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Philosophie critique – Jacques Bouveresse et son dernier ouvrage

Il est rare que des scientifiques parlent bien de philosophie, mais encore plus que des philosophes parlent bien de science. Jacques Bouveresse est de ceux-là. J’avais croisé le chemin de ses écrits étant tout jeune étudiant, juste après l’affaire Sokal et l’ouvrage majeur de J. Bricmont & A. Sokal, « Impostures intellectuelles« , (cf. Bibliotex). Il tranchait dans le décor : il fut un des rares philosophes à se positionner du côté des deux auteurs. J’avais alors fouillé un peu ses bouquins, et avait lu avec déléctation un ouvrage intitulé « Prodiges et vertiges de l’analogie« , certes un peu technique mais terriblement abrasif pour tous les faux penseurs qui font semblant de réfléchir en incrustant des équations saugrenues dans leurs théories sociales ou politiques, et qu’on ne saurait trop recommander aux mathématiciens, mais aussi à tous ceux qui voient passer des arguments basés sur le théorème de Gödel.
De la pure auto-défense intellectuelle en boîte, jusque dans ses prises de positions publiques. A titre d’anecdote, le 14 juillet 2010, la ministre Valérie Pécresse a tenté de lui épingler une légion d’honneur à son insu.
Voici la teneur de sa réponse, publiée par l’éditeur Agone*.

 

Lettre de Jacques Bouveresse à Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur En réaction à l’attribution d’une Légion d’honneur qu’il n’a jamais demandée, Jacques Bouveresse nous [Agone] a transmis la lettre (en date du 17 juillet 2010) par laquelle il a refusé cet « honneur ».

Madame la ministre,

Je viens d’apprendre avec étonnement par la rumeur publique et par la presse une nouvelle que m’a confirmée la lecture du Journal officiel du 14 juillet, à savoir que je figurais dans la liste des promus de la Légion d’honneur, sous la rubrique de votre ministère, avec le grade de chevalier.

Or non seulement je n’ai jamais sollicité de quelque façon que ce soit une distinction de cette sorte, mais j’ai au contraire fait savoir clairement, la première fois que la question s’est posée, il y a bien des années [Il s’agissait alors d’une proposition émanant du ministre socialiste Jack Lang. [ndlr], et à nouveau peu de temps après avoir été élu au Collège de France, en 1995, que je ne souhaitais en aucun cas recevoir de distinctions de ce genre. Si j’avais été informé de vos intentions, j’aurais pu aisément vous préciser que je n’ai pas changé d’attitude sur ce point et que je souhaite plus que jamais que ma volonté soit respectée.

Il ne peut, dans ces conditions, être question en aucun cas pour moi d’accepter la distinction qui m’est proposée et – vous me pardonnerez, je l’espère, de vous le dire avec franchise – certainement encore moins d’un gouvernement comme celui auquel vous appartenez, dont tout me sépare radicalement et dont la politique adoptée à l’égard de l’Éducation nationale et de la question des services publics en général me semble particulièrement inacceptable.

J’ose espérer, par conséquent, que vous voudrez bien considérer cette lettre comme l’expression de mon refus ferme et définitif d’accepter l’honneur supposé qui m’est fait en l’occurrence et prendre les mesures nécessaires pour qu’il en soit tenu compte.

En vous remerciant d’avance, je vous prie, Madame la ministre, d’agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux. Jacques Bouveresse

Le 17 février 2011 est sorti son dernier livre, « Que peut-on faire de la religion ?« , suivi de deux fragments inedits de Ludwig Wittgenstein presentés par Ilse Somavilla.

Jacques Bouveresse poursuit la réflexion sur les relations entre raison et croyance religieuse qu’il a engagée dans « Peut-on ne pas croire ? Sur la verite, la croyance et la foi » (Agone, 2007). Il se confronte ici aux idees de deux penseurs majeurs du XXe siecle, Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein, pour qui le rejet de toute religion instituée et des diverses formes d’irrationalisme n’est pas incompatible avec une comprehension de l’experience religieuse. « Dans le domaine des emotions, declarait Bertrand Russell, je ne nie pas la valeur des experiences qui ont donné naissance à la religion. Mais pour parvenir à la verité je ne peux admettre aucune autre methode que celle de la science. » Aux yeux de Wittgenstein, au contraire, l’ideal religieux etait la lumiere la plus pure par laquelle nous puissions aspirer à etre eclairés, et les Hommes qui vivent dans la culture de la rationalité conquerante et du progrès indéfini ont besoin d’apprendre que ceux-ci colorent les objets de leur monde d’une couleur déterminée, qui ne constitue qu’un assombrissement.

Collection Banc d’essais, 192 pages, 19 euros
http://atheles.org/agone/bancdessais/quepeutonfairedelareligion/

Jacques Bouveresse aux editions Agone:
http://atheles.org/trouver?main=recherche&ref_editeur=1&cherche=bouveresse&go=Chercher

On pourra également lire

et voir l’excellent DVD contenant deux documentaires : Le besoin de croyance et le besoin de vérité et Les intellectuels et les médias avec en supplément Pierre Bourdieu et le regard méchant de la science.

Février 2011 Le CorteX dans les Actualités de l'Université de Grenoble

L’Université Joseph Fourier de Grenoble annonce la naissance du CorteX dans ses actualités.

http://www.ujf-grenoble.fr


Naissance du collectif CorteX

10 février 2011
Le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences (CorteX) vous invite à le rejoindre sur son nouveau site internet.

Collectif d’enseignement et de recherche sur la transmission de l’esprit critique dans les domaines scientifiques, le CorteX est né en 2010 à l’Université de Grenoble à l’initiative de cinq formateurs professionnels. Il a pour objectif de mettre à disposition les travaux de tous les acteurs (enseignants, chercheurs, étudiants) travaillant sur la pensée critique et ses multiples facettes, quelle que soit leur origine disciplinaire ou leur université. Depuis le mois de décembre dernier, le collectif vous propose de le retrouver sur son site Internet (lire la suite)

 

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23 février 2011 – cours démarche critique pour Master 1 kiné, Grenoble

CorteX_logochuLors de ce deuxième séminaire de recherche, Richard Monvoisin a été chargé de donner aux professionnels kinésithérapeutes venus de France et de Navare une méthodologie critique et zététique sur les pseudomédecines. Nous aborderons ici la question des protocoles expérimentaux, avec des exemples tirés du « magnétisme », de la kinésiologie, des techniques manuelles étranges et du fameux bracelet Powerbalance.
Pour les interactions CorteX – Ecole de kinésithérapie  du CHU de Grenoble, voir ici.
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23 février 2011 – cours N°2 démarche critique pour Master 1 kiné, Grenoble

Lors de ce second séminaire, Richard Monvoisin est chargé de donner aux professionnels kinésithérapeutes venus de France et de Navarre des éléments de méthodologie critique et zététique sur les pseudomédecines.

Après avoir abordé lors du premier cours les médecines « douces », et illustré les problèmes posés avec la théorie de l »homéopathie, sont abordés dans ce deuxième cours les techniques manuelles et certaines dérives qui ne manquent pas d’apparaître. Nous examinons quelques protocoles expérimentaux avec des exemples simples (magnétiseur, kinésiologie, PowerBalance).

Le troisième cours a été mené par Nicolas Gaillard, et plonge dans la réflexion sur les soins dits « psychologiques » ou « psychiques » liés aux techniques manuelles.

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Pour les interactions CorteX – Ecole de kinésithérapie  du CHU de Grenoble, voir ici.

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16 février 2011 Univ. Grenoble – Midi critique N°1 – Pourquoi choisir les médecines "douces" ?

La saison 4 de midis critiques démarre avec un sujet somme toute assez classique : pourquoi choisir les médecines « douces » ?

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Le principe : venir avec un paquet de documents vidéos ou sonores sous le bras, durant le temps de midi, à l’Espace Vie Etudiants (EVE), sur le campus de Grenoble, et stimuler le débat. Un cadre informel, donc, pour pousser la réflexion rationnelle tous ensemble sur des sujets de société. Richard Monvoisin animera le sujet avec force gesticulations.
Merci à EVE pour l’accueil !
Je mettrai en ligne ici la liste des documents que j’aurai utilisés. Ainsi, quiconque le souhaite pourra improviser son propre Midi (ou soir) critique chez lui, au travail, à la fac, dans les bois.
N’oublions pas : l’esprit critique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !
 

RM

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Mercredi 9 mars 2011, Univ. Grenoble – Midi critique N°2 – Psycho-pop : les psychologies de comptoir et leurs dérives

Midi critique n°2 en ce mercredi 9 mars 2011. Invités à venir discuter des « Psychologies de comptoir et de leurs dérives », Nicolas Gaillard et « dernière minute » Brigitte Axelrad étaient présents lors de ce second rendez-vous de l’année.
Et si vous voulez faire vous-même un Midi critique sur le sujet, lisez  Mode d’emploi – Atelier psycho-pop, psychologies de comptoir et leurs dérives

 


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Le principe : venir avec un paquet de documents vidéos ou sonores sous le bras, durant le temps de midi, à l’Espace Vie Etudiants (EVE), sur le campus de Grenoble, et stimuler le débat. Un cadre informel, donc, pour pousser la réflexion rationnelle tous ensemble sur des sujets de société. Richard Monvoisin animera le sujet avec force gesticulations.

Merci à EVE pour l’accueil !
 
N’oublions pas : l’esprit critique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !
 

RM

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Ateliers-débats Midis critiques – les 4 saisons

Depuis 2008, d’abord dans les locaux du Département des Licences Sciences et Techniques, puis dans les locaux de l’Espace Vie Etudiante, nous avons décidé de « pirater » du temps de cerveau disponible chez les étudiants, enseignants et tout bulbe rachidien passant à notre portée dans l’espace de temps 11h45 – 13h30, sandwich à la main.

Le principe :  avoir au préalable une bonne carte mentale des sujets abordés, et de leurs impasses, puis venir avec du matériel vidéo incrémentant progressivement les questions, tout en stimulant le débat entre spectateurs.

Ces midis critiques ont réuni entre 40 et 80 personnes à chaque fois, avec une large majorité d’étudiants venus de tous horizons, mais aussi des travailleurs venus faire la pause déjeuner. L’objectif secondaire était d’offrir le matériel pédagogique pour toute personne souhaitant « refaire » un débat du même type dans son groupe, dans son amphi, sur son lieu de travail.

Voici les thèmes abordés. Pour chacun, je tenterai de progressivement  détailler les supports que j’utilise.

Tout d’abord, pour 2011

2011 – Saison 4

MC N°1 : (merc. 16 février 2011) pourquoi choisir les médecines « douces » ?

MC N°2 : (merc. 9 mars 2011) psycho-pop, les psychologies de comptoir et leurs dérives. Avec deux invités, Nicolas Gaillard du CorteX, et Brigitte Axelrad, de l’Observatoire zététique.

MC N°3 : (merc. 23 mars 2011) Sexe & genre : comment se fabrique l’oppression féminine ? Avec Guillemette Reviron, du CorteX

MC N°4 : (merc. 13 avril 2011) La démocratie participative, une arnaque ? Avec Amélie Audibert, de Sciences Po – Grenoble

Télécharger l’affiche ici.

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Sont déjà passés :

2008 – saison 1

MC N°1 (30 janvier 2008) : diffusion de Death of a president (de Gabriel Range, 2006) puis débat sur la construction de l’information. CorteX_death-of-president

MC N°2 (6 février 2008) : arnaques à la science et à la spiritualité.

MC N°3 (13 février 2008) : petites et grandes manipulations de l’information.

MC N°4 (27 février 2008) : Pouvoir et terreur, sur Noam Chomsky.

MC N°5 (12 mars 2008) : derrière les mots, manipulations au coeur des discours politiques

MC N°6 (19 mars 2008) : que peut-on excuser au nom du progrès et du confort quotidien ? Cas du Coltan, du Congo, du sang et des téléphones portables

MC N°7 (26 mars 2008) : humain, animal, antispécisme, y-a-t-il des questions que nous n’osons pas nous poser ? CorteX_racisme_specisme_sexisme

MC N°8 (2 avril 2008) : peine de mort, talion, meurtre, vendetta, réflexions sur le permis de tuer

MC N°9 (30 avril 2008) : statistiques, mythes et débat social à travers quelques exemples.  Invité : Bernard Ycart (Université Joseph Fourier, Grenoble)

2009 – saison 2

MC N°1 (7 oct 2009)  : liberté d’expression : Chomsky, Faurrisson, Dieudonné, Le Pen, la Rumeur, etc.

MC N°2 (14 octobre 2009) Racisme ordinaire

MC N°3 (21 octobre 2009) Voile, hijab, niqab, burqa

MC N°4 (4 novembre 2009) Les médecines douces sont-elles des « alternatives » ?

MC N°5 (17 novembre 2009) (Dé)-fête de la science :
Quelle science fête-t-on ?(spécial Fête de la science)

MC N°6 (25 novembre 2009) : « Afrique 50« , René Vautier et les « bienfaits » colonisation alt

2010 – saison 3

MC N°1 (3 février 2010) Pourrions-nous tous être tortionnaires ?

MC N°2 (10 février 2010) Faux et usage de faux dans les médias

MC N°3 (03 mars 2010) Science, sexe & genre

MC N°4 (17 mars 2010) L’écotartufferie, entre écologie et opportunisme

altMCN°5 (24 mars 2010) « Les médicamenteurs« de Stéphane Horelalt

Invitée : Dr Marion Lamort-Bouché, du FORMINDEP (Pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients)

MC N°6 (31 mars 2010) : suis-je né pour travailler ?

MC N°7 (07 avril 2010) : spécisme, sexisme, racisme

MC N°8 (annulé) les méususages politiques de l’histoire. Invitée : Laurence de Cock, du Comité de Vigilance face aux usages publics de l’Histoire (CVUH)

 RM

CorteXnews – Inscription/Désinscription

Pour vous tenir au courant des dernières nouveautés en lien avec les activités du Collectif (ressources, actualités, réseau), vous pouvez à présent vous abonner à la newsletter du CorteX ! La CorteXnews paraîtra tous les premiers lundi du mois* et contiendra un rappel de notre agenda ainsi que les nouveautés (ou éventuelles modifications) en ligne sur notre site.

Si vous ne l’avez pas encore reçue, il vous suffit de vous inscrire ci-contre. De même pour vous désabonner.

*En cas de non réception de cette newsletter, n’hésitez pas à nous écrire. Nous tenterons alors de régler le problème le plus rapidement possible.

L’équipe du CorteX


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Reductio ad hitlerum, ou déshonneur par association

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur. Ici, nous expliquons le déshonneur par association.

 Reductio ad hitlerum

Homme nu, allongé sur une plage, ressemblant à Hitler (moustache, coupe de cheveux)

Méthode : disqualifier un adversaire en le comparant à un personnage honni du passé comme Hitler, Mussolini, Pol Pot…

Par extension, le déshonneur par association peut s’immiscer lorsqu’on opère une catégorisation fallacieuse des arguments présentés : iI s’agit de rattacher l’argumentaire à un concept, un courant, une doctrine qui est connue pour être en elle-même négative, réfutée, inadmissible, immorale.

Si le sophisme reductio ad hitlerum apparaît rarement sous la forme « vous avez le même argument qu’Hitler », il est plutôt présent aujourd’hui comme une tactique de déshonneur par association en faisant un rapprochement avec la politique de ces personnages. L’évocation subtile d’une période historique, fasciste ou nazie par exemple, discrédite l’interlocuteur et l’exclut de la discussion, évidemment sans développer une argumentation valide. On suppose alors que l’argument est identique à un concept et que ce dernier est largement réfuté.

Structures argumentatives :

  • Voyons, si tu adhères à la théorie de Darwin, alors tu cautionnes la « sélection » des espèces, donc le darwinisme social et l’eugénisme, ce qui rappelle certaines heures sombres…
  • Cette position est pour ainsi dire du bolchevisme / fascisme / nationalisme / totalitarisme, avec ce que l’on connaît de ses conséquences dramatiques…
  • Vous critiquez [xxx] exactement comme Jean-Marie Le Pen.

Exemples dans les médias

Couverture de l'Express où l'on voit Carla Bruni pensive

* Entrevue de Carla Bruni dans l’Express du 13 février 2008. Elle fait référence au site du Nouvel Observateur et déclare :

« si ce site avait existé pendant la guerre, qu’en aurait-il été des dénonciations de juifs ?»

* Jean-François Copé accuse Martin Hirsch de se livrer à un « exercice de délation » à propos de son dernier ouvrage consacré aux conflits d’intérêts dans le gouvernement. Dimanche Soir politique sur I-télé /France Inter, le 26 septembre 2010.

* Discours du 26 novembre 2009, Christian Estrosi, Ministre de l’Industrie et maire de Nice, estime qu’un débat sur l’identité nationale en Allemagne durant les années 30 aurait pu permettre d’éviter « l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne ». Difficile ensuite de refuser le débat sans être assimilé au régime nazi.

* Roschdy Zem, invité à s’exprimer sur la loi HADOPI sur le téléchargement, au 13h de France 2 le 26 avril 2009 : « Les seuls cas où la culture a été gratuite, c’est les cas où il y avait une politique de dictature, sous le IIIe Reich, sous la Roumanie de Ceausescu : la culture gratuite n’existe pas » :

* Philippe Val justifie les critiques reçues à France Inter sur la journée spéciale Psychanalyse du 9 novembre 2012, dans Service public, le 15 novembre 2012, en une illustration stupéfiante du déshonneur par association (couplée à d’autres techniques, comme celle de l’épouvantail).

Ecouter ici :

Télécharger là

* Le déshonneur par association peut se glisser parfois dans des endroits inattendus, comme dans cette interview de Périco Légasse, critique gastronomique de Marianne, dans l’émission Service Public sur France Inter, le 11 novembre 2010. « [la cuisine moléculaire] c’est le fascisme ! […] c’est une dictature de la pensée. »

* On trouvera profit à regarder la vidéo du CorteX « Science politique, science historique : loi Gayssot et lois mémorielles » où Jean Bricmont explique le non-sens du déshonneur par association sur le cas des lois mémorielles.

* Extrait de Luc Ferry dans Ferry L. Kahn A., Faut-il légaliser l’euthanasie ?  Odile Jacob, Nov. 2010 : « A cette étrange conviction, on peut en opposer une autre, directement contraire, celle selon laquelle il est inacceptable d’établir quelque équivalence que ce soit entre « dépendance » et « indignité » parce qu’il serait faible, malade, vieux et par là même dans une situation d’extrême dépendance est même une idée intolérable sur le plan éthique, à la limite des plus funestes doctrines des années 1930.« 

Citation reprise, quoique critiquée, par Brice Couturier dans l’émission du 24 janvier 2011 de Du Grain à moudre sur France Culture (avec une formulation par ailleurs tronquée)

* Encore un autre : « Alibi homo et porte-parole du mouvement anti-mariage gay, Xavier Bongibault s’est excusé platement dimanche soir, après avoir comparé François Hollande à « un homme que l’Allemagne avait bien connu à partir de 1933», avouant qu’il s’était « emporté ». Le 6 novembre, sur RTL, Bongibault avait déjà déclaré que l’idéologie du gouvernement était dans « la droite ligne d’un homme que l’Allemagne a bien connu à partir de 1933 ». Une déclaration qui n’avait alors fait réagir personne » (La manif fourre-tout était cousue d’or, Le canard enchaîné, 16 janvier 2013).

Variante « scientisme sans âme »

« Alors que la psychanalyse est de plus en plus attaquée par les tenants d’un scientisme sans âme, nombreux sont les praticiens qui continuent, avec intelligence et ténacité, à faire perdurer la clinique freudienne, autant dans des institutions publiques que dans leurs cabinets privés. (…) (Élisabeth Roudinesco, Le Monde 7 mars 2013 )»

Exemples historiques

Simone Veil, présentant son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse au Simone Veil à la tribune du Parlement, 1974Parlement en 1974, reçut un florilège d’arguments ad hitlerum,  en particulier lors des séances des 26-27-28 novembre. On mesure pleinement la dureté de ces attaques en sachant Madame Veil juive et rescapée d’Auschwitz.

  • «  Le temps n’est pas loin en France où nous connaîtrons ces « avortoirs » – ces abattoirs – où s’entassent des cadavres de petits d’hommes. » (Jean Foyer, UNR, RPR, 26 nov.)
  • « Cela ne s’appelle plus du désordre, madame la ministre. Cela ne s’appelle même plus de l’injustice. C’est de la barbarie, organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas ! il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne. » (Jacques Médecin, RPR, maire de Nice, 26 nov.)
  • « Quand on oublie que le droit à la vie est inviolable on peut, après l’introduction de l’avortement, préconiser des mesures contre les handicapés physiques ou mentaux, contre les ‘bouches inutiles’, contre les incurables, contre les poids morts de la société, et en arriver, chers collègues, au pire racisme nazi. » (René Feït, FNRI 26 nov.)  Ajoutons que René Féït avait fait entendre à la tribune de l’Assemblée un enregistrement des battements de cœur d’un fœtus.
  • « Allons-nous admettre le permis légal de tuer ? […] C’est reconnaître progressivement l’eugénisme, puis l’euthanasie. » (René Feït, 26 nov.)
  • « En vérité, personne au monde ne peut s’arroger le droit de supprimer la vie d’un innocent. Ce ne peut être l’État, à moins qu’il ne soit totalitaire comme l’était le III e Reich. […] Qui, désormais, aura le droit de donner les critères fixant l’étendue de ce droit ? L’État ? Alors qu’avons-nous à reprocher aux hommes de l’État national-socialiste sinon d’avoir été, dans ce domaine bien précis, des précurseurs ? » (Rémy Montagne, RDS, 27 nov.)
  • « On est allé – quelle audace incroyable ! – jusqu’à déclarer tout bonnement qu’un embryon humain était un agresseur. Eh bien ! ces agresseurs, vous accepterez, madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles. » (Jean-Marie Daillet, CD, 27 nov.)
  • « Vous instaurez un nouveau droit, un droit à l’euthanasie légale. » (Alexandre Bolo, UDR, 26 nov.)

CorteX_jerome_lejeuneL’émission Duel sur la Cinq d’octobre 1988 proposait un débat autour de la mise sur le marché de la pilule RU-486 dite « du lendemain ». Un des participants, Jérôme Lejeune, connu pour condamner la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, s’opposait à la commercialisation de cette pilule. Son argumentaire était loin d’être dénué de sophismes. Nous avons extrait ici un reductio ad hitlerum.

« Et je dis parce qu’il faut que les téléspectateurs le comprennent. Si ce produit est en vente, ou même qu’il soit payé ou pas ça n’a pas d’importance. S’il est employé et exploité industriellement ce sont des millions d’êtres humains qui seront détruits chaque année. Et je le dis posément parce que c’est vrai, il faut qu’on le sache, ce produit tuera plus d’êtres humains qu’Hitler, Mao Zedong et Staline réunis. »

Relevons aussi l’effet paillasson avec le terme « êtres humains » dans la phrase « S’il est employé et exploité industriellement ce sont des millions d’êtres humains qui seront détruits chaque année.». Il aurait été plus pertinent d’employer le terme « embryon », car la pilule du lendemain est destinée à interrompre une grossesse dans ses premières heures. Or, l’organisme en cours de développement lors d’une grossesse est appelé embryon jusqu’à huit semaines d’aménorrhées. En parlant d’êtres humains, J. Lejeune aggrave la situation, transformant la contraception en un quasi-holocauste.

Variante « argumentum ad Barthelemyum »

  • « Il nous est demandé de participer à une sorte de Saint-Barthélemy où des enfants en puissance de naître seraient quotidiennement sacrifiés. » (Hector Rolland, RPR, 26 nov.) Étrangement, ces positions ultra-conservatrices n’ont pas empêché un stade de Moulins, dans l’Allier, de porter son nom.

RPR = Rassemblement pour la République ; FNRI = Fédération nationale des républicains et indépendants ; RDS = Réformateurs démocrates sociaux ; UNR = Union pour la nouvelle République ; CD =  Centre Démocrate ; UDR = Union des démocrates pour la cinquième République

Merci à Renaud Dély, Henri Vernet, Tous les coups sont permis – de Mitterrand à Sarkozy, la violence en politique, Calmann-Lévy (2011) (recension ici), et surtout au site L’insulte (en) politique, animé par Thomas Bouchet et Stéphane Gacon, Université de Bourgogne. Notons que Thomas Bouchet est l’auteur du livre Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours, Stock ( 2010) que j’ai seulement feuilleté, suite à l’émission Concordance des temps, sur France Culture (2012) de Jean-Noël Jeanneney, dont T. Bouchet était l’invité.

Pour écouter cette émisson : l’injure en politique : de tout temps ?

N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

NG, RM