pas mal de gens, elle se transforme très vite en positionnement « les gentils veulent prendre soin de la planète, les autres sont des méchants ».

Sur cette question politique du changement de nos pratiques, j’ai un avis qui est le même que pour le racisme. La question scientifique, aussi intéressante soit-elle, n’a pas d’importance pour notre manière de vivre ensemble : qu’il y ait des preuves de l’existence de plusieurs races humaines ou non, je me battrai contre le racisme. Je tends à penser qu’une prise de conscience écologique ( non-mystique !) est nécessaire en soi, et nous avons des exemples d’écocides terribles dans l’histoire, des habitants de l’Ile de Pâques aux Incas du Macchu Piccu. Et cette prise de conscience que nous sommes dans un monde aux ressources finies ne dépend pas des preuves scientifiques du réchauffement climatique.


Et quant aux produits transgéniques ?

Même type de réponse pour moi. Pour l’instant, je ne vois pas quel est l’intérêt réel de ce genre de produits.

Mais ce n’est pas tant les produits transgéniques, nanotechnologiques, etc qui me posent problème, mais quel modèle de société cela induit, et quel est le rapport au peuple et à son opinion sur ces sujets. Vu que ces recherches sont faites avec son argent, il serait légitime que la population soit consultée, avec un vrai pouvoir de décision.

Les soucoupes volantes intéressent-elles encore ?

Oui, il y a toujours un certain public autour de cette question. Il faut dire que la question sous-jacente « y a-t-il des êtres ailleurs qui nous rendent visite » est tout à fait stimulante. Malheureusement, c’est un domaine où l’envie de voir est telle qu’il faut se confronter à un grand nombre de témoignages, plus ou moins clairs. Et lorsque l’explication n’est pas trouvée, la conclusion est immanquablement extra-terrestre. Ça fait de ce domaine un immense fourre-tout.


L’étude graphologique des attitudes d’un travailleur, l’analyse astrologique, est-ce qu’on l’utilise généralement en France ?

L’astrologie est encore employée, mais marginalement, par quelques politiciens, mais aussi par le séléctionneur de l’équipe de France masculine de football.

La graphologie par contre est extrêmement utilisée, de l’ordre de 90 % de recours lors d’une embauche (50% systématiquement, 45% occasionnellement, selon des chiffres de Balicco en 1999). Vu que la technique est inefficace pour prévoir le caractère des individus, et que les théories sous-jacentes (aussi bien l’école française de Michon que l’école allemande de Klages) sont infondées, l’utiliser devrait revenir à de la discrimination à l’embauche, ce qui est illégal. C’est proprement scandaleux.

 
Des catalans peuvent-ils collaborer au CorteX ?

Bien sûr ! Il suffit que des enseignants, des journalistes, ou toute personne motivée pour construire des séquences pédagogiques liées à l’esprit critique nous envoie leur matériel. Partageons nos expériences, en vue d’éduquer les générations suivantes à utiliser leur sens critique bien mieux que nous ne l’avons fait nous-mêmes.

Henri Broch (membre d’honneur de l’ARP-SAPC, Sociedad para el Avance del Pensamiento Crítico) depuis 1992 et maintenant Prix Mario Bohoslavsky, est-il toujours en activité ?
Absolument. Le professeur dirige toujours le laboratoire de zététique, et ses enseignements sont toujours aussi célèbres.
L’inquiétude actuelle de Henri et de mes collègues du CorteX repose sur la menace de fermeture du laboratoire après le départ à la retraite de son directeur.
Il semble qu’en 2014, le laboratoire zététique, unique au monde, n’existe plus. C’est aussi pour cela que le CorteX essaye de reprendre le flambeau sur le terrain universitaire, dans une continuité directe. Henri nous aide beaucoup en cela, et ses conseils sont très précieux.

 

RM, mars 2011

El Escéptico N°34, janvier – avril 2011

Ce qui pourrait être nuancé, car il semble qu’ils soient plus prompts à se repérer selon…les axes routiers ! Voir les études de Tim Guilford (2004-2005)

Le Fine-tuning est l’argument qui consiste à dire que les constantes cosmologiques sont tellement précises qu’une seule variation aurait empêché toute vie d’apparaître. La complexité irréductible est l’idée que l’oeil / l’humain / la synthèse des protéines / ce que vous voulez est trop complexe pour ne pas être l’objet d’un projet préalable, par une volonté programmante, un dessin intelligent. Ce sont des raisonnements à rebours pourtant faciles à casser, mais encore faut-il préparer les enseignants à cela.

Entraînez-vous ! Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Le 7 Juillet 2011, la Cour des Comptes rend public un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Le lendemain, le Figaro.fr publie l’article qui suit. Une belle occasion de tester l’outillage critique sur des sujets politiques !
Mon analyse est à votre entière disposition ici.

Guillemette Reviron

Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent (LE FIGARO.fr)

Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.


La baisse de la délinquance résulterait de «l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols»
«Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse…», rétorque Claude Guéant. «Contrairement aux allégations des rapporteurs», le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par «les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes». Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.
L’essor des polices municipales serait lié à une «forme de recul» des missions de surveillance générale par l’État
«Manifestement, tout en prenant acte de la place prise par les polices municipales en France, la Cour semble mésestimer leur rôle et leur importance», insiste Claude Guéant. «Je conteste vigoureusement l’interprétation que font les rapporteurs», lance le ministre qui rappelle que ses instructions visent plutôt à une reconquête du terrain. Par ailleurs, il précise que «le principe de coordination repose sur une logique de complémentarité et non de substitution».
La participation de l’Intérieur à l’effort de réduction des emplois publics annulerait les recrutements antérieurs
Selon Beauvau, «la Cour confond meilleur usage des deniers publics et contrainte sur les moyens». «Il est regrettable que la Cour ne prête nullement attention aux efforts continus depuis 2002 pour moderniser les forces de sécurité, lâche-t-on à l’Intérieur. En recentrant les forces de sécurité sur leur cœur de métier, les réductions des charges indues (transfèrements, garde des dépôts, sécurisation de salles d’audience) ou de missions périphériques (convois exceptionnels, gardes statiques) permettent ainsi à la police d’offrir le même niveau de service à la population.»
L’efficacité de la vidéo mise en doute
Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection, Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012.

Je vous propose mon analyse ici. N’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos suggestions ou remarques !

Guillemette Reviron

CorteX_cave_vin

Argument d'historicité

L’argument d’historicité joue sur l’idée que l’âge d’une théorie ou d’une assertion étaye sa véracité. Cet argument est fallacieux au sens où de nombreuses théories anciennes se sont révélées fausses, au même titre que de nombreuses annonces de nouveautés sont restées lettre morte.


Il est possible de distinguer deux types d’arguments d’historicité : le premier recoupe une sorte d’éloge de l’ancienneté, couplée dans la plupart des représentations sociales à une certaine sagesse ancestrale, et entraîne des formes de tradition. De cette manière, il peut être perçu comme un argument d’autorité à part entière, l’autorité émanant d’un concept diffus mélangeant vieux sages et savants anciens anté-scientifiques. Le second se noue sur une vision progressiste des sciences, sur l’attrait de la nouveauté et sur l’envie scénaristique d’un déboulonnage d’idoles. Cet argument consiste à prétendre que quelque chose est bon, juste ou vrai simplement parce que c’est ancien, ou parce que « c’est ainsi que ça a toujours été ».

L’argument d’historicité, ou argumentum ad antiquitatem :
1. X=b est une idée ancienne, dont les traces remontent à loin dans le temps.
2. Donc X=b

Nous distinguerons plusieurs variantes.

1. L’effet « cave à vin », ou argument du vieux pot

CorteX_cave_vinNous désignons par Effet Cave à vin l’argument consistant à dire qu’une idée ancienne, déjà présente dans divers vieux écrits faisant ou ayant fait autorité ne peut être fausse, puisque des anciens l’ont écrit. Il s’agit d’un savant mélange entre un argumentum ad gratinum et un ad antiquitatem.
L’image vient de ce que l’on présumera plus volontiers de la qualité d’un vin que la cave qui l’accueille est empoussiérée, que son étiquette est effacée par le temps et que le bon vin se bonifie avec l’âge. Quant au vieux pot, le diction proverbial déclame que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes, ce qui est doublement faux : on peut faire d’excellentes soupes dans des pots neufs, ainsi que d’immondes soupes dans des vieux.

L’argument du vieux pot :
1. On peut lire sur un vieux Papyrus égyptien que X=b
2. Donc X=b

Exemple : Le Feng Shui

Yu Xixian, professeur de sciences urbaines et environnementales à l’Université de Beijing, écrit : « Les vestiges de la culture de Yangshao, dans la province du Henan, nous montrent qu’il y a 6 000 ans, nos ancêtres avaient déjà l’idée de l’orientation et des rapports entre le ciel, l’homme et la terre. »
Il y a bien sûr des contre-exemples à ce sophisme. Il est des cas où l’ancienneté d’une chose est corrélée à son intérêt scientifique. Quelques exemples :
– Donner plus d’importance à un corps momifié de plusieurs milliers d’années qu’à une dépouille d’il y a un siècle n’est pas un argument du vieux pot.
– Si un individu prétend que tel vin se bonnifie avec le temps (en précisant qu’il ne s’agit pas forcément d’une relation linéaire, et certainement pas aux grandes échelles de temps), il ne s’agit bien sûr pas d’un argument du vieux pot.
– Enfin, l’ancienneté d’une théorie (l’éléctromagnétisme de Maxwell, ou la théorie de la matière composée de particules subatomiques) fait son intérêt non parce que son élaboration est vieille, mais parce qu’elle a accumulé un nombre conséquent de prédictions valides et désarmé un nombre non moins conséquent de remises en question, et qu’il est raisonnable de la croire étayée, non pas son âge, donc, mais par son « poids d’évidence ».

2. L’effet « vieux sage de l’antiquité », argumentum ad veterum

CorteX_vieux_sageNous nommons « effet vieux sage de l’antiquité » l’idée qu’une assertion ancienne est forcément vraie puisqu’il est (faussement) notoire que les anciens ont souvent eu raison. C’est non seulement faire fi de tous les anciens qui ont proféré des bêtises (bien plus nombreux que les « sages »), mais encore oublier que les idées ayant fait leur chemin jusqu’à aujourd’hui étaient parfois fortement rejetées de leurs temps — ce qui laisse accroire que l’on choisit le vieux sage qui nous arrange en fonction de la thèse à défendre.
Cette idée est le produit de ce que Broch appelle une « exposition sélective », ou un tri statistique des faits qui vont dans le sens de ce que l’on veut étayer. Suffit alors de citer quelques-uns de ces anciens et d’avancer qu’il est peu vraisemblable que l’on se soit trompé si longtemps sans s’en apercevoir, et l’argument est posé. Il s’agit d’un pur argument d’autorité.
L’effet « vieux sage de l’antiquité » :
1. Hippocrate disait déjà que X=b
2. Donc X=b
* fonctionne aussi avec Aristote, Galien, Descartes…

3. Argument de « la nuit des temps » ou sophisme de la tradition

Le sophisme de la tradition est sensiblement le même que l’effet Cave à vin, à la nuance près que la source est souvent imprécise, et qu’il n’y a pas de nom CorteX_vache_sacreed’anciens pour en faire un effet « vieux sage de l’antiquité ». C’est la seule tradition qui importe, au nom de ce que le mot « tradition » aurait quelque chose de consubstantiel avec une certaine authenticité : par opposition aux choses nouvelles qui n’ont pas la patine que donne le temps aux traditions, et ce d’autant plus que l’origine de la tradition est généralement projetée hors du temps (cet argument est appelé chez les anglo-saxons Sacred Cows — vaches sacrées).
En tant que tel, nous le rangeons dans les arguments d’historicité, quoique sa forme rappelle plutôt l’effet Panurge.

Sophisme de la tradition :
1. X=b est traditionnel et/ou remonte à la nuit des temps
2. Donc X=b

La principale critique à opposer à cet argument est qu’il n’y a que de fausses traditions, ou des traditions en vision externe. Les traditions « vraies » et vécues comme telles ne sont pas des traditions, mais des techniques.
La tradition est généralement projetée hors du temps. C’est pour pointer ceci que nous parlons d’argument de « la nuit des temps » : la nuit des temps, souvent, ne remonte pas si loin que cela. En outre, parler de « nuit des temps » signifie qu’il existe un jour lumineux des temps, analogie factice du même type que celle de l’obscurité du Moyen-Âge qui faisait dire à Luciano de Crescenzo, « mais qui a donc éteint la lumière ? » (De Crescenzo, Les grands philosophes de la Grèce antique, 2000). Parler de nuit des temps est comme parler des Anciens : cela s’apparente à un procédé rhétorique simpliste permettant de faire une césure de démarquage faussement claire avec les Modernes, en oubliant que les Modernes d’aujourd’hui seront les Anciens de demain.
L’argument de « l’épreuve du temps » n’est pas suffisant. L’idée que si une théorie a perduré longtemps, c’est qu’elle a forcément quelque chose de vrai est incomplète. Hélàs, l’histoire des sciences et des idées regorge d’exemples tous peu ou prou dramatiques d’idées fausses perdurant — souvent par argument d’autorité. Les cas les plus frappants sont l’Aristotélicisme, les médecines hippocratique et galénique et la cosmologie ptoléméenne.

Il ne faut pas confondre « l’épreuve du temps » et « l’épreuve des faits » (qui dure longtemps)

Pour approfondir : Thèse R. Monvoisin : Pour une didactique de l’esprit critique

Appel aux kinés professionnels ! Venez faire de la recherche au Master 1 MPSI VAE option kiné en 2011/2012

Le  corteX en kinéVous êtes kiné praticien depuis quelques-temps, et vous souhaitez vous mettre à jour ? Vous rêviez de faire de la recherche ? Vous êtes fatigué-e de voir un mélange de techniques éprouvées et de techniques fantaisistes dans votre profession ? Vous êtes inquiet-es sur l’avenir des trois années de formation initiale ?
Venez farfouiller et construire un mémoire de recherche dans le Master 1 MPSI (Mouvement Performance Santé Ingénierie 1ère année) option kinésithérapie de l’Université de Grenoble. Avec l’équipe de J-L. Caillat-Miousse… et quelques morceaux du Cortecs dedans !

Téléchargez la Présentation M1 MPSI option kiné (pdf)

Téléchargez le Dossier de demande de recevabilité VAE (pdf)

Public concerné  : Kinésithérapeutes diplômés (D.E. ou diplôme d’exercice étranger).
Pré-requis : 3 années d’activité professionnelle ; présentation d’un projet de poursuite d’études ; connaissances bases en anglais et informatique nécessaires
Diplôme : Maîtrise Sport, Santé, Société option kinésithérapie (60 ECTS)
Niveau visé : Master 1 du Master « Mouvement, Performance, Santé, Ingénierie » parcours Recherche ou Professionnel
Contenu : METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ET ETUDE DES PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES EN KINESITHERAPIE (80h)
Objectif : Se préparer à concevoir, réaliser, rédiger (rapport de recherche) et communiquer sur un travail de recherche (poster, soutenance et publication scientifique)

Kinésithérapie, recherche documentaire et rédaction scientifique 7h
Etude des productions scientifiques en kinésithérapie 8h
Kinésithérapie et méthodologie 20h
Kinésithérapie, éthique et recherche 2h
Kinésithérapie et informatique (traitement de texte, tableur, …) 8h
Kinésithérapie et statistiques appliquées 20h
Kinésithérapie et anglais scientifique 5h
Suivi individualisé du travail de recherche 10h

TRAVAUX PERSONNELS ENCADRES (220h)
Objectif : Concevoir, réaliser et communiquer un travail de recherche
(article scientifique et/ou communication orale en congrès)
Stage (laboratoire de recherche ou terrain de recherche clinique) et rédaction d’un mémoire, sous la
direction d’un kinésithérapeute enseignant et d’un responsable du laboratoire ou du stage de recherche
clinique.
(LES AUTRES UE DE L’OPTION KINESITHERAPIE SONT VALIDEES PAR LA VAE )
Durée prévisible 300h (80h enseignement et 220h travail personnel encadré).
Regroupements 4 séminaires de 3 jours :

  • 21-22-23 novembre 2011
  • 9-10-11janvier 2012
  • 20-21-22février 2012
  • 26-27-28 mars 2012 à Grenoble

Validation contrôle continu (40%) et production et soutenance d’un mémoire de maîtrise (60%)
Renseignements d’ordre pédagogique

Jean-Louis CAILLAT-MIOUSSE (Enseignant Responsable)
UFR STAPS Ecole de Kinésithérapie (CHU de Grenoble) 19 A avenue de Kimberley 38130 Echirolles Tel : 04 76 76 89 76 ou sinon 04 76 76 52 56 Fax : 04 76 76 59 18

Formalités d’inscription
Bernard GENOUD, Service Formation Continue Université Joseph Fourier BP 53 38041 GRENOBLE CEDEX 9 Tel : 04 56 52 03 30 Fax 04 56 52 03 32
NB : les candidats sont invités à prendre contact avec le responsable formation continue de leur établissement
employeur s’ils souhaitent une prise en charge de cette formation.
Coût 2600 € (formation continue VAE et droits universitaires)

Poursuite d’études masters 2 professionnels ou masters 2 recherche (si stage en laboratoire de recherche), 3ème cycle universitaire : doctorats
 
 
 

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Entraînez-vous ! Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute

La dernière campagne publicitaire de l’éducation nationale est l’occasion d’aiguiser son esprit critique et de mettre en application les principes d’autodéfense intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?

 
 

En juin 2011, le ministère de l’éducation nationale a lancé une campagne « destinée à tous les étudiants qui réfléchissent à leur avenir professionnel et, prioritairement, aux étudiants de M1. L’objectif est clair, il s’agit d’attirer les meilleurs talents au service de la plus noble des missions : assurer la réussite de chaque élève. »[1]

 

alt Laura

a trouvé le poste de ses rêves.

C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. Et l’avenir, pour elle, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’elle a décidé de devenir enseignante.

 
 

L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
alt Julien

a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions.

C’est la concrétisation de son projet professionnel. Et ce projet, pour lui, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’il a décidé de devenir enseignant.

 
 

L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
Cette campagne de trois semaines a été déployée avec une stratégie de diffusion très large.
  • Presse écrite (Le Monde, Le Figaro, Le Journal  du Dimanche, Libération, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Direct Matin,  Métro, 20minutes, Le Point, L’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur,  Challenges, Courrier international, Marianne, L’Equipe magazine, VSD,  Paris Match).
  • Spots radio (Skyrock, NRJ, Virgin radio, Fun radio,  France Info, France Inter, RTL, RMC, Europe 1…).
  • Bannières  publicitaires sur des sites Internet à forte audiences (Deezer, YouTube,  SkyBoard, L’Etudiant.fr, Studyrama, Monster).
  • L’ouverture d’un site dédié : leducationrecrute.fr.
« La création met en scène des personnes à un moment fort de leur vie, celui de leur engagement dans un projet de carrière autour des valeurs de réussite et d’épanouissement personnel et professionnel. Des valeurs qui peuvent paraître dans un premier temps individualistes, mais qui prennent un tout autre sens lors de la révélation de l’annonceur : l’éducation nationale. » [2] 

Pour débuter l’analyse, j’ai choisi de décortiquer l’article selon trois axes. 
 
1/ Les effets rhétoriques

Notamment l’affirmation « L’éducation nationale recrute 17 000 personnes en 2011 ».

Cet annonce de recrutement est surprenante car en contradiction avec ce qui semble circuler dans les médias sur la situation de l’éducation nationale où l’on parle plutôt d’un plan d’austérité (fermeture de classe, suppréssion d’emploi, etc.) Cette information mérite donc d’être analysée

 

Pourquoi ce décalage a priori avec l’actualité ?

 

Que represente ces 17 000 postes ?

Cette information n’est-elle pas orientée ?

 

 2/ La fabrication de l’image

Comment les illustrations sont-elles fabriquées ?

Que veulent susciter ces deux  images ?

A quels archétypes font-elles appel ?

3/ Le vocabulaire utilisé dans les images

 Que connote-t-il et quels problèmes cela peut-il  poser ?

 
Tentez une analyse de votre cru, et comparez-là avec la mienne.

N’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger notre décorticage.

 
 

Nicolas Gaillard  
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Maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone – Atelier Esprit critique et médias

Depuis la rentrée de septembre 2011, deux fois par an, Guillemette Reviron anime un cycle de dix ateliers Esprit critique et médias à la maison d’arrêt de Villeneuves-lès-Maguelones, en partenariat avec le SPIP Hérault et l’association Pédagogie et prison.


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Comme chaque année depuis trois ans maintenant, l’atelier Esprit critique et médias reprendra le 25 septembre à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, après deux mois d’interruption estivale des activités scolaires.

En septembre 2011, à l’occasion de l’ouverture de cet atelier, je décrivais sur cette page les doutes qui nous traversaient :

« Si nous ne cessons de nous interroger sur les bienfaits d’intervenir en milieu carcéral, si nous nous demandons en permanence si, ce faisant, nous ne légitimons pas un système judiciaire injuste et fondé sur la répression des classes sociales les plus faibles (*), nous savons aussi que nous touchons là un public qui a particulièrement peu accès à nos outils. Alors, pleine de contradictions, je passerai une à une les sept grilles qui nous séparent du centre scolaire, ma mallette pleine d’outils et d’effets zététiques, en sachant bien que, si l’esprit critique ne fait pas tomber les murs, il permet tout de même d’ouvrir des fenêtres ».

Ces questionnements ne nous ont pas quittés et un paramètre nouveau s’est invité, complexifiant encore l’équation : la demande explicite des participants de reconduire cet atelier.

Cet atelier est le deuxième du genre animé par le CorteX, le premier avait été lancé par Richard Monvoisin à la maison d’arrêt de Varces en janvier 2011. Nous y  discutons des médias, de la mise en scène de l’information, de la soi-disant objectivité médiatique, de l’utilisation des chiffres et des statistiques, des ressorts publicitaires, etc., le but étant de fournir à chacun les outils nécessaires pour se faire, autant que cela est possible, un avis en connaissance de cause.

Horaires :

le mercredi de 8h45 à 11h, à partir du 28 septembre – 10 séances.

Il va sans dire qu’il n’est, hélas, pas ouvert au public…

Guillemette Reviron


 
(*) Nous avons développé nos réflexions et interrogations sur ce sujet dans l’article Esprit critique en acier pour gens en taule ? Tentatives d’ateliers critiques en prison du Monde libertaire du 24 février 2011.
 

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Décortiqué – « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? », France Info, janvier 2011

altSi vous arrivez à cette page, c’est que vous avez écouté la chronique de France Info « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? »
Non ? Alors vous pouvez retourner ici.
Oui ? Alors ci-dessous, analyse de l’extrait point par point.

Voici un début d’analyse proposé par des membres du réseau CorteX.

  • En vert, décorticage de Nicolas Gaillard.
  • En bleu, décorticage de Nicolas Pinsault.

Vous aussi avez des idées, des suggestions, un complément ?

Vous pointez d’autres biais ? écrivez-nous.

Chronique France Info –  « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? » – Janvier 2011.

 

1er minute

« Trouver une alternative au tout médicament, c’est probablement une des raisons qui pousse de nombreux parents à aller consulter un ostéopathe avec leur nourrisson »

C’est une pétition de principe : la prémisse de la démonstration contient déjà l’acceptation de la conclusion. On sous-entend ici que les pratiques médicales conventionnelles traitent les pathologies uniquement par médicament : c’est une réduction caricaturale des méthodes du milieu médical pour le discréditer.
« Trouver une alternative au tout médicament » est un faux dilemme bien dissimulé. On offre uniquement deux alternatives – médecine conventionnelle ou ostéopathie – en omettant toute autre alternative pourtant possible. La présentation du dilemme est en outre habilement déséquilibrée puisque les pratiques conventionnelles sont connotées négativement par les termes « tout médicament ». Impossible alors de ne pas être d’accord avec le choix de l’ostéopathie.

J’ajouterais que le terme « probablement » est ici particulièrement mal choisi puisqu’il ne s’agit que d’un a priori sans fondement.

Le chroniqueur présente Carole Renucci, rédactrice en chef d’Enfant magazine et fait référence à l’article du mensuel de janvier 2011 « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ?»

Cette présentation de l’article est encore une pétition de principe qui m’oblige à accepter la prémisse que l’ostéopathie peut faire du bien tout court, ce qui est très discutable. « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ?  » sous-entend « l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé et nous allons vous expliquer comment… »

Enfant magazine janvier 2011En couverture du fameux mensuel Enfant magazine de janvier 2011 : « L’ostéopathie, ça marche aussi pour les petits »

Idem, le « ça marche aussi » implique que ça marche tout court.

L’affirmation « ça marche » n’est pas très claire. Que faut-t-il comprendre ? « C’est efficace », « ça me soulage », « c’est prouvé », « j’y crois » ou encore « il y a un effet significatif » ? Cette ambiguïté permet surtout de contourner la question de fond : y’a-t-il un effet thérapeutique spécifique ? 

« Est-ce qu’on peut parler d’engouement pour cette médecine douce aujourd’hui ? »

Le terme « médecine » douce permet de faire rentrer d’emblée l’ostéopathie dans le champ des médecines : c’est une dénomination inexacte.
Le terme médecine « douce » sous-entend également une opposition à une médecine dure que serait la médecine conventionnelle. Si ces pratiques sont « alternatives », elles sont « alternatives » à quoi ? C’est une connotation très problématique qui fait l’objet d’un atelier Faire un atelier-débat – médecine « douce », « alternative »….

« En 2005 un chiffre émanant de l’Académie d’ostéopathie donnait 200.000 visites pour les tout petits, pour les nourrissons, ce qui effectivement est massif et pose beaucoup de questions. Ce chiffre est sans doute lié à l’intensification des propositions, c’est à dire qu’il y a une légalisation du titre et de la profession au cours de la décennie dernière qui a permis effectivement à cette offre de s’amplifier. »

Indiquer que de nombreuses personnes consultent, que cela s’amplifie et que l’exercice de l’ostéopathie est légalisé, ancre l’acceptation d’une certaine légitimité qui peut m’amener à conclure ensuite « donc c’est efficace ». D’ailleurs l’argument est définitivement posé plus loin. Cependant, la preuve sociale, l’effet Panurge (beaucoup de gens consultent) ou légale ne sont pas des arguments de validité de la pratique. Voir le même argumentaire pour l’homéopathie [1]. 

Le mode de calcul utilisé ici pour ces affirmations pose questions. Pour cela il suffit de se procurer le rapport de la commission pédiatrie de mai 2006 disponible sur le site  de l’Académie d’ostéopathie de France. On constate alors que l’on est loin des standards de l’épidémiologie. L’enquête se fait par questionnaire auprès d’ostéopathes exclusifs (n’exerçant ni la médecine, ni la kinésithérapie) tirés au sort dans un registre contenant 1774 noms. L’échantillon retenu au final est de 97 praticiens déclarant avoir vu, en moyenne, 148,8 nourrissons au cours des 12 derniers mois. En multipliant ce nombre par la population de praticiens de départ dans le registre ils arrivent à la conclusion que 217 000 nourrissons ont consulté et que cela représente 470 000 consultations (et non 200 000 comme évoqué, pourquoi un tel écart ?). Alors poussons le raisonnement jusqu’au bout pour souligner son aspect bancal : en multipliant le nombre moyen d’enfants vus par le nombre d’ostéopathes estimé (médecins (10000), kiné (4000) et ostéopathes exclusifs (1774)). On arrive à plus de 2,3 millions de nourrissons vus par les praticiens, soit plus de 4 fois le nombre de nourrissons présents sur le sol français à la même période (source INSEE).

 

2ème minute : qu’est ce que l’ostéopathie ?

« C’est une médecine douce, ça veut dire qu’elle prend dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique »

On retrouve ici la connotation très problématique de médecine « douce » (voir l’article Faire un atelier-débat – médecine « douce », « alternative »… sur ce sujet). En outre, l’utilisation de termes creux comme « dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique » est très imprécise, voire vague : c’est donc à l’auditeur d’y mettre du sens. C’est un exemple d’effet puits.

C’est une pétition de principe : cela sous-entend que les médecines « pas douces » ne prennent pas l’individu dans sa globalité.

« Elle renvoie à une thérapie manuelle qui consiste à manipuler les personnes de façon à retrouver ou à prévenir d’une dysharmonie ou d’un déséquilibre au niveau des fonctions et notamment des structures – tout ce qui concerne les muscles, l’articulation, le squelette. »

« Dysharmonie » et « déséquilibre » sont des mots paillasson qui créent un effet puits dans cette phrase.

Cette définition reprend étonnamment celle, officielle et réglementaire, de la kinésithérapie: « Consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu’elles sont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer. » Quelle est alors la spécificité de l’ostéopathie ? 

« [une séance] se déroule très bien, […] pour les enfants en tous cas c’est très léger »

On poursuit sur le mode « médecine douce ». Pourtant les pathologies nécessitent parfois de ne pas être « doux ». Le traitement d’infections comme la bronchiolite par exemple nécessite des techniques de kinésithérapie qui paraissent très choquantes pour un parent qui voit son enfant manipulé vigoureusement et forcé à tousser.

Interrogatoire sur les conditions de grossesse, de naissance et utilisation du dossier médical.

Je peux soupçonner ici un danger de corrélations erronées entre les conditions de grossesse et/ou de naissance et des troubles. C’est le genre de biais fallacieux très répandu dans tout un tas de thérapies douteuses qui trouvent toujours une raison aux troubles de l’enfant, que l’on valide subjectivement, faute de preuve. Imaginez un enfant dont la naissance a été compliquée. On sera alors tenté de faire le lien en permanence avec d’éventuels troubles qui surviendraient durant son enfance. C’est un véritable risque de déterminisme.

Je suis d’accord. En outre pour être complet sur le sujet, les ostéopathes ne sont pas des professionnels de santé. Ils ne répondent donc pas aux mêmes obligations légales. Leur confier son dossier médical me semble questionnant.

« C’est un rééquilibrage, […] problèmes de sommeil, enfants qui pleurent, qui sont ronchons pour lesquels on ne voit pas vraiment la raison. »

« Rééquilibrage » : mot paillasson.
Attention à l’effet cigogne et la validation subjective, d’autant quand on connaît l’absence de validité objective de l’ostéopathie. Voir Les professionnels de santé et l’ostéopathie ou le site osteo-stop pour se faire une idée.

 « Rééquilibrer » quoi ?

« Geste réalisé de façon douce et précise »

Cela connote encore une opposition négative médecine « douce », médecine « conventionnelle » en bonne/mauvaise. En outre, les gestes ne seraient-il pas « précis » en dehors de l’ostéopathie ?

3eme minute

« Aujourd’hui on compte 4000 médecins parmi les ostéopathes, 10000 kinés ; la formation est supervisée par la faculté de médecine,  donc je pense qu’on peut lui attribuer tout le sérieux qui lui revient. »

Il arrive assez fréquemment à des figures illustres ou des institutions non moins illustres de légitimer des techniques se révélant très légères par la suite, voire pseudo-scientifique. C’est un argument d’autorité qui ne dit rien sur la validité de la pratique ; les figures d’autorité ne peuvent pas remplacer les preuves scientifiques.   C’est encore une pirouette argumentative similaire à l’homéopathie [1].

J’entends « homéopathe » à la place « ostéopathes » (?!) D’accord pour l’argument d’autorité qui n’apporte rien au débat, d’autant que ce qu’elle dit est faux. C’est bien là d’ailleurs tout le problème de l’ostéopathie : seules les formations destinées aux médecins sont proposées dans le cadre de facultés de médecine. L’essentiel des formations en France sont des écoles privées sans lien avec une structure universitaire. Pour être complet des dispositions réglementaires récentes ont établi une liste des établissements agréés à délivrer le diplôme, en se basant notamment sur la quantité des enseignements dispensés. L’Académie de médecine, elle, s’exprime sans ambiguïté au sujet de l’ostéopathie dans un rapport rendu en 2006 selon ces termes : « Peut-être vaudrait-il mieux enseigner la médecine en tenant un plus grand compte de sa composante « humaniste », essentielle mais insuffisamment donnée en exemple, plutôt que d’officialiser des pratiques qui cherchent à s’en éloigner en s’appuyant sur des a priori d’inspiration, en grande partie, purement philosophique. »[2].

« D’autres médecins se méfient de l’ostéopathie, sans l’estimer dangereuse, mais ils doutent de ses effets […] Il n’y a rien de mieux que la pratique pour le vérifier. »

C’est une forme d’épouvantail : travestir d’abord la position des détracteurs de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire cet épouvantail en prétendant ensuite avoir réfuté la position rivale.
« d’autres médecins » connote une position minoritaire ;
« se méfient de l’ostéopathie« . « Méfier » ne connote pas la même chose que « invoquent l’absence d’évaluation scientifique » ;
« sans l’estimer dangereuse« . C’est une connotation qui sous-entend que même s’ils invoquent l’absence d’effet, ces médecins considèrent que l’ostéopathie n’est pas dangereuse ;
« mais ils doutent de ses effets« . Encore une fois : « douter » ne connote pas la même chose que « invoquent l’absence d’évaluation scientifique » ; attention a ne pas inverser la charge de la preuve, qui incombe à celui qui prétend quelque-chose.

Le témoignage ne vaut pas une preuve. Je pense qu’on a ici une généralisation abusive.

« Les études n’ont pas été vérifiées sur le plan purement scientifique,  néanmoins elle connaît un engouement au plan mondial […] les visites se multiplient ce qui veut quand-même dire, je pense, qu’il y a un effet. »

Préparé en amont, l’argumentum ad populum ou principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque-chose ou agissent d’une certaine manière, mieux vaut se conformer à cela en vertu de l’idée « qu’autant de gens ne peuvent tous se tromper ». Voir Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum.

« Pour certaines pathologies, notamment chez l’adulte, notamment les lombalgies, on n’est pas loin de penser que c’est la meilleure technique pour les solutionner. »

Qui est ce « on » qui pense ? N’inversons pas ici la charge de la preuve : jusqu’à présent aucune revue de littérature scientifique ne semble démontrer que les manipulations seraient plus efficaces qu’autre chose (pour approfondir, voir « Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain ». Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, de Boer MR, van Tulder MW. Cochrane Database Syst Rev. 2011 Feb 16;(2):CD008112. Review. )

« Dans certaines maternités on propose déjà une séance d’ostéopathie, ça fait partie des actes courants, pour les personnes, les équipes qui en sont convaincues […] ce qui est certain c’est que ça fonctionne bien, même si évidemment cela génère des craintes du côté des adultes »

Dans certaines maternités : argument d’autorité, comme cité plus haut (médecins, kinés, faculté de médecine). L’argument d’autorité est d’ailleurs ensuite banalisé par « ça fait partie des actes courants ».
« Pour les personnes, les équipes qui en sont convaincues » : il n’est pas nécessaire être convaincu pour qu’un traitement fonctionne ou cela oriente la question sur un effet placebo.
 
Je vois ici un moyen de déplacer le débat pour éviter d’aborder le fait que l’ostéopathie n’a pas de critères précis qui justifient son utilité. On tente de donner l’impression que « même eux le font donc ça ne craint rien ». On note au passage une autre connotation condescendante : « mais on comprend vos craintes, c’est votre enfant, c’est normal ».
 

[1] Sophismes et rhétorique – TP Analyse de documentaire sur l’homéopathie
[2] Rapport « Ostéopathie et Chiropraxie » de l’Académie de médecine de 2006.