Football et chiffres en classe de seconde – Compte rendu du 2ème épisode par Ludovic Arnaud

CorteX_Atelier_chiffres_lycee_Doisneau_2_Ludovic_ArnaudLudovic Arnaud est enseignant au lycée Doisneau et a assisté à l’atelier Football et outillage critique que Guillemette Reviron a animé dans la classe de son collègue Julien Pinel. La semaine suivante, il le mettait en place dans sa propre classe de seconde. Il nous raconte.


Je viens de faire l’atelier Football et outillage critique avec mes élèves. Il y avait un premier groupe de 6 élèves (les autres étaient absents), et un deuxième groupe de 12. J’ai procédé de manière assez libre en improvisant mes réactions, mes synthèses au tableau, mes relances, en suivant globalement la démarche proposée.

Durée de l’atelier : 1h30

Description de la séance

– Ils s’installent à deux par ordinateur et visionnent une des vidéos en se partageant les oreillettes de leurs écouteurs (ils en ont tous). J’attribue les vidéos pour former trois groupes. A la fin de la vidéo ils discutent rapidement entre eux (ayant vu la même vidéo). Aucune autre information ou instruction.

 

– Ensuite, on se regroupe tous et je demande : « alors ? ». La discussion prend spontanément. On observe des premiers positionnements plus ou moins affirmés sur « des histoires chelou » ou « des histoires incroyables », on entend des « j’y crois pas », « c’est comme l’histoire de … » et puis rapidement des élèves prennent la parole pour raconter chaque vidéo. Je laisse un peu la discussion se poursuivre tant qu’il y a de choses qui s’expriment.

– Puis je recentre le débat : « la question que je vous propose de travailler ensemble n’est pas est-ce que j’ai envie d’y croire ou pas ?, mais qu’est-ce qui me permet de me faire rationnellement une opinion dans ce qui est avancé dans la vidéo ? Qu’est-ce qui me convainc ? Quels éléments de preuve m’apporte-t-on ?« .

En discutant avec les groupes, j’ai entendu plusieurs fois : « toi tu n’y crois pas, moi si, de toutes façons, chacun croit ce qu’il veut ». Il semble que le message vidéo laisse une impression particulière à l’élève qui va croire ou ne pas croire, ou hésiter entre les deux, uniquement sur la base de cette impression.

Il me semble qu’un objectif important dans cette séance est de les faire basculer vers une posture où ils sont capables d’avoir une activité intellectuelle pour chercher à questionner le message et dépasser ces premières impressions. Quelques élèves avaient cette attitude spontanément dès le début : « mais ils ne disent pas combien de scientifiques ont travaillé sur Ötzi ».

– Je les renvoie alors à un nouveau visionnage avec un questionnaire et un tableau à remplir.
– Ensuite on se regroupe devant le tableau et je parle de la force des chiffres pour convaincre quelqu’un : impression d’objectivité, de « scientificité », de rationalité, etc. Je leur explique qu’on va se concentrer sur cet aspect : « quels chiffres sont mis en avant pour appuyer chacune de ces thèses ? » et les élèves remplissent la première colonne avec des chiffres bruts.
– Puis j’évoque « Gomis » (voir l‘étape 4 de l’atelier). Cela passe très bien. J’introduis mes notions de chiffre « nu » et de chiffre « habillé » par un questionnement, et j’insiste sur le fait qu’il est nécessaire de rapporter les chiffres « nus » à d’autres données (ici, le nombre de buts par match) puis d’établir des comparaisons (ici, le goal average d’autres buteurs du tournoi) .
– Je leur demande de faire le même travail pour chaque sujet. Voici les tableaux-bilans réalisés par chacun des groupes :

CorteX_Atelier_chiffres_lycee_Doisneau_Ludovic_Arnaud_Tableau_groupe1
CorteX_Atelier_chiffres_lycee_Doisneau_Ludovic_Arnaud_Tableau_groupe2

 

– J’ai fait la mise en commun en étant plutôt directif mais il devrait être possible, en prenant plus de temps, de les rendre plus actifs dans cette phase. Une piste serait de reformer des groupes en mixant les précédents et de leur faire construire ensemble le tableau. Ensuite on pourrait comparer les tableaux des différents groupes avant que l’enseignant ne fasse sa synthèse. C’est surtout une question de temps. 

 

Voici quelques réactions d’élèves après le bilan : « ah ben oui alors, ça ne tient pas la route leur histoire », « présenté comme ça, on n’y croit plus du tout », « ah ben mince, c’est bien de se poser ces questions, ça évite de tomber dans le panneau ». J’ai conclu en disant que c’était une séance de « formation à l’esprit critique », en expliquant pourquoi il est important d’avoir de l’esprit critique et en précisant que cela demande un effort intellectuel.

 
 

Il y a eu d’autres réactions intéressantes qu’il faudrait saisir pour aller plus loin : « mais quand même pourquoi il y a des gens qui font ces vidéos si c’est faux, ces histoires ? »

Bilan des élèves après la consigne : « qu’est-ce que vous avez appris ? Donner votre avis sur cette séance. »
Tout le monde a bien aimé même si certains se sont demandé quel était le rapport avec la physique.

D’autres ont bien compris le message sur les chiffres, mais il s’agissait souvent de ceux qui avaient déjà un peu l’esprit critique affûté ; quelques élèves ont sans doute compris qu’il faut faire preuve d’esprit critique mais ils n’ont pas forcément assimilé les détails de la manipulation des chiffres ; d’autres encore n’ont manifestement pas perçu l’essentiel.

Plus précisément :

– 4 élèves ont cherché à décrire en quoi leur esprit critique avait progressé (« j’ai appris qu’il ne faut pas croire au peu de chiffres donnés mais qu’il faut chercher à connaître d’autres chiffres qui pourraient nous éclairer »).

– 6 élèves ont semblé découvrir l’importance de l’esprit critique (« désormais, je ne croirais plus à n’importe quoi sans me poser de questions »).

– 1 élève a répondu : « j’ai appris qu’il y a beaucoup de mystères sur les mers et dans le monde. Je pense que tôt ou tard, on découvrira les différents mystères étudiés »

 
 

Ce que je modifierais
J’ai repris les mêmes documents que ceux utilisés dans l’atelier de G. Reviron, mais je pense qu’on peut améliorer ce choix :
– les documents concernant Ötzi sont bons.
– pour le poste sur le triangle des Bermudes, la carte est intéressante mais pas facile à lire. Les valeurs sont en containers (?) et non en nombre de bateaux et j’ai dû les aider à faire un calcul d’ordre de grandeur du trafic maritime dans le triangle.
Note de Guillemette Reviron – J’ai donc ajouté le nombre de containers moyens par bateau dans le document 2. Ceci dit, je suis entièrement d’accord, il serait préférable d’avoir une carte plus facile à lire. Vous en avez trouvé une ? Ecrivez-nous.
– pour le travail sur Lourdes, il faudrait un autre document qui explique ce que sont les « guérisons remarquables » et comment elles sont décrétées.

Je suis passé vite sur la phase de bilan faute de temps alors qu’elle me semble essentielle. Je pense que si l’on veut et peut prendre une demi-heure supplémentaire, il faudrait retravailler la fin pour permettre à plus d’élèves d’aller plus loin et de bien saisir la force des derniers questionnements : quel est le trafic maritime mondial et le taux de disparition de navires sur toute la planète ? Quel est le taux de guérisons inexpliquées médicalement dans toute la population ? Quel est la mortalité moyenne dans la population sur dix ans et le nombre de personnes qui se sont occupées d’Ötzi ?
Le fait de trouver d’autres chiffres pour construire une valeur relative permet aux élèves de « relativiser un peu » leur première impression avec le chiffre brut. C’est déjà pour beaucoup une découverte, mais peu d’élèves vont spontanément plus loin et arrivent à voir à quoi il faut comparer ces chiffres relatifs pour pouvoir vraiment se faire une opinion en connaissance de cause. Cela demande un travail intellectuel qui n’est pas évident.
Une phase de confrontation entre eux sur ce qu’ils ont appris est indispensable si l’on veut consolider la rupture engagée. Et sans doute qu’avec un moment comme cela, celui qui « aime les mystères » sera bien obligé de se confronter à l’esprit critique nouvellement aiguisé de ses camarades.
A suivre donc.

Ludovic Arnaud