CorteX_vieille_camera

Ateliers zétéclips – Clips critiques à l'usage des enseignants

En 2008 fut créé l’atelier Zétéclips au Centre d’Initiation à l’Enseignement Supérieur (CIES) de Grenoble. L’objectif était de faire plancher des doctorants-moniteurs de toutes disciplines sur la réalisation de clips vidéo illustrant des sophismes, effets, facettes zététiques, erreurs de raisonnement ou misreprésentations en science. Format libre, peu importe les compétences techniques audiovisuelles, le tout est de créer de la ressource pédagogique solide sur le plan scientifique, outillant les enseignants, et en passant un bon moment.
 La saison 2011-2012 démarre, aussi est-ce le temps d’une petite rétrospective, et d’une mise en lumière des travaux réalisés.

 


Les zétéclips : qu’est-ce que c’est ?

Les zétéclips 2009

Zétéclip Effet boule de neige – affaire « piano-man »

Zétéclip Effet Cigogne – la lune rousse

Zétéclip Effet Impact  – le DHMO

Zétéclip Effet Probabilité inversée

Les zétéclips 2010

Zétéclip Effet Puits

Zétéclip Effet Pangloss

Les zétéclips 2011

Zétéclip Effet blouse blanche – les frères Bogdanoff et le CERN

Zétéclip Effet Cigogne – Exemple de Dr House

Les zétéclips 2012


Les zétéclips : qu’est-ce que c’est ?

Nous sommes partis de l’idée que le flux d’information que les étudiants, et particulèrement les élèves reçoivent est majoritairement audiovisuel (télévision, internet, etc…)., et notre expérience nous montre que le support vidéo est facilement captivant dans les cours de pensée critique. La zététique étant une longue suite d’outils critiques aisés à imager, créer des clips « maison » était utile non seulement pour ceux qui les confectionnent, mais aussi pour ceux qui les regarderont. D’une pierre deux coups.

Quant à la charte graphique, très franchement, peu importe ! L’objectif est que les doctorants se fassent plaisir, en produisant un outil aussi rigoureux qu’amusant à regarder.

Note historique : le directeur du CIES de Grenoble de l’époque s’appelait CorteX_Didier_Retour Didier Retour, et c’est lui qui a soutenu le projet, avec ses collègues directes Michelle Vuillet et Régine Herbelles

Didier est brutalement décédé le 10 décembre 2010.

Les zétéclips 2009

  • Zétéclip Effet boule de neige – affaire « piano-man »

réalisé par Florent Cadoux, Thibaut Capron et Fabien Gaud.
[dailymotion id=x8omgr] 

  • Zétéclip Effet Cigogne – la lune rousse

réalisé par Lydia Caro, Bénédicte Poncet et Vivien Robinet.

[dailymotion id=x8omom] 

  • Zétéclip Effet Impact  – le DHMO

réalisé par Adrien Bousseau, Aldric Degorre, Fabien Gaud et Thierry Stein.
[dailymotion id=x8oroy] 

  • Zétéclip Effet Probabilité inversée

réalisé par Yoann Gabillon, Clément Moulin-Frier et Evaggelos Kritsikis.
[dailymotion id=x8uvl5]Description de l’effet

à portée pédagogique« , 2009.

Cet atelier a été primé meilleur projet CIES par les doctorants 2009 (zététiquement parlant, être qualifié de « meilleur » ne dit rien de la qualité intrinsèque – mais ça fait plaisir quand même !).

 

Les zétéclips 2010

  • Zétéclip Effet Puits

réalisé par Cyril Courtessole, Alexandre Porcher, Aurélien Trichet et Rémi Vial.
[dailymotion id=xkpol8] 

  • Zétéclip Effet Pangloss
réalisé par Nicolas Berthier, Axelle Davidas, Cyrille Martin et Marion Sevajol (entièrement réalisée à l’aide du logiciel libre Synfig).

Version longue (12mn37)
[dailymotion id=xdgknh]Version courte (3mn49)
[dailymotion id=xizm8p]Voir l’article Dialogue sur l’effet Pangloss 

Les zétéclips 2011

  • Zétéclip Effet blouse blanche – les frères Bogdanoff et le CERN

Réalisé par Mickaël Bordonaro, Maël Bosson, Thomas Braibant et Samuel Vercraene.
Deux parties de clip à comparer :
1ère partie
[dailymotion id=xkpqw2]2ème partie
[dailymotion id=xkprrc] 

  • Zétéclip Effet Cigogne – Exemple de Dr House

réalisé par Youssef Khoali, Clélia Pech, Matthieu Simonet et Xiaolan Tang,

 Script de la voix off du zététclip effet cigogne

Les zétéclips 2012

Thèmes encore non arrêtés.

Equipe : Adeline Bouvier, Gaëlle Chastaing, Joseph Emeras, Alexander Kondratov, Yvan Rivierre, Adeline Robert, Charlie Verrier et Ariel Waserhole.

 

https://cortecs.org/administrator/index.php?option=com_content§ionid=-1&task=edit&cid[]=264
alt

Technique de la peau de l'ours

La technique de la peau d’ours consiste à vendre l’information avant de l’avoir vérifiée ou faite valider par les pairs.


« Selon une conception idéale de la science, [l]e travail [de vérification] devrait se faire avant la divulgation des résultats, surtout lorsqu’ils sont inhabituels » (de Pracontal, L’imposture scientifique en 10 leçons, p. 110).
Les médias de vulgarisation sont très prompts à vendre des résultats qu’ils n’ont pas encore obtenus, des découvertes qu’ils n’ont pas encore faites, et des espoirs qui se révèlent vite déçus. Nous appelons ça la technique de la peau de l’ours.
Le terme s’inspire bien sûr de la fable de La Fontaine L’ours et les deux compagnons, moralisant ainsi :
[…] il ne faut jamais. Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis par terre. »
Les exemples sont innombrables, et devraient pourtant, comme la technique de la peau de chagrin, relever de l’escroquerie.
Voici quelques exemples pris dans Pour une didactique de l’esprit critique, de Monvoisin (pp 302-304). 

Le Boson de Higgs

« La particule qui va révolutionner la physique » titrait La Recherche en mai 2003. Ne devrions-nous pas attendre qu’elle la révolutionne effectivement ? (En arrière-plan, une lutte politique entre deux grands laboratoires, occultées par cette quête totalement construite pour l’ »Opinion Publique »).

On savourera au passage « visionnaire » cet article de Sciences & Avenir d’octobre 2000.

alt

• Max Frei et le « suaire »
Ce criminologiste retraité préleva les échantillons de pollen de la surface du « Suaire » de Turin qu’« aucun autre scientifique, avec deux ensembles additionnels d’échantillons sur ruban adhésif, n’a vu » (Broch 1989, p. 57) : il fit connaître aux médias ses résultats d’analyse, corroborant l’itinéraire théorique du suaire édicté par Wilson (Jérusalem, Edesse, Constantinople et Lirey, en France) immédiatement, sans avis ni contre-expertise, et mourrut en 1983.

« (…) ses résultats n’ont jamais été publiés dans une revue scientifique après « 9 ans d’enquêtes » (…)» (Ibid. p. 56).

• Le gène Gay
De Pracontal :

« (…) «  le « gène gay » de Dean Hamer a fait la une des journaux en même temps que l’article de Science était publié. Dérive supplémentaire : la revue scientifique elle-même incitait la grande presse à l’extrapolation hâtive. Science comporte, à côté des articles scientifiques proprement dits, des pages qui décrivent les découvertes récentes en termes accessibles. Dans le n° de juillet 93 où figurait l’article de Hamer, ces pages très publiques contenaient une interview- commentaire du chercheur intitulé « évidence en faveur d’un gène de l’homosexualité ». On y lisait, entre autres affirmations hasardeuses : « d’après Dean Hamer, il semble vraisemblable que l’homosexualité découle de causes diverses, génétiques et peut être environnementales ». Le titre original de l’article était moins affriolant : « une liaison génétique entre des marqueurs d’ADN sur le chromosome X et l’orientation sexuelle masculine ». On est frappé, comme le souligne Bertrand Jordan, par « l’incroyable glissement effectué depuis un article scientifique qui suggère, avec maintes précaution, la localisation d’une contribution génétique à ce comportement, jusqu’à un écho paru dans le même n° qui affirme l’existence d’un « gène de l’homosexualité« . (ouv.cité, pp. 113-114).

D’autres Terres
alt alt alt
À la recherche d’autres terre, avec effets d’annonce à la clé et vraisemblablement des enjeux
technologiques dépolitisés par ce scénario.
 

… ou l’art de vendre une information hypothétique. Par une technique de la peau de l’ours, on « appâte » le lecteur en lui offrant non seulement d’autres planètes (des milliards qui plus est) mais surtout d’autres « Terres ». Un seul conditionnel dans les slogans laisse songeur, surtout lorsque nous nous rappelons qu’on pouvait lire la même chose trois ans avant (ce qu’on appelle la technique du liquide vaisselle – à venir).

Pour aller plus loin

Oon pourra consulter

  • La relativité contredite, Figaro (23 septembre 2011)

Entraînez-vous ! Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Le 7 Juillet 2011, la Cour des Comptes rend public un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Le lendemain, le Figaro.fr publie l’article qui suit. Une belle occasion de tester l’outillage critique sur des sujets politiques !
Mon analyse est à votre entière disposition ici.

Guillemette Reviron

Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent (LE FIGARO.fr)

Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.


La baisse de la délinquance résulterait de «l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols»
«Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse…», rétorque Claude Guéant. «Contrairement aux allégations des rapporteurs», le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par «les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes». Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.
L’essor des polices municipales serait lié à une «forme de recul» des missions de surveillance générale par l’État
«Manifestement, tout en prenant acte de la place prise par les polices municipales en France, la Cour semble mésestimer leur rôle et leur importance», insiste Claude Guéant. «Je conteste vigoureusement l’interprétation que font les rapporteurs», lance le ministre qui rappelle que ses instructions visent plutôt à une reconquête du terrain. Par ailleurs, il précise que «le principe de coordination repose sur une logique de complémentarité et non de substitution».
La participation de l’Intérieur à l’effort de réduction des emplois publics annulerait les recrutements antérieurs
Selon Beauvau, «la Cour confond meilleur usage des deniers publics et contrainte sur les moyens». «Il est regrettable que la Cour ne prête nullement attention aux efforts continus depuis 2002 pour moderniser les forces de sécurité, lâche-t-on à l’Intérieur. En recentrant les forces de sécurité sur leur cœur de métier, les réductions des charges indues (transfèrements, garde des dépôts, sécurisation de salles d’audience) ou de missions périphériques (convois exceptionnels, gardes statiques) permettent ainsi à la police d’offrir le même niveau de service à la population.»
L’efficacité de la vidéo mise en doute
Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection, Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012.

Je vous propose mon analyse ici. N’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos suggestions ou remarques !

Guillemette Reviron

CorteX_cave_vin

Argument d'historicité

L’argument d’historicité joue sur l’idée que l’âge d’une théorie ou d’une assertion étaye sa véracité. Cet argument est fallacieux au sens où de nombreuses théories anciennes se sont révélées fausses, au même titre que de nombreuses annonces de nouveautés sont restées lettre morte.


Il est possible de distinguer deux types d’arguments d’historicité : le premier recoupe une sorte d’éloge de l’ancienneté, couplée dans la plupart des représentations sociales à une certaine sagesse ancestrale, et entraîne des formes de tradition. De cette manière, il peut être perçu comme un argument d’autorité à part entière, l’autorité émanant d’un concept diffus mélangeant vieux sages et savants anciens anté-scientifiques. Le second se noue sur une vision progressiste des sciences, sur l’attrait de la nouveauté et sur l’envie scénaristique d’un déboulonnage d’idoles. Cet argument consiste à prétendre que quelque chose est bon, juste ou vrai simplement parce que c’est ancien, ou parce que « c’est ainsi que ça a toujours été ».

L’argument d’historicité, ou argumentum ad antiquitatem :
1. X=b est une idée ancienne, dont les traces remontent à loin dans le temps.
2. Donc X=b

Nous distinguerons plusieurs variantes.

1. L’effet « cave à vin », ou argument du vieux pot

CorteX_cave_vinNous désignons par Effet Cave à vin l’argument consistant à dire qu’une idée ancienne, déjà présente dans divers vieux écrits faisant ou ayant fait autorité ne peut être fausse, puisque des anciens l’ont écrit. Il s’agit d’un savant mélange entre un argumentum ad gratinum et un ad antiquitatem.
L’image vient de ce que l’on présumera plus volontiers de la qualité d’un vin que la cave qui l’accueille est empoussiérée, que son étiquette est effacée par le temps et que le bon vin se bonifie avec l’âge. Quant au vieux pot, le diction proverbial déclame que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes, ce qui est doublement faux : on peut faire d’excellentes soupes dans des pots neufs, ainsi que d’immondes soupes dans des vieux.

L’argument du vieux pot :
1. On peut lire sur un vieux Papyrus égyptien que X=b
2. Donc X=b

Exemple : Le Feng Shui

Yu Xixian, professeur de sciences urbaines et environnementales à l’Université de Beijing, écrit : « Les vestiges de la culture de Yangshao, dans la province du Henan, nous montrent qu’il y a 6 000 ans, nos ancêtres avaient déjà l’idée de l’orientation et des rapports entre le ciel, l’homme et la terre. »
Il y a bien sûr des contre-exemples à ce sophisme. Il est des cas où l’ancienneté d’une chose est corrélée à son intérêt scientifique. Quelques exemples :
– Donner plus d’importance à un corps momifié de plusieurs milliers d’années qu’à une dépouille d’il y a un siècle n’est pas un argument du vieux pot.
– Si un individu prétend que tel vin se bonnifie avec le temps (en précisant qu’il ne s’agit pas forcément d’une relation linéaire, et certainement pas aux grandes échelles de temps), il ne s’agit bien sûr pas d’un argument du vieux pot.
– Enfin, l’ancienneté d’une théorie (l’éléctromagnétisme de Maxwell, ou la théorie de la matière composée de particules subatomiques) fait son intérêt non parce que son élaboration est vieille, mais parce qu’elle a accumulé un nombre conséquent de prédictions valides et désarmé un nombre non moins conséquent de remises en question, et qu’il est raisonnable de la croire étayée, non pas son âge, donc, mais par son « poids d’évidence ».

2. L’effet « vieux sage de l’antiquité », argumentum ad veterum

CorteX_vieux_sageNous nommons « effet vieux sage de l’antiquité » l’idée qu’une assertion ancienne est forcément vraie puisqu’il est (faussement) notoire que les anciens ont souvent eu raison. C’est non seulement faire fi de tous les anciens qui ont proféré des bêtises (bien plus nombreux que les « sages »), mais encore oublier que les idées ayant fait leur chemin jusqu’à aujourd’hui étaient parfois fortement rejetées de leurs temps — ce qui laisse accroire que l’on choisit le vieux sage qui nous arrange en fonction de la thèse à défendre.
Cette idée est le produit de ce que Broch appelle une « exposition sélective », ou un tri statistique des faits qui vont dans le sens de ce que l’on veut étayer. Suffit alors de citer quelques-uns de ces anciens et d’avancer qu’il est peu vraisemblable que l’on se soit trompé si longtemps sans s’en apercevoir, et l’argument est posé. Il s’agit d’un pur argument d’autorité.
L’effet « vieux sage de l’antiquité » :
1. Hippocrate disait déjà que X=b
2. Donc X=b
* fonctionne aussi avec Aristote, Galien, Descartes…

3. Argument de « la nuit des temps » ou sophisme de la tradition

Le sophisme de la tradition est sensiblement le même que l’effet Cave à vin, à la nuance près que la source est souvent imprécise, et qu’il n’y a pas de nom CorteX_vache_sacreed’anciens pour en faire un effet « vieux sage de l’antiquité ». C’est la seule tradition qui importe, au nom de ce que le mot « tradition » aurait quelque chose de consubstantiel avec une certaine authenticité : par opposition aux choses nouvelles qui n’ont pas la patine que donne le temps aux traditions, et ce d’autant plus que l’origine de la tradition est généralement projetée hors du temps (cet argument est appelé chez les anglo-saxons Sacred Cows — vaches sacrées).
En tant que tel, nous le rangeons dans les arguments d’historicité, quoique sa forme rappelle plutôt l’effet Panurge.

Sophisme de la tradition :
1. X=b est traditionnel et/ou remonte à la nuit des temps
2. Donc X=b

La principale critique à opposer à cet argument est qu’il n’y a que de fausses traditions, ou des traditions en vision externe. Les traditions « vraies » et vécues comme telles ne sont pas des traditions, mais des techniques.
La tradition est généralement projetée hors du temps. C’est pour pointer ceci que nous parlons d’argument de « la nuit des temps » : la nuit des temps, souvent, ne remonte pas si loin que cela. En outre, parler de « nuit des temps » signifie qu’il existe un jour lumineux des temps, analogie factice du même type que celle de l’obscurité du Moyen-Âge qui faisait dire à Luciano de Crescenzo, « mais qui a donc éteint la lumière ? » (De Crescenzo, Les grands philosophes de la Grèce antique, 2000). Parler de nuit des temps est comme parler des Anciens : cela s’apparente à un procédé rhétorique simpliste permettant de faire une césure de démarquage faussement claire avec les Modernes, en oubliant que les Modernes d’aujourd’hui seront les Anciens de demain.
L’argument de « l’épreuve du temps » n’est pas suffisant. L’idée que si une théorie a perduré longtemps, c’est qu’elle a forcément quelque chose de vrai est incomplète. Hélàs, l’histoire des sciences et des idées regorge d’exemples tous peu ou prou dramatiques d’idées fausses perdurant — souvent par argument d’autorité. Les cas les plus frappants sont l’Aristotélicisme, les médecines hippocratique et galénique et la cosmologie ptoléméenne.

Il ne faut pas confondre « l’épreuve du temps » et « l’épreuve des faits » (qui dure longtemps)

Pour approfondir : Thèse R. Monvoisin : Pour une didactique de l’esprit critique

Sophisme – La pente savonneuse

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur. Aujourd’hui, la pente savonneuse.

La pente savonneuse

« Développement abusif des conséquences, appelé aussi pente glissante, porte ouverte… »

Méthode : développer les conséquences négatives d’un argument de façon excessive. Le but est de réfuter cet argument en démontrant que si on l’accepte, alors on accepte également ses possibles conséquences négatives. Les conséquences risquées sont ainsi envisagées et présentées comme dramatiques, catastrophiques, écœurantes, immorales, etc. C’est une scénarisation focalisée sur des conséquences inadmissibles, de la sorte on ne peut pas y souscrire.

Exemples : 

  • Si l’humain descend du singe où va-t-on ? C’en est fini de la morale !
  • Si les distributeurs de préservatifs sont autorisés au lycée, on cautionne alors les rapports sexuels des jeunes. C’est l’incitation à la débauche, l’avènement de la bestialité !
  • Les thérapies cognitives, c’est la porte ouverte au Prozac et à la Ritaline pour les enfants.
  • Si les aides sociales sont étendues, cela va inciter les gens à ne plus rien faire et l’économie sera fragilisée. Les inégalités seront alors de plus en plus marquées. C’est risquer l’effondrement de notre système économique.
  • Mettre en doute le fonctionnement démocratique d’une société est la porte ouverte à l’anarchie et au chaos le plus total.
  • Régulariser les sans-papiers ouvrira inévitablement un appel d’air qui renforcera l’immigration irrégulière vers notre pays.

 Quelques exemples glanés de ci de là :

  • Le pasteur uruguayen Jorge Márquez, dirigeant la Iglesia Misión Vida, dénonce fermement en février 2017 le lobby gay et la « ideología de género » (l’idéologie de genre), car elle autorise ou légitime les relations sexuelles avec les mineurs et avec les animaux.

Ces propos font l’objet d’une campagne de l’association internationale de la Libre Pensée et de l’Asociación Uruguaya de LibrePensadores.

  • Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, 28 janvier 2017 (retranscrite par le Canard enchaîné, 1er février 2017)

« Nous nous retrouverons donc embarqués dans la grande course folle des enfants commandés sur Internet, des chimères cochons-humains et des potentielles attaques massives de virus injectés dans nos ADN. Sans parler des hommes mis enceints par leurs femmes transgenres. Bienvenue en marche chez Emmanuel Macron ! ».

  • Nicolas Sarkozy, en février 2016, sur l' »affaire du paquet neutre »CorteX_Nicolas_Sarkozy (trouvaille de Franck Villard, de Chambéry)
  • Tareq Oubrou, imam de la Mosquée Al Houda à Bordeaux.CorteX_Tareq_Oubrou

Voici ces propos rapportés par Elisabeth Schemla :

« Dites-moi un peu maintenant avec quels arguments sérieux nous nous opposerons à la polygamie par exemple ? Nous avons mis le doigt dans un drôle d’engrenage ».

E. Schemla, Islam, l’épreuve française, Plon (2013).

  • Le Cardinal Philippe Babarin, archevêque de Lyon, en septembre 2012.CorteX_cardinal-barbarin

Le journaliste : « Pour vous la goutte d’eau ce serait l’adoption par des couples homosexuels ?« 

Réponse du Cardinal :

« Ce n’est pas la goutte d’eau…La question c’est qu’est-ce que c’est un mariage, le mariage c’est mot qui veut dire rempart pour permettre au lieu le plus fragile de la société c’est-à-dire une femme qui donne la vie à un enfant que toutes les conditions soient établies pour que ça se passe dans les meilleures possibilités. Après ça a des quantité de conséquences mais qui sont innombrables parce qu’après ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre, après un jour peut-être je sais pas quoi l’interdiction de l’inceste tombera. »

En vidéo :

ou voir ici.

  • Jacques-Alain Bénisti, député UMP, pendant un débat politique sur la CorteX_Jacques_Alain_Benistichaine LCP le 23 juin 2011 (trouvaille de Christophe Michel, alias Chrismich, de Chambéry, youtuber d‘Hygiène mentale)

« Si on commence a vouloir dépénaliser le cannabis, bientôt on légalisera le mariage homosexuel. A quand la dépénalisation du viol, voire la légalisation du viol ? »

En audio

 
  • Julien-SanchezJulien Sanchez, porte-parole du Front national, le 9 janvier 2018 sur France Info, à propos de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires à double-sens. Trouvaille de Cyril Champion, professeur de sciences économiques et sociales. Lien vers France Info.

« Pourquoi pas aussi demain mettre à 10 km/h toutes les routes et puis à ce moment-là on ira tous à pied au travail, donc voilà, on fera 40 km à pied si on habite à 40 km de son lieu de travail. »

L’audio :

Télécharger.

 
N’hésitez pas à nous envoyer vos perles !
 

Décortiqué : campagne publicitaire « l’éducation nationale recrute »

Vous avez mené avec brio votre analyse de la page « Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute » ? Voilà ma propre analyse, n’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger cette proposition de décorticage.


alt alt

1/ Les effets rhétoriques

L’éducation nationale recrute 17000 personnes…

[dailymotion id=xifdb2]

Ce recrutement semble a priori en contradiction : 

 

  • D’une part avec le plan d’austérité du gouvernement dénoncé par les syndicats de l’éducation nationale, les élus locaux et nationaux et les fédérations de parents d’élèves : coupes budgétaires, fermetures de classes et suppression d’emplois (comme le présente le reportage ci-contre.)

 

  • D’autre part avec la démarche demaîtrise des dépenses publique dans l’éducation nationale, notamment par la suppression de postes, annoncée l’année dernière par Luc Chatel et toujours d’actualité.
La publicité annonce donc « 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

On est face à une rhétorique en deux étapes :

Un effet paillasson, c’est-à-dire que le terme pourvoir est ambigu et peut renvoyer à de nombreuses définitions dans cette situation. Il peut vouloir dire plusieurs choses. Ces postes sont-ils créés ? Sont-ils à pourvoir au sens de « remplacer ce qui manque » ? Sont-ils à pourvoir parce que désertés par les professionnels ? Sont-ce des postes précaires ?

Selon comment on l’interprète, ce terme va jouer sur l’équivoque et la compréhension du sens de cette phrase. N’écrire que « 17000 postes sont à pourvoir » désyncrétise le problème, et gomme toute interprétation négative : cela évoque plutôt des maintiens d’emploi, des embauches, voire des créations de postes, de surcroît dans une période de crise.

Un carpaccio .

Le chiffre 17000 est un chiffre détaché – c’est-à-dire que l’on ne sait pas à quoi le comparer, ni sur quelle base l’appréhender – il crée un impact important : je me dis « 17000, c’est beaucoup ! » .

Pourtant cette affirmation dissimule une réalité moins joviale. Si le Ministère de l’éducation nationale recrute 17000 personnes c’est qu’en réalité sur les 33000 départs à la retraites en 2011, seule la moitié est effectivement maintenue, conformément aux principes de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (dans le carde de la révision générale des politiques publiques).

La manière dont la publicité est construite met en scène 17000 postes à pourvoir comme s’il s’agissait de 17000 postes créés, tout en dissimulant 16000 suppressions de postes. C’est une forme de scénarisation de l’information, pour l’embellir, la rendre séduisante, mais bien souvent en cachant ses aspects les plus rébarbatifs. On nomme cette manière de faire la technique du Carpaccio ; il suffit de couper en fines lamelles une rondelle de tomate, une feuille de salade, du bœuf ou un ministre de l’éducation pour en faire un « carpaccio de… » beaucoup plus attrayant. Il suffit de « tourner » l’information en la blanchissant, en la mettant en scène, et on obtient un produit d’appel publicitaire.

Enfin, cette campagne met fortement en avant la profession d’enseignant, dans les textes principaux et les images, renforçant une possible erreur de compréhension « 17000 postes = 17000 postes d’enseignants ». Mais c’est bien 11600 postes d’enseignants qui seront recrutés sur les 17000.

Cela porte à confusion même si ce n’est pas à proprement parler une dissimulation puisque l’information apparaît en bas du document, mais sans donner la répartition des professions et en petits caractères : « Pourquoi pas vous ? 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

En creusant un peu, on s’aperçoit que les arrêtés publiés au Bulletin Officiel fixant au titre de l’année 2011 le nombre de postes offerts au concours pour le recrutement d’infirmier-e-s et de médecins arrivent au maximum à 514 postes (sans savoir précisément si l’ensemble de ces postes sont intégrés dans le total des 17000 recrutements.)

Je fais une rapide soustraction : 17000 – 11600 – 514 = 4886

Il reste donc environ 4886 postes non-précisés et qui n’apparaissent pas dans le texte. C’est bien 17000 postes dont 11600 d’enseignants, 414 d’infirmier(e)s, 100 de médecins scolaires et 4886 autres, qui sont à pourvoir en 2011. Finalement la dissimulation pointe le bout de son nez, puisque rien ne laisse supposer que d’autres professions sont concernées et en quelle proportion. (J’ai demandé des informations au Ministère, j’attends et je publierai la réponse.)

Cette campagne publicitaire oriente délibérément vers une erreur de perception : 17000 postes = 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires. C’est embêtant.

 

2/ La fabrication de l’image

Julien semble sorti du magazine Challenge ou Capital (magazines sur l’actualité économique en direction des cadres et managers), et Laura d‘un catalogue de mobiliers IKEA.

Les images sont fortement sexuées, avec des stéréotypes classiques, notamment sur les critères de beautés attendus. Pour le garçon c’est une ambiance à dominante bleue, cheveux courts, bruns, chemise dans un environnement studieux. Pour la fille c’est une ambiance à dominante rose : cheveux blonds mi-longs, habits clairs et dans un environnement de détente. Intérieurs aseptisés et modernes, les acteurs sont quasi-souriants, ils semblent détendus, en un mot : heureux. La technologie est mise en avant avec Julien qui est occupé sur un ordinateur portable. Pour Laura c’est la culture littéraire qui est privilégiée, elle lit adossée à une bibliothèque, la jambe nonchalamment pliée.

Ces choix ne sont pas anodins, puisque l’objectif de cette campagne est de rendre séduisant un métier qui ne l’est plus. Alors pas d’élève (pourtant central dans le texte), pas d’établissement scolaire, on est très loin d’une classe surchargée de RAR (Réseau Ambition Réussite).

C’est la plénitude et la dynamique intellectuelle qui sont mises en avant dans ces visuels.

Ce choix scénaristique utilise les mêmes leviers que les campagnes du Ministère de la défense pour les recrutements de l’armée de terre, où le dynamisme, l’aventure et le dépassement de soi sont les axes forts.

alt

 

3/ Le vocabulaire utilisé dans les images

Que connote-t-il ? Quels problèmes cela peut-il poser ?

La comparaison des deux textes dénote sans ambivalence la différence de genre entre hommes et femmes. Les termes reproduisent les stéréotypes de genre en différenciant la démarche de Laura et de Julien. Laura lit un livre, elle est représentée nonchalante, passive, dans un environnement clair, voire rose (stéréotype féminin) :

« Laura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. »

Julien pianote sur un portable, il semble dynamique et actif, il est dans un environnement de travail :

« Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions. C’est la concrétisation de son projet professionnel. »

Laura a trouvé le poste de ses rêves : est-ce l’unique ? Celui qui lui était destiné ? Le poste de ses rêves connote un déterminisme de genré « fille », où selon les représentations classiques, la femme est maîtresse d’école ou infirmière plus volontiers que chercheur en physique (ce qu’on appelle les professions du care, « prendre soin »). C’est d’ailleurs l’avenir qu’elle a toujours envisagé, le déterminisme est renforcé, c’est devenu sa vocation (étymologiquement un appel venu d’ailleurs, comme Jeanne d’Arc), son destin..

Julien, quant à lui, a trouvé un poste ; un parmi d’autres, contrairement à Laura. A-t-il plus de choix que Laura ? Les termes connotent clairement une attitude dynamique, affirmée et déterminée. Il a de l’ambition et concrétise ses projets. Ceux-ci sont professionnels, là où Laura vit un rêve.

Laura est une fée, douce, blonde, habillée en blanc et cantonnée à la littérature ; Julien est un homme, il est branché haute-technologie, dynamique, brun, en chemise aux manches retroussées et cantonné aux sciences.

Tous ces éléments viennent renforcer un essentialisme sexuel. On reproduit l’idée implicite de comportements genrés qui seraient naturels, en évinçant la question de leurs construction sociale. Voir les travaux du Cortex sur ces questions Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme .

Finissons sur un détail : cette publicité est un exemple rare de la féminisation des textes. C’est en général peu employé, d’abord par commodité de lecture, c’est une pratique qui alourdit le texte. Pourtant ici, infirmier apparaît infirmier(e)s. Initiative intéressante, si ce n’est que celle-ci n’est appliquée que dans un sens : simplement pour masculiniser une profession, infirmière, plutôt que pour en féminiser également une autre, comme enseignant. On peut se demander alors ce que vise réellement cette démarche, elle ne cherche apparemment pas à pointer la construction genrée de notre grammaire et rétablir un peu la balance.

Alors même que les établissements scolaires cherchent à lutter quotidiennement contre les discriminations, notamment sexuelles, cette campagne de publicité s’inscrit précisément dans la reproduction de stéréotypes. Bigre, je gronde mais à 1,35 milion d’€ la campagne publicitaire, le résultat n’est pas fameux : je préviens le Ministre de ce pas et promis je vous mettrai la réponse plus bas.

 Nicolas Gaillard


 
CorteX_Rapport_Cour_comptes_homme_en_colere

Décortiqué – Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Au fur et à mesure de mes discussions avec les personnes détenues à la maison d’arrêt où j’interviens, j’ai réalisé que certaines d’entre elles avaient complètement intégré le discours médiatique sur la délinquance. Puisque cela les concernait de plein fouet, je me suis penchée sur la question pour m’en servir de levier lors de séances d’initiation à l’esprit critique et depuis, je guette ce qui se dit sur le sujet. Alors, lorsque la Cour des Comptes a publié le 7 juillet 2011 un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique, j’ai tendu l’oreille et ce jusqu’à ce que Richard Monvoisin m’envoie cet article (LEFIGARO.fr), le 8 juillet, article tellement fourni en sophismes et autres effets qu’il était tout à fait adapté à notre proposition estivale de cahier de vacances. Si vous ne l’avez pas encore lu et/ou si vous souhaitez d’abord vous essayer à son décortiquage, vous pouvez retourner ici. Sinon, je vous livre mon analyse de certains passages.

Cet article est une véritable mine de sophismes et d’effets en tout genre. J’ai tenté de le décortiquer ligne à ligne, paragraphe par paragraphe, mais j’ai rapidement renoncé à tout analyser : cela devenait vraiment trop long ! J’ai finalement choisi de ne me consacrer qu’à certains passages : le titre, le premier paragraphe et le dernier. Le principe est simple : sur fond bleu, les extraits de l’article et en dessous, mes commentaires.

I. Un titre polémique

 Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent
 Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_homme_en_colereJe vous disais en préambule que l’article était particulièrement fourni en effets. Rien que dans les titre et sous-titre, j’en ai repéré quatre :

  • une technique du carpaccio version « polémique »
    La platitude d’un titre tel que Effectifs, polices municipales ne susciterait chez le lecteur que peu d’intérêt ; en ajoutant des questions qui fâchent, le journaliste rend attractif le contenu de son article en suscitant l’envie d’aller voir ce qui se trame et de se fâcher à son tour.
  •  un effet peau de chagrin (à créer)
    L’expression qui fâchent laisse entendre que les points abordés fâcheront tout le monde. Je m’attends donc à ce que l’article pointe des motifs sérieux, voire universels, d’indignation et de colère : les dysfonctionnements que le journaliste révèle doivent être de taille. Mais j’apprends dès la lecture du sous-titre que ces questions fâchent… Claude Guéant : c’est nettement moins sensationnel tout d’un coup.
  • un effet paillasson
    Evoquer des questions qui fâchent, c’est suggérer que la commission de la Cour des Comptes ne fait que soulever des interrogations alors que le rapport est le résultat d’une enquête dont l’objectif était de dresser un bilan de la situation. A la lecture de l’article, on comprend que ce sont les conclusions et la méthodologie utilisée qui déplaisent fortement au ministre.
  • un effet chiffon rouge (à créer)
    Contrairement à ce que suggère le début du titre, il ne s’agit pas ici de discuter des possibles dysfonctionnements des polices municipales, mais de nous informer que Claude Guéant voit rouge : le vrai débat, celui de savoir si oui ou non il y a des problèmes d’effectifs dans les polices municipales, c’est-à-dire le débat qui nous concerne, est mis sur la touche pour laisser libre court à l’expression de la colère d’un ministre.

II. La délinquance : un poncif du discours sécuritaire 

La baisse de la délinquance résulterait de « l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols »
Avant de lister les effets, vous avez remarqué le conditionnel ? Il est systématiquement utilisé dans les en-têtes de chacun des paragraphes présentant une conclusion du rapport mais il disparaît mystérieusement lorsque la parole est au ministre. Est-ce à dire que les propos de C. Guéant sont plus fiables que le rapport ?   

Allez, c’est parti pour le décortiquage ! Dans cette phrase, j’ai trouvé :

  • un double-effet paillasson
    Nous avons ici un très bel exemple d’effet paillasson sur le mot délinquance, voire de double-effet paillasson, malheureusement très courant, plutôt subtil, avec des conséquences importantes sur notre compréhension du phénomène.
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_Hortefeux_baisse_de_la_delinquance_JT_TF1_20_01_2011Le premier provient de la multitude d’acceptions du mot : vol, arnaques, violence physique, meurtre, délits financiers, harcèlement, outrages à agents, viols, vente ou détention de stupéfiants, etc. Autant de catégories, 107 exactement (*), qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui sont toutes comptabilisées dans l’agrégat «  délinquance « , qui ne représente de ce fait plus grand-chose.

J’ai découvert le deuxième effet paillasson en ouvrant un rapport sur les chiffres de la « délinquance » produit par le ministère de l’Intérieur : en fait de délinquance, il n’y était question que de délinquance constatée. La suppression quasi-systématique de ce petit mot est pourtant loin d’être anodine : imaginons que l’on ferme tous les commissariats, qu’on envoie tous les agents de police en vacances et qu’il ne soit plus possible de porter plainte ; il est fort probable qu’alors, la délinquance constatée sera proche de zéro. En concluerons-nous pour autant qu’il n’y a plus de vols ou de crimes ? Le problème, c’est que les chiffres de la délinquance constatée en disent au moins aussi long sur la manière dont on oriente le télescope que sur la planète qu’on observe : ils reflètent aussi, de manière intrinsèque, l’activité policière et ses priorités. Que conclure alors d’une baisse de ces chiffres ? Si vous souhaitez approfondir cette question, vous pouvez lire le TP Analyse de chiffres sur la délinquance.

  • un (faux ?) effet cigogne
    La baisse de la délinquance et l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs contre les vols sont deux événements qui ont lieu en même temps : ils sont corrélés. Pourtant, comme le fait remarquer Claude Guéant par la suite, cela n’implique pas nécessairement qu’il existe une relation causale entre ces deux faits. Avant de me faire un avis, je suis allée voir ce que disait le rapport sur ce sujet  :

p. 29 – Toutefois, selon la plupart des analystes et la direction générale de la police nationale elle-même, [le recul spectaculaire de ces deux seules grandes catégories d’infractions, les vols liés à l’automobile et les destructions et dégradations de biens privés] a été dû principalement à l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs techniques de protection contre les vols et les effractions, et au renforcement des dispositifs de protection des espaces publics et privés (parkings, gares, etc.).

Malheureusement, aucune référence précise n’est donnée (si un lecteur ou une lectrice les a, qu’il ou elle n’hésite pas à nous contacter). Alors, effet cigogne ou non ? Il faudrait en savoir davantage sur lesdites études.

  

« Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… », rétorque Claude Guéant.

Claude Guéant a raison : la charge de la preuve incombe à celui qui prétend c’est-à-dire, ici, à la Cour des Comptes.
 

« Contrairement aux allégations des rapporteurs », le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par « les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes ».

J’ai bien l’impression qu’on assiste ici à un joli tour de passe-passe : Claude Guéant transforme en direct un effet cigogne en… un autre effet cigogne. On pourrait lui retourner sa remarque : « raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… »

Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_perplexeLà, j’avoue que j’ai dû relire ce passage plusieurs fois : on nous parle de baisse de la délinquance depuis le début et, tout d’un coup, on cite des chiffres qui augmentent. Le journalise s’est-il tiré une balle dans le pied ? Et bien non, la relecture du passage m’a fait réaliser qu’on ne parlait plus d’infractions tout-court mais d’infractions révélées par l’activité des services, les IRAS. Effectivement, une hausse de ce chiffre va bien dans le sens d’une certaine augmentation de l’efficacité des services d’enquêtes ; notons tout de même, en anticipant un peu sur la suite, qu’il faudrait néanmoins préciser ce qu’on entend par efficacité. Comme je n’avais jamais entendu parler des IRAS je suis allée lire dans le rapport ce qu’il en était dit :

p. 28 – Enfin, le suivi séparé, plus qualitatif et diversifié, des IRAS (Infractions Révélées par l’Activité des Services), composées essentiellement des infractions à la législation sur les stupéfiants et à la législation sur les étrangers, constitue aussi un progrès.

  • un effet paillasson
    Ce petit passage permet de relever un autre effet paillasson. L’avez-vous vu ?
    Au début du paragraphe : délinquance = vol.
    Dans la réponse de Guéant : délinquance = IRAS
    ≈ infractions sur les stupéfiants + infractions sur la législation des étrangers.
    Mais de quoi parle-t-on au juste ?
  • un effet paillasson + un non sequitur
    Partons du raisonnement tenu par le journaliste – ou peut-être par C. Guéant, ce n’est pas très clair – et résumons-le ainsi :

les IRAS augmentent = efficacité policière => les vols diminuent.

Cette chaîne induit alors la suivante :

les IRAS augmentent => les vols diminuent.

En français, cela se traduirait par : « les services de police révèlent plus d’infractions donc le nombre de vols diminue », ce qui est pour le moins troublant. Comment en est-on arrivé là ? CorteX_Rapport_Cour_comptes_idee_lumineuseEn glissant subrepticement d’un sens du mot efficacité à un autre :

– sens 1 : efficacité signifie  » les services révèlent des infractions « 
– sens 2 : efficacité signifie  » les services préviennent des infractions « 

Avec ces précisions, on reconstruit deux chaînes, distinctes mais justes. D’une part, on a

les IRAS augmentent = preuve de l’efficacité policière au sens 1

et d’autre part,

l’efficacité policière au sens 2 => les vols diminuent

Afin d’obtenir l’affirmation « les IRAS augmentent => les vols diminuent », il faudrait raccrocher ces deux maillons, mais voilà bien le problème, c’est impossible sans recourir à l’effet paillasson. Et le raisonnement tel qu’il est présenté n’explique en rien la baisse des chiffres de la délinquance.

III. Souriez, vous serez de plus en plus filmés !

L’efficacité de la vidéo mise en doute
  • un mot valise (à créer)
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_videosurveillance_imageDe quelle efficacité s’agit-il ? Comme nous venons de le voir, ce mot est équivoque : dans le paragraphe précédent, il revêtait deux sens différents, ici il en recouvre toute une floppée : efficacité pour identifier les auteurs de vol de voiture, efficacité pour identifier les auteurs de violence conjugales, efficacité pour prévenir les braquages ou les attentats, efficacité pour protéger la population, efficacité pour enregistrer les faits et gestes de tout un chacun, efficacité pour éloigner la prostitution des centres-villes, efficacité pour analyser les flux de circulation, etc. ? Quelle efficacité a été mise en doute ? Et par qui ? Nous n’en saurons pas plus ici. Pourtant la question de l’évaluation des ces dispositfs me semble primordiale.

 

Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection,
  • un appel à la peur
    Le rapprochement tendancieux des attentats de Londres d’une part, et du développement de la vidéoprotection en France d’autre part, constitue un appel à la peur qui facilite l’acceptation du lecteur : difficile de refuser la vidéoprotection si elle est liée, d’une manière ou d’une autre, à la lutte contre les attentats.
    Ce rapprochement est d’autant plus étonnant que le développement de la vidéosurveillance en France dans les espaces publics a débuté avant le mois de juillet 2005, comme en atteste par exemple les sources suivantes :- une enquête réalisée en Mars 2004 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme intitulée Évaluation de l’impact de la vidéosurveillance sur la sécurisation des transports en commun en région Ile-de-France :

Les élus régionaux, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) et les transporteurs ont développé conjointement des programmes de sécurisation axés sur la vidéosurveillance qui a des objectifs croisés de prévention, de dissuasion et de répression.
Sur les deux derniers programmes de sécurisation des réseaux de transport, l’Etat et la région ont consacré 25 millions d’euros à l’installation d’équipements de videosurveillance dans les autobus, stations de metro RER et gare SNCF. Ce qui porte à 15  % du budget total. Le dispositif de videosurveillance représente 73 % du budget consacré à la sécurité.

– le site de la ville de Lyon :
 

Soucieuse d’aller au delà des garanties prévues par le législateur afin de concilier la sécurité des citoyens avec le respect des libertés publiques et privées, la Ville de Lyon a créé un organisme original à cet effet : le Collège d’éthique de la vidéosurveillance.
Crée par délibération du Conseil Municipal le 14 avril 2003, le Collège est une commission extra-municipale dont la présidence déléguée est confiée à Monsieur Daniel Chabanol, ancien Président de la Cour Administrative d’Appel de Lyon
. 

une allocution de Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, le 24 Mars 2005 sur le plan-pilote  » 25 quartiers  » (partie 2.B.)

J’ai demandé aux préfets d’élaborer, en coordination avec les maires, des plans de mises en sécurité des lieux les plus exposés. J’ai recommandé deux types de mesures : l’amélioration de la surveillance humaine par la police municipale, et le recours plus systématique à la vidéosurveillance.
[…]
Je vais demander aux préfets un état des lieux de la prévention dans les transports, afin de la renforcer là où c’est nécessaire par les moyens les plus modernes : localisation des bus par GPS, caméras de vidéosurveillance embarquées dans les bus, les trains et les gares.

  • une généralisation hâtive

    La France mise sur la vidéoprotection ? Belle généralisation hâtive qui consiste à transformer une décision prise par quelques hommes et femmes politiques en une décision prise par l’ensemble de la population française à l’unanimité.
  • un effet impact (à créer)
    Si le choix des mots est toujours important, il est dans ce contexte primordial : souvenons-nous qu’il y a encore peu de temps, on utilisait le mot vidéosurveillance, mot très connoté négativement qui pouvait susciter la méfiance et soulever de nombreuses questions : pour surveiller qui ? Pourquoi ? N’est-on pas en train de s’attaquer aux libertés individuelles ? etc.

    Tandis qu’il est bien plus difficile de remettre en cause la vidéoprotection : pourquoi refuser de protéger ?
    La vidéosurveillance peut être source d’inquiétude, la vidéoprotection est rassurante ; pourtant, ces deux mots désignent exactement la même chose.

  • un non sequitur + une pétition de principe
    Si l’implication   » il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France  » n’est pas explicitement formulée – on doit bien cette précision au journaliste -, la forme de la phrase pourrait la suggérer. Et comme nous sommes là pour nous entraîner, je vous propose de l’analyser quand même.

    L’unique lien logique que je vois entre ces deux assertions est le suivant : si un attentat s’est produit à Londres, cela pourrait arriver en France, il faut donc se protéger en installant des caméras. Ce raisonnement nécessite d’avoir préalablement admis que les caméras protègent des attentats, et donc qu’elles sont « efficaces ». Démarrer une preuve de l’efficacité des caméras en supposant qu’elles sont efficaces, voilà une pétition de principe.
    Par ailleurs, citer l’attentat de Londres est particulièrement mal choisi, puisque loin de confirmer la thèse de l’efficacité de la vidéo, il l’infirme : un attentat a eu lieu à Londres malgré le fait qu’elle était déjà très équipée en caméras ; en effet, depuis les années 90 et l’attentat de Bishopgate revendiqué par l’IRA, il a été décidé de miser sur la vidéo à Londres. Dans un rapport du Centre of Criminology and Criminal Justice réalisé dans le cadre d’un programme de recherche européen intitulé « Urbaneye », il est dit dès 2002 que le réseau des transports londoniens est équipé de milliers de caméras ; l’implication « il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France » n’est donc pas logique : nous avons affaire ici à un non sequitur (**).

Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012
  • un plurium affirmatum (ou effet gigogne) (à créer)
    L’affirmation de Claude Guéant, lorsqu’il cite le rapport de l’Inspection générale de l’administration, CorteX_Rapport_Cour_comptes_Videosurveillance_image_Rapport_efficacite_07_2009en contient une autre : il admet sans le dire que la vidéo permet de réduire les risques encourus par les citoyens. Sauf que… la méthodologie ayant permis d’établir le rapport est très critiquable et que la preuve de cette efficacité ne semble pas faite aujourd’hui. Au niveau international, peu d’études ont été réalisées et celles qui existent ne sont pas toujours fiables, ni concluantes ; en France, l’évaluation est quasiment inexistante. C’est ce que souligne le rapport de la Cour des Comptes :

    p.145 – Diverses études ont été réalisées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, selon une démarche d’évaluation reposant sur l’analyse globale des tendances dégagées par une pluralité d’enquêtes  [ref citée : “What Criminologists and Others Studying Cameras Have Found”, Noam Biale, Advocacy Coordinator, ACLU Technology and Liberty Program, 2008 ]… Si ces études ont, dans l’ensemble, conclu à l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance, certaines ont toutefois fait apparaître que les résultats sont plus encourageants dans des espaces clos (parkings) avec un nombre limité d’accès. D’autres ont montré que la vidéosurveillance peut être efficace pour repérer les délits violents (atteintes à la personne) mais inopérante pour prévenir la commission de ces déli. Aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée. Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l’apport de la vidéosurveillance dans les politiques de sécurité publique

Sur quels éléments tangibles s’appuie alors le ministre pour affirmer qu’il faut plus de caméras ? Sur la base de quels éléments  devrions-nous adhérer à sa thèse ?

Qu’en conclure ?

Je suis assez perplexe devant autant d’imprécisions, d’approximations, d’erreurs, de parti pris sur un sujet complexe qui mériterait pourtant une analyse de qualité. Ce texte ne nous apprend rien, on n’y comprend pas grand-chose, il donne une tribune immense à des idées reçues voire fausses et il contribue à rendre le sujet rébarbatif. A l’instar de mes collègues de CorteX, je crois qu’il serait grand temps de mener une réflexion collective sur les mécanismes structurels des médias qui conduisent à produire de l’information de mauvaise qualité, voire de la désinformation, et qui font oublier le but premier du journalisme : transmettre des informations aussi fiables que possibles sur le monde afin que chacun puisse faire ses choix en connaissance de cause.
Guillemette Reviron

(*) Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, Bulletin pour l’année 2009, janvier 2010, cité par le Rapport de la Cour des Comptes pp. 27
(**) Notons que si Londres avait été une ville vierge de vidéos, le raisonnement ne tenait pas plus ; en effet, il s’énoncerait de la manière suivante : « il faut des caméras en France parce qu’à Londres il n’y en avait pas et il y a eu un attentat ». On y aurait trouvé
– un effet cigogne : « attentat » et « pas de vidéo » sont corrélés
– un biais de confirmation : il ne suffit pas de vérifier une thèse sur un exemple pour la prouver, la thèse étant « s’il n’y a pas de caméras, il y a des attentats ». 

La science (6) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 6


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°5 était :

Il n’y a pas de différence de méthode entre sciences dures et sciences humaines ?

D’emblée, je t’encourage à oublier le terme de science dure, ou exacte, pour au moins trois raisons.

  • D’une part, les sciences dures ne sont pas toutes exactes. Exemple, en physique quantique il y a quelques imprécisions de mesure, et en météorologie, les équations divergent tellement que le résultat final est dur à prévoir.
  • D’autre part, les sciences dures s’opposeraient à quoi ? Aux sciences « molles » ? Cela laisse penser que les sciences humaines sont molles méthodologiquement, ce qui est absolument faux. C’était vrai dans les débuts de ces disciplines (la sociologie par exemple est une science qui, âgée d’à peine un siècle, peine parfois à trouver sa scientificité – mais regardons bien les débuts de la chimie, ou de la médecine, c’était pareil) et il reste quelques cas de politologie ou d’anthropologie bien molle, où de pompeux personnages enfument leur monde. Mais c’est de plus en plus rare, car ces sciences se disciplinent de plus en plus. Comme l’a montrée l’affaire Sokal, on ne peut plus faire ou dire n’importe quoi.
  • De trois : science dure, ça laisse penser que c’est rigide, insensible et indépendant du contexte socio-politico-économique. Or ça, c’est faux. On sait plus de choses sur les pathologies des Blancs que des Noirs, plus de choses sur le gland humain que sur le clitoris, on a plus de financement sur des sujets qui présentent un marché (les nanotechnologies) que sur ceux qui n’en ont pas…

Question N°6

Enfin, ce n’est pas la même chose, tout de même, de travailler avec des cailloux et d’étudier des humains par exemple…

Réponse ici !

 

La science (7) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 7


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°6 était :

Enfin, ce n’est pas la même chose, tout de même, de travailler avec des cailloux et d’étudier des humains par exemple… ?

La méthode est grosso modo la même et se résume ainsi : comment dire quelque chose plus vrai que faux, et comment le rendre démontrable à quelqu’un d’autre ? Les hypothèses posées sont différentes, souvent plus modestes quand l’objet est complexe (comme les objets sociaux, qui sont très souvent multiparamétrés). Et l’une des particularités des sciences sociales par exemple, c’est que l’observation des comportements est parfois chamboulée par la présence de l’observateur, en des proportions parfois difficiles à jauger. Une autre particularité de certaines sciences est de travailler du passé – il y en a en sciences humaines, l’Histoire et l’archéologie par exemple – et en sciences physiques, la géologie ou la paléoanthropologie mais aussi la physique du cosmos. Là, on fonctionne en recoupant les sources, en mettant plus de bémol, en précisant qu’il a pu probablement se passer ceci ou cela, sachant qu’on ne pourra pas refaire un big bang, revenir à la guerre de cent ans ou revoir émerger l’homo sapiens.

Question N°7

Mais vous êtes en train de dire que l’humain s’étudie comme un vulgaire silex. C’est presque l’animal-machine de Descartes ! (réplique réelle).

Réponse ici !

La science (8) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 8


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°7 était :

Mais vous êtes en train de dire que l’humain s’étudie comme un vulgaire silex. C’est presque l’animal-machine de Descartes ! (réplique réelle). 

Je ne comprends pas votre réaction. L’humain ne s’étudie pas comme un vulgaire silex, car ce n’est pas le même objet, il n’a pas les mêmes paramètres – et pour tout dire, l’humain possède un nombre de paramètres immensément plus grand que le silex. Mais l’humain s’étudie avec la même méthode, bien sûr. Est-ce choquant de se dire que les mêmes principes méthodologiques de base servent aussi bien à apprendre de la Voie Lactée, de l’autruche ou du silex que de l’humain ? Si je vous mesure avec une toise dont je me suis servi pour mesurer une planche, vous sentez-vous ravalé au rang de vulgaire planche ?

Rappelons-nous que l’humain n’a pas pu être étudié durant de nombreux siècles de par son statut de fils et fille de Dieu, et encore maintenant dans certains coins, classer l’humain dans le même buisson phylogénétique que les singes est un blasphème. Il faudrait une raison « transcendante » pour que l’humain soit un « objet » à part, seulement la transcendance est un concept purement religieux, et n’a aucun fondement scientifique. Donc il n’y a aucune raison de ne pas étudier l’humain, à partir du moment où le cobaye est consentant.

L’un des dangers – et c’est peut être ce que vous craignez – serait de penser qu’on puisse tirer sur l’humain des règles aussi prédictives que sur un silex, mais c’est très improbable – hormis sur des comportements de conformisme ou sujetion, comme l’ont montré la gamme des études allant de Solomon Ash à Stanley Milgram.

L’autre, bien plus grave à mon sens, est celui-ci : que devient cette connaissance, et à qui appartient-elle ? Elle devrait relever du domaine public, certes. mais il est évident que la thérapeutique humaine est brevetée par les industriels pharmaceutiques, que la génétique humaine tombe dans le domaine privé, que les connaissances sur les comportements sociaux sont étudiés, financés, et conservés par les grandes surfaces étudiant le marketing.

J’oubliais : votre référence à l’animal-machine de Descartes me fait tiquer. C’est un détail, mais pas anodin, alors je fais un détour. Vous n’êtes bien entendu pas obligé de lire.

Oui, Descartes posait l’animal comme une sorte de machine mue par des causalités simples, et dénuées d’autre chose, notamment d’âme. Quelle est votre crainte ?

Vous craignez qu’on prétende l’humain sans âme ? Si vous le prenez sous un angle symbolique, artistique ou mystique, alors l’âme existe tant qu’il y a quelqu’un pour en parler (ou pour chanter – un courant musical porte d’ailleurs son nom, la soul). Mais sous un angle scientifique, l’âme est un concept nébuleux qui comme les anges ou les esprits, n’a pas de fondement réel autre que celle de justifier l' »essence divine » de l’Homme. Elle ne pèse pas 21 grammes, elle ne quitte pas le corps lors de la mort, du moins il n’y a rien qui permette de penser cela (même les expériences de MacDougall de 1907, décrites par Géraldine Fabre). Donc scientifiquement parlant, l’âme humaine n’existe pas.

Mais ce n’est pas parce que l’humain n’a pas d’âme qu’il n’a pas une conscience de soi – qui lui est propre, et très développée en moyenne, par rapport aux autres animaux. Avec cette conscience de soi, on peut bâtir une morale, des comportements éthiques, des règles de vie en société, on peut imaginer un certain libre arbitre.

Poser l’humain sur le même plan qu’un autre animal a bien évidemment fait faire des sauts de carpe à un paquet de philosphes, qui craignaient qu’on ne flingue la part divine de l’humain, l’humanisme, la responsabilité, et même la morale (sic !) : Aristote, les penseurs Chrétiens, les philosophes opposés à l’éthique animale, tous ont eu la même réaction, un refus drapé dans la toge. Or s’affranchir d’un concept « divin » comme celui-là est sacrément libérateur pour l’humain, car :

  • si l’humain est un animal, alors ses comportements peuvent être étudiés, et on arrivera probablement à savoir ce qui pousse l’un à convoiter/violer/tuer/guerroyer l’autre.
  • Si l’âme humaine n’existe pas, impossible de postuler que cette essence est noire, méchante, égoïste, comme on l’entend souvent. Dire que l’humain est égoïste en soi fait l’économie d’une étude plus poussée, qui potentiellement peut montrer que c’est le contexte qui le rend ainsi, ou qu’un contexte différent pourrait l’aider rapidement à être moins égoïste très tôt dans son développement.

Mieux encore, s’affranchir du divin peut être en outre fichtrement libérateur pour les animaux ! On est en train de découvrir, méthodiquement, que si l’humain perd son âme, l’animal lui, par les découvertes scientifiques successives, se voit doté d’une conscience de soi, voire d’une culture. Commence alors une revendication éthique puisque qui dit conscience, dit paradoxalement ouverture de droit pour les animaux, notamment celui de ne pas souffrir ou de ne pas se faire tuer. Etudier l’humain comme l’animal n’est donc pas le problème.

En disant ça, j’ai bien conscience que la fonction rassurante de la survie d’un quelque-chose après la mort en prend un coup. Mais rappelons-nous : ce qu’il y a après la vie est méta-physique ! La science ne peut rien dire, dessus, donc lâchons-nous !  Bien sûr, l’âme rejoint les gadgets de la psychologie humaine pour se rassurer, mais au fond, c’est libérateur : plutôt que de voleter sagement à la droite du Père pour l’éternité, ou être obligé de refaire un tour dans une enveloppe charnelle, vous pouvez choisir l’option que vous voulez. Je connais quelqu’un qui pense que l’au-delà est fait de caramel, un autre qui pense qu’il n’a non pas une, mais deux âmes, et j’en connais même un qui pense qu’il n’y a rien, alors autant tenter de créer un semblant de paradis et un monde plus juste, par des moyens sociopolitiques, sur Terre, maintenant.

Question N°8

Pourtant, on lit parfois que la science est un discours comme un autre sur le monde. Une histoire, un conte, un discours comme un autre, qu’une forme de narration sur le réel au même titre que la littérature, l’art ou la religion, qui ne serait pas différente de ces approches car dépendant des cultures, des sociétés, des époques. Elle serait alors relative (c’est-à-dire dépendante de celui qui l’énonce) et subjective, contredisant ce que vous affirmez ci-dessus.