La vitamine C est à l’origine de beaucoup d’idées reçues. Qu’en est-il réellement ?
La première d’entre elles, et certainement la plus grave, concerne le traitement du cancer. On la doit entre autres au prix Nobel Linus Pauling, qui, certainement influencé par les théories étranges de la « médecine orthomoléculaire » défendues par le biochimiste Irwin Stone, popularisa la consommation massive de vitamine C. Il s’agissait d’abord de prévenir les rhumes, et Pauling déclara dans Vitamin C and the Common Cold que prendre 1 000 mg de vitamine C par jour allait réduire l’incidence des rhumes par 45% pour une majorité de personnes (sachant que les Apports Nutritionnels Conseillés en 2011 en France sont de 110 mg pour un adulte). La nouvelle édition de 1976 de son livre, ré-intitulé Vitamin C, the Common Cold and the Flu, suggéra des doses encore plus élevées, cette fois-ci pour la grippe, avant qu’un troisième livre, Vitamin C and Cancer n’avance que des doses élevées de vitamine C pouvaient être efficaces cette fois contre le cancer.
En 1976 puis 1978, deux publications cosignées par Pauling présentaient des expérimentations sur l’effet de l’administration d’acide ascorbique chez des patients cancéreux (Cameron & Pauling 1976). Sans compter sur un autre livre, How to Feel Better and Live Longer, qui prétendait que de fortes doses de vitamine « peuvent améliorer votre santé générale… augmenter votre joie de vivre, contribuer à prévenir des maladies cardiaques, du cancer, d’autres pathologies, et ralentir le processus de vieillissement » (Pauling 1986). Pauling lui-même prenait selon ses dires au moins 12 000 mg de vitamine C par jour et avait coutume d’augmenter la dose à 40 000 mg s’il sentait un rhume arriver.
Malheureusement, des études pourtant contemporaines de Pauling ne montrèrent aucun intérêt significatif de cette vitamine C dans le traitement ni du rhume, ni du cancer (entre autres Creagan & al. 1979 et Moertel & al. 1985). Il semble que seul son effet antihistaminique réduirait un tout petit peu la sévérité des symptômes au début d’un rhume, et encore. Quant à l’effet anti-oxydant préventif de cette vitamine, il semble malheureusement qu’il se rapproche de zéro.(1)
Il n’y a pas de grande morale à cette histoire. Car Linus Pauling était un type brillant, qui pour l’anecdote est l’un des rares à avoir cumulé deux prix Nobel, l’un en chimie et l’autre pour la paix – ayant milité longtemps contre la prolifération des armes nucléaires, contre la guerre et l’interventionnisme US. Il est certainement tombé dans ce que nous appelons le syndrome Formule 1 : de même qu’un pilote chevronné sort rarement de la route, lorsqu’un scientifique puissant sort de la route, il termine sa course… bien loin dans le décor. Linus Pauling est mort d’un cancer de la prostate en août 1994 (2).
Une orange avant de dormir, ça énerve
Un exemple bien moins grave d’idée reçue sur l’acide ascorbique (autre nom de la vitamine C) est pourtant courante dans nos chaumières : celle d’excitant. Certaines personnes évitent ainsi de manger des oranges au repas du soir, de peur que la vitamine C contenue dans ces fruits provoque des insomnies et nuise à une nuit paisible et réparatrice.
En fait il n’en est rien. Selon la revue Prescrire (N°58, 1986) :
« Il est habituel de dire que la vitamine C perturbe le sommeil. Nous avons cherché à vérifier cette impression dans la littérature internationale par l’interrogation d’experts et de laboratoires producteurs de vitamine C. Rien ne permet d’affirmer que la vitamine C perturbe l’activité cérébrale pendant le sommeil. Au contraire, une étude réalisée chez 18 volontaires sains rapporte les enregistrements EEG diurnes et nocturnes après prise au coucher de 4 grammes de vitamine C ou de placebo (Note : équivalent de 10kg d’oranges ou de pamplemousses). Aucune modification des cycles ou de l’organisation du sommeil n’est retrouvée chez ceux qui ont absorbé la vitamine C. Aucun trouble fonctionnel n’est rapporté au réveil. Une autre étude réalisée en 1975 chez 54 volontaires étudiants en médecine de Strasbourg a comparé l’effet sur le sommeil du sécobarbital, de la vitamine C et du placebo : 1 gramme de vitamine C au moment du coucher n’a eu aucun effet statistiquement significatif sur le sommeil. » (3)
Cela n’empêche pas un grand nombre de gens, souhaitant gérer « naturellement » leur santé, d’acheter soit des compléments alimentaires d’acide ascorbique (voir la petite mise en garde de N. Gaillard, les compléments alimentaires), soit de gros stocks hivernaux d’oranges, souvent issues d’une agriculture concentrationnaire exploitant une main d’oeuvre corvéable et bon marché du sud de l’Espagne. Pendant ce temps, meurt en touffe le persil qui est en soi une bien meilleure réserve de vitamine C, et se dilue bien mieux dans la soupe (100g de persil apportent 200mg de vitamine C, contre environ 55mg pour 100g d’orange).
A part pour les pirates qui souhaitent éviter le scorbut, inutile donc de se supplémenter à forte dose.
(1) Bjelakovic G & al., Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention: systematic review and meta-analysis, JAMA. 2007 Feb 28;297(8):842-57.
(2) pour en savoir plus, lire Stephen Barrett de Quackwatch : High Doses of Vitamin C Are Not Effective as a Cancer Treatment (traduit ici) et The Dark Side of Linus Pauling’s Legacy
(3) La publication citée est Kerxhalli JS., Vogel W., Broverman DM., Klaiber EL., Effect of ascorbic acid on the human electroencephalogram, J Nutr. 1975 Oct;105 (10):1356-8. Des compléments sur le mythe de la vitamine C sont accessibles ici)