Corrigé de l’exercice Décryptage de « Igor et Grishka Bogdanoff au CERN »
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Analyse
Séquence I : introduction
(Fond : JT, Laurent Delahousse présentateur connu, ambiance sérieuse, accréditant l’idée d’une nouvelle de type scientifique là où il ne s’agit que d’un publi-reportage en lien avec la sortie à venir quinze jours plus tard du livre Le Visage de Dieu, des frères B., aux éditions Grasset, en juillet 2010).
Dieu, le Big Bang et la science.
→ Mélange des genres épistémologique. Association qui n’a pas de sens sur le plan épistémologique. Dieu entité métaphysique – Big bang modèle théorique – science, 4 sens différents (voir ici)
Voilà peut être un thème
→ Mélange des genres épistémologique : le présentateur fait un paquet, un seul « thème ». Cela crée une sorte de pont concordiste entre science et foi.
qui pourrait alimenter les épreuves de philosophie aujourd’hui encore.
→ Certes, mais certainement pas posé dans ces termes (accrocheurs et scénarisant une opposition duale entre science et Dieu), une sorte de plurium affirmatum laissant penser que cette opposition existe et est discutable sans en clarifier les contours (matérialisme méthodologique notamment, contrat laïc du chercheur).
En tout cas les astrophysiciens poursuivent toujours leurs recherches, concernant la création de l’univers,
→ Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’un univers créé, ce qui est exactement le discours des textes religieux.
des recherches qui s’effectuent entre autres, dans les laboratoires du CERN, à Genève.
→ Publi-reportage ? Le choix du CERN ne peut être discuté ici. Mais la communication du CERN a redoublé d’effort pour justifier les sommes pharaoniques englouties dans le projet LHC (5,2 milliards d’euros http://cdsweb.cern.ch/record/1095481/files/CERN-Brochure-2008-001-Fre.pdf)
Frédéric Monteil, Emmanuel Morel.
→ Journaliste non spécialiste.Accessoirement, Frédéric Monteil, qui signe ce reportage, a fait des études non de physique, mais d’histoire (à l’Institut Catholique d’Etude Supérieur de La Roche-sur-Yon) puis de journalisme.
Il était une fois il y a 13 milliards 700 millions d’années, le Big bang.
→ Imprécision théorique. Le Big bang est l’une des explications théoriques possibles de l’univers, parmi d’autres. Ceci dit, elle semble être la plus solide.
→ Imprécision scientifique.Il s’agit de 13,82 milliards d’années +- 0,02 (valeur connue à l’époque du reportage).
Parti d’un point minuscule, une énergie folle explose, l’univers est né.
→ Anthropomorphisme. Métaphore de la naissance, qui ne prêterait pas à confusion si tout le documentaire ne s’inscrivait pas dans l’idée d’œuvre de Dieu.
→ Deux idées fausses sur le Big bang.
- Le Big Bang ne se réfère pas à un instant « initial » de l’histoire de l’univers : il indique seulement que celui-ci a connu une période dense et chaude.
- Le Big Bang n’est pas une explosion, il ne s’est pas produit « quelque part », en un point d’où aurait été éjectée la matière qui forme aujourd’hui les galaxies. À l’« époque » du Big Bang les conditions qui régnaient « partout » dans la région de l’univers observable étaient identiques. Il est par contre vrai que les éléments de matière s’éloignaient alors très rapidement les uns des autres, du fait de l’expansion de l’univers. Le terme de Big Bang renvoie donc à la violence de ce mouvement d’expansion, mais pas à un « lieu » privilégié. En particulier il n’y a pas de « centre » du Big Bang ou de direction privilégiée dans laquelle il nous faudrait observer pour le voir. Voir à ce propos http://map.gsfc.nasa.gov/site/faq.html
(Fond : images de l’Univers, avec une rétractation, puis une explosion, le tout en parfaite contradiction avec ce qu’on sait du Big bang).
Aujourd’hui des satellites comme celui-ci baptisé Planck, traque les dernières traces de cette incroyable explosion. Sur Terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire ce Big bang. En Suisse, dans un tunnel souterrain des protons, un composant des atomes, sont projetés à une vitesse prodigieuse, 300000 km à la seconde, jusqu’à la collision
→ Imprécision scientifique minime : atteindre la vitesse de la lumière, 300 000 km par seconde, est impossible sans une énergie infinie ou une masse nulle – ce qui n’est pas le cas du proton.
Séquence II : les Bogdanoff au CERN
(Fond : animations d’images de type scientifique, avec musique de fond électronique)
Toutes ces recherches passionnent les frères Bogdanoff, habitués aux discussions pointues.
(Fond : images du Cern, fondues-enchainées avec les Frères Bogdanoff)
« Ce qui est fascinant, Albert, c’est que ces énergies dont on parle sont extrêmement élevées, elles sont de l’ordre de 7 Tera-électrons-Volt »
→ Effet photo de famille. Voir les frères B. au CERN leur confère un certain crédit, alors que non seulement ils n’y travaillent pas, mais qui plus est, ils sont décrédibilisés dans le monde scientifique, depuis l’affaire de leurs doctorats respectifs.
→ Stratégie de connivence. Igor B. appelle le scientifique présent par son prénom.
→ Phrase puits. La phrase d’Igor B. ne contient aucune réelle information.
→ Introduction d’un élément de vernis scientifique. En l’occurrence, un préfixe peu usité, Tera, devant une unité obscure pour le public, l’électron-volt.
→ Imprécision. Au LHC de Genève, le maximum atteint en 2014 4 TeV (http://home.web.cern.ch/fr/about/accelerators. Or le document date de 2010, donc il est improbable que les énergies mises en œuvre soient plus grandes que 4 ans plus tard. À moins qu’il ne s’agisse de l’énergie dans le centre de masse, somme des 2 faisceaux, soit 3.5+3.5.
Igor et Grishka l’affirment, notre monde est régi par un ensemble de lois extrêmement précises.
→ Phrase puits. Elle ne contient aucune information.
Séquence III : la vitesse de la lumière
(Fond : images floues vaguement scientifiques)
Exemple, la vitesse de la lumière, 299 792 km et 458 m par seconde, pas un de plus ou de moins.
→ Imprécision scientifique. Cette vitesse est valable dans le vide – mais c’est un détail.
→ Raisonnement quasi-panglossien. Quelque que fusse la vitesse de la lumière, c’eut été « pas une de plus ou de moins ». Donc cette phrase appuie le « fin réglage » présumé (cf. plus loin).
Séquence IV: La marguerite
(Fond : l’image n’est pas claire et ne permet pas de donner une échelle, donc difficile de trancher si c’est une marguerite commune Leucanthemum vulgare ou une pâquerette Bellis perennis)
Autre exemple, les marguerites : vous n’en trouverez aucune qui possède 16 pétales.
→ Raisonnement quasi-panglossien. Voir point précédent.
→ Argument d’impossibilité.
→ Imprécision scientifique. Les marguerites sont des asteracées, composées de multiples fleurs, appelées fleurons et qui sont de deux types : les tubulés et les ligulés. L’ensemble forme un capitule. Donc compter les pétales blancs d’une marguerite n’est pas rigoureux, car ce ne sont pas des pétales mais des fleurs, elles-même composées de trois pétales soudés et deux régressés.
Séquence V: fine-tuning
« Pour nous, l’univers n’est absolument pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces grandeurs quantifiées, chiffrées, précises, complètement ajustées, qu’elles sont là, et que si elles avaient été détraquées ici et là à la 20ème décimale, ou au centième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait resté chaotique ».
→ Raisonnement panglossien pur, basé sur le « fine-tuning », ou ajustement fin de l’univers, lecture téléologique prétendant prouver le principe anthropique fort, c’est-à-dire « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, avec une intentionnalité de départ. Cette critique avait déjà été pointée dans Science & religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.
Séquence VI : le livre
(Fond :Grishka B. sur fond d’images de synthèse, et présenté comme co-auteur du livre).
Les frères Bogdanoff y voient la main d’un créateur, pourquoi pas Dieu.
→ Spiritualisme et rupture du contrat laïc en science. La démarche des deux frères, tout comme l’argumentaire du livre dont le JT fait la promotion, vise à nous « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, ce qu’on appelle le principe anthropique fort.
→ Concordisme « du Dieu des lacunes » (God of gaps), consistant à faire appel au divin pour expliquer les lacunes des théories scientifiques et remplir les trous.
Séquence VII : conclusion
(Fond : images des frères Bogdanoff, discutant dans le Cern).
Une thèse audacieuse
→ Effet paillasson sur le mot thèse : thèse, dans le langage courant, est une opinion ou une prise de décision. En science, c’est un diplôme doctoral.
→ Fabrique du sensationnel. Cette thèse n’a rien d’audacieux : elle est l’exacte réplique des arguments du Pape Pie XII dans son discours du 22 novembre 1951 : « (…) Il semble, en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire témoin de ce « Fiat Lux » initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies. » S. S. Pie XII, « Les preuves de l’existence de Dieu à la lumière de la science actuelle de la nature », Discours prononcé à l’Académie pontificale des sciences, trad. La Documentation catholique, no 1110, 16 décembre 1951.
réfutée
→ Problème de réfutabilité de Popper. L’Intelligent design et son principe anthropique fort sont des scénarios irréfutables, ils ne peuvent donc pas être réfutés.
par une partie de la communauté scientifique.
→ effet paillasson + mésusage du rasoir d’Occam + rupture du contrat laïc et intrusion spiritualiste. Que la communauté scientifique soit partagée sur la question d’un créateur est possible (assez peu en France). Mais la « production de la communauté scientifique », elle, n’est pas partagée : les hypothèses sur-naturelles ne peuvent être postulées ad hoc.
L’arbitrage viendra peut être de l’espace.
→ Problème de réfutabilité de Popper. Il n’y a pas besoin d’arbitre dans ce mélange épistémologique. D’ailleurs, l’espace rapportera des éléments envers lesquels un scénario irréfutable restera hermétique.
Le satellite Planck doit livrer de nouvelles images du Big bang.
→ Imprécis. Il n’y a pas d’image du Big Bang, mais des images des traces du big Bang (Carte du fond diffus cosmique).
On en saura alors un peu plus sur la création du monde.
→ Terme téléologique + plurium affirmatum. Création : terme téléologique, impliquant un créateur, comme si le présentateur ne doutait pas qu’il y ait eu « création ».
Ce corrigé a été élaboré par Richard Monvoisin, Denis Caroti, Julien Peccoud et Ismaël Benslimane.