Après avoir écouté l’émission de La tête au carré intitulée « Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ? » (ici), nous en proposons une brève analyse. N’hésitez pas à nous suggérer du contenu pour compléter cette page.
C’est le titre qui m’a donné envie d’écouter l’émission : « Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ?« . Qu’entend-on par « médecine » ? Est-ce le point de vue des médecins, du corps médical que l’on interroge ? Mais cet avis est-il unanime ? S’agit-il plutôt de l’expertise scientifique sur ces pratiques ? L’émission durant 37 minutes, une retranscription suivie d’analyses phrase par phrase me semblait trop coûteuse. Voilà comment j’ai préféré m’y prendre.
Après une première écoute attentive, j’ai essayé de me remémorer à chaud ce qui m’avait titillé : arguments fallacieux, faiblesses épistémologiques, etc. Lors d’une deuxième écoute, j’ai retranscris textuellement chaque phrase qui méritait selon moi d’être décortiquée. Une troisième écoute m’a permis de corriger des erreurs de retranscription.
J’ai ensuite essayé de réunir les failles argumentatives et les erreurs de raisonnement les plus redondantes. J’ai fait une sélection parmi les phrases ou passages les plus représentatifs des biais présentés. Voila donc un échantillon de ce que l’on peut relever dans cette émission.
Table of Contents
Avec Christophe Limayrac (guérisseur, rebouteux , magnétiseur et réflexologue), Isabelle Nègre (médecin anesthésiste réanimateur, spécialiste de la douleur), Isabelle Célestin-Lhopiteau (directrice de l’IFPPC, Institut français des pratiques psycho-corporelles, présidente de l’Association Thérapies d’Ici et d’Ailleurs, psychologue, psychothérapeute au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur du Centre hospitalier universitaire Bicêtre).
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Des appels au témoignage en guise de preuve d’efficacité spécifique des pratiques présentées
« Combien faudra-t-il de témoignages de patients pour pouvoir simplement donner notre numéro de téléphone dans le service d’un hôpital ? »
« Comment expliquer que ce que je fais agit très bien, mieux sur les enfants et encore plus sur les nourrissons et les animaux ? »
« L’efficacité parait indémontrée dans ses mécanismes mais suffisamment puissante comme peuvent en témoigner beaucoup de personnes ».
Sur le placebo chez les animaux, nous recommandons la lecture de Francklin D. McMillian.
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Des prétentions thérapeutiques aussi démesurées que peu précises
« dans l’essentiel des cas on arrive à compenser le manque de résultat qu’il y eu précédemment ».
« mes mains guérissent ou du moins aident à guérir »
« le magnétiseur est capable de dégager un fluide et ce fluide est capable soit de couper le feu, c’est à dire de dissiper les symptômes de la brûlure, ou au moins aider le corps à se régénérer et faire passer certains troubles »
« le guérisseur c’est quelqu’un qui est capable de guérir tout être vivant » (…) « ça peut être les animaux, ça peut être aussi les plantes »
« avec un minimum d’enseignement ils arriveront à guérir les gens »
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Appel à des entités immatérielles
« Mes mains guérissent. »
« Le flux est capable d’aider les gens à se régénérer. »
« Il y en a qui ont un certain potentiel, ce que certains appellent le don, et donc avec un minimum d’enseignement ils arriveront à guérir les gens. »
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Non-utilisation du rasoir d’Occam
En l’occurrence, la croyance en un don des guérisseurs, que nos connaissances actuelles en médecine ne permettraient pas d’expliquer sans faire appel à des capacités extraordinaires :
« Comment vous avez compris que vous aviez ces capacités particulières ? »
« Le magnétisme tout le monde en a. »
« Là il s’agit d’une capacité individuelle d’une personne qui va avoir un don particulier pour une certaine pathologie. »
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Phrases puits
où l’auditeur est noyé dans des concepts peu définis et flous :
« Chez le guérisseur il y a vraiment un travail très intuitif, qui emmène a une relation, une observation globale, très fine, et c’est certainement dans la discussion entre la science la plus rigoureuse et cette réflexion sur l’intuition qui a des choses à créer. »
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Rhétorique de repoussoir
– cet effet puits se trouve aussi dans l’opposition qui est dressée entre une médecine « officielle », et une médecine « traditionnelle », « ancienne », la première ayant une « vision organiciste », insuffisante, la seconde une vision « globale » (mais « très fine »), faisant appel à l’intuition :
« Au niveau de la médecine conventionnelle l’homme a été divisé à l’infiniment petit et on traite l’infiniment petit sans prendre en considération ce qu’il y a autour, et nous guérisseurs on prend l’ensemble, on prend la globalité, et oui effectivement, l’endroit qui est lésé nous intéresse mais on va traiter l’ensemble de la personne, et je pense que ces deux attitudes peuvent être très complémentaires, nous traiter le patient dans sa globalité, et la médecine conventionnelle faire sa spécialité que je ne connais pas, mais l’ensemble pourrait emmener de supers résultats. »
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Faux dilemmes
Dans ces faux dilemmes, peuvent être intriquées plusieurs affirmations (voir Plurium).
« On peut se demander ce qu’il faut préférer, est-ce qu’on peut préférer une thérapeutique dont l’efficacité est démontrée mais faible, ou une thérapeutique dont l’efficacité est indémontrée mais forte. »
Ce faux dilemme incorpore des affirmations qui peuvent passer inaperçues mais qui demandent pourtant à être étayées ; la personne affirme au passage que les thérapeutiques dont elle parle on une efficacité démontrée mais faible, ou une efficacité non démontrée mais forte.
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Effet paillasson sur « efficacité »
Je crois qu’une des confusions centrales de cette émission réside dans la confusion » efficacité non spécifique » et « efficacité spécifique » d’un traitement. Lorsqu’un des intervenants parle d' »efficacité indémontrée mais forte« , je pense qu’il sous-entend que beaucoup de personnes vont mieux après avoir suivi tel ou tel traitement, d’ou l’efficacité qualifiée de forte, mais que l’on n’a pas recueilli ces améliorations lors d’une ou plusieurs études, d’où l’efficacité indémontrée. Le problème est le suivant : on ne peut pas savoir si l’amélioration de l’état de santé des patients constatée (si elle est bien avérée) est liée au traitement ou à d’autres facteurs : effets dits « placebo » (ou effets contextuels, voir par exemple l’excellent article de J. Brissonnet sur le sujet), évolution naturelle de la maladie, et tant d’autres etc. Le traitement peut être efficace sans avoir d’efficacité spécifique (liée uniquement aux modalités du traitement en lui-même). A ce sujet, voir « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles ».
Dans cet autre extrait,
« il y a une efficacité qu’on ne peut pas expliquer scientifiquement actuellement, mais il y a une efficacité »
il est plus raisonnable de supposer que l’efficacité « inexpliquée » peut en fait s’expliquer par nos connaissances concernant les effets non spécifiques associés à tout traitement.
Ce qui est assez étonnant, c’est qu’un auditeur prénommé Jean-Paul, envoie durant l’émission un courriel contenant une explication pertinente du phénomène d’évolution naturelle des maladies :
« La plupart des affections qui nous affligent tout au cours de notre existence ont tendance à se résoudre d’elles-mêmes, ce phénomène de guérisseurs donne prise à toute pratique rebouteuse ou autre qui prend appui sur ce phénomène de guérison spontanée pour se vendre comme efficace. »
À cela, lui est répondu :
« C’est un argument qui tient la route puisqu’il y a souvent ce phénomène de régression liée à l’histoire naturelle de toute affection ».
Puis :
« C’est pour ça qu’il faut des études pour qu’on essaie de mieux appréhender l’efficacité »
ce qui est en pleine contradiction avec ce qui a été dit précédemment, la même personne ayant affirmé à plusieurs reprises l’efficacité démontrée des pratiques dont il est question ici.
À plusieurs reprises les intervenants soulignent les difficultés méthodologiques qu’ils pensent rencontrer pour étayer l’efficacité spécifique de leur pratique :
« Il y a une difficulté extrême d’évaluer ces pratiques qui vont à l’encontre de nos méthodes d’évaluation qui ne doivent pas dépendre du thérapeute »
« L’intervention d’un coupeur de feu va avoir une conséquence sur la cicatrisation et sur la consommation de morphine qui est objectivable mais il n’y a pas d’étude qui soit méthodologiquement valable, c’est pas publié, on observe des choses, on peut constater que ces patients vont mieux, consomment moins d’antalgiques, mais encore une fois il manque une vraie évaluation qui soit scientifiquement valable, ce qui est une vraie difficulté, alors peut-être que ces méthodes d’évaluation ne sont pas adaptées, alors peut-être que d’une manière générale elles ne sont pas adaptées à des notions de bien-être et de vision globale du corps »
Pourtant, de nombreux guérisseurs, magnétiseurs, voyants et autres personnes pensant avoir un don, une capacité particulière, ont déjà été testés de manière rigoureuse, au sein par exemple du laboratoire zététique de Nice, ou même à Grenoble (voir La Kinésiologie Appliquée à l’épreuve du CORTECS, ou le protocole magnétiseur de l’Observatoire zététique). Une autre intervenante est pour sa part plus optimiste quant aux possibilités de tester les capacités de ces praticiens :
« Pour nous tester il suffirait de nous mettre en présence de pathologies et de tester nos capacités ».
C’est pourtant très facile de montrer l’efficacité propre de ces soins ? Au sein du CORTECS, nous serions ravi.e.s de pouvoir collaborer et élaborer des protocoles avec des personnes qui souhaiteraient tester leurs capacités.
ND