Généralités critiques – pastilles sceptiques de Pierre Cloutier

Voici en guise d’outillage quelques pastilles sceptiques réalisées par Pierre Cloutier, porte-parole de l’association Sceptiques du Québec, pour la radio Passion FM.

Ces quelques documents, assez brefs, furent diffusées du 18 avril au 20 juin 2008. Ils sont largement exploitables pour un débat ou un enseignement, car ils sont rigoureux. Leur seul défaut : un ton légèrement ironique de Pierre, un peu « rude », de ce genre de ton qui rend plus difficile les discussions à teneur critique : un ton entraînant immanquablement une « résolution de dissonance cognitive » à l’encontre du sceptique.

1. Scepticisme – introduction
2. Les effets de la Lune
3. Le Secret (pensée magique)
4. Le complot du 11 septembre (conspiration)
5. Le calendrier Maya (2012) (fin du monde)
6. Les OVNIs (extraterrestres)
7. Le créationnisme
8. L’astrologie
9. La télépathie Attention : dans cette pastille, Pierre Cloutier balaye un peu trop rapidement toute la parapsychologie d’un revers de main.
10. Les médecines douces
Merci aux Sceptiques du Québec.

RM

Terre plate

Science et religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Ceci est une sorte d’introduction pour bâtir un cours sur les intrusions spiritualistes en science, sujet assez épineux. Ceci est une manière que j’utilise dans les stages d’initiation à l’enseignement supérieur, avec des doctorants – d’un bon niveau, donc.

En science ou en zététique, on s’intéresse à la connaissance scientifique, pas à l’acte de foi, qui relève de l’intimité de chacun. Qu’un chercheur croit en un dieu ou pas, peu importe ! Tant que ce dieu n’entre pas dans des scénarios explicatifs, chacun balaye son chat à midi devant sa porte, chacun est libre de trouver l’inspiration même pour ses travaux dans les options métaphysiques, spirituelles ou artistiques qu’il choisit.

Demander à un chercheur s’il croit en un dieu est donc une question qui n’a pas de sens. Si on me la pose lors d’une soirée ou entre amis, je dois répondre en mon nom propre, subjectivement car donner une expertise sur dieu en tant que chercheur reviendrait à demander le sens de la vie à une géographe, le pourquoi du comment à un garagiste. Parler de dieu en tant que scientifique, est comme émettre un jugement sur la technique de Van Gogh en tant que fromager, ou donner son expertise sur le camembert quand on est peintre : on est dans l’escroquerie intellectuelle, en quelque sorte. C’est le genre d’escroquerie que les médias orchestrent avec entrain car on est assuré en glissant dieu de-ci de-là de faire une certaine audience. Par contre, au passage, on prend le risque de décérébrer tout le monde ; car si la frontière entre les « scénarios de foi » (créationnisme, fine-tuning, intelligent design, etc.) et les théories est cassée, il va être impossible d’endiguer les croyances diverses qui ne manqueront pas, sur la base argumentative de la « démocratisation des idées » (cf. sophisme) de se déverser dans le frêle esquif de la connaissance. Dernier exemple en date : la première conférence catholique annuelle sur le…. géocentrisme, annoncée pour le 6 novembre 2010 sous le titre « Galilée avait tort. L’Église avait raison ». À quand un colloque sur la Terre plate ?

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C’est pour cela que j’en veux à L’Express, à Ciel & Espace, à Le Point, à Sciences & Avenir, qui pour s’assurer de confortables ventes, n’hésitent pas à faire dans le racolage et sabotent les quelques rares concepts d’épistémologie que le public a difficilement construit comme rempart à l’imposture. Il y a une crétinisation des masses, avec des couvertures comme les suivantes – dont chacune peut servir de support d’enseignement, tant par le montage de l’image, que le titre en faux dilemme ou les scénarios concordistes ou en pseudo-combat.

 Le cas Bogdanov

Autre porte d’entrée vers un ramollissement intellectuel : celui de présenter les frères Bogdanoff comme des experts scientifiques, à l’image de la mise en scène du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010).

Eux qui ont menti sur leurs titres pendant des années, qui ont « scénarisé » leur intelligence, leur QI, leur origine russe, eux qui ont poussé hors de la scène médiatique tous les autres intervenants de physique deviennent désormais les instituteurs de la France, à grand coups de Téra-électrons-volt et surtout de réconciliation de dieu et du big bang. Mais le danger est surtout là : en utilisant des arguments de fine-tuning que ne renieraient pas les groupes comme la Fondation Templeton ou l’Université Interdisciplinaire de Paris, l’association de Jean Staune1, ils réintroduisent la religion dans la connaissance, là où la pensée s’escrime à la virer depuis environ quatre siècles. Pas étonnant que l’ancien ministre de l’éducation, le chrétien et sotériologique Luc Ferry acclame le dernier livre des deux frères. (Dieu, la science et le big bang).

Le cas Hawking

On frise même le mauvais goût au plus haut niveau avec le dernier cas en date, le cas Hawking. Grand savant que ce Stephen Hawking, c’est évident, même s’il semble au moins aussi connu pour ses théories que pour son handicap. Que ce soit de son fait ou non, vous remarquerez qu’il est toujours présenté comme titulaire de la chaire de Newton, comme si c’était le fait d’être assis sur le trône qui vous conférait du génie. Il est représenté comme l’esprit désincarné, la pure intelligence, c’est à lui qu’on pense pour écrire l’équation universelle, la théorie du tout, et il s’en faut de peu qu’on ne lui demande pas à lui qui sait tout, de retrouver nos clés perdues.

Là où un personnage m’agace le plus, c’est quand (de son fait ou non) on construit sa légende en direct : ainsi, dans le cas de Stephen Hawking, alors que son choix de bosser sur la physique fondamentale est venu très tôt, on raconte désormais dans les chaumières que sa vocation lui est venue de son handicap, comme un défi de l’esprit transcendant le corps, etc.

Voir sur ce point le TP Fabrication du héros & syndrome Professeur Simon.

Il présente dès lors lui-même sa quête d’une équation ultime, ou d’une théorie du tout, comme un défi à Dieu – Hawking défendant des idées déistes jusqu’alors. Et si le Pape lui demandait en 2006 de ne plus travailler sur l’origine de l’univers, Dieu lui semblait l’encourager en feignant d’écrire ses initiales dans le ciel (cf. les images du satellite Cobe, dans l’article de Fabrice Neyret, POZ N°56 février 2010).

Seulement, cette fois, Hawking n’est vraiment pas gentil avec Dieu. Pourquoi ? Parce que dans son dernier livre The grand design , il a écrit une phrase qui fâche : « Dieu n’a pas créé l’univers. », titrent Le Times, puis Le Monde du 3 septembre) . L’Express renchérit : « pour Stephen Hawking, Dieu n’a finalement pas créé l’univers ». Sacrée nouvelle.

D’un, l’avis d’un scientifique sur Dieu est anecdotique.

De deux, il y a mélange scénario – théorie. Le sous-titre du livre « Nouvelles réponses sur les questions ultimes de la vie » ne fait qu’alimenter le brouet.

De trois, il s’agit d’une phrase unique, pratiquement à l’avant-dernière (page p 180) du livre.

De quatre, il s’agit d’une phrase mal traduite. La phrase réelle est :

« Il n’est pas nécessaire d’invoquer Dieu (…). L’Univers peut et s’est créé lui-même à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, la raison pour laquelle l’Univers existe et nous existons. »

En gros, pas grand chose de plus que Laplace répondant à Bonaparte il y a deux siècles2.

De cinq, et c’est peut être le plus atroce, il semble que l’état de santé de Hawking ne lui permette plus réellement d’écrire, depuis quelque temps. On espère que le livre n’a pas été confectionné, à l’instar de l’affaire Rom Houben, par les méthodes désolantes de la Communication Facilitée (cf. POZ N°58).

Qu’en tirer ? Tout d’abord je rejoins l’analyse de Sylvestre Huet dans Libération (Hawking versus Dieu, 16 septembre 2010) : on est en plein dérapage intellectuel, et pour reprendre les termes d’Étienne Klein, on frise « le degré 0 de l’épistémologie ».

 Je fais une hypothèse : sachant que Dieu est une sauce qui s’accommode avec tout, et que Hawking, quoi qu’il écrive, est une poule aux œufs d’or, est-il plausible ou probable que la maison d’édition ait instrumentalisé le personnage et créé artificiellement du scoop ? Fabriquer de la fausse connaissance à des fins marketing, ça devrait porter un nom, et j’hésite entre publicisation mensongère et délit intellectuel.

Nous sommes dans la construction hagiographique des figures de la science. Ortoli & Witomski3 les appellent des « baignoires d’Archimède » ces mythes et légendes qui émaillent nos livres d’histoire, depuis le Eurêka jusqu’au nombre d’or. Éloge de l’intuition subite, du génie qui saisit d’un coup comme tombe la pomme, cette réécriture de la science trompe le lecteur en gommant la construction lente et pénible des connaissances. Que Newton aime, une fois vieux, narrer l’histoire de la pomme semble n’être qu’une coquetterie, mais elle nous fait croire que primo, pour faire avancer les connaissances il faut être génial, et secundo que ça vient d’un coup, comme le serpent de Kékulé qui lui insuffla la forme cyclique du benzène.

On déhistoricise la science, on la dépolitise, on l’appauvrit, de la même façon que les deux ex machina déhistoricisent l’histoire des peuples (à ce propos voir ici).

Et quand par dessus cela, se greffent des tentatives d’incrustations spiritualistes ou religieuses en science, nous frisons effectivement le degré zéro de l’épistémologie.

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Vulgarisation & rhétorique – Atelier Fabrication du génie héroïque, syndrome du Professeur Simon

Cet atelier est tiré de la fiche pédagogique N°12, pp. 384-386 de la thèse « Pour une didactique de l’esprit critique », Monvoisin, 2007

La fabrication du héros est un procédé « carpaccique »1 souvent à l’œuvre dans les pseudosciences, et paradoxalement très fréquent dans la vulgarisation des sciences. Prenons un scientifique du nom de Duschmoll. Quelles que soient la vie ou la carrière de l’individu Duschmoll, il existe plusieurs manières d’en faire un héros.

1. S’il est ancien, il suffit de faire de Duschmoll un précurseur, en fabriquant de toutes pièces un lien entre ses travaux avec une découverte actuelle. Démocrite en est l’exemple, avec ses atomes, qui n’ont finalement pas grand-chose à voir avec les atomes actuels (un autre exemple est celui des dessinateurs de l’art islamique, ci-contreCorteX-Art-islamique-epistemo-S&V-mai2007p22). Cela permet ensuite d’expliquer en quoi celui, Y, qui aujourd’hui corrobore la thèse de Démocrite est lui aussi brillant, par apposition des deux noms. Et si jamais des erreurs furent commises par Duschmoll, elles sont excusées par l’époque, dans la grande magnanimité que nous avons envers les Anciens. 

2. S’il est contemporain (qu’il soit reconnu ou rejeté) faire de X un visionnaire.

Exemple : Pour la Science N°326, déc 2004, spécial Einstein.

« Il n’empêche, une fois par siècle environ, un scientifique visionnaire bouleverse notre savoir, un Galilée, un Newton, un Darwin. Einstein appartient à ce Panthéon des panthéons »

Sachant que Le Panthéon (παν, pãn, signifie « tout » et θεός, theos, « dieu ») est un temple que les Grecs et les Romains consacraient à certains de leurs dieux, on n’imagine pas ce qu’est le panthéon des panthéons2 . Nous sommes en pleine métaphore épique, mais aussi dans le culte du génie, équivalent d’un dieu, ce qui déhistoricise complètement le processus d’élaboration des connaissances.

C’est Schnabel qui le rappelle : «les scientifiques sont également décrits comme des figures héroïques, qui rapportent sur Terre la «formule de Dieu»3.

3. S’il est contemporain et reconnu, faire une projection sur « comment on le percevra plus tard ».

4. S’il est contemporain et rejeté, en faire un Galilée ou un génie incompris4

5. Autre technique : incarner le pur cerveau, à l’instar d’Hawking qui « incarne aux yeux du public, le pur sujet cérébral, coupé du monde extérieur, résolvant les énigmes de l’Univers »5.

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Une vision très romantique se greffe alors au handicap, qui est perçu comme la cause de son « génie » :

« À cause de sa condition physique, le savant, nous dit-on, n’est plus distrait par les occupations quotidiennes et mondaines que partage la commune humanité, c’est la raison pour laquelle il peut s’adonner pleinement à la pensée. Il devient un être purement cérébral communiquant avec le « grand tout » »6.

À se demander, comme le fit Michel Rio dans un de ses romans, si ce ne serait pas grâce et non malgré, son corps qu’Hawking est devenu célèbre ? S’ensuivent toutes les bêtises possibles et imaginables :

  • Le charabia : « La quête de Hawking d’un univers intelligible est aussi la quête de la raison contre les illusions, de diversité et de devenir, contre tout ce qui enracine le corps dans un monde opaque à l’intelligibilité mathématique », clame Stengers7.

  • L’intrusion spiritualiste8 : « Hawking est mieux placé que personne pour juger de la précarité de la condition humaine face à l’immensité cosmique. La force intellectuelle qui l’anime illustre puissamment qu’il y a dans la connaissance le signe d’une transcendance », écrit Luminet9.

  • Pire, l’intrusion spiritualiste et l’analogie fumeuse : « Le triomphe de Hawking sur son propre corps rétif est le modèle du triomphe de la physique qu’il annonce, celle d’une théorie unifiée complète qui nous dirait ce qu’est l’univers et nous mènerait enfin à connaître la pensée de Dieu », écrit encore Stengers10.

Son historiographie s’en ressent : impossible de parler de lui sans relater qu’il est né exactement 300 ans après la mort de Galilée, qu’il est titulaire de « la chaire de Newton », ce qui n’est pas tout à fait précis11.

On est dans ce que j’appelle parfois le syndrome Professeur Simon, du nom de ce personnage du dessin animé Capitaine Flam, dôté d’un cerveau encapsulé dans un mobile volant.

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Professeur Simon Wright, l’un des rares « purs cerveaux » ; série Capitaine Flam, écrite par Edmond Hamilton (1979)

Hawking n’y est lui-même pas pour rien, jouant énormément à faire des liens entre son handicap et ses découvertes. Mialet remarque que dans l’introduction de son best-seller « Une brève histoire du temps » il souligne que bien qu’ayant eu la malchance d’avoir cette maladie, il a eu de la chance partout ailleurs, et notamment dans son choix de la physique théorique « parce que tout est dans la tête ».

À la question d’un journaliste : « est-ce que cette maladie a joué dans le choix de votre travail ? » il répond « pas vraiment, j’avais décidé de travailler dans ce champ avant que je ne le sache ».

Tandis que deux ans plus tard, à une question similaire : « pourquoi avez-vous choisi la physique théorique comme champ de recherche ? » il rétorque : « À cause de ma maladie. J’ai choisi mon champ parce que je savais que j’avais une sclérose amyotrophique latérale ».

Autre manufacture du mythe : alors qu’auparavant, personne même parmi ses biographes (comme Boslough12) ne racontait cela, il raconte en 1987 lors d’une conférence :

« Peu de temps après la naissance de ma fille Lucy, le soir j’ai commencé à penser au trou noir avant d’aller me coucher. Mon handicap en faisait un processus assez lent de sorte que j’avais tout mon temps. Soudain j’ai réalisé que la région de l’horizon d’évenements s’accroît toujours avec le temps. J’étais tellement excité par ma découverte que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là. »

Et hop : cela deviendra la version officielle des faits, dès la sortie du livre Une brève histoire du temps. On voit l’hagiographie en marche, par exemple chez Mc Evoy et Zarate, qui ré-écrivent les paroles d’Hawking en 1995 :

« Un soir, peu de temps après la naissance de ma fille Lucy, j’ai commencé à penser au trou noir avant d’aller me coucher. Mon handicap en faisait un processus assez lent de sorte que j’avais tout mon temps ». Et le journaliste d’ajouter : « il vit en un éclair que la surface de la région d’un trou noir ne peut jamais décroître. Il n’eut besoin ni de papier ni de stylo, ni d’un ordinateur — les images étaient dans sa tête »13.

Dernière manufacture de la légende, pour l’anecdote : la saoulerie d’Hawking.

« D’après les interviews des journaux et le récent documentaire par Hugh Downs sur ABC-TV, quand vous avez appris le diagnostic, vous avez simplement renoncé et bu pendant des mois pour oublier » Hawking réplique : « C’est une bonne histoire, mais ce n’est pas vrai […] J’ai écouté du Wagner, mais les commentaires disant que je me suis saoulé sont une exagération. Le problème c’est qu’un article l’a dit et les autres le copient parce que cela fait une bonne histoire. Tout ce qui est imprimé de nombreuses fois ne doit pas être obligatoirement vrai » (Mialet, p. 83).

Cela n’empêchera pas Hawking lui-même de se réapproprier par la suite sa propre hagiographie, et tout comme d’autres noms illustres14 à alimenter sa propre légende.

Certes, Hawking n’est pas dupe : à la question d’un étudiant « qu’est ce que cela vous fait d’être considéré comme par la personne la plus intelligente du monde ? » Hawking épelle avec son ordinateur : « Battage médiatique » puis répond :

« C’est très embarrassant. C’est de la foutaise, juste du battage publicitaire. Ils veulent un héros, et je joue le rôle du modèle du génie handicapé. Au mieux, je suis un infirme mais je ne suis pas un génie ».

Mialet analyse : cette « déclaration prononcée devant un public de handicapés qui se trouvent élevés au rang de « génies potentiels », tandis que, dans un même mouvement, le savant est grandi (…) si Hawking ne contrôle plus son corps, nous voyons comment il contrôle son image […] »,

La construction médiatique de ces « génies héroïques » se fait lentement. Guettons la presse, car à l’image des étoiles qui naissent, il n’est pas impossible d’assister à une fabrication en direct. Pour l’instant, mon favori est le mathématicien russe Perelman.

RM

 


1Voir Outillage, technique du carpaccio (à venir)

2 D’où la chanson « Mon panthéon est décousu, si ça continue on verra l’trou… d’mon panthéon ». Juste pour voir si certains lisent les notes de bas de page 🙂

3 Scientists are either described as heroic figures, that bring « God’s formula » down to earth. In Ulrich Schnabel, God’s Formula and Devil’s Contribution : Science in the Press, Public Understanding of Science, 2003 ; 12: pp. 255-259.

4Voir Outillage, Syndrome Galilée (à venir).

5 Mialet H., Le « phénomène Hawking”, le mythe de pur esprit, HS S&av juil 1997 p. 80

6 Mialet, ibid.

7 Stengers, ibid. p. 82

8Voir Outillage, intrusion spiritualiste (à venir).

9 Ibid, p. 81

10 Ibid p. 82

11 Il s’agit de la chaire de professeur lucasien, qui tient son nom du Révérend Henry Lucas, membre du Parlement de l’Université qui octroya un don en 1663 afin de financer un poste de mathématiques appliquées. Hawking est le 17ème sur cette chaire, Newton fut le deuxième.

12 Boslough J., Beyond the black hole, S. Hawking’s universe, Collins, 1985.

13 McEvoy J-P., Zarate O., Stephen Hawking for beginners, Icon Books, 1995, Cambridge.

14Sur ce thème, on lira avec profit M. Onfray, Le crépuscule d’une idole (2010) et C. Hitchens, Le mythe de Mère Teresa, ou comment devenir une sainte de son vivant par un bon plan médiatique (1996).

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Sciences politiques – Exercice – Fabrique de l’information, affaire Le Point Bintou

Voici un exercice idéal pour comprendre certains procédés de manufacture de l’information.

Le 30 septembre 2010 paraît dans Le Point un article sur une femme polygame intitulé « Un mari, trois femmes ».

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Voici deux manières possibles d’animer un atelier sur ce thème.

  • Distribuer les scans de la couverture et de l’article aux étudiants, puis passer le document d’Arrêt sur Images où on voit l’origine de l’information (un faux témoignage orchestré et filmé par un jeune homme du nom d’Abdel) ; chercher dans l’article les données rajoutées par le journaliste Jean-Michel Décugis.
  • Démarche inverse : passer le document vidéo, puis distribuer l’article et y pointer les rajouts.

Voici la vidéo en question :

Télécharger ici

Il est tout à fait possible ensuite de rentrer dans les règles de fabrique ce genre d’information : un rédacteur en chef qui fait des « commandes » précises (trouver le témoignage qui « fit« , qui va bien), un journaliste pressé par le temps et empressé de garder son travail qui va répondre à la « commande », en passant par des « fixeurs » qui ont pour tâche, moyennant finance, de trouver le bon personnage – ici, la fameuse Bintou. C’est l’occasion de montrer que si le journaliste a des responsabilités gravissimes, elles ne sont pas les seules, et que le journal, mais aussi la clientèle avide d’information rapide en flux tendu, joue un rôle dans ce genre de manufacture de toute pièce.alt

Il faut également faire saisir l’intentionnalité de cet article : depuis la couverture (jouant sur une liste d’effets impact et l’association subreptice entre elles – Immigration, Roms, Allocation, Mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire« ) le scénario préétabli est assez simple à retrouver : corroborer l’idée que les béances des finances de l’Etat sont dues à des fraudes orchestrées par des étrangers qui profitent du système et mangent le pain des Français. C’est la vieille antienne des conservatismes de droite, que l’on voit ici fabriquée de toute pièce.

On pourra également pointer les occurrences de racisme ordinaire autour de Bintou (femme noire, peu lettrée, vaguement malienne, avec une brouette d’enfants) et l’imagerie utilisée (photographie d’une vilaine HLM, une femme noire avec poussette, accompagnée de deux enfants). Mais en poussant plus loin, on pourra même noter que personne ne relèvera vraiment qu’un accent africain a autant de sens qu’un accent « européen » et n’existe que dans notre stéréotype français du « parler petit nègre ».

Ce travail a été introduit dans l’atelier Critique des Médias de la Maison d’Arrêt de Varces le mardi 5 octobre, puis dans le cours Zététique & Autodéfense intellectuelle le 6 octobre 2010 à l’université de Grenoble.


Ressources :

  • Scans de l’article (p58, p59) et couverture.

Couverture-Le-Point-30sept2010
Faux-Point-30sept2010p58
Faux-du-Point-30sept2010p59

  • Là-bas si j’y suis, France Inter – émission du 4 octobre 2010 consacrée à cette affaire.
  • Arrêt sur Images, l’article. Télécharger la vidéo (mp4).

On lira avec profit :

  • F. Aubenas & M. Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, La Découverte (1999)
  • F. Ruffin, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes (2003).

RM

Racisme, chaînon manquant – la science au service de la politique

Race, chaînon manquant : la science au service de la politique – extrait du documentaire Zoos Humains de Pascal Blanchard et Éric Deroo (2002).

Analyse de la construction de la différenciation des races, dévoiement des concepts darwiniens, et entreprise de hiérarchisation, le biologiste André Langaney explique comment placer le « nègre » comme chaînon manquant au XIXe, permet « d’expliquer » à rebours du même coup le rabaissement de l’esclavage et la théorie de l’évolution.

Et le narrateur explique comment en essentialisant ainsi une infériorité, on justifie ainsi une politique coloniale sans merci.

Télécharger ici

Psychologie – TP Psychogénéalogie sur France Culture

Il est bien entendu que les secrets de familles existent, et peuvent avoir un impact psychologique fort lorsqu’ils sont révélés. Il est certain que, génétique ou atavisme, des choses se « transmettent » d’une génération à l’autre. Toutefois, veillons à ne pas confondre cette psychologie de la transmission et la psychogénéalogie, technique pseudoscientifique qui fleurit dans les familles et qui étudie « niches », « fantômes » et autres « syndromes » dont on hériterait inconsciemment (selon un inconscient tout à fait freudien).

S’il est évident qu’un adultère ou une adoption peuvent être un secret transmis, rien à voir avec les connivences et loyautés présentées par Mme Ancelin-Schützenberger dans son livre fondateur Aïe mes Aïeux, où il s’agit par exemple pour l’arrière-petit fils de développer un cancer des testicules par « loyauté » avec l’arrière grand-papa qui s’était pris un coup de pied de chameau dans les mêmes parties. Ne rions pas, c’est douloureux, tant le coup de pied que l’adhésion à cette théorie fausse qui crée parfois de vrais drames familiaux.

Une déconstruction complète de cette dérapie a été effectuée de longue date sur le site de l’Observatoire zététique par notre corticale Géraldine Fabre ici et .


Le documentaire de Sur les Docks sur France Culture diffusé le 12 avril manque justement de discernement, et fait exactement ce mélange des choses.

Les deux seuls experts invités sur un sujet qui se veut scientifique (du moins la psychogénéalogie se présente-elle comme tel, voire comme thérapie) sont

  • une psychogénéalogiste, Denise Allais.

  • un écrivain psychanalyste, François Vigouroux. Jean Lebrun le présente comme « cet explorateur bien connu de la puissance des latences note que s’il est dangereux de laisser se rompre brut les barrages, il peut être utile d’ouvrir les vannes. Il vaut mieux savoir ce que nos ascendants ont fait de nous pour nous faire nous-mêmes » (cf. effet puits, dans Outillage).

Or psychanalyste n’est pas un diplôme à proprement parler, sanctionnant une compétence ; et psychogénéalogiste encore moins, tant les formations fleurissent de manière « sauvage ».

Les psychologues, travailleurs sociaux ou simples membres de famille trouveront ici quelques éléments de discours-type, dont nous retranscrivons quelques extraits archétypaux, tous tirés de l’émission et accolés dans ce document sonore : 

Télécharger (18’25)

Une première partie de « pseudo-théorisation » est placée en introduction par les documentaristes.

On notera comment par une analogie douteuse, on glisse progressivement vers la construction factice d’un « objet » scientifique, le secret de famille.

« À l’image de la Russie soviétique où les compagnons de Staline disparaissent un à un des photos officielles, au rythme des disgrâces, le secret de famille est un tour de passe-passe destiné à escamoter les personnages et les épisodes inavouables.

Pour ne pas troubler les eaux calmes d’une famille apparemment heureuse et aimante, il se noue dans le tabou, le non-dit. Le mensonge se distille jusque dans les chambres d’enfant, avec une violence feutrée. Il se transmet de génération en génération, souvent à l’insu du dépositaire, qui n’en perçoit que des bribes confuses et incertaines. Une crypte peuplée de fantômes, disait Abraham Etörök, tapi dans l’inconscient, impénétrable, et pourtant déterminante dans notre rapport au monde, et de nos relations aux autres. À nous-mêmes en premier lieu, car le secret de famille se rapporte aux origines il touche même de notre même de notre identité. Filiation trouble, adultère, fortune ou faillite honteuse, le secret de famille est fascinant car il porte en lui l’espoir d’apprendre quelque chose de nous-mêmes. Espoir bien souvent déçu. Le sentiment d’étrangeté ne peut être résolu si facilement.

Écrivain, psychanalyste ou psychogénéalogiste, tous ont tenté de sonder cet abime mais les secrets restent bien gardés car même découverts ils continuent d’agir en nous, de conditionner notre place, notre façon de penser, de nous comporter.

De cette énigme originelle on peut cependant en faire le récit, avec des trous et des blancs, des souvenirs qui reviennent subitement, des indices qui ne prendront leur sens que bien plus tard quand tous les fils seront bien tissés. »

La psychogénéalogiste Denise Allais ajoute :

« (…) je pense qu’elle a été prise elle au fil des générations dans une loyauté, c’est-à-dire dans une construction où elle a été finalement prise en otage pour essayer de remettre de la parole par rapport à quelque chose qui n’a pas été dit. Mais c’est vrai que tous les enfants, on le voit bien par exemple dans une fratrie ne sont pas investis de la même manière par leurs parents et qu’est-ce qui fait qu’un enfant le sera plus je pense qu’il n’y a pas de réponse à ça parce que chaque cas est tellement particulier. C’est vrai qu’il y a des secrets de famille qui d’ailleurs finissent par s’éteindre au fil des années et qui ne génèrent pas forcément de catastrophe.

Le secret n’est pas uniquement quelque-chose de pathologique. Il y a vraiment une possibilité de transformer tout ce qui n’a pas été dit en quelque chose de lumineux. Par contre il y a plein de secrets, il y a plein de choses qu’on ne pourra jamais élucider, ni jamais connaître, et ça c’est important de pouvoir lâcher à certains moments. Il y a des tas d’événements, tas d’endroits de l’arbre généalogique dont on ne pourra jamais rien dire, rien savoir » (…)

Cette technique de discours (qu’on pourrait appeler la noyade du poisson ou la technique de la seiche) est plus ou moins consciente et rend totalement irréfutable la théorie de la dame. Le secret peut être pathologique ou non,  générer une catastrophe ou non, un enfant peut être plus ou moins « investi » sans trop savoir ce que signifie investi, il faut parfois lâcher parfois pas… Les phrases sont des phrases-puits, qui ont l’air profondes mais qui n’apportent pas d’information.

S’ensuivent dénis, masquages, et corrélation avec des catastrophes, drames ou pathologies qui ne peuvent que terroriser gratuitement les gens à la recherche d’explications. Soit la personne est mal dans sa peau, et cherchera une cause que la psychogénéalogie (ou de l’analyse transgénérationnelle) se hâtera de lui trouver, soit elle n’en a pas, et le mécanisme de la psychogénéalogie se dépêchera de lui en trouver une. Sans parler du fait que dans ces théories, les solutions au mal-être sont toujours à l’intérieur de la personne, comme si les mal-être ne pouvaient être sociétaux ou politiques (comme les avortements, les adoptions, les filiations « honteuses », dont la représentation psychologique est très dépendante de l’époque et de la morale commune).

Note : il nous semble facile de décortiquer ce genre de discours lorsqu’on a lu les deux articles de Géraldine Fabre. Mais si besoin est, le CorteX pourra sur demande compléter cette fiche.

RM

Sciences politiques – TP Deus ex machina & concepts psychanalytiques

Travail pratique : essayer de déceler les concepts psychanalytiques et les Deus ex machina.

La philosophie et la science politique sont malheureusement propices aux discours pseudoscientifiques.

Par ce petit TP, il est possible d’introduire la question du Deus ex machina et sur la validité des concepts psychanalytiques, particulièrement dans le champ social.

Lorsqu’on écoute l’émission du 23 avril 2010 de Macadam Philo sur France Culture, on ne prête pas forcément attention aux concepts utilisés dans le discours, ni à l’enchaînement des raisonnements.

1ère phase

Faisons écouter le montage de trois extraits tirés de la première partie d’émission, qui voyait François Noudelmann inviter la philosophe Barbara Cassin.

Télécharger le montage ici (2’32)

puis demandons aux étudiants de relever les concepts centraux. S’ils n’y parviennent pas, il est toujours possible de leur présenter la retranscription suivante :

  • (3 et 4ème minutes) Le problème du juge Baltazar Garzon… ce juge célèbre par ses procédures contre les dictateurs d’Amérique latine a touché un tabou. Il veut rouvrir le dossier de la dictature franquiste et faire la lumière sur les cent milles victimes du régime de Franco depuis la guerre civile jusqu’en 1975 (…) C’est tout le refoulé du franquisme qui resurgit (…) Le pays doit-il se réconcilier avec son passé ? Cette volonté de justice va-t-elle ramener les haines de la guerre ?
  • (6ème minute) (…) je rappelle que la transition démocratique s’est faite sur un certain déni, c’est-à-dire voilà Juan Carlos donc a permis une transition démocratique après la dictature de Franco et a instauré la démocratie sur la possibilité justement que tous ceux qui avaient été aussi les bourreaux puissent avoir leur place, enfin c’est le cas aussi dans beaucoup de dictatures ou on a exercé ce déni au nom de la paix civile (…)
  • (10ème minute) ce refoulé qui resurgit qui a permis la transition démocratique, malgré tout ça veut dire qu’il n’a pas autorisé pour longtemps une paix civile (…)

2ème phase

Discuter de la terminologie psychanalytique : tabou, refoulé, déni. Rechercher la définition de ces termes, et évaluer si l’emploi qui en est fait ici est adéquat.

3ème phase

Qu’est-ce qui justifie l’emploi de concepts psychanalytiques ici ?

  • Soit nous sommes dans le transfert d’un champ à un autre de concepts sans justification, ce qui est la base de l’imposture intellectuelle (cf ressources).
  • Soit la métaphore centrale est la psyché humaine selon Freud et adaptée à un pays, c’est-à-dire avec un moi qui dénie, un inconscient dans lequel on refoule, et des tabous bien gardés.

Il y a au moins trois pistes de discussion possibles :

– sommes-nous devant une imposture intellectuelle ?

– sommes-nous devant l’utilisation d’une psychologie humaine périmée ?

– sommes-nous dans un sophisme de population ? (cf Outillage)

Une quatrième piste serait de faire le parallèle avec le deus ex machina.

En effet, poser la question Le pays doit-il se réconcilier avec son passé ? est une question-piège. Tout d’abord elle anthropomorphise le pays, comme une seule et même « volonté ». Puis elle contient une prémisse à laquelle nous n’avons pas forcément adhéré (avant de se réconcilier, le pays était fâché avec son passé) : c’est ce qu’on appelle un Plurium Interrogationum (cf Outillage). Enfin, c’est une lecture simpliste cachant tout le problème posé en science historique de l’accès au passé et à ses sources : l’Allemagne de l’Est était-elle fâchée avec son passé, alors qu’elle n’avait pas accès aux dossiers de la STASI ?

Note : le passage entier (3′-> 15’19) est à disposition (télécharger) pour vérifier que la coupe n’est pas subjective.

Il n’est d’ailleurs pas dénué d’intérêt : on y entend une série de raisonnements aux prémisses peu claires, basés sur des analogies hasardeuses, des phrases-puits, des citations d’anciens philosophes et de notions sans définition, hormis celle plutôt étrange de «vérité qui soigne» posée par la philosophe Barbara Cassin et tout droit tirée de mécanismes de deuil tels que dictées par l’héritage de Freud mais appliqués cette fois à une population et non à un individu (toujours ce sophisme de population).

RM 

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Pensée de Chomsky, et rôle des intellectuels par Jean Bricmont

Nous devons à Noam Chomsky la notion d’autodéfense intellectuelle. On pourra entendre ici une brève analyse de la pensée de Chomsky et du rôle de l’intellectuel par le professeur belge Jean Bricmont, prélevée dans l’une des émissions de Chomsky & Cie, d’Olivier Azam et Daniel Mermet.

Télécharger (3mn41, 3,38Mo).

On touche du doigt sa démarche non-autoritaire visant à « éclairer », non à éduquer, notamment en déconstruisant les discours de « la prêtrise séculière », légitimant les idées dominantes et les pouvoirs temporels.

Cet extrait est tiré de la série de 7 interviews de Chomsky, diffusées dans Là-bas si j’y suis, de Daniel Mermet, sur France Inter du 14 au 22 mai 2007, et qui firent l’objet d’un film disponible ici.

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Jean Bricmont donne par ailleurs son sentiment dans nos vidéos ici, introduisant Chomsky dans la continuité des penseurs de la philosophie politique rationaliste et du courant libertaire. Il vient de publier un ouvrage d’interviews de Chomsky intitulé Raison contre pouvoir, le pari de Pascal, Carnets, L’Herne (2009) sur lequel nous ferons une notice.

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Et si l’on souhaite ancrer ce rationalisme dans un cadre de sciences politiques, on écoutera avec profit cet extrait sur l’éducation populaire de masse, tiré de la conférence donnée par Noam Chomsky au Théâtre de la Mutualité le samedi 29 mai 2010.

Télécharger (5mn28, 5Mo)

Retranscription de la conférence.

Richard Monvoisin

Conférence de Noam Chomsky au Théâtre de la Mutualité (29 mai 2010)