L'équipe du Cortecs au REC

« La science est-elle politique ? » 1/2 – On pose des questions tabous aux REC, et ça se passe bien !

L'équipe du Cortecs au REC

Le Cortecs était-il aux REC 2023 ?
Quatre membres – Vivien, Sohan, Nicolas et David – ont pu faire le déplacement, donc on peut dire que oui ! Mais officiellement, rien n’a été décidé quant à l’implication de l’association dans l’événement. Nous n’avions rien à proposer, en tant que structure, comme stand ou activité. Sohan est intervenue sur la table ronde « Dérives thérapeutiques : un business juteux » alors que Vivien, Nicolas et David ont animé des ateliers sous la bannière de leurs collectifs (respectivement Cinétique, Rasoir d’Oc et Les Dubitaristes). Nous laissons ici Nicolas et David raconter les ateliers qu’ils ont animés en commun.
La seconde partie de cet article disponible ici exposera notre opinion sur une des questions débattues pendant les ateliers : « La science est-elle politique ? »

Des ateliers, pourquoi ?

Pourquoi proposer des activités dans un événement déjà si grand et si riche ? De quoi avions-nous envie de parler ? Comment mettre en forme cette envie ? Avions-nous déjà, tout simplement, quoi que ce soit d’intéressant à dire ?
Peut-être pas. En tout cas nous avions un grand intérêt à discuter d’esprit critique, de doute réflexif et du rapport entre science et politique.

Pour susciter ces discussions dans de bonnes conditions, rien de mieux selon nous que de bons vieux outils d’éducation populaire !
Sans prétention aucune, il s’agit de mettre en place un cadre qui favorise toute prise de parole et l’écoute active. On y expose nos expériences vécues, nos réflexions propres et nos opinions (nos « savoirs chauds »), on y convoque des références scientifiques, des théories et des figures faisant autorité (les « savoirs froids »), ce qui donne un joyeux mélange de pratiques illustrant la théorie et de théories nourrissant la pratique (quoi que ça donne, ça ne s’appelle pas « savoirs tièdes », bien essayé).

Il ne s’agit pas de dire qu’on va reconstruire des savoirs universitaires en causant pendant une heure. À travers nos discussions, on se confronte à des visions auxquelles on n’aurait jamais eu accès autrement. Notre esprit critique est mis à rude épreuve.

C’est aussi l’occasion de proposer une alternative au format conférences/tables rondes qui sont majoritaires au REC1. Que retire réellement le public de ce genre de format ? Après un jour, après une semaine ou après un mois quelle quantité d’information est retenue ? C’est une vraie question. 
Le risque serait que ce soit la passivité confortable de ces formats couplée à la satisfaction d’entendre un sujet et/ou un·e intervenant·e famillièr·e qui fasse le succès de ces formats plutôt que leur pertinence pédagogique.
Au contraire, il nous semble que les ateliers participatifs permettent davantage de bousculer les participant·es et demandent un vrai travail actif. Évidemment c’est plus coûteux (en énergie, en temps, en ressource cognitive…) et on imagine difficilement un week-end entier à faire des ateliers sans finir avec le ciboulot fondu.
Les deux formats sont probablement complémentaires et nous militons pour que les seconds ne soient par trop relégués au second rang et finissent dans des placards à balais (avec tout le respect qui se doit pour la salle dans laquelle nous animions).  

Voici un déroulé des ateliers proposés. Faciles à mettre en place, nous encourageons à s’en saisir pour exercer nos esprits critiques à peu de frais !

Des ateliers, comment ?

Atelier « débats et discussions »

Dans ce premier atelier l’idée était d’expérimenter différentes modalités de débat. En l’occurence nous en avons testé trois : le débat mouvant, le débat mouvant en deux dimensions et le groupe d’interviews mutuelles.

Commençons par un débat mouvant. Nous lançons à nos participant·es une affirmation clivante, aux termes volontairement polysémiques et non définis, limite malhonnête. Dans un premier temps, ils et elles doivent se positionner spatialement dans la zone « d’accord » ou dans celle « pas d’accord », sans possibilité de nuance. Le doute n’est pas permis !
Une fois dans leurs groupes, les participant·es ont quelques minutes pour construire ensemble les arguments qui soutiennent leur accord ou leur désaccord avec l’affirmation. C’est l’occasion de réfléchir au sens qu’on met derrière chaque mot de l’affirmation.
Enfin, le débat commence et chaque « camp » a l’opportunité, à tour de rôle, de donner un argument.
À n’importe quel moment, toute personne est libre de changer de camp : elle entend un argument qui la touche, elle change d’avis radicalement, elle admet qu’un argument était bien tourné, elle rumine ses propres pensées, elle entend une aberration dans son propre camp, etc. Pas besoin de se justifier, ici le fait de passer d’un camp à l’autre n’est à interpréter que comme la manifestation d’une réflexion. Et montrer qu’on réfléchit, voire qu’on est prêt·e à se remettre en question, c’est quand même la grande classe.

Pour lancer le débat mouvant, nous avions proposé plusieurs affirmations, et c’est la dernière que nos participant·es ont choisie :
– La science recherche la vérité
– Il y a des questions bêtes
– Il faut prouver ce qu’on dit
– On a besoin de croire
La science est politique

Remarquons l’honnêteté intellectuelle de certaines personnes, qui ont systématiquement argumenté en se plaçant dans le même camp, mais qui ont su rejoindre le camp opposé quand des arguments pertinents leur étaient exposés. Les débats se sont fait de manière très sereine et le cadre ludique permet probablement cette légèreté. Tout le monde s’écoute, que l’on soit zététicien·ne troisième dan ou visiteur·euse d’un jour. L’idée principale qui est revenue régulièrement au cours du débat c’est que la réponse dépend ce que l’on entend par « science » et par « politique » (voire de ce qu’on entend par « est »).
Nous revenons plus en détail sur ce débat dans la seconde partie de l’article.

Nous enchaînons avec un second débat mouvant, mais avec une variante.
Nous avons proposé l’affirmation « Il faut douter de tout » qui commencait de la même façon : deux camps, des arguments, du mouvement.
Après quelques prises de paroles, nous introduisons une dimension supplémentaire en faisant remarquer que certains arguments énoncés jusqu’ici nous semblaient plutôt commenter l’affirmation « On peut douter de tout ». Ainsi, si certain·es avaient pu interpréter la phrase dans un sens prescriptif/normatif, d’autres l’avaient fait dans un sens plutôt descriptif (que leur acception de « pouvoir » soit celle de la capacité ou du droit).
Nous proposons alors qu’au lieu de deux camps, les participant·es se placent à présent dans quatre cases :
– Il faut douter de tout, mais on ne peut pas le faire
– Il faut douter de tout, et on peut le faire
– Il ne faut pas douter de tout, et de toute façon on ne peut pas le faire
– Il ne faut pas douter de tout, mais on pourrait le faire

La parole circule de case en case, les participant·es aussi au gré des arguments. À chaque argument énoncé, c’était un sens différent de « pouvoir », « falloir » et « douter » qui était mobilisé.

Le plus difficile, finalement, c’est de terminer le débat : c’est frustrant parce qu’on imagine encore plein d’arguments, on ne sait pas où se placer, et la question demeure en suspens.

Dernière activité, le groupe d’interviews mutuelles. Nos participant·es se groupent par trois et nous leur demandons de raconter, chacun·e leur tour au sein du groupe, une expérience de vie ou une anecdote.
Chaque personne dispose de cinq minutes tandis que les autres ne peuvent pas l’interrompre ou engager la discussion. Elles et ils écoutent attentivement et relancent.
Nous leur avons demandé de raconter un changement d’avis, quel que soit le sujet ou le temps que ça a pris.

Pour conclure, nous avons exposé quelques expériences en plénière pour capter la diversité de ce que nous considérions comme des changements d’avis.
Cela a été l’occasion de se demander ce qui occasionnait le changement d’avis.

Atelier « Petite histoire / Grande histoire »

Le second atelier que nous avons animé s’intitule « Petite histoire / Grande histoire » et est aussi un classique d’éducation populaire.
Dans un premier temps, les participant·es disposent de petits papiers sur lesquels elles et ils doivent écrire deux « petites histoires » et une « grande histoire ». La petite histoire est personnelle, c’est une expérience vécue qui ne concerne que soi-même. La grande histoire est aussi une expérience vécue, mais dans le cadre d’un événement plus large : un événement politique, sportif, une catastrophe, voire un événement du millénaire dernier mais qui constitue une référence culturelle.
Ces histoires avaient pour contrainte de raconter « le rôle que la science a pu jouer dans votre engagement ». Là aussi, tous les termes sont à comprendre aussi largement que possible.

Impossible de résumer la diversité des histoires racontées, en tout cas on a eu de tout ! Notamment, beaucoup de rencontres de scientifiques et de discussions ont manifestement contribué à changer les visions du monde de nos participant·es (et de nous-mêmes, car nous participions !)

Petits bonus sur l’éducation populaire

Un petit éclaircissement sur l’éducation populaire est certainement le bienvenu.
Comme introduit plus haut, l’éducation populaire convoque à la fois les savoirs « chauds » de nos vécus et les savoirs « froids » théorisés. On ne se prive d’aucun savoir, ni d’aucune source source possible de savoir, qu’il s’agisse de savoir-connaissance, de savoir-faire, de savoir-être ou de savoir-penser.
On retrouve là deux acceptions de l’éducation qui correspondent à deux étymologies latines possibles2 : educere, qui signifie « conduire hors de », et educare, qui signifie « nourrir ».
L’éducation peut ainsi se concevoir comme une transmission de savoirs et/ou comme un processus collectif amenant d’un état à un autre.

Un contre-sens possible est de penser que l’éducation populaire, c’est de l’enseignement pour les pauvres.
On vient de voir que l’éducation populaire ne se limitait pas à l’enseignement. En théorie elle n’utilise même pas cette notion. Les savoirs issus d’une expertise, d’une théorisation, sont toujours convoqués en contexte pour éclairer des situations précises, ce qui correspond davantage à la notion d’apprentissage. Ce n’est pas le maître qui vient donner, c’est l’apprenant qui vient chercher.
Si « populaire » est synonyme de « pauvre » dans certains contextes, ici c’est au sens large de « tout le monde » qu’il faut le comprendre. Gardons en tête que ce « tout le monde » fait aussi débat3, car employé naïvement il risque de gommer les inégalités de classe, de genre, de race, d’âge, de capital, etc.

Qu’on pratique l’éducation populaire ou non, on court souvent le risque d’inverser les moyens et les fins, en cantonnant l’éducation populaire à ses « outils ». « Débats mouvants« , « Groupes d’interviews mutuelles », « Petite histoire grande histoire« , sont des noms d’outils qui circulent dans les associations. Ils sont séduisants mais peuvent faire perdre de vue leur finalité.
L’éducation populaire est avant tout un processus, qui passe parfois par des outils. Mais il ne suffit pas d’organiser un débat mouvant pour produire un échange émancipateur de savoirs ni pour engager une réflexion de long terme. Il faut veiller à la pertinence de l’organiser dans le contexte, à son animation, à la façon dont on se saisit collectivement de ce qui en sort. Sinon on se contente de passer un bon moment (ce qui est déjà pas mal !).

C’est pour ça que l’éducation populaire n’est pas neutre. Qu’on mobilise ses outils ou non, son objectif est de produire de la transformation sociale. Par essence, cette transformation sociale bénéficie aux personnes dominées4 et aux groupes minorisés, mais pas aux dominants qui eux n’ont aucun intérêt à ce que le monde change.

Il me semblait important d’apporter ces quelques notions pour éviter des incompréhensions fâcheuses à propos de l’éducation populaire. Il convient de se poser sérieusement les questions, avant de prétendre la pratiquer : Est-ce le bon endroit ? Pour qui on le fait ? Qu’est-ce qu’on souhaite collectivement ? Quels sont les rapports de domination en jeu ?

Pour aller plus loin et développer tous ces aspects, voici quelques ressources :

Le blog d’Adeline de Lepinay, intervenante en éducation populaire. Ce site regorge de théorie et d’outils pratiques.
L’autrice a également écrit le livre « Organisons-nous ! », qui est d’une très grande richesse concernant la réflexion sur les luttes sociales et la place de l’éducation populaire en leur sein. Elle y aborde l’histoire de l’éducation populaire et les différents courants qui existent, les limites du concept, les risques de dérive et de récupération. Elle analyse et catégorise différentes méthodes d’action et d’organisation de collectifs, notamment en les mettant en relation avec leur place vis-à-vis du pouvoir contre lequel ils luttent.

Sans l’avoir lue, je conseille la thèse d’Alexia Morvan, souvent citée dans les milieux d’éducation populaire.

La conférence gesticulée de Hugo Fourcade est un entremêlement de témoignages et de théorie, qui montre, entre autres à travers l’histoire de l’Université Populaire de Bordeaux, là où peut mener la volonté de diffuser les savoirs librement.

Feu la SCOP Le Pavé a publié plusieurs petits cahiers, issus de processus d’éducation populaire. Ils incarnent donc magnifiquement leur propos. Celui sur La Participation offre témoignages, typologies, histoire, outils, réflexions incarnées… Il est un indispensable pour penser ce qui se passe dans n’importe quelle association.

Le Petit manuel de discussion politique part du constat que le fond des discussions politiques dépend beaucoup de la forme de celles-ci. Il questionne l’objectif de la discussion et son contexte, pour proposer différentes manières de l’organiser, toujours en cherchant à garantir de l’horizontalité, de la prise en compte de tous les points de vue, et d’engager des perspectives collectives à partir des propos tenus.

Enfin le Petit manuel critique d’éducation aux médias (qui ne parle pas un seul instant de fake news ou de théories du complot, quelle fraîcheur bienvenue !) alterne entre réflexions d’universitaires, récits d’associations œuvrant dans l’éducation aux médias, et pastiches de « fiches pratiques ». On y voit différentes manière d’éduquer aux médias « par le faire », en partant des pratiques réelles et des volontés des participant·es.