alt

Entraînez-vous ! Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute

La dernière campagne publicitaire de l’éducation nationale est l’occasion d’aiguiser son esprit critique et de mettre en application les principes d’autodéfense intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?

 
 

En juin 2011, le ministère de l’éducation nationale a lancé une campagne « destinée à tous les étudiants qui réfléchissent à leur avenir professionnel et, prioritairement, aux étudiants de M1. L’objectif est clair, il s’agit d’attirer les meilleurs talents au service de la plus noble des missions : assurer la réussite de chaque élève. »[1]

 

alt Laura

a trouvé le poste de ses rêves.

C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. Et l’avenir, pour elle, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’elle a décidé de devenir enseignante.

 
 

L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
alt Julien

a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions.

C’est la concrétisation de son projet professionnel. Et ce projet, pour lui, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’il a décidé de devenir enseignant.

 
 

L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
Cette campagne de trois semaines a été déployée avec une stratégie de diffusion très large.
  • Presse écrite (Le Monde, Le Figaro, Le Journal  du Dimanche, Libération, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Direct Matin,  Métro, 20minutes, Le Point, L’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur,  Challenges, Courrier international, Marianne, L’Equipe magazine, VSD,  Paris Match).
  • Spots radio (Skyrock, NRJ, Virgin radio, Fun radio,  France Info, France Inter, RTL, RMC, Europe 1…).
  • Bannières  publicitaires sur des sites Internet à forte audiences (Deezer, YouTube,  SkyBoard, L’Etudiant.fr, Studyrama, Monster).
  • L’ouverture d’un site dédié : leducationrecrute.fr.
« La création met en scène des personnes à un moment fort de leur vie, celui de leur engagement dans un projet de carrière autour des valeurs de réussite et d’épanouissement personnel et professionnel. Des valeurs qui peuvent paraître dans un premier temps individualistes, mais qui prennent un tout autre sens lors de la révélation de l’annonceur : l’éducation nationale. » [2] 

Pour débuter l’analyse, j’ai choisi de décortiquer l’article selon trois axes. 
 
1/ Les effets rhétoriques

Notamment l’affirmation « L’éducation nationale recrute 17 000 personnes en 2011 ».

Cet annonce de recrutement est surprenante car en contradiction avec ce qui semble circuler dans les médias sur la situation de l’éducation nationale où l’on parle plutôt d’un plan d’austérité (fermeture de classe, suppréssion d’emploi, etc.) Cette information mérite donc d’être analysée

 

Pourquoi ce décalage a priori avec l’actualité ?

 

Que represente ces 17 000 postes ?

Cette information n’est-elle pas orientée ?

 

 2/ La fabrication de l’image

Comment les illustrations sont-elles fabriquées ?

Que veulent susciter ces deux  images ?

A quels archétypes font-elles appel ?

3/ Le vocabulaire utilisé dans les images

 Que connote-t-il et quels problèmes cela peut-il  poser ?

 
Tentez une analyse de votre cru, et comparez-là avec la mienne.

N’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger notre décorticage.

 
 

Nicolas Gaillard  
CorteX_Prison_MTP2011_image

Maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone – Atelier Esprit critique et médias

Depuis la rentrée de septembre 2011, deux fois par an, Guillemette Reviron anime un cycle de dix ateliers Esprit critique et médias à la maison d’arrêt de Villeneuves-lès-Maguelones, en partenariat avec le SPIP Hérault et l’association Pédagogie et prison.


CorteX_Prison_MTP2011_image

Comme chaque année depuis trois ans maintenant, l’atelier Esprit critique et médias reprendra le 25 septembre à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, après deux mois d’interruption estivale des activités scolaires.

En septembre 2011, à l’occasion de l’ouverture de cet atelier, je décrivais sur cette page les doutes qui nous traversaient :

« Si nous ne cessons de nous interroger sur les bienfaits d’intervenir en milieu carcéral, si nous nous demandons en permanence si, ce faisant, nous ne légitimons pas un système judiciaire injuste et fondé sur la répression des classes sociales les plus faibles (*), nous savons aussi que nous touchons là un public qui a particulièrement peu accès à nos outils. Alors, pleine de contradictions, je passerai une à une les sept grilles qui nous séparent du centre scolaire, ma mallette pleine d’outils et d’effets zététiques, en sachant bien que, si l’esprit critique ne fait pas tomber les murs, il permet tout de même d’ouvrir des fenêtres ».

Ces questionnements ne nous ont pas quittés et un paramètre nouveau s’est invité, complexifiant encore l’équation : la demande explicite des participants de reconduire cet atelier.

Cet atelier est le deuxième du genre animé par le CorteX, le premier avait été lancé par Richard Monvoisin à la maison d’arrêt de Varces en janvier 2011. Nous y  discutons des médias, de la mise en scène de l’information, de la soi-disant objectivité médiatique, de l’utilisation des chiffres et des statistiques, des ressorts publicitaires, etc., le but étant de fournir à chacun les outils nécessaires pour se faire, autant que cela est possible, un avis en connaissance de cause.

Horaires :

le mercredi de 8h45 à 11h, à partir du 28 septembre – 10 séances.

Il va sans dire qu’il n’est, hélas, pas ouvert au public…

Guillemette Reviron


 
(*) Nous avons développé nos réflexions et interrogations sur ce sujet dans l’article Esprit critique en acier pour gens en taule ? Tentatives d’ateliers critiques en prison du Monde libertaire du 24 février 2011.
 

alt

Décortiqué – « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? », France Info, janvier 2011

altSi vous arrivez à cette page, c’est que vous avez écouté la chronique de France Info « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? »
Non ? Alors vous pouvez retourner ici.
Oui ? Alors ci-dessous, analyse de l’extrait point par point.

Voici un début d’analyse proposé par des membres du réseau CorteX.

  • En vert, décorticage de Nicolas Gaillard.
  • En bleu, décorticage de Nicolas Pinsault.

Vous aussi avez des idées, des suggestions, un complément ?

Vous pointez d’autres biais ? écrivez-nous.

Chronique France Info –  « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? » – Janvier 2011.

 

1er minute

« Trouver une alternative au tout médicament, c’est probablement une des raisons qui pousse de nombreux parents à aller consulter un ostéopathe avec leur nourrisson »

C’est une pétition de principe : la prémisse de la démonstration contient déjà l’acceptation de la conclusion. On sous-entend ici que les pratiques médicales conventionnelles traitent les pathologies uniquement par médicament : c’est une réduction caricaturale des méthodes du milieu médical pour le discréditer.
« Trouver une alternative au tout médicament » est un faux dilemme bien dissimulé. On offre uniquement deux alternatives – médecine conventionnelle ou ostéopathie – en omettant toute autre alternative pourtant possible. La présentation du dilemme est en outre habilement déséquilibrée puisque les pratiques conventionnelles sont connotées négativement par les termes « tout médicament ». Impossible alors de ne pas être d’accord avec le choix de l’ostéopathie.

J’ajouterais que le terme « probablement » est ici particulièrement mal choisi puisqu’il ne s’agit que d’un a priori sans fondement.

Le chroniqueur présente Carole Renucci, rédactrice en chef d’Enfant magazine et fait référence à l’article du mensuel de janvier 2011 « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ?»

Cette présentation de l’article est encore une pétition de principe qui m’oblige à accepter la prémisse que l’ostéopathie peut faire du bien tout court, ce qui est très discutable. « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ?  » sous-entend « l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé et nous allons vous expliquer comment… »

Enfant magazine janvier 2011En couverture du fameux mensuel Enfant magazine de janvier 2011 : « L’ostéopathie, ça marche aussi pour les petits »

Idem, le « ça marche aussi » implique que ça marche tout court.

L’affirmation « ça marche » n’est pas très claire. Que faut-t-il comprendre ? « C’est efficace », « ça me soulage », « c’est prouvé », « j’y crois » ou encore « il y a un effet significatif » ? Cette ambiguïté permet surtout de contourner la question de fond : y’a-t-il un effet thérapeutique spécifique ? 

« Est-ce qu’on peut parler d’engouement pour cette médecine douce aujourd’hui ? »

Le terme « médecine » douce permet de faire rentrer d’emblée l’ostéopathie dans le champ des médecines : c’est une dénomination inexacte.
Le terme médecine « douce » sous-entend également une opposition à une médecine dure que serait la médecine conventionnelle. Si ces pratiques sont « alternatives », elles sont « alternatives » à quoi ? C’est une connotation très problématique qui fait l’objet d’un atelier Faire un atelier-débat – médecine « douce », « alternative »….

« En 2005 un chiffre émanant de l’Académie d’ostéopathie donnait 200.000 visites pour les tout petits, pour les nourrissons, ce qui effectivement est massif et pose beaucoup de questions. Ce chiffre est sans doute lié à l’intensification des propositions, c’est à dire qu’il y a une légalisation du titre et de la profession au cours de la décennie dernière qui a permis effectivement à cette offre de s’amplifier. »

Indiquer que de nombreuses personnes consultent, que cela s’amplifie et que l’exercice de l’ostéopathie est légalisé, ancre l’acceptation d’une certaine légitimité qui peut m’amener à conclure ensuite « donc c’est efficace ». D’ailleurs l’argument est définitivement posé plus loin. Cependant, la preuve sociale, l’effet Panurge (beaucoup de gens consultent) ou légale ne sont pas des arguments de validité de la pratique. Voir le même argumentaire pour l’homéopathie [1]. 

Le mode de calcul utilisé ici pour ces affirmations pose questions. Pour cela il suffit de se procurer le rapport de la commission pédiatrie de mai 2006 disponible sur le site  de l’Académie d’ostéopathie de France. On constate alors que l’on est loin des standards de l’épidémiologie. L’enquête se fait par questionnaire auprès d’ostéopathes exclusifs (n’exerçant ni la médecine, ni la kinésithérapie) tirés au sort dans un registre contenant 1774 noms. L’échantillon retenu au final est de 97 praticiens déclarant avoir vu, en moyenne, 148,8 nourrissons au cours des 12 derniers mois. En multipliant ce nombre par la population de praticiens de départ dans le registre ils arrivent à la conclusion que 217 000 nourrissons ont consulté et que cela représente 470 000 consultations (et non 200 000 comme évoqué, pourquoi un tel écart ?). Alors poussons le raisonnement jusqu’au bout pour souligner son aspect bancal : en multipliant le nombre moyen d’enfants vus par le nombre d’ostéopathes estimé (médecins (10000), kiné (4000) et ostéopathes exclusifs (1774)). On arrive à plus de 2,3 millions de nourrissons vus par les praticiens, soit plus de 4 fois le nombre de nourrissons présents sur le sol français à la même période (source INSEE).

 

2ème minute : qu’est ce que l’ostéopathie ?

« C’est une médecine douce, ça veut dire qu’elle prend dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique »

On retrouve ici la connotation très problématique de médecine « douce » (voir l’article Faire un atelier-débat – médecine « douce », « alternative »… sur ce sujet). En outre, l’utilisation de termes creux comme « dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique » est très imprécise, voire vague : c’est donc à l’auditeur d’y mettre du sens. C’est un exemple d’effet puits.

C’est une pétition de principe : cela sous-entend que les médecines « pas douces » ne prennent pas l’individu dans sa globalité.

« Elle renvoie à une thérapie manuelle qui consiste à manipuler les personnes de façon à retrouver ou à prévenir d’une dysharmonie ou d’un déséquilibre au niveau des fonctions et notamment des structures – tout ce qui concerne les muscles, l’articulation, le squelette. »

« Dysharmonie » et « déséquilibre » sont des mots paillasson qui créent un effet puits dans cette phrase.

Cette définition reprend étonnamment celle, officielle et réglementaire, de la kinésithérapie: « Consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l’altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu’elles sont altérées, de les rétablir ou d’y suppléer. » Quelle est alors la spécificité de l’ostéopathie ? 

« [une séance] se déroule très bien, […] pour les enfants en tous cas c’est très léger »

On poursuit sur le mode « médecine douce ». Pourtant les pathologies nécessitent parfois de ne pas être « doux ». Le traitement d’infections comme la bronchiolite par exemple nécessite des techniques de kinésithérapie qui paraissent très choquantes pour un parent qui voit son enfant manipulé vigoureusement et forcé à tousser.

Interrogatoire sur les conditions de grossesse, de naissance et utilisation du dossier médical.

Je peux soupçonner ici un danger de corrélations erronées entre les conditions de grossesse et/ou de naissance et des troubles. C’est le genre de biais fallacieux très répandu dans tout un tas de thérapies douteuses qui trouvent toujours une raison aux troubles de l’enfant, que l’on valide subjectivement, faute de preuve. Imaginez un enfant dont la naissance a été compliquée. On sera alors tenté de faire le lien en permanence avec d’éventuels troubles qui surviendraient durant son enfance. C’est un véritable risque de déterminisme.

Je suis d’accord. En outre pour être complet sur le sujet, les ostéopathes ne sont pas des professionnels de santé. Ils ne répondent donc pas aux mêmes obligations légales. Leur confier son dossier médical me semble questionnant.

« C’est un rééquilibrage, […] problèmes de sommeil, enfants qui pleurent, qui sont ronchons pour lesquels on ne voit pas vraiment la raison. »

« Rééquilibrage » : mot paillasson.
Attention à l’effet cigogne et la validation subjective, d’autant quand on connaît l’absence de validité objective de l’ostéopathie. Voir Les professionnels de santé et l’ostéopathie ou le site osteo-stop pour se faire une idée.

 « Rééquilibrer » quoi ?

« Geste réalisé de façon douce et précise »

Cela connote encore une opposition négative médecine « douce », médecine « conventionnelle » en bonne/mauvaise. En outre, les gestes ne seraient-il pas « précis » en dehors de l’ostéopathie ?

3eme minute

« Aujourd’hui on compte 4000 médecins parmi les ostéopathes, 10000 kinés ; la formation est supervisée par la faculté de médecine,  donc je pense qu’on peut lui attribuer tout le sérieux qui lui revient. »

Il arrive assez fréquemment à des figures illustres ou des institutions non moins illustres de légitimer des techniques se révélant très légères par la suite, voire pseudo-scientifique. C’est un argument d’autorité qui ne dit rien sur la validité de la pratique ; les figures d’autorité ne peuvent pas remplacer les preuves scientifiques.   C’est encore une pirouette argumentative similaire à l’homéopathie [1].

J’entends « homéopathe » à la place « ostéopathes » (?!) D’accord pour l’argument d’autorité qui n’apporte rien au débat, d’autant que ce qu’elle dit est faux. C’est bien là d’ailleurs tout le problème de l’ostéopathie : seules les formations destinées aux médecins sont proposées dans le cadre de facultés de médecine. L’essentiel des formations en France sont des écoles privées sans lien avec une structure universitaire. Pour être complet des dispositions réglementaires récentes ont établi une liste des établissements agréés à délivrer le diplôme, en se basant notamment sur la quantité des enseignements dispensés. L’Académie de médecine, elle, s’exprime sans ambiguïté au sujet de l’ostéopathie dans un rapport rendu en 2006 selon ces termes : « Peut-être vaudrait-il mieux enseigner la médecine en tenant un plus grand compte de sa composante « humaniste », essentielle mais insuffisamment donnée en exemple, plutôt que d’officialiser des pratiques qui cherchent à s’en éloigner en s’appuyant sur des a priori d’inspiration, en grande partie, purement philosophique. »[2].

« D’autres médecins se méfient de l’ostéopathie, sans l’estimer dangereuse, mais ils doutent de ses effets […] Il n’y a rien de mieux que la pratique pour le vérifier. »

C’est une forme d’épouvantail : travestir d’abord la position des détracteurs de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire cet épouvantail en prétendant ensuite avoir réfuté la position rivale.
« d’autres médecins » connote une position minoritaire ;
« se méfient de l’ostéopathie« . « Méfier » ne connote pas la même chose que « invoquent l’absence d’évaluation scientifique » ;
« sans l’estimer dangereuse« . C’est une connotation qui sous-entend que même s’ils invoquent l’absence d’effet, ces médecins considèrent que l’ostéopathie n’est pas dangereuse ;
« mais ils doutent de ses effets« . Encore une fois : « douter » ne connote pas la même chose que « invoquent l’absence d’évaluation scientifique » ; attention a ne pas inverser la charge de la preuve, qui incombe à celui qui prétend quelque-chose.

Le témoignage ne vaut pas une preuve. Je pense qu’on a ici une généralisation abusive.

« Les études n’ont pas été vérifiées sur le plan purement scientifique,  néanmoins elle connaît un engouement au plan mondial […] les visites se multiplient ce qui veut quand-même dire, je pense, qu’il y a un effet. »

Préparé en amont, l’argumentum ad populum ou principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque-chose ou agissent d’une certaine manière, mieux vaut se conformer à cela en vertu de l’idée « qu’autant de gens ne peuvent tous se tromper ». Voir Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum.

« Pour certaines pathologies, notamment chez l’adulte, notamment les lombalgies, on n’est pas loin de penser que c’est la meilleure technique pour les solutionner. »

Qui est ce « on » qui pense ? N’inversons pas ici la charge de la preuve : jusqu’à présent aucune revue de littérature scientifique ne semble démontrer que les manipulations seraient plus efficaces qu’autre chose (pour approfondir, voir « Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain ». Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, de Boer MR, van Tulder MW. Cochrane Database Syst Rev. 2011 Feb 16;(2):CD008112. Review. )

« Dans certaines maternités on propose déjà une séance d’ostéopathie, ça fait partie des actes courants, pour les personnes, les équipes qui en sont convaincues […] ce qui est certain c’est que ça fonctionne bien, même si évidemment cela génère des craintes du côté des adultes »

Dans certaines maternités : argument d’autorité, comme cité plus haut (médecins, kinés, faculté de médecine). L’argument d’autorité est d’ailleurs ensuite banalisé par « ça fait partie des actes courants ».
« Pour les personnes, les équipes qui en sont convaincues » : il n’est pas nécessaire être convaincu pour qu’un traitement fonctionne ou cela oriente la question sur un effet placebo.
 
Je vois ici un moyen de déplacer le débat pour éviter d’aborder le fait que l’ostéopathie n’a pas de critères précis qui justifient son utilité. On tente de donner l’impression que « même eux le font donc ça ne craint rien ». On note au passage une autre connotation condescendante : « mais on comprend vos craintes, c’est votre enfant, c’est normal ».
 

[1] Sophismes et rhétorique – TP Analyse de documentaire sur l’homéopathie
[2] Rapport « Ostéopathie et Chiropraxie » de l’Académie de médecine de 2006.
 

Denis Caroti, l'Aristote de la méthode scientifique

La science (0) – Base d’entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

On en rêvait, on l’a fait. Voici quelques-unes des questions les plus fréquemment posées dans les débats sur la science., et la manière que nous avons d’y répondre.

Le but n’est pas de vous faire travailler une rhétorique, mais bel et bien d’expliquer simplement ce qu’est la science, ce qu’elle n’est pas, pourquoi elle s’est imposée dans certains domaines et pourquoi son recours est parfois salutaire.

Nous vous conseillons :

1) de lire d’abord la question, et de tenter d’y répondre seul-e.

2) Puis de regarder ensuite la réponse-type que nous avons concoctée.

3) Enfin, de nous écrire pour rajouter une question, pour nous demander un éclaircissement ou un complément, ou pointer un désaccord.

Nous ne prétendons pas avoir des réponses entièrement suffisantes, bien sûr, et il est possible que nous nous trompions. Nous sommes donc à votre disposition pour toute critique, suggestions, encouragements ou nouvelle question à laquelle nous confronter.

Non, je veux voir les questions et les réponses d’emblée : je clique ici

Oui, je veux jouer le jeu, et ne voir les réponses qu’ensuite : je clique là

DC & RM

Sophisme – La pente savonneuse

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur. Aujourd’hui, la pente savonneuse.

La pente savonneuse

« Développement abusif des conséquences, appelé aussi pente glissante, porte ouverte… »

Méthode : développer les conséquences négatives d’un argument de façon excessive. Le but est de réfuter cet argument en démontrant que si on l’accepte, alors on accepte également ses possibles conséquences négatives. Les conséquences risquées sont ainsi envisagées et présentées comme dramatiques, catastrophiques, écœurantes, immorales, etc. C’est une scénarisation focalisée sur des conséquences inadmissibles, de la sorte on ne peut pas y souscrire.

Exemples : 

  • Si l’humain descend du singe où va-t-on ? C’en est fini de la morale !
  • Si les distributeurs de préservatifs sont autorisés au lycée, on cautionne alors les rapports sexuels des jeunes. C’est l’incitation à la débauche, l’avènement de la bestialité !
  • Les thérapies cognitives, c’est la porte ouverte au Prozac et à la Ritaline pour les enfants.
  • Si les aides sociales sont étendues, cela va inciter les gens à ne plus rien faire et l’économie sera fragilisée. Les inégalités seront alors de plus en plus marquées. C’est risquer l’effondrement de notre système économique.
  • Mettre en doute le fonctionnement démocratique d’une société est la porte ouverte à l’anarchie et au chaos le plus total.
  • Régulariser les sans-papiers ouvrira inévitablement un appel d’air qui renforcera l’immigration irrégulière vers notre pays.

 Quelques exemples glanés de ci de là :

  • Le pasteur uruguayen Jorge Márquez, dirigeant la Iglesia Misión Vida, dénonce fermement en février 2017 le lobby gay et la « ideología de género » (l’idéologie de genre), car elle autorise ou légitime les relations sexuelles avec les mineurs et avec les animaux.

Ces propos font l’objet d’une campagne de l’association internationale de la Libre Pensée et de l’Asociación Uruguaya de LibrePensadores.

  • Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, 28 janvier 2017 (retranscrite par le Canard enchaîné, 1er février 2017)

« Nous nous retrouverons donc embarqués dans la grande course folle des enfants commandés sur Internet, des chimères cochons-humains et des potentielles attaques massives de virus injectés dans nos ADN. Sans parler des hommes mis enceints par leurs femmes transgenres. Bienvenue en marche chez Emmanuel Macron ! ».

  • Nicolas Sarkozy, en février 2016, sur l' »affaire du paquet neutre »CorteX_Nicolas_Sarkozy (trouvaille de Franck Villard, de Chambéry)
  • Tareq Oubrou, imam de la Mosquée Al Houda à Bordeaux.CorteX_Tareq_Oubrou

Voici ces propos rapportés par Elisabeth Schemla :

« Dites-moi un peu maintenant avec quels arguments sérieux nous nous opposerons à la polygamie par exemple ? Nous avons mis le doigt dans un drôle d’engrenage ».

E. Schemla, Islam, l’épreuve française, Plon (2013).

  • Le Cardinal Philippe Babarin, archevêque de Lyon, en septembre 2012.CorteX_cardinal-barbarin

Le journaliste : « Pour vous la goutte d’eau ce serait l’adoption par des couples homosexuels ?« 

Réponse du Cardinal :

« Ce n’est pas la goutte d’eau…La question c’est qu’est-ce que c’est un mariage, le mariage c’est mot qui veut dire rempart pour permettre au lieu le plus fragile de la société c’est-à-dire une femme qui donne la vie à un enfant que toutes les conditions soient établies pour que ça se passe dans les meilleures possibilités. Après ça a des quantité de conséquences mais qui sont innombrables parce qu’après ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre, après un jour peut-être je sais pas quoi l’interdiction de l’inceste tombera. »

En vidéo :

ou voir ici.

  • Jacques-Alain Bénisti, député UMP, pendant un débat politique sur la CorteX_Jacques_Alain_Benistichaine LCP le 23 juin 2011 (trouvaille de Christophe Michel, alias Chrismich, de Chambéry, youtuber d‘Hygiène mentale)

« Si on commence a vouloir dépénaliser le cannabis, bientôt on légalisera le mariage homosexuel. A quand la dépénalisation du viol, voire la légalisation du viol ? »

En audio

 
  • Julien-SanchezJulien Sanchez, porte-parole du Front national, le 9 janvier 2018 sur France Info, à propos de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires à double-sens. Trouvaille de Cyril Champion, professeur de sciences économiques et sociales. Lien vers France Info.

« Pourquoi pas aussi demain mettre à 10 km/h toutes les routes et puis à ce moment-là on ira tous à pied au travail, donc voilà, on fera 40 km à pied si on habite à 40 km de son lieu de travail. »

L’audio :

Télécharger.

 
N’hésitez pas à nous envoyer vos perles !
 

Grenoble 23 juin 2011 – exposé Economie zététisée n°1 – Les bienfaits de la croissance, un effet cigogne ?

Economie zététisée n°1 – Les bienfaits de la croissance, un effet cigogne ?

Depuis trop longtemps la culture économique populaire est aux mains des médias, relais d’une propagande permettant de justifier de nombreuses politiques anti-sociales. Simplifications à outrance, raisonnements fallacieux, manipulations des chiffres, les moyens ne leurs manquent pas pour tromper les gens. Identifier facilement ces manipulations et savoir y répondre demande un peu d’entrainement mais est à la portée de tou-te-s. Des outils ont été créés pour ça dans les forges de l’auto-défense intellectuelle. Nous vous proposons de vous les approprier par des soirées thématiques de déconstruction des argumentaires les plus fréquents.

Economie zététisée n°1 Les bienfaits de la croissance, un effet cigogne ?
Plus de croissance = plus de création de richesse = plus d’emploi. Usée jusqu’à la corde, des plus grandes institutions internationales aux médias locaux en passant par les manuels d’économie, cette relation simpliste sert d’argument pour justifier de nombreuses politiques économiques en défaveur des salariés. Car pour obtenir une croissance positive, rien ne vaut le développement des échanges, l’accroissement de la compétitivité et la marchandisation de nouveaux biens et services. Maitriser ce sujet pour mieux répondre à cet argumentaire, c’est l’objectif de cette première séance, animée par Simon.
JPEG - 53.7 ko

Prix Libre

Antigone est un café-bibliothèque-librairie autogéré par des bénévoles et fonctionnant sans subvention. La bibliothèque compte plus de 4000 titres pour enfants et adultes avec un important fonds sur la pensée libertaire. La librairie défend l’édition indépendante et la presse alternative. Antigone est aussi un lieu d’accueil et de ressources pour les groupes, réseaux, collectifs, associations d’ici et d’ailleurs. On y organise des évènements politiques et des temps plus festifs. Agiter les esprits et les individu-es autour de pratiques politiques et artistiques ; être un lieu de contacts, de débats et d’ouverture sur la diversité du monde et des luttes qui l’agitent, voilà quelques uns de nos desseins.

Antigone, café-bibliothèque, vous accueille le mercredi de 16h à 21h, le jeudi de 18h30 à 21h30, le vendredi de 18h30 à 21h30,
22 rue des violettes, 38100 Grenoble
Tram ligne C, arrêt Vallier-Catane
06-86-32-26-58 / 04-76-99-93-23
antigone at ouvaton.org
www.bibliothequeantigone.org

CorteX_guillaume_lecointre

Ouvrages d'épistémologie simple, recommandés par Guillaume Lecointre

 CorteX_guillaume_lecointreGuillaume Lecointre, quels ouvrages simples recommandes-tu pour les enseignants qui aimeraient se former à l’épistémologie des sciences ? Et quelles sont les ouvrages qui t’ont personnellement le plus marqué ?
(Extraits de l’interview CorteX du 12 mai 2011 )

 


[dailymotion id=xjaooh]altalt
Voici les ouvrages cités.

  • Alan Chalmers, Qu’est-ce que la science ? La Découverte, coll. « Sciences et société », Paris (1987)
  • Alan Chalmers, La fabrication de la science, La Découverte, coll. « Sciences et société », Paris (1991).

  • Dominique Vinck, Sociologie des sciences, Armand Colin, Coll. U (1997)

alt

  • Corinne Fortin, Guillaume Lecointre, Marie-Laure Le Louarn Bonnet, Gérard Guillot, Le Guide critique del’évolution, Belin, 2009.

alt


Note : durant l’entrevue, Guillaume Lecointre citera également deux autres livres : celui de Jacques (et non Jean) Roger,  Les Sciences de la vie dans la pensée française au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel (1993), ainsi que Coïncidences. Nos représentations du hasard, de Gérald Bronner, Vuibert (1997), que nous avions déjà présenté ici.
R.Monvoisin & N.Gaillard
CorteX_Roger_Sciences_vie
coincidences_bronner

Dérives sectaires – Lectures conseillées par Didier Pachoud

Dans ces deux dernières parties, Didier Pachoud nous fait partager certains des ouvrages critiques qui ont retenu son attention. On retiendra notamment le Dictionnaire philosophique de Voltaire…
Bonnes lectures !

Pour consulter l’intégratilé de l’interview de Didier, c’est ici.

 


 
Conseils de lecture :
[dailymotion id=xj94mg]
 
Le dictionnaire philosophique (ou la Raison par l’alphabet) de Voltaire :
[dailymotion id=xj88e3]

CorteX_Capital_Marx_Manga1

Economie – le Capital de Marx et Engels en Manga

Jolie découverte que cette adaptation du Capital de Marx & Engels en… Manga ! Deux tomes, sortis début 2011.

On doit ce beau travail de vulgarisation à l’éditeur japonais East Press, qui a adapté l’œuvre maîtresse de Marx à la fin 2008 pour la vulgariser, en l’illustrant avec l’histoire de Robin, vendeur de fromages sur un marché, qui rencontre un investisseur et entre avec lui dans l’engrenage de l’industrie capitalistique. Plus-value, capital, monnaie et crise sont expliqués de manière simple et claire.
CorteX_Capital_Marx_extrait

Le Capital, Karl Marx, Soleil Manga, 6,95 euros le tome.

À commander bien sûr chez votre petit libraire préféré, plutôt qu’aux grandes centrales d’achat.

Et pour une autre introduction « douce » à la critique de la théorie économique capitaliste, voir « La parabole du réservoir d’eau« , d’Edward Bellamy.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_homme_en_colere

Décortiqué – Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Au fur et à mesure de mes discussions avec les personnes détenues à la maison d’arrêt où j’interviens, j’ai réalisé que certaines d’entre elles avaient complètement intégré le discours médiatique sur la délinquance. Puisque cela les concernait de plein fouet, je me suis penchée sur la question pour m’en servir de levier lors de séances d’initiation à l’esprit critique et depuis, je guette ce qui se dit sur le sujet. Alors, lorsque la Cour des Comptes a publié le 7 juillet 2011 un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique, j’ai tendu l’oreille et ce jusqu’à ce que Richard Monvoisin m’envoie cet article (LEFIGARO.fr), le 8 juillet, article tellement fourni en sophismes et autres effets qu’il était tout à fait adapté à notre proposition estivale de cahier de vacances. Si vous ne l’avez pas encore lu et/ou si vous souhaitez d’abord vous essayer à son décortiquage, vous pouvez retourner ici. Sinon, je vous livre mon analyse de certains passages.

Cet article est une véritable mine de sophismes et d’effets en tout genre. J’ai tenté de le décortiquer ligne à ligne, paragraphe par paragraphe, mais j’ai rapidement renoncé à tout analyser : cela devenait vraiment trop long ! J’ai finalement choisi de ne me consacrer qu’à certains passages : le titre, le premier paragraphe et le dernier. Le principe est simple : sur fond bleu, les extraits de l’article et en dessous, mes commentaires.

I. Un titre polémique

 Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent
 Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_homme_en_colereJe vous disais en préambule que l’article était particulièrement fourni en effets. Rien que dans les titre et sous-titre, j’en ai repéré quatre :

  • une technique du carpaccio version « polémique »
    La platitude d’un titre tel que Effectifs, polices municipales ne susciterait chez le lecteur que peu d’intérêt ; en ajoutant des questions qui fâchent, le journaliste rend attractif le contenu de son article en suscitant l’envie d’aller voir ce qui se trame et de se fâcher à son tour.
  •  un effet peau de chagrin (à créer)
    L’expression qui fâchent laisse entendre que les points abordés fâcheront tout le monde. Je m’attends donc à ce que l’article pointe des motifs sérieux, voire universels, d’indignation et de colère : les dysfonctionnements que le journaliste révèle doivent être de taille. Mais j’apprends dès la lecture du sous-titre que ces questions fâchent… Claude Guéant : c’est nettement moins sensationnel tout d’un coup.
  • un effet paillasson
    Evoquer des questions qui fâchent, c’est suggérer que la commission de la Cour des Comptes ne fait que soulever des interrogations alors que le rapport est le résultat d’une enquête dont l’objectif était de dresser un bilan de la situation. A la lecture de l’article, on comprend que ce sont les conclusions et la méthodologie utilisée qui déplaisent fortement au ministre.
  • un effet chiffon rouge (à créer)
    Contrairement à ce que suggère le début du titre, il ne s’agit pas ici de discuter des possibles dysfonctionnements des polices municipales, mais de nous informer que Claude Guéant voit rouge : le vrai débat, celui de savoir si oui ou non il y a des problèmes d’effectifs dans les polices municipales, c’est-à-dire le débat qui nous concerne, est mis sur la touche pour laisser libre court à l’expression de la colère d’un ministre.

II. La délinquance : un poncif du discours sécuritaire 

La baisse de la délinquance résulterait de « l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols »
Avant de lister les effets, vous avez remarqué le conditionnel ? Il est systématiquement utilisé dans les en-têtes de chacun des paragraphes présentant une conclusion du rapport mais il disparaît mystérieusement lorsque la parole est au ministre. Est-ce à dire que les propos de C. Guéant sont plus fiables que le rapport ?   

Allez, c’est parti pour le décortiquage ! Dans cette phrase, j’ai trouvé :

  • un double-effet paillasson
    Nous avons ici un très bel exemple d’effet paillasson sur le mot délinquance, voire de double-effet paillasson, malheureusement très courant, plutôt subtil, avec des conséquences importantes sur notre compréhension du phénomène.
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_Hortefeux_baisse_de_la_delinquance_JT_TF1_20_01_2011Le premier provient de la multitude d’acceptions du mot : vol, arnaques, violence physique, meurtre, délits financiers, harcèlement, outrages à agents, viols, vente ou détention de stupéfiants, etc. Autant de catégories, 107 exactement (*), qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui sont toutes comptabilisées dans l’agrégat «  délinquance « , qui ne représente de ce fait plus grand-chose.

J’ai découvert le deuxième effet paillasson en ouvrant un rapport sur les chiffres de la « délinquance » produit par le ministère de l’Intérieur : en fait de délinquance, il n’y était question que de délinquance constatée. La suppression quasi-systématique de ce petit mot est pourtant loin d’être anodine : imaginons que l’on ferme tous les commissariats, qu’on envoie tous les agents de police en vacances et qu’il ne soit plus possible de porter plainte ; il est fort probable qu’alors, la délinquance constatée sera proche de zéro. En concluerons-nous pour autant qu’il n’y a plus de vols ou de crimes ? Le problème, c’est que les chiffres de la délinquance constatée en disent au moins aussi long sur la manière dont on oriente le télescope que sur la planète qu’on observe : ils reflètent aussi, de manière intrinsèque, l’activité policière et ses priorités. Que conclure alors d’une baisse de ces chiffres ? Si vous souhaitez approfondir cette question, vous pouvez lire le TP Analyse de chiffres sur la délinquance.

  • un (faux ?) effet cigogne
    La baisse de la délinquance et l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs contre les vols sont deux événements qui ont lieu en même temps : ils sont corrélés. Pourtant, comme le fait remarquer Claude Guéant par la suite, cela n’implique pas nécessairement qu’il existe une relation causale entre ces deux faits. Avant de me faire un avis, je suis allée voir ce que disait le rapport sur ce sujet  :

p. 29 – Toutefois, selon la plupart des analystes et la direction générale de la police nationale elle-même, [le recul spectaculaire de ces deux seules grandes catégories d’infractions, les vols liés à l’automobile et les destructions et dégradations de biens privés] a été dû principalement à l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs techniques de protection contre les vols et les effractions, et au renforcement des dispositifs de protection des espaces publics et privés (parkings, gares, etc.).

Malheureusement, aucune référence précise n’est donnée (si un lecteur ou une lectrice les a, qu’il ou elle n’hésite pas à nous contacter). Alors, effet cigogne ou non ? Il faudrait en savoir davantage sur lesdites études.

  

« Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… », rétorque Claude Guéant.

Claude Guéant a raison : la charge de la preuve incombe à celui qui prétend c’est-à-dire, ici, à la Cour des Comptes.
 

« Contrairement aux allégations des rapporteurs », le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par « les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes ».

J’ai bien l’impression qu’on assiste ici à un joli tour de passe-passe : Claude Guéant transforme en direct un effet cigogne en… un autre effet cigogne. On pourrait lui retourner sa remarque : « raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… »

Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_perplexeLà, j’avoue que j’ai dû relire ce passage plusieurs fois : on nous parle de baisse de la délinquance depuis le début et, tout d’un coup, on cite des chiffres qui augmentent. Le journalise s’est-il tiré une balle dans le pied ? Et bien non, la relecture du passage m’a fait réaliser qu’on ne parlait plus d’infractions tout-court mais d’infractions révélées par l’activité des services, les IRAS. Effectivement, une hausse de ce chiffre va bien dans le sens d’une certaine augmentation de l’efficacité des services d’enquêtes ; notons tout de même, en anticipant un peu sur la suite, qu’il faudrait néanmoins préciser ce qu’on entend par efficacité. Comme je n’avais jamais entendu parler des IRAS je suis allée lire dans le rapport ce qu’il en était dit :

p. 28 – Enfin, le suivi séparé, plus qualitatif et diversifié, des IRAS (Infractions Révélées par l’Activité des Services), composées essentiellement des infractions à la législation sur les stupéfiants et à la législation sur les étrangers, constitue aussi un progrès.

  • un effet paillasson
    Ce petit passage permet de relever un autre effet paillasson. L’avez-vous vu ?
    Au début du paragraphe : délinquance = vol.
    Dans la réponse de Guéant : délinquance = IRAS
    ≈ infractions sur les stupéfiants + infractions sur la législation des étrangers.
    Mais de quoi parle-t-on au juste ?
  • un effet paillasson + un non sequitur
    Partons du raisonnement tenu par le journaliste – ou peut-être par C. Guéant, ce n’est pas très clair – et résumons-le ainsi :

les IRAS augmentent = efficacité policière => les vols diminuent.

Cette chaîne induit alors la suivante :

les IRAS augmentent => les vols diminuent.

En français, cela se traduirait par : « les services de police révèlent plus d’infractions donc le nombre de vols diminue », ce qui est pour le moins troublant. Comment en est-on arrivé là ? CorteX_Rapport_Cour_comptes_idee_lumineuseEn glissant subrepticement d’un sens du mot efficacité à un autre :

– sens 1 : efficacité signifie  » les services révèlent des infractions « 
– sens 2 : efficacité signifie  » les services préviennent des infractions « 

Avec ces précisions, on reconstruit deux chaînes, distinctes mais justes. D’une part, on a

les IRAS augmentent = preuve de l’efficacité policière au sens 1

et d’autre part,

l’efficacité policière au sens 2 => les vols diminuent

Afin d’obtenir l’affirmation « les IRAS augmentent => les vols diminuent », il faudrait raccrocher ces deux maillons, mais voilà bien le problème, c’est impossible sans recourir à l’effet paillasson. Et le raisonnement tel qu’il est présenté n’explique en rien la baisse des chiffres de la délinquance.

III. Souriez, vous serez de plus en plus filmés !

L’efficacité de la vidéo mise en doute
  • un mot valise (à créer)
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_videosurveillance_imageDe quelle efficacité s’agit-il ? Comme nous venons de le voir, ce mot est équivoque : dans le paragraphe précédent, il revêtait deux sens différents, ici il en recouvre toute une floppée : efficacité pour identifier les auteurs de vol de voiture, efficacité pour identifier les auteurs de violence conjugales, efficacité pour prévenir les braquages ou les attentats, efficacité pour protéger la population, efficacité pour enregistrer les faits et gestes de tout un chacun, efficacité pour éloigner la prostitution des centres-villes, efficacité pour analyser les flux de circulation, etc. ? Quelle efficacité a été mise en doute ? Et par qui ? Nous n’en saurons pas plus ici. Pourtant la question de l’évaluation des ces dispositfs me semble primordiale.

 

Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection,
  • un appel à la peur
    Le rapprochement tendancieux des attentats de Londres d’une part, et du développement de la vidéoprotection en France d’autre part, constitue un appel à la peur qui facilite l’acceptation du lecteur : difficile de refuser la vidéoprotection si elle est liée, d’une manière ou d’une autre, à la lutte contre les attentats.
    Ce rapprochement est d’autant plus étonnant que le développement de la vidéosurveillance en France dans les espaces publics a débuté avant le mois de juillet 2005, comme en atteste par exemple les sources suivantes :- une enquête réalisée en Mars 2004 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme intitulée Évaluation de l’impact de la vidéosurveillance sur la sécurisation des transports en commun en région Ile-de-France :

Les élus régionaux, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) et les transporteurs ont développé conjointement des programmes de sécurisation axés sur la vidéosurveillance qui a des objectifs croisés de prévention, de dissuasion et de répression.
Sur les deux derniers programmes de sécurisation des réseaux de transport, l’Etat et la région ont consacré 25 millions d’euros à l’installation d’équipements de videosurveillance dans les autobus, stations de metro RER et gare SNCF. Ce qui porte à 15  % du budget total. Le dispositif de videosurveillance représente 73 % du budget consacré à la sécurité.

– le site de la ville de Lyon :
 

Soucieuse d’aller au delà des garanties prévues par le législateur afin de concilier la sécurité des citoyens avec le respect des libertés publiques et privées, la Ville de Lyon a créé un organisme original à cet effet : le Collège d’éthique de la vidéosurveillance.
Crée par délibération du Conseil Municipal le 14 avril 2003, le Collège est une commission extra-municipale dont la présidence déléguée est confiée à Monsieur Daniel Chabanol, ancien Président de la Cour Administrative d’Appel de Lyon
. 

une allocution de Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, le 24 Mars 2005 sur le plan-pilote  » 25 quartiers  » (partie 2.B.)

J’ai demandé aux préfets d’élaborer, en coordination avec les maires, des plans de mises en sécurité des lieux les plus exposés. J’ai recommandé deux types de mesures : l’amélioration de la surveillance humaine par la police municipale, et le recours plus systématique à la vidéosurveillance.
[…]
Je vais demander aux préfets un état des lieux de la prévention dans les transports, afin de la renforcer là où c’est nécessaire par les moyens les plus modernes : localisation des bus par GPS, caméras de vidéosurveillance embarquées dans les bus, les trains et les gares.

  • une généralisation hâtive

    La France mise sur la vidéoprotection ? Belle généralisation hâtive qui consiste à transformer une décision prise par quelques hommes et femmes politiques en une décision prise par l’ensemble de la population française à l’unanimité.
  • un effet impact (à créer)
    Si le choix des mots est toujours important, il est dans ce contexte primordial : souvenons-nous qu’il y a encore peu de temps, on utilisait le mot vidéosurveillance, mot très connoté négativement qui pouvait susciter la méfiance et soulever de nombreuses questions : pour surveiller qui ? Pourquoi ? N’est-on pas en train de s’attaquer aux libertés individuelles ? etc.

    Tandis qu’il est bien plus difficile de remettre en cause la vidéoprotection : pourquoi refuser de protéger ?
    La vidéosurveillance peut être source d’inquiétude, la vidéoprotection est rassurante ; pourtant, ces deux mots désignent exactement la même chose.

  • un non sequitur + une pétition de principe
    Si l’implication   » il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France  » n’est pas explicitement formulée – on doit bien cette précision au journaliste -, la forme de la phrase pourrait la suggérer. Et comme nous sommes là pour nous entraîner, je vous propose de l’analyser quand même.

    L’unique lien logique que je vois entre ces deux assertions est le suivant : si un attentat s’est produit à Londres, cela pourrait arriver en France, il faut donc se protéger en installant des caméras. Ce raisonnement nécessite d’avoir préalablement admis que les caméras protègent des attentats, et donc qu’elles sont « efficaces ». Démarrer une preuve de l’efficacité des caméras en supposant qu’elles sont efficaces, voilà une pétition de principe.
    Par ailleurs, citer l’attentat de Londres est particulièrement mal choisi, puisque loin de confirmer la thèse de l’efficacité de la vidéo, il l’infirme : un attentat a eu lieu à Londres malgré le fait qu’elle était déjà très équipée en caméras ; en effet, depuis les années 90 et l’attentat de Bishopgate revendiqué par l’IRA, il a été décidé de miser sur la vidéo à Londres. Dans un rapport du Centre of Criminology and Criminal Justice réalisé dans le cadre d’un programme de recherche européen intitulé « Urbaneye », il est dit dès 2002 que le réseau des transports londoniens est équipé de milliers de caméras ; l’implication « il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France » n’est donc pas logique : nous avons affaire ici à un non sequitur (**).

Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012
  • un plurium affirmatum (ou effet gigogne) (à créer)
    L’affirmation de Claude Guéant, lorsqu’il cite le rapport de l’Inspection générale de l’administration, CorteX_Rapport_Cour_comptes_Videosurveillance_image_Rapport_efficacite_07_2009en contient une autre : il admet sans le dire que la vidéo permet de réduire les risques encourus par les citoyens. Sauf que… la méthodologie ayant permis d’établir le rapport est très critiquable et que la preuve de cette efficacité ne semble pas faite aujourd’hui. Au niveau international, peu d’études ont été réalisées et celles qui existent ne sont pas toujours fiables, ni concluantes ; en France, l’évaluation est quasiment inexistante. C’est ce que souligne le rapport de la Cour des Comptes :

    p.145 – Diverses études ont été réalisées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, selon une démarche d’évaluation reposant sur l’analyse globale des tendances dégagées par une pluralité d’enquêtes  [ref citée : “What Criminologists and Others Studying Cameras Have Found”, Noam Biale, Advocacy Coordinator, ACLU Technology and Liberty Program, 2008 ]… Si ces études ont, dans l’ensemble, conclu à l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance, certaines ont toutefois fait apparaître que les résultats sont plus encourageants dans des espaces clos (parkings) avec un nombre limité d’accès. D’autres ont montré que la vidéosurveillance peut être efficace pour repérer les délits violents (atteintes à la personne) mais inopérante pour prévenir la commission de ces déli. Aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée. Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l’apport de la vidéosurveillance dans les politiques de sécurité publique

Sur quels éléments tangibles s’appuie alors le ministre pour affirmer qu’il faut plus de caméras ? Sur la base de quels éléments  devrions-nous adhérer à sa thèse ?

Qu’en conclure ?

Je suis assez perplexe devant autant d’imprécisions, d’approximations, d’erreurs, de parti pris sur un sujet complexe qui mériterait pourtant une analyse de qualité. Ce texte ne nous apprend rien, on n’y comprend pas grand-chose, il donne une tribune immense à des idées reçues voire fausses et il contribue à rendre le sujet rébarbatif. A l’instar de mes collègues de CorteX, je crois qu’il serait grand temps de mener une réflexion collective sur les mécanismes structurels des médias qui conduisent à produire de l’information de mauvaise qualité, voire de la désinformation, et qui font oublier le but premier du journalisme : transmettre des informations aussi fiables que possibles sur le monde afin que chacun puisse faire ses choix en connaissance de cause.
Guillemette Reviron

(*) Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, Bulletin pour l’année 2009, janvier 2010, cité par le Rapport de la Cour des Comptes pp. 27
(**) Notons que si Londres avait été une ville vierge de vidéos, le raisonnement ne tenait pas plus ; en effet, il s’énoncerait de la manière suivante : « il faut des caméras en France parce qu’à Londres il n’y en avait pas et il y a eu un attentat ». On y aurait trouvé
– un effet cigogne : « attentat » et « pas de vidéo » sont corrélés
– un biais de confirmation : il ne suffit pas de vérifier une thèse sur un exemple pour la prouver, la thèse étant « s’il n’y a pas de caméras, il y a des attentats ».