Analyse du traitement médiatique d'une grève

Medias objectivite actualite sociale Nouveaux chiens de garde La_greveLe 10 juin 2014, quatre syndicats ont appelé les cheminots à une grève reconductible. Le 11 juin au matin, j’étais à l’écoute du traitement médiatique donné à ce mouvement d’ampleur nationale. Je me suis intéressé plus particulièrement à trois émissions de radio très écoutées sur le créneau 6h-9h : Europe Matin (Europe 1, Thomas Sotto), RTL Matin (RTL, Laurent Bazin) et Le 7/9 (France Inter, Patrick Cohen). L’analyse de ces émissions  minute par minute m’a permis de mettre en lumière les stéréotypes associés à la grève ainsi que les mécanismes de la fabrication de l’information et de l’opinion, fondés sur un biais simple et redoutable : le tri sélectif des informations.

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Les trois émissions sont disponibles directement sur les sites des radios : – Europe 1 MatinRTL MatinLe 7/9 ; à récupérer ici : Europe 1 ; RTL ; France Inter partie 1 et partie 2

Préalable

Comme on le verra dans la suite, la grève est toujours présentée comme de la responsabilité des cheminots, jamais de celle du gouvernement ou des patrons. Qui a raison ? Si la réforme proposée est désastreuse tant pour les cheminots que pour les usagers, n’est-ce pas eux (patrons, gouvernement) qui devraient être tenus pour responsables des tensions ? On pourrait tout aussi bien dire que c’est le gouvernement qui provoque la panique dans les transports en n’allant pas dans le sens des revendications des cheminots. Comment savoir ?

Pour nous faire un avis sur la grève, il nous faut donc : – le contenu du projet de « réforme » – ce que dénoncent les cheminots – pourquoi SNCF n’accède pas aux revendications des cheminots (en quoi ils ne sont pas d’accord)

Sans cela, il est impossible de comprendre les raisons du conflit et de se faire un avis en connaissance de cause. Quid des émissions de radio qui nous « informent » en cette matinée de grève ?

Le choix des radios et de l’analyse

Le choix des émissions est basé sur un double critère : elles font partie des trois émissions d’information les plus écoutées sur cette tranche horaire (voir ici) ; ce sont également celles que j’écoute le plus souvent quand j’ai le temps.

Le choix du créneau est discutable mais, je pense, cohérent : les émissions d’informations à la radio sont concentrées majoritairement le matin et en fin d’après-midi. J’ai choisi le matin, par facilité.

Concernant l’analyse de ces émissions, après une écoute complète de chacune d’entre elles, j’ai noté chaque passage où il était question de la grève des cheminots, en notant le temps consacré et la nature des propos tenus. J’ai mesuré le temps de parole des animateurs/journalistes sur le sujet ainsi que le temps accordé aux différentes entrevues et reportages, toujours sur ce même sujet.

Les raisons de cette analyse

C’est au petit-déjeuner que j’ai décidé de prendre le temps de l’analyse : en l’espace d’une demi-heure d’écoute (Europe Matin), j’avais entendu une kyrielle de témoignages d’usagers mécontents qui m’avaient convaincu que cette grève, comme tant d’autres lorsqu’il est question de transport ou d’éducation, allait perturber et gêner des milliers de personnes dans le pays. La grève était décrite du début à la fin comme un sale moment à passer. En revanche, je n’avais toujours aucune idée des raisons qui avaient poussé les cheminots à lancer cette grève.

Je me suis honnêtement posé la question : avais-je subi un tri sélectif des données ? M’étais-je exposé sélectivement aux informations allant dans le sens de mes attentes (à savoir un traitement médiatique partisan et « grèvophobe ») ? N’avais-je gardé en mémoire qu’un seul pan de celles-ci et oublié les entrevues des syndicats à l’origine du mouvement et les débats contradictoires présentant les différents points de vue ? Avais-je simplement raté ces plages d’informations au cours de la matinée ? Pour le savoir, j’ai donc décidé de mener l’enquête et d’écouter du début à la fin, d’abord l’émission en question (Europe Matin), puis deux autres, pour étoffer cette analyse. Voici ce que j’ai trouvé.

Limites : cette grève de  SNCF intervient le même jour que celle des taxis, générant une exposition médiatique accrue autour des désagréments et perturbations causés par ces deux mouvements. J’ai donc distingué dans la suite les durées consacrées à la grève des cheminots de celles évoquant la grève des taxis.

Résultats

Europe Matin (6h-9h)

Trois heures d’émission mais seulement 2h30 environ sans les publicités.

L’équipe de Thomas Sotto a consacré presque 19 minutes (18’52) au traitement de la grève des cheminots. Sur cette durée, j’ai compté 7’05 pendant lesquelles il était question des raisons de la grève (soit dans les titres : « […] pour protester contre la réforme visant au rapprochement entre la SCNF et RFF« , soit dans des entrevues ou des discussions avec invités autour de cette question).

Sur ces 7 minutes, aucun temps n’a été consacré à la parole des cheminots, syndiqués ou non. 3’05 ont permis à un éditorialiste (Axel de Tarlé) de revenir soi-disant sur les raisons de la grève (il répondait à la question « Pourquoi cette grève »). Or, à aucun moment il n’évoque les véritables problèmes avancés par les cheminots et se centre uniquement sur l’aspect concurrentiel du marché ferroviaire.

Un deuxième temps (vers 1h07 d’émission, durée 3’45) est introduit par la co-animatrice avec cette phrase « Les corporatismes sont-ils en train de bloquer le pays ? ». Il est consacré à l’entrevue d’un invité, Mathieu Laine, présenté comme libéral et qui, dans les premières secondes, déclare que les français sont de petits rentiers, incapables de voir loin. Le ton est donné, bien loin d’une analyse des raisons de la grève des cheminots. Seul Thomas Sotto tente de répondre aux caricatures et autres raccourcis de l’invité sans  pour autant entrer dans une véritable contre-argumentation solide.

Au final, sur ces 18’52, la part consacrée aux raisons de la grève (c’est-à-dire où l’on a évoqué a minima le pourquoi du mouvement) s’élève à 37,5% si l’on inclut l’entrevue de Mathieu Laine, et à 8,9% si on retire celle-ci. Par ailleurs, le temps d’antenne donné aux cheminots est égal à zéro.

RTL Matin

Deux heures d’émission (7h-9h), environ la même proportion de publicité (environ 25 min).

Sur ces deux heures, j’ai comptabilisé 11 minutes évoquant la grève des cheminots. Sur ces 11 minutes, aucun invité et aucune entrevue de cheminots ou syndicalistes. Le seul moment où l’on entend parler des raisons de la grève se situe au bout de 2’30 d’émission : « La CGT et Sud se sont lancés dans un mouvement reconductible, ils protestent contre le projet de réforme ferroviaire qui doit rapprocher Réseau Ferré de France et la SNCF »

Il n’y en aura pas d’autres.

Cela représente 5 secondes sur les 11 minutes, soit 0,75% du temps consacré, pour le reste, aux témoignages des usagers et à l’état du trafic.

Le 7/9 (France Inter)

L’émission dure deux heures, sans publicité. Sur ces deux heures – essentiellement des informations, entrevues et reportages – j’ai compté 15 minutes sur la grève, dont 7’05 sur les raisons de celle-ci. Dans le détail, 40 secondes de titres et autres lancements reviennent sur les raisons de la grève en une phrase ou deux. On compte néanmoins une entrevue en studio du secrétaire général de la CGT cheminot, Gilbert Garrel (6’25), et une autre, plus rapide, d’un délégué CGT (30 secondes).

En dehors de ces temps-ci, les 8 autres minutes donnent la parole aux usagers en général mécontents ou résolus et à l’état du trafic.

La durée consacrée aux explications représente 46,1% du total d’informations sur la grève, l’essentiel de ces raisons étant données par les syndicalistes de la CGT.

Analyse du discours

Que ce soit sur Europe 1, RTL ou France Inter, une grande partie du temps d’antenne a été donnée à la parole des usagers, pour la quasi-totalité mécontents de la grève (je n’ai pas fait de relevé précis mais les avis positifs ne sont apparus que ponctuellement). Deux questions viennent alors : quelles informations arrivent à l’oreille de l’auditeur sur la grève  autres que les problèmes rencontrés par les usagers ? Quelle impression sera retenue par l’auditeur qui, pour plus de 99% du temps d’information comme sur RTL, entendra des personnes énervées et contre les effets de la grève. Car c’est de cela dont il s’agit : les effets de la grève sont désagréables et privent parfois des milliers de personnes de leur moyen de transport habituel. Que l’accent soit mis uniquement sur cet aspect doit nous interroger et nous questionner sur cette fabrique de l’opinion engendrée par l’occultation des journalistes et/ou des rédactions de la partie « pourquoi » une telle grève ? Certes, ce traitement médiatique est différent selon les radios et si RTL se démarque par une quasi-absence d’information sur les raisons de la grève, Europe 1 y consacre environ un tiers de son contenu (avec un fort parti pris en défaveur des grévistes, sans consacrer à ceux-ci en retour une seule minute de temps de parole) quand France Inter ne dépasse pas les 47% ; elle est néanmoins la seule radio à avoir interrogé des représentants des cheminots.

Appel à la pitié et tri sélectif des données

Les nuisances ont donc pris le dessus sur les raisons de la grève. Chaque titre, chaque lancement met en avant celles-ci, consacrant une écrasante majorité des journaux ou reportages aux témoignages (négatifs), aux retards, aux annulations, aux bouchons, etc. L’usager est le sujet de la grève et le recours à différents sophismes tel cet appel à la pitié présentant une lycéenne devant partir presque cinq heures plus tôt pour être certaine de ne pas rater l’épreuve du baccalauréat qu’elle doit passer en début d’après-midi (Europe 1, vers 1h19′), renforce l’image négative associée aux grévistes, responsables du stress de cette élève… (sur ce point, voir cet excellent article sur le site d’Acrimed, paragraphe 2)

Le leitmotiv : être au plus près des gens, avec une sorte de règle qu’Aubenas et Benasayag appellent la loi de proximité :

« Il y a bien sûr quelques règles édictables et aisément compréhensibles. La plus célèbre reste sans doute cette antique loi de la proximité, vieille comme la presse et dont l’équation s’applique dans toutes les rédactions du monde : il faut diviser le nombre de morts par la distance en kilomètres entre le lieu de l’événement et le siège du journal pour trouver la taille de l’article finalement publié. Un accident de train, gare de Lyon à Paris, sera ainsi bien plus «couvert» par la presse nationale (dont les bureaux sont dans la capitale), qu’un accident comparable à Marseille, sans même parler d’un déraillement mortel en Inde ou en Afrique. » La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de l’information, La découverte, p 34, 2007.

Si cette règle guide les choix au sein des rédactions, alors, même le fait de cibler uniquement les effets concrets et immédiats d’une grève est tout à fait rationnel, contestable certes, mais cohérent en regard de l’objectif mercantile de la vente avec profit de cette marchandise qu’est l’information. Les raisons de la grève – dont l’effritement du service public et les risques pointés en termes de coût ou de sécurité – touchent elles-aussi concrètement et directement ces mêmes usagers interrogés, mais de façon plus lointaine et moins palpable comparé aux nuisances bien réelles pour celles et ceux qui attendent leur train depuis des heures.

Dans cet extrait du Petit Journal de juin 2013 (vers 5’30) on appréciera la manière dont on peut fabriquer une opinion en fonction du montage choisi lors d’un micro trottoir :

Le Petit Journal a-t-il lui aussi effectué un tri sélectif des données en ne sélectionnant que des gens avançant à la fois des propos « gentils » et des propos plus durs ? Peu importe : avant de tirer une quelconque conclusion d’un micro trottoir ou plus largement d’un sondage, il faut d’abord s’assurer au moins de ceci : quels sont les biais de sélection (le journaliste n’a-t-il gardé que les cas qui l’intéresse ?), les biais d’échantillonnage (faire le sondage à 14h dans une rue bourgeoise n’est pas la même chose que dans un quartier de banlieue à 23h), les critères d’inclusion (certains avis ont été retirés : est-ce parce qu’inaudibles ? Parce qu’allant contre l’avis du journaliste ?), etc. Henri Broch, dans Le Paranormal, donne ce conseil judicieux qui recouvre ces points : « le mode d’inclusion et de rejet des données doit être significatif et précisé à l’avance ».

Effet impact

J’ai également écouté le vocabulaire utilisé par les animateurs et présentateurs des informations : celui-ci porte sur le même registre tout au long de l’émission, avec quelques variantes, généralement négatives en regard des perturbations occasionnées par la non-circulation des trains.

J’ai noté : « Nouvelle journée de galère (E1) » ; « Bon courage, E1 vous accompagne » ; « Grève qui complique la vie des usagers (E1) » ; « A la gare du Nord, on vit déjà un cauchemar éveillé (RTL) » ; « C‘est un mercredi de galère, on vient de dépasser les 300km de bouchons (RTL) » ; « Matinée très douloureuse pour beaucoup d’entre vous (RTL) » ; « Ce sera compliqué sur les routes (Inter) » ; « Usagers en mode tortue (Inter) » ; « Un mercredi haut en couleurs, noir sur les rails… (Inter) »

Ce lexique avait été déjà pointé dans le film Les Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi, adapté par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat en 2012.

Sur le terme « noir » :

Sur le terme « galère » :

Pour présenter les raisons de cette grève (plus ou moins rapidement on l’a vu), Europe 1 et RTL ont utilisé le même type de vocabulaire : les cheminots protestent contre la réforme. Sur France Inter, je n’ai noté qu’une seule phrase sur le même mode et le verbe utilisé était différent puisque les cheminots étaient ici mobilisés contre la réforme. Avant de revenir sur la connotation de ces deux verbes, qu’en est-il de leur dénotation (leur sens réel) ? Protester signifie littéralement manifester son opposition (voir une définition possible ici). Mobiliser signifie faire appel à, mettre en oeuvre (si l’on exclut l’aspect militaire, mettre sur le pied de guerre).

La connotation de ces termes est bien différente : en cherchant les synonymes, on a une idée assez bonne de l’effet impact obtenu par leur utilisation. Pour « protester », on trouve une connotation proche de râler, ronchonner, rouspéter, grogner. Pour « mobiliser », on trouve des verbes comme grouper, liguer, enrôler, lever.

Quel impact procure ces deux termes sur notre perception du mouvement de grève ? Si l’effet est ténu car les raisons ne sont que très peu évoquées par les animateurs/journalistes, il faut rappeler que la connotation renforce l’image associée à l’information réelle (faire la grève) pour appuyer une certaine perception de celle-ci (râler ou se liguer).

Conclusion

Il faut prendre garde aux conclusions hâtives : les médias seraient-ils enclins à donner une perception négative des grèves et des grévistes ? Est-ce une attaque contre les cheminots et leurs syndicats ? Possible, mais peu probable car, comme évoqué ci-dessus, d’autres raisons amènent les journalistes à un tel traitement médiatique sans présupposer leurs intentions négatives à l’égard des syndicats. Je le rappelais plus haut, les médias vendent de l’information. Celle-ci doit donc être achetée/écoutée/vue pour rapporter un certain profit. Et par un maximum de personnes (la fameuse audience). La question se pose ainsi : comment faire en sorte qu’une information soit diffusée au plus au grand nombre ? En fournissant de longues et complexes explications au quidam qui patiente dans les embouteillages ? Certainement pas. En collant aux problèmes que tout un chacun rencontre en ce jour de galère ? Jackpot. Evidemment, en optant pour un traitement à court terme, on n’analyse ni les causes ni les mécanismes permettant de mieux comprendre la situation et les enjeux liés à la grève.

Cela m’amène à faire le pari (pas trop risqué) qu’une prochaine grève dans l’Education Nationale sera traitée de la même manière. Toutefois, les informations liées à la grève des taxis le même jour m’ont permis de mettre en lumière une constante dans les trois émissions : à chaque lancement, les raisons de la grève étaient systématiquement données, certes de façon tronquée et brève, mais néanmoins précisées. Les journalistes auraient-ils une perception différente du sort des taxis ? Sans doute, ceux-ci n’ayant pas encore une image aussi dégradée et négative que les cheminots, décrits depuis des années comme des privilégiés incapables d’accepter que l’on touche à leurs avantages.

Pour ma part, après six heures passées à écouter ces émissions, je n’avais entendu que six minutes d’explications assez complètes (lors de l’entrevue de Gilbert Garrel) et je n’ai vraiment compris le problème qu’après la consultation du dossier de la CGT cheminots, plutôt clair et complet. Bien entendu, les contre-arguments avancés sont discutables et la direction de SNCF ainsi que le gouvernement ont pu exposer ceux-ci dans divers journaux. D’autres sites Internet avaient également relayé certaines de ces informations mais force est de constater que les médias tels que la radio (et par continuité la télévision) n’ont fourni ce jour aucune information objective et complète malgré le temps consacré à « l’événement ». Ce que j’ai retenu en écoutant ces émissions ? Que la grève, c’est chiant.

Je ne prétends pas à une analyse exhaustive du traitement médiatique de la grève et je laisse le soin d’en faire autant avec le reste des émissions à toute personne intéressée par la poursuite de cette analyse.Tout complément sera donc le bienvenu.

Denis Caroti

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Références et bibliographie

L’article de Blaise Magnin et Henri Maler sur le site d’Acrimed

– Autres articles et émissions traitant du même sujet :

Les Nouveaux Chiens de garde, Serge Halimi, Raisons d’agir, 2005.

Les Nouveaux chiens de garde en DVD également par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, 2012.

Les petits soldats du journalisme, François Ruffin, Les Arènes, 2003.

– La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de l’information, M.Benasayag et F. Aubenas, La Découverte, 2007.

Le site des cheminots-CGT

SUD-Rail

Un nouveau bureau pour le CorteX à Montpellier !

CorteX_1_bureau_MtpComme la « mauvaise » herbe, le liseron ou le chiendent, le Collectif se répand. Pour preuve, après le bureau de la bibliothèque des sciences de l’Université de Grenoble (à St Martin d’Hères), puis le bureau de l’Institut de Formation des masseurs-Kinésithérapeutes de Grenoble (à Echirolles), un bureau montpelliérain s’est ouvert, investi et animé par Guillemette Reviron. 

Certes, ce n’est pas un bureau de ministre, puisqu’il s’agit de l’ancienne régie de la Maison des Etudiants (MDE) de l’Université de Montpellier II, aimablement prêtée par cette même Maison des Etudiants. La décoration est encore minimaliste, si l’on excepte certains éléments de décor au plafond gracieusement offerts par la Nasa. Mais qu’importe la déco, pourvu qu’on ait l’ivresse : ressources critiques, travaux étudiants, et permanences régulières permettront à tout flâneur, toute promeneuse, de venir farfouiller les recoins de son cortex.
Merci à Stéphane Raïola, gestionnaire de la MDE, et Agnès Fichard-Caroll, vice-présidente déléguée à la vie sociale et culturelle des campus, d’avoir accueilli le Cortecs dans leurs murs.

A notre grand regret, notre bureau n’est pas accessible en fauteuil, mais nous pouvons nous rencontrer au rez- de-chaussée.
 

  • Pour vous y rendre :
    La Maison des Etudiants (MDE) se trouve au bâtiment 34, à l’entrée principale de l’UM2, en face du « Donuts ». Les escaliers qui mènent au bureau donnent sur la salle principale de la MDE.Arrêt de tramway Ligne 1 : « Université des Sciences et Lettres »
  • Adresse postale :
    Cortecs
    Université Montpellier 2
    MDE
    Case courrier 07006
    Place Eugène Bataillon
    34095 Montpellier Cedex 5
  • Ouverture des permanences le mercredi de 13h30 à 17h, de septembre à juin.
  • Début de l’UE de culture générale Sciences et autodéfense intellectuelle – saison 5, ouverte aux étudiants de L2 de l’UM2 : début octobre 2014
  • Contact : reviron at cortecs.org

Ci-dessous, la vue de la Maison des Etudiants, depuis le CorteX. Un ectoplasme est apparu pile au moment de la prise de la photo. Saurez-vous le reconnaître ?

CorteX_4_vue_regie

Exercice – décryptage de "Igor et Grishka Bogdanoff au CERN"

CorteX_Freres_BogdanovCet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.

Consignes

Voici un extrait du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010 : « Igor et Grishka Bogdanoff au CERN ». Faites l’analyse la plus approfondie possible.

  • de la mise en scène

  • de la rhétorique

  • des biais de raisonnement.

Extrait vidéo

http://www.youtube.com/watch?v=A-w-Z_PR33o

Retranscription

Dieu, le Big Bang et la science. Voilà peut être un thème qui pourrait alimenter les épreuves de philosophie aujourd’hui encore. En tout cas les astrophysiciens poursuivent toujours leurs recherches, concernant la création de l’univers, des recherches qui s’effectuent entre autres, dans les laboratoires du CERN, à Genève. Frédéric Montel, Emmanuel Morel.

« Il était une fois il y a 13 milliards 700 millions d’années, le Big Bang. Parti d’un point minuscule, une énergie folle explose, l’univers est né. Aujourd’hui des satellites comme celui-ci baptisé Planck, traque les dernières traces de cette incroyable explosion. Sur Terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire ce Big bang. En suisse, dans un tunnel souterrain des protons, un composant des atomes, sont projetés à une vitesse prodigieuse, 300 000 km à la seconde jusqu’à la collision. Toutes ces recherches passionnent les frères Bogdanoff, habitués aux discussions pointues.

« Ce qui est fascinant, Albert, c’est que ces énergies dont on parle sont extrêmement élevées, elles sont de l’ordre de 7 Téra-eV ».

Igor et Grishka l’affirment, notre monde est régi par un ensemble de lois extrêmement précises.  Exemple, la vitesse de la lumière, 299 792 km et 458 m par seconde, pas un de plus ou de moins. Autre exemple, les marguerites : vous n’en trouverez aucune qui possède 16 pétales.

 « Pour nous, l’univers n’est absolument pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces grandeurs quantifiées, chiffrées, précises, complètement ajustées, qu’elles sont là, et que si elles avaient été détraquées ici et là à la 20ème décimale, ou au centième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait resté chaotique ». 

Les frères Bogdanoff y voient la main d’un créateur, pourquoi pas Dieu. Une thèse audacieuse réfutée par une partie de la communauté scientifique L’arbitrage viendra peut être de l’espace. Le satellite Planck doit livrer de nouvelles images du Big bang. On en saura alors un peu plus sur la création du monde ».

Corrigé

Le corrigé est ici.

Corrigé d'exercice – décryptage de "Igor et Grishka Bogdanoff au CERN"

CorteX_Freres_BogdanovCorrigé de l’exercice Décryptage de « Igor et Grishka Bogdanoff au CERN »

Analyse

CorteX_Bogdanov_Visage_DieuSéquence I : introduction

(Fond : JT, Laurent Delahousse présentateur connu, ambiance sérieuse, accréditant l’idée d’une nouvelle de type scientifique là où il ne s’agit que d’un publi-reportage en lien avec la sortie à venir quinze jours plus tard du livre Le Visage de Dieu, des frères B., aux éditions Grasset, en juillet 2010).

Dieu, le Big Bang et la science.

→ Mélange des genres épistémologique. Association qui n’a pas de sens sur le plan épistémologique. Dieu entité métaphysique – Big bang modèle théorique – science, 4 sens différents (voir ici)

Voilà peut être un thème

→ Mélange des genres épistémologique : le présentateur fait un paquet, un seul « thème ». Cela crée une sorte de pont concordiste entre science et foi.

qui pourrait alimenter les épreuves de philosophie aujourd’hui encore.

→ Certes, mais certainement pas posé dans ces termes (accrocheurs et scénarisant une opposition duale entre science et Dieu), une sorte de plurium affirmatum laissant penser que cette opposition existe et est discutable sans en clarifier les contours (matérialisme méthodologique notamment, contrat laïc du chercheur).

 En tout cas les astrophysiciens poursuivent toujours leurs recherches, concernant la création de l’univers,

→ Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’un univers créé, ce qui est exactement le discours des textes religieux.

des recherches qui s’effectuent entre autres, dans les laboratoires du CERN, à Genève.

→ Publi-reportage ? Le choix du CERN ne peut être discuté ici. Mais la communication du CERN a redoublé d’effort pour justifier les sommes pharaoniques englouties dans le projet LHC (5,2 milliards d’euros http://cdsweb.cern.ch/record/1095481/files/CERN-Brochure-2008-001-Fre.pdf)

Frédéric Monteil, Emmanuel Morel.

→ Journaliste non spécialiste.Accessoirement, Frédéric Monteil, qui signe ce reportage, a fait des études non de physique, mais d’histoire (à l’Institut Catholique d’Etude Supérieur de La Roche-sur-Yon) puis de journalisme.

Il était une fois il y a 13 milliards 700 millions d’années, le Big bang.

→ Imprécision théorique. Le Big bang est l’une des explications théoriques possibles de l’univers, parmi d’autres. Ceci dit, elle semble être la plus solide.

→ Imprécision scientifique.Il s’agit de 13,82 milliards d’années +- 0,02 (valeur connue à l’époque du reportage).

Parti d’un point minuscule, une énergie folle explose, l’univers est né.

→ Anthropomorphisme. Métaphore de la naissance, qui ne prêterait pas à confusion si tout le documentaire ne s’inscrivait pas dans l’idée d’œuvre de Dieu.

→ Deux idées fausses sur le Big bang.

  1. Le Big Bang ne se réfère pas à un instant « initial » de l’histoire de l’univers : il indique seulement que celui-ci a connu une période dense et chaude.
  2. Le Big Bang n’est pas une explosion, il ne s’est pas produit « quelque part », en un point d’où aurait été éjectée la matière qui forme aujourd’hui les galaxies. À l’« époque » du Big Bang les conditions qui régnaient « partout » dans la région de l’univers observable étaient identiques. Il est par contre vrai que les éléments de matière s’éloignaient alors très rapidement les uns des autres, du fait de l’expansion de l’univers. Le terme de Big Bang renvoie donc à la violence de ce mouvement d’expansion, mais pas à un « lieu » privilégié. En particulier il n’y a pas de « centre » du Big Bang ou de direction privilégiée dans laquelle il nous faudrait observer pour le voir. Voir à ce propos http://map.gsfc.nasa.gov/site/faq.html

(Fond : images de l’Univers, avec une rétractation, puis une explosion, le tout en parfaite contradiction avec ce qu’on sait du Big bang).

Aujourd’hui des satellites comme celui-ci baptisé Planck, traque les dernières traces de cette incroyable explosion. Sur Terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire ce Big bang. En Suisse, dans un tunnel souterrain des protons, un composant des atomes, sont projetés à une vitesse prodigieuse, 300000 km à la seconde, jusqu’à la collision

→ Imprécision scientifique minime : atteindre la vitesse de la lumière, 300 000 km par seconde, est impossible sans une énergie infinie ou une masse nulle – ce qui n’est pas le cas du proton.

Séquence II : les Bogdanoff au CERN

(Fond : animations d’images de type scientifique, avec musique de fond électronique)

Toutes ces recherches passionnent les frères Bogdanoff, habitués aux discussions pointues.

(Fond : images du Cern, fondues-enchainées avec les Frères Bogdanoff)

« Ce qui est fascinant, Albert, c’est que ces énergies dont on parle sont extrêmement élevées, elles sont de l’ordre de 7 Tera-électrons-Volt »

→ Effet photo de famille. Voir les frères B. au CERN leur confère un certain crédit, alors que non seulement ils n’y travaillent pas, mais qui plus est, ils sont décrédibilisés dans le monde scientifique, depuis l’affaire de leurs doctorats respectifs.

→ Stratégie de connivence. Igor B. appelle le scientifique présent par son prénom.

→ Phrase puits. La phrase d’Igor B. ne contient aucune réelle information.

→ Introduction d’un élément de vernis scientifique. En l’occurrence, un préfixe peu usité, Tera, devant une unité obscure pour le public, l’électron-volt.

→ Imprécision. Au LHC de Genève, le maximum atteint en 2014 4 TeV (http://home.web.cern.ch/fr/about/accelerators. Or le document date de 2010, donc il est improbable que les énergies mises en œuvre soient plus grandes que 4 ans plus tard. À moins qu’il ne s’agisse de l’énergie dans le centre de masse, somme des 2 faisceaux, soit 3.5+3.5.

Igor et Grishka l’affirment, notre monde est régi par un ensemble de lois extrêmement précises.

→ Phrase puits. Elle ne contient aucune information.

Séquence III : la vitesse de la lumière

(Fond : images floues vaguement scientifiques)

Exemple, la vitesse de la lumière, 299 792 km et 458 m par seconde, pas un de plus ou de moins.

→ Imprécision scientifique. Cette vitesse est valable dans le vide – mais c’est un détail.

→ Raisonnement quasi-panglossien. Quelque que fusse la vitesse de la lumière, c’eut été « pas une de plus ou de moins ». Donc cette phrase appuie le « fin réglage » présumé (cf. plus loin).

Séquence IV: La marguerite

(Fond : l’image n’est pas claire et ne permet pas de donner une échelle, donc difficile de trancher si c’est une marguerite commune Leucanthemum vulgare ou une pâquerette Bellis perennis)

Autre exemple, les marguerites : vous n’en trouverez aucune qui possède 16 pétales.

→ Raisonnement quasi-panglossien. Voir point précédent.

→ Argument d’impossibilité.

→ Imprécision scientifique. Les marguerites sont des asteracées, composées de multiples fleurs, appelées fleurons et qui sont de deux types : les tubulés et les ligulés. L’ensemble forme un capitule. Donc compter les pétales blancs d’une marguerite n’est pas rigoureux, car ce ne sont pas des pétales mais des fleurs, elles-même composées de trois pétales soudés et deux régressés.

Séquence V: fine-tuning

« Pour nous, l’univers n’est absolument pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces grandeurs quantifiées, chiffrées, précises, complètement ajustées, qu’elles sont là, et que si elles avaient été détraquées ici et là à la 20ème décimale, ou au centième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait resté chaotique ».

→ Raisonnement panglossien pur, basé sur le « fine-tuning », ou ajustement fin de l’univers, lecture téléologique prétendant prouver le principe anthropique fort, c’est-à-dire « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, avec une intentionnalité de départ. Cette critique avait déjà été pointée dans Science & religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Séquence VI : le livre

(Fond :Grishka B. sur fond d’images de synthèse, et présenté comme co-auteur du livre).

Les frères Bogdanoff y voient la main d’un créateur, pourquoi pas Dieu.

→ Spiritualisme et rupture du contrat laïc en science. La démarche des deux frères, tout comme l’argumentaire du livre dont le JT fait la promotion, vise à nous « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, ce qu’on appelle le principe anthropique fort.

→ Concordisme « du Dieu des lacunes » (God of gaps), consistant à faire appel au divin pour expliquer les lacunes des théories scientifiques et remplir les trous.

Séquence VII : conclusion

(Fond : images des frères Bogdanoff, discutant dans le Cern).

Une thèse audacieuse

Effet paillasson sur le mot thèse : thèse, dans le langage courant, est une opinion ou une prise de décision. En science, c’est un diplôme doctoral.

→ Fabrique du sensationnel. Cette thèse n’a rien d’audacieux : elle est l’exacte réplique des arguments du Pape Pie XII dans son discours du 22 novembre 1951 : « (…) Il semble, en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire témoin de ce « Fiat Lux » initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies. » S. S. Pie XII, « Les preuves de l’existence de Dieu à la lumière de la science actuelle de la nature », Discours prononcé à l’Académie pontificale des sciences, trad. La Documentation catholique, no 1110, 16 décembre 1951.

réfutée

→ Problème de réfutabilité de Popper. L’Intelligent design et son principe anthropique fort sont des scénarios irréfutables, ils ne peuvent donc pas être réfutés.

par une partie de la communauté scientifique.

→ effet paillasson + mésusage du rasoir d’Occam + rupture du contrat laïc et intrusion spiritualiste. Que la communauté scientifique soit partagée sur la question d’un créateur est possible (assez peu en France). Mais la « production de la communauté scientifique », elle, n’est pas partagée : les hypothèses sur-naturelles ne peuvent être postulées ad hoc.

L’arbitrage viendra peut être de l’espace.

→ Problème de réfutabilité de Popper. Il n’y a pas besoin d’arbitre dans ce mélange épistémologique. D’ailleurs, l’espace rapportera des éléments envers lesquels un scénario irréfutable restera hermétique.

Le satellite Planck doit livrer de nouvelles images du Big bang.

→ Imprécis. Il n’y a pas d’image du Big Bang, mais des images des traces du big Bang (Carte du fond diffus cosmique).

On en saura alors un peu plus sur la création du monde.

→ Terme téléologique + plurium affirmatum. Création : terme téléologique, impliquant un créateur, comme si le présentateur ne doutait pas qu’il y ait eu « création ».

 Ce corrigé a été élaboré par Richard Monvoisin, Denis Caroti, Julien Peccoud et Ismaël Benslimane.

Les nouvelles têtes

CorteX_Club_des_5Enseigner la pensée critique est tellement jouissif que c’en est presque indécent.  Alors le collectif croît lentement, mais sûrement.

Vous avez probablement déjà rencontré l’éminent et grenoblois Julien « glutinous »CorteX_Julien_Peccoud_loupe Peccoud, notre professeur de Science de la Vie et de la Terre, féru des questions d’intelligent design, mais aussi féru des questions d’intelligent design, d’écologie/évolution ainsi que de réseaux et logiciels « libre ». Depuis juillet 2013, Il consacre près de la moitié de son temps de travail au collectif. Il corrige nos erreurs en phylogénétique.

Acoquiné à lui sur le plan informatique, mais spécialisé en physique statistique, voiciIsmael Benslimane celui qui a sauvé notre site piraté début 2013. Il s’appelle Ismaël Benslimane, et a fait vœu de matérialisme méthodologique. Il aime se creuser la tête sur les enjeux de liberté d’expression, et on le laisse s’exprimer.

Plus récemment encore, l’automne a vu le CORTECS s’enrichir d’un historien, Guillaume GuidonGuillaume Guidon, dit « père Castor ». Ce spécialiste de la critique de la notion de terrorisme est particulièrement pointu sur la périodes des 70’s en Europe, notamment sur les Brigades Rouges et les mouvements d’action directe. Dès son premier article, critique de la réécriture de l’histoire par Lorànt Deutsch, il a scoré N°1 des lectures du site.

Tourne autour du collectif notre internationale, Clara Egger, spécialiste de sciencesCorteX_Clara_Egger politiques, travaillant surtout sur les conflits armés et leurs résolutions internationales, les processus de propagande de guerre, etc. Nous lui devons notre premier cours sur le sujet. Nous l’introniserons vraisemblablement cet été.

CorteX_Lucas_CourgeonDurant l’année écoulée, un sympathique stagiaire a trainé ses groles régulièrement au bureau grenoblois : embauché en service civique dans l’association Entropie, il a orchestré une riche critique de la notion de permaculture, chère à beaucoup de mouvements écologistes et/ou agricoles. Il s’appelle Lucas Courgeon.

Enfin, depuis février 2014 au bureau grenoblois, deux stagiaires ont été embauchés, jusqu’en mai. Ils sont nos Penn & Teller, nos Adam Savage et Jamie Hyneman, nos Stanley et Livingstone, nos Bart et Ernest. Ernest_bart Il s’agit de Timothée Guilhermet, alias Chuckmalus, et de Thomas Tatlian, alias Shadowbeaver. Ils travaillent sur la distribution des adhésions pseudoscientifiques parmi les étudiants, et sur l’évaluation des compétences critiques. Gloire à eux ! CorteX_Thomas_Tatlian

CorteX_Timothee_Guilhermet

Nous ne sommes pas si seuls – même un prix Nobel boycotte les grands journaux

Vous vous souvenez de nos déclarations diverses ? Nous avions déjà écrit « Le coût de la connaissance – boycott d’Elsevier » et publié « Main basse sur la science publique : le «coût de génie» de l’édition scientifique privée » de Bruno Moulia et ses amis. Cette fois, ce n’est plus du menu fretin comme nous, mais des scientifiques de haut rang qui secouent le cocotier et encouragent à boycotter Nature, Cell et Science.


Nobel winner declares boycott of top science journals

Randy Schekman says his lab will no longer send papers to Nature, Cell and Science as they distort scientific process

Ian Sample, science correspondent
The Guardian, Monday 9 December 2013

Leading academic journals are distorting the scientific process and represent a « tyranny » that must be broken, according to a Nobel prize winner who has declared a boycott on the publications.

Randy Schekman, a US biologist who won the Nobel prize in physiology or medicine this year and receives his prize in Stockholm on Tuesday, said his lab would no longer send research papers to the top-tier journals, Nature, Cell and Science.

Schekman said pressure to publish in « luxury » journals encouraged researchers to cut corners and pursue trendy fields of science instead of doing more important work. The problem was exacerbated, he said, by editors who were not active scientists but professionals who favoured studies that were likely to make a splash.

The prestige of appearing in the major journals has led the Chinese Academy of Sciences to pay successful authors the equivalent of $30,000 (£18,000). Some researchers made half of their income through such « bribes », Schekman said in an interview.

Writing in the Guardian, Schekman raises serious concerns over the journals’ practices and calls on others in the scientific community to take action.

« I have published in the big brands, including papers that won me a Nobel prize. But no longer, » he writes. « Just as Wall Street needs to break the hold of bonus culture, so science must break the tyranny of the luxury journals. »

Schekman is the editor of eLife, an online journal set up by the Wellcome Trust. Articles submitted to the journal – a competitor to Nature, Cell and Science – are discussed by reviewers who are working scientists and accepted if all agree. The papers are free for anyone to read.

Schekman criticises Nature, Cell and Science for artificially restricting the number of papers they accept, a policy he says stokes demand « like fashion designers who create limited-edition handbags. » He also attacks a widespread metric called an « impact factor », used by many top-tier journals in their marketing.

A journal’s impact factor is a measure of how often its papers are cited, and is used as a proxy for quality. But Schekman said it was « toxic influence » on science that « introduced a distortion ». He writes: « A paper can become highly cited because it is good science – or because it is eye-catching, provocative, or wrong. »

Daniel Sirkis, a postdoc in Schekman’s lab, said many scientists wasted a lot of time trying to get their work into Cell, Science and Nature. « It’s true I could have a harder time getting my foot in the door of certain elite institutions without papers in these journals during my postdoc, but I don’t think I’d want to do science at a place that had this as one of their most important criteria for hiring anyway, » he told the Guardian.

Sebastian Springer, a biochemist at Jacobs University in Bremen, who worked with Schekman at the University of California, Berkeley, said he agreed there were major problems in scientific publishing, but no better model yet existed. « The system is not meritocratic. You don’t necessarily see the best papers published in those journals. The editors are not professional scientists, they are journalists which isn’t necessarily the greatest problem, but they emphasise novelty over solid work, » he said.

Springer said it was not enough for individual scientists to take a stand. Scientists are hired and awarded grants and fellowships on the basis of which journals they publish in. « The hiring committees all around the world need to acknowledge this issue, » he said.

Philip Campbell, editor-in-chief at Nature, said the journal had worked with the scientific community for more than 140 years and the support it had from authors and reviewers was validation that it served their needs.

« We select research for publication in Nature on the basis of scientific significance. That in turn may lead to citation impact and media coverage, but Nature editors aren’t driven by those considerations, and couldn’t predict them even if they wished to do so, » he said.

« The research community tends towards an over-reliance in assessing research by the journal in which it appears, or the impact factor of that journal. In a survey Nature Publishing Group conducted this year of over 20,000 scientists, the three most important factors in choosing a journal to submit to were: the reputation of the journal; the relevance of the journal content to their discipline; and the journal’s impact factor. My colleagues and I have expressed concerns about over-reliance on impact factors many times over the years, both in the pages of Nature and elsewhere. »

Monica Bradford, executive editor at Science, said: « We have a large circulation and printing additional papers has a real economic cost … Our editorial staff is dedicated to ensuring a thorough and professional peer review upon which they determine which papers to select for inclusion in our journal. There is nothing artificial about the acceptance rate. It reflects the scope and mission of our journal. »

Emilie Marcus, editor of Cell, said: « Since its launch nearly 40 years ago, Cell has focused on providing strong editorial vision, best-in-class author service with informed and responsive professional editors, rapid and rigorous peer-review from leading academic researchers, and sophisticated production quality. Cell’s raison d’etre is to serve science and scientists and if we fail to offer value for both our authors and readers, the journal will not flourish; for us doing so is a founding principle, not a luxury. »

• This article was amended on 10 December 2013 to include a response from Cell editor Emilie Marcus, which arrived after the initial publication deadline.

Peur sur la ville : les médias, le terrorisme et le djihad global

Retour sur le traitement médiatique de l’attaque de Westgate, au Kenya, par Clara Egger. Cet article a été également publié en octobre 2013 sur le site d’Action Critique Média (ACRIMED).

Du 21 au 24 septembre, alors qu’un centre commercial luxueux de Nairobi est l’objet d’une prise d’otage, les grands médias français1choisissent, une fois de plus, de donner dans le sensationnel2. Entre appel à la peur, images voyeuses, et analyses tantôt tâtonnantes, tantôt farfelues, la Corne de l’Afrique est, pour quelques jours seulement, de retour sur le devant de la scène médiatique.

21 septembre, premier acte, Laurent Delahousse nous prévient : « certaines images sont difficiles ». Claire Chazal préfère parler d’emblée d’une « tuerie ». L’attaque dure depuis quelques heures et le bilan est déjà « très lourd ». Des images de personnes affolées se succèdent courant « pour sauver leur vie », « les blessés se comptent par dizaines », on trouve « plusieurs cadavres par terre ». Qu’importe si l’on ignore tout du « commando armé », de « leur nationalité, leur motivation », le correspondant de TF1 lui est formel : c’est « une méthode, une méthode à la Al Shebab, avec des armes… et une méthode qui… qui est celle de, de ces gens-là ».

22 septembre, deuxième acte, plus dramatique encore : France 2 titre sur le « carnage de Nairobi », un véritable « bain de sang » aux images, encore une fois, « très difficiles ». Les journaux télévisés passent en boucle les images de personnes « abattues », victimes d’un commando qui « sème la panique et la mort ». Puis l’antenne est laissée aux témoins. On y parle de « scènes d’horreur », d’« exécutions sommaires », comme cet homme qui affirme avoir vu « des dizaines, je dis bien des dizaines de corps déchiquetés un peu partout ». L’attaque est d’autant plus abominable qu’elle est, de l’avis de plusieurs témoins, « très surprenante ». Peu importe si, depuis plusieurs mois, les centres commerciaux kényans sont considérés comme une cible prioritaire pour des attaques terroristes par les chancelleries du monde entier 3.

23 septembre, troisième acte : entrée en scène de la presse écrite, un brin plus lente, qui titre : « Horreur à Nairobi » (Libération), « Massacre islamiste au Kenya » (Le Monde) ou « l’interminable assaut contre les islamistes somaliens » (Le Figaro). Les télévisions qui couvrent l’information depuis déjà deux jours s’efforcent de ne pas lasser l’audience à une heure de grande écoute, d’autant plus que de l’avis du correspondant de TF1 « c’est très compliqué d’avoir des informations sur ce qu’il se passe ». Alors pour rendre attrayant ce brouet d’informations déjà servies la veille, on pimente à outrance. Qu’à cela ne tienne, on ressort les images des jours derniers et on les agrémente de commentaires évocateurs. Ainsi la police doit enjamber «  des cadavres criblés de balles », France 2 parle de « scènes de guerre », de personnes « exécutées froidement » et « d’assaillants qui n’hésitent pas à cribler de balles la porte des toilettes ».

24 septembre, dernier acte : c’est le « dénouement », un soulagement pour « toute une population horrifiée par ces images de terreur ». Une coupable est démasquée : « une femme occidentale qu’on appelle la veuve blanche »… « Elle a les yeux verts de son Irlande du Nord natale » mais s’est engagée dans « une croisade djihadiste ». Pour mieux retracer son histoire, une animation la fait passer en moins de dix secondes du jean-baskets au niqab noir. Pour faire durer le plaisir, le 25 septembre, France 2 en guise d’épilogue, peindra le portrait des héros dans le carnage, risquant leur vie pour sauver celles des autres.

Quand il s’agit de terrorisme, les médias français sont passés maîtres dans l’art du carpaccio, c’est-à-dire de maquiller la pauvreté des informations qu’ils servent : de même que, sur le menu du restaurateur indélicat, une tomate tranchée devient un carpaccio de tomates, les médias rehaussent à coups de techniques de scénarisation hollywoodienne, une information médiocre. Et c’est réussi. Le public, lui, n’a sans doute pas saisi les tenants et les aboutissants de la prise d’otage de Nairobi, et n’a eu droit à aucune analyse critique. Mais il a tremblé trois jours durant.

Car c’est bien là que le bât blesse : les informations sont floues, partielles. Qu’elles le reconnaissent ou non, les rédactions des médias français sont bien en peine d’expliquer en cinq minutes ou six cents mots les ressorts d’une crise somalienne qui n’intéresse plus vraiment personne.

Alors quitte à risquer l’amalgame, on pare l’analyse des oripeaux et du vernis de la science politique. Ainsi le concept d’« arc terroriste » ou d’« arc de crise djihadiste » est consacré en quelques jours. Michel Scott, sur TF1, en propose la description suivante, carte à l’appui : « D’ailleurs quand vous voyez l’arc terroriste, ce qu’on appelle l’arc terroriste qui traverse le continent et qui va de l’Atlantique jusqu’au Yémen eh bien le Kenya représente la zone limitrophe qui comporte le plus d’intérêts occidentaux aussi proche de cette zone de non-droit ». France 2 reprendra le même concept, allant jusqu’à se poser la question de l’existence d’une « Internationale terroriste » alors que Libération titrera sur « l’arc de crise jihadiste », détaillant : « les terroristes sont actifs de Nouakchott jusqu’à Mogadiscio ».

La clef d’explication du drame est toute trouvée, elle parait logique. Il faut dire que le concept est séduisant, car arc djihadiste est une notion « puits » : elle semble parlante, tout en donnant à l’argumentaire un air calé et profond… mais elle est creuse. Le concept ne repose sur aucune étude scientifique (qui est-ce « on » qui l’a forgé ?), seulement sur des amalgames douteux. En effet, si les groupes actifs le long de cet arc ont des modes opératoires similaires et revendiquent tous leur allégeance à Al Qaeda, les agendas politiques d’AQMI, du Mujao, de Boko Haram et des Shebab somaliens, censés formés cet « arc djihadiste » sont radicalement différents et se comprennent avant tout dans leur dimension locale. Bien que les médias ne retiennent que la dimension internationaliste liée à Al Qaeda, la plus importante partie du mouvement Shebab est ancrée dans un agenda intérieur lié au nationalisme somalien. Comme l’explique le spécialiste de l’Afrique sub-saharienne, Roland Marchal, la mouvance salafiste d’Al-I’tissam a fusionné en 2004 avec celle issue du recrutement de jeunes instruits par les tribunaux islamiques. Cette entité, d’abord groupusculaire, a été considérablement renforcé par la politique anti-terroriste des États-Unis et des Européens. De plus, la dimension internationale du recrutement des Shebab somaliens est liée avant tout à la présence forte de la diaspora somalienne dans le mouvement.CorteX_islamophobie_Martial

Dès lors, mettre sur un même niveau l’attentat sur l’ambassade étasunienne à Nairobi (1998), les attentats de Bombay (2008), et la prise d’otage sur le complexe gazier d’In Amenas (2013) n’a aucune valeur explicative, sauf à persuader le public qu’il est face à un choc de civilisations, au devant d’une menace djihadiste globale susceptible de frapper partout même sur le lieu de ses vacances…. Un expatrié français, interviewé sur TF1, fait même le parallèle entre cet événement et la fusillade de la rue des Rosiers à Paris en 1982 lors de laquelle un restaurant juif fut pris pour cible. Logique une fois encore, puisque les médias vont rapidement annoncer la présence d’un commando spécial israélien agissant aux côtés de l’armée kényane.

L’avantage de tels amalgames est qu’ils évitent de s’interroger sur les ressorts du conflit somalien et sur l’implication du Kenya, et plus largement de l’ONU et de l’Union Européenne dans le conflit. Les revendications des Shebab, ces « islamistes somaliens qui portent la guerre sainte au Kenya » seraient de l’ordre de la vengeance contre un pouvoir kényan soutenant militairement un gouvernement somalien tentant de rétablir un semblant de stabilité. D’ailleurs, la Somalie est caractérisée par le « chaos », et les images de TF1 montrent « des bâtiments criblés de balles », l’« épave d’un avion en plein centre ville, une capitale ravagée par vingt ans de guerre ».

 

Or depuis juin 2013 et la création de la nouvelle mission intégrée des Nations-Unies, l’UNSOM, visant à soutenir les institutions du gouvernement somalien, des voix n’ont cessé d’alerter les Nations-Unies et l’Union Européenne sur les dangers de son optimisme béat4. La prise d’otages de Nairobi semble démontrer que les Shebab somaliens, bien que rejetés par la majorité de la population ne sont pas si moribonds qu’espéré. L’action des Nations Unies et de l’Union Européenne, pilotée à distance depuis Nairobi, est mal perçue par les populations locales qui peinent à percevoir les bénéfices de vingt années d’assistance. Le nouveau gouvernement est quant à lui exclusivement identifié à Mogadiscio, dans un pays où le Somaliland et le Puntland au Nord, jouissent d’une autonomie considérable, imités par le Djubaland au Sud. Dès lors l’agenda des Nations Unies et de l’UE uniquement centré sur le Sud et le centre de la Somalie et sur les zones « libérées » des Shebab somaliens risque d’accroître les tensions inter-claniques, principal facteur d’explication du conflit somalien. L’implication de la diaspora somalienne dans le conflit joue un rôle majeur bien qu’occulté par les médias internationaux, et ce d’autant plus que la banque Barclays vient d’annoncer la clôture prochaine de ses comptes de transferts de fonds depuis le Royaume-Uni vers la Somalie. Enfin, imposer une analyse du conflit en termes de « djihad international » accroît les risques de représailles sur les populations musulmanes d’Afrique de l’Est, et sur les réfugiés somaliens présents en grand nombre au Kenya et qui paient déjà un lourd tribut à ce conflit 5.

Clara Egger

1 L’analyse du traitement médiatique de la crise mobilise les journaux et médias télévisés à la plus forte audience : les journaux télévisés de 20 heures de France 2 et de TF1 et les manchettes du Monde, de Libération et du Figaro. Si l’intégralité des Journaux Télés a été analysée, l’analyse des journaux s’est limitée aux manchettes qui participent à créer un certain nombre d’effets autour d’une information.

2 Pour une analyse très complète du rôle des mécanismes de fabrique de l’opinion par les médias, se référer à Edward Herman & Noam Chomsky, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone (2008) »

3 A titre d’exemple, le Ministère des Affaires Etrangères, sur son site Internet, donne la recommandation suivante aux touristes français voyageant au Kenya : « ll est recommandé de limiter autant que possible les déplacements dans les lieux publics les plus fréquentés, notamment par les ressortissants étrangers (centres commerciaux, bars, hôtels…) ».

4 Ainsi, très peu de médias ont relayé la décision de l’ONG Médecins Sans Frontières de fermer la totalité de ses programmes en Somalie, faute de disposer de conditions satisfaisantes pour l’exercice de son mandat.

Médias un 4ème pouvoir ? Deux cycles de projections documentaires

Main dans la main, le CorteX Grenoble et son antenne lyonnaise, Maïlys Faraut organisent un double cycle de projections débats durant ce mois de novembre 2013.  En voici les grandes lignes. Les détails sont à retrouver dans notre agenda.

Grenoble Lyon

Mercredi 6 novembre, 18h30 : Fin de concession, de Pierre Carles + débat avec Pierre Carles himself

Jeudi 7 novembre, 17h30 : Fin de concession, de Pierre Carles + débat avec Pierre Carles himself


Mercredi 20 novembre, 18h30 : Les nouveaux chiens de garde, de Gilles Balbastre et Yann Kergoat + débat

Jeudi 21 novembre, 17h30 : Les nouveaux chiens de garde, de Gilles Balbastre et Yann Kergoat + débat avec M. Florea et P. Chasson, d’ACRIMED

Mercredi 27 novembre, 18h30 : Chomsky & Compagnie, de Olivier Azam et Daniel Mermet + débat

Jeudi 28 novembre, 19h : Les nouveaux chiens de garde, de Gilles Balbastre et Yann Kergoat + débat avec M. Florea et P. Chasson, d’ACRIMED

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Tout ça se passe amphi F, au DLST. Entrée libre, vous pouvez amener vos tantes, cousins, grands-parents, beaux-frères.