« La science est-elle politique ? » 2/2 – Quelques réflexions à ce sujet entre guillotine et grille-pain !

Au mois d’Avril Nicolas et David ont présenté aux Rencontres de l’esprit critique plusieurs ateliers participatifs. L’un d’entre eux proposait de débattre sur les liens entre science et politique. On revient sur ces ateliers dans cet autre article.
Par souci d’honnêteté (et probablement parce que nous aimons à croire que notre avis a de la valeur) nous proposons ici quelques pistes de réflexion et notre posture sur ce sujet-là.

Introduction

Nous avions déjà nos avis avant ces ateliers et les échanges qui y ont eu lieu ont permis d’en formaliser certains, d’en nuancer d’autres, d’en découvrir encore d’autres.

Avant de commencer prenons un peu de recul et notons que suivant le groupe sociopolitique auquel l’on s’identifie, une des deux réponses est plus cool que l’autre. Et tout sceptique que nous sommes (ou que nous souhaiterions être), il est clair que nous sommes influencés par le fait que « la science est politique » puisse être un refrain répété et valorisé au sein de nos bulles sociales. Tâchons, tant bien que mal, de s’en extraire et d’essayer de comprendre ce que cela peut vouloir dire !

Comme cela a été bien identifié au cours des ateliers, se positionner sur l’affirmation « la science est politique » dépend énormément de ce que l’on met derrière les différents termes. Ainsi, que l’on entende « Le résultat d’une expérience scientifique dépend de l’orientation politique du gouvernement » ou que l’on entende « L’activité scientifique interfère avec la vie publique », la réponse ne sera pas la même ! Une bonne manière de discuter la question est donc, dans un premier temps, de débroussailler le sens que l’on donne à cette phrase.
Pour aller plus loin nous vous proposons ci-dessous quelques pistes de réflexions sur ce sujet-là.  

[David] Les différentes acceptions du mot science

Évidemment, ce qui suit n’a pas pour prétention de trancher le débat. Il s’agit uniquement de ce qui nous semblait important à exposer.

Au cours des différents débats et discussions des ateliers, c’est surtout le mot « science » qui a été questionné, chacun·e y allant de son interprétation (à raison, sa polysémie laissant le champ libre !). Le mot « politique » a un peu été laissé de côté, en tout cas nous n’avons pas eu accès aux sens que les participant·es y mettaient.

Personnellement la définition du CNRTL me convient très bien :
Politique : qui a rapport à la société organisée.
C’est assez large pour inclure (presque ?) tout ce qu’on considérerait politique intuitivement. Et même ce qu’on ne considérerait pas politique au premier abord. C’est un reproche courant de ce type de définition super inclusive : « Si tout est politique, alors plus rien ne l’est ». Il se pourrait bien que tout soit politique, mais ça n’empêche pas d’imaginer ce qui pourrait ne pas l’être. (Cela dit, l’emprise des sociétés organisées sur la planète est telle que même l’ermite le plus reclus respire un air pollué et ingère des micro-plastiques.)

Pour ce qui est du sens du mot « science », repassons une couche avec 5 acceptions courantes (détaillées dans cet autre article du Cortecs) :
– La démarche
– Les connaissances
– La communauté vue du dehors
– La communauté vue du dedans
– Le complexe technopolitique

Ces 5 sens sont pratiques pour mieux comprendre de quoi on parle quand on dit « science », mais gardons en tête qu’ils sont indissociables. Les humains composant la communauté se cachent derrière la construction de la démarche et son application ; les connaissances sont manipulées par la communauté, influencent la démarche ; et le complexe technopolitique est toujours présent, étant à la fois la structure sociale dans laquelle s’inscrit la communauté et le produit des connaissances, techniques et technologies issues de l’application de la démarche.
Vous suivez toujours ?
Voyons maintenant de quelle manière chacun de ces sens est lié à la politique.

S’il semble évident que le complexe technopolitique est lié à la politique (c’est dans le nom), ça ne l’est peut-être pas pour tous les aspects qu’il recouvre.
Je suis d’ailleurs insatisfait de la définition donnée par le lien ci-dessus, qui parle de sciences appliquées, technologies et de la genèse socio-politique des axes de recherche.
Tel que je le comprends, il faudrait diviser cette catégorie pour y mettre d’un côté les technologies (grille-pain, centrale nucléaire, pesticides, etc.) et les sciences appliquées (réseau électrique, fission nucléaire, agriculture, etc.) et de l’autre les institutions qui soutiennent ces sciences/technologies/communautés ainsi que leurs traductions politiques (les institutions ne sont pas forcément à mettre dans la communauté, par exemple si on parle d’un ministère).
Cette précision étant faite, pourquoi par exemple, des technologies « banales » seraient politiques ?
Votre grille-pain est politique à deux niveaux :

  • Il est inscrit dans un système technique : conçu, produit avec divers matériaux transformés, assemblé, vendu, raccordé au réseau électrique. Son existence suppose une société complexe et très organisée, avec des niveaux hiérarchiques et de la centralisation. Il est très peu plausible qu’un grille-pain soit produit dans une société anarchiste.
  • Sa conception induit des usages, qui à leur tour induisent une organisation sociale. Il est absolument faux de dire que « les outils sont neutres, tout dépend de ce qu’on en fait ». Justement, ce qu’on en fait est prédéfini à l’avance. Vous pouvez essayer de détourner l’usage d’un grille-pain, vous n’irez pas loin.
    Ces usages contraints mènent donc à agir d’une certaine façon, ce qui forme une pratique sociale à partir d’une certaine échelle. Un exemple caricatural mais très illustratif est celui du smartphone : cet outil a modelé de façon très visible les sociétés qui l’ont adopté. Il est devenu un cadre de pensée. À chaque situation son app’ dédiée.

La communauté vue du dehors ou du dedans, ce sont des humains. Je ne pense pas avoir besoin de développer longuement sur ce qui les relie à la politique. Même la chercheuse la plus indépendante ou le prof le moins investi dans l’organisation de son université ont suivi un parcours de vie qui ne doit rien au hasard, ont des motivations à étudier leur sujet, et impactent la société par leurs activités.

Les connaissances sont politiques par le fait même d’exister… ou de ne pas exister. Produire de la connaissance, c’est coûteux. La production dépend donc de l’intérêt que vouent les scientifiques à étudier un sujet, de l’argent, du temps et des moyens matériels qu’on y consacrera, et du risque qu’on perçoit à étudier le sujet.
Diffuser la connaissance, c’est coûteux également. Là aussi, intérêt, argent, temps, moyens, matériels, tout ça, tout ça.
Enfin, il serait naïf de penser que « tout dépend de ce qu’on en fait ». Tel un outil, la connaissance induit mécaniquement certaines conséquences. On ne peut pas simplement affirmer que « ce qui est ne dit rien de ce qui doit être » (voir le paragraphe ci-après) : on apprend que telle substance utilisée à grande échelle est en fait méga-cancérigène, et on ne va rien faire ?

Enfin, la sacro-sainte démarche ! (ou LA méthode, comme on l’entend parfois, ce qui est déjà trop souvent.)
Premio, elle n’est pas un concept abstrait fonctionnant en autonomie. Il lui faut des humains pour l’imaginer et l’appliquer. La démarche a bien été construite et elle continue de l’être, parce qu’on le veut bien.
Deuzio, la démarche est elle aussi un outil. Et vous savez ce qu’on dit à propos des outils : « tout dépend de ce qu’on en fait ». Non, encore une fois, un outil est fait pour quelque chose. La démarche scientifique, ainsi que toutes les méthodes particulières, sont des outils qui prescrivent des usages.
Troizio, le simple fait de vouloir faire de la science (entendre : appliquer la démarche) est un objectif qui, arbitraire qu’il est, peut se questionner. Une société peut décider des champs qu’elle laisse explorer à la science et de ce qu’elle organise autour de la science. Va-t-on étudier la production de nourriture ? le système de communications ? les moyens de donner des soins ? Ou rien de tout ça ?
Peut-être voyons-nous la démarche scientifique comme un exemple pur de neutralité parce que notre société lui a laissé le champ libre et qu’elle étudie (presque ?) tout. Mais elle n’a pas ce caractère hégémonique partout sur Terre, et ne l’a pas toujours eu chez nous.
Étudier scientifiquement un sujet a inévitablement des conséquences. C’est a minima un changement de point de vue qui s’opère sur l’objet, a fortiori un changement d’organisation sociale.

[Nicolas] « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être » et ce que cela implique réellement… 

Imaginez un gâteau aux fraises. Avec beaucoup de chantilly et des fraises bien rouge. Aussi succulent soit-il, l’existence de ce gâteau n’implique pas automatiquement qu’il doive être mangé. Encore faut-il qu’il y ait quelques personnes autour de la table, qu’elles aient faim (ou qu’elles soient suffisamment gourmandes), qu’elles ne soit pas allergiques aux fraises, éventuellement encore qu’il y ait un couteau pour couper ou des assiettes pour servir. 
L’existence en soi n’implique aucune action, encore faut-il qu’il y ait un désir, un besoin ! 

C’est à peu près cela que l’on entend quand on dit que le descriptif n’implique pas le prescriptif, que la science est amorale1, ou comme le dit la guillotine de Hume : « Ce qui est n’implique pas ce qui doit être« .
Ce principe peut se justifier d’un point de vue logique assez fondamental. Un argument dont la conclusion contient un « il faut » ou un « doit » – une conclusion prescriptive – ne peut pas découler de prémisses uniquement descriptives. Il faudra au moins une prémisse prescriptive. Prenons quelques exemples :

  • « Le nucléaire est l’énergie la plus bas carbone » n’implique pas directement « Il faut promouvoir le nucléaire ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Il faut promouvoir l’énergie la plus bas carbone ».
  • « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » n’implique pas directement « Il faut traiter différemment les différents groupes humains ». Il faudrait y ajouter une prémisse prescriptive du type « Les différences biologiques doivent servir de critères pour accorder des droits ».
  • « L’homéopathie n’a pas d’efficacité propre » n’implique pas directement « Personne ne devrait prendre d’homéopathie ». Il faudrait y ajouter une prémisse du type « Personne ne devrait utiliser de thérapies sans efficacité propre ».   

Une fois que l’on prend le temps d’exprimer la prémisse prescriptive manquante on se rend compte que la conclusion n’est pas forcément si évidente. Pourtant il arrive bien souvent que l’on cette tendance à sauter directement à la conclusion. Il est donc fondamental de marteler ce principe de la guillotine de Hume dans l’exercice de notre pensée critique.

Ce principe semble (au moins a priori) dissocier le scientifique (descriptif) du politique (prescriptif) et ce dans les deux sens :

  • Ce qui doit être n’a pas à se plier à ce qui est : Par exemple, si l’on constate une inégalité (économique, biologique, sociale, …), cela n’implique pas qu’il faille préserver cette inégalité2. Cette première erreur est à rapprocher de l’appel à la nature ou de l’appel à la tradition. 
  • Ce qui est n’a pas à se plier à ce qui doit être :  Par exemple, si l’on promeut l’utilisation d’une certaine pratique, cela ne doit pas influencer notre perception de celle-ci.
    Cette erreur est à rapprochée du raisonnement motivé.  

Le principe de la guillotine de Hume est souvent celui que défendent celles et ceux qui disent que la science n’est pas politique. Et je suis absolument d’accord avec ce point de vue. Mais il ne faut pas se tromper sur la portée réelle de ce principe ! Examinons quelques éléments pour comprendre ce que ne dit pas la guillotine de Hume et pourquoi il est trompeur de croire qu’elle énonce que la science n’est pas politique.

La frontière entre descriptif et prescriptif

Si d’un point de vue logique il semble qu’il y a une limite claire entre un énoncé descriptif et un énoncé prescriptif, une fois exprimé dans un langage naturel, dans un contexte humain la limite devient assez floue.

Considérons ces trois affirmations :

  • « Les moustiques sont le plus important groupe de vecteurs d’agents pathogènes transmissibles à l’être humain, dont des zoonoses » 
  • « Il faut éliminer certaines espèces de moustiques »
  • « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité ».

La première est clairement descriptive et la deuxième est clairement prescriptive. Mais comment classer la troisième ? Elle semble descriptive, mais l’utilisation du terme « danger » implique une certaine préférence. On peut imaginer que, suivant le cadre dans lequel elle est énoncée, elle pourrait sous-entendre automatiquement certaines prescriptions.

Autre exemple : si je dis « les antivax sont des cons », il semble s’agir d’un énoncé descriptif duquel on ne peut conclure sur ce qu’il faudrait faire sans une autre prémisse prescriptive comme « il ne faut pas être con » ou « il ne faut pas parler avec des cons » ou « il faut lutter contre les cons ». Oui sauf que, ces prémisses-là sont plus ou moins sous-entendues. Elles sont, d’une certaine manière, contenues dans le terme « con » et dans les connotations qui lui sont associées. Nos normes sociales, notre bagage culturel, notre langage forment un package de départ contenant un certain nombre de valeurs prescriptive sous-entendues.
Ainsi « Manger X peut causer la mort » peut directement se traduire par « Il ne faut pas manger X » puisque la prémisse prescriptive « Il ne faut pas manger ce qui peut causer la mort » est sous-entendue.
De la même manière les affirmations « Il y a des différences biologiques entre certains groupes humains » ou « Les antivax sont des cons » qui n’impliquent absolument rien d’un point de vue strictement logique risquent suivant le contexte d’énonciation d’interagir avec d’autres prémisses cachées. C’est pour cela que l’on devrait être extrêmement prudent avec ce genre d’affirmation et le cadre dans lequel on les utilise.

Il existerait donc des énoncés purement prescriptif, d’autres purement descriptifs et encore d’autres qui paraissent descriptifs mais sous-entendent un certain nombre d’éléments prescriptifs. Mais où fixer la limite ? À vrai dire, il semble peut-être plus parcimonieux de considérer que tout énoncé charrie par sa formulation et le contexte dans lequel il est utilisé une certaine charge prescriptive plus ou moins forte. 

L’importance du contexte d’énonciation

Précisons ici, que ces prémisses cachées dépendent du contexte dans lequel est énoncée l’affirmation puisque l’interprétation dépend des valeurs du groupe auquel on s’adresse. Des connaissances sur la biodiversité partagées dans une classe de CM1, sur un plateau de télévision ou à un congrès de Valeurs actuelles 3 ne rencontreront probablement pas les mêmes valeurs.

Un fait scientifique pouvant être formulé de différentes manières et dans différents contextes, le choix de ces derniers n’aura pas les mêmes conséquences. Ainsi « Certaines espèces de moustiques sont un danger pour l’humanité », « Les moustiques tuent près d’un million d’humains par an » ou « Une minorité d’espèce de moustique sont des vecteurs d’agents pathogènes pouvant être mortels pour l’homme » qui relèvent tous trois d’un même fait scientifique, n’ont pas le même impact.

Lien avec la non-neutralité de la technique

A fortiori, ce qui est vrai pour une production descriptive est vrai pour une production matérielle. Comme l’a montré David plus haut, un grille-pain implique une certaine utilisation de ce grille-pain ou une guillotine implique une certaine utilisation de cette guillotine (oui c’est méta). On vient de voir que le même raisonnement s’applique vis-à-vis d’un énoncé scientifique.
L’un comme l’autre ne sont pas neutres, ou alors dans une acception du mot « neutre » qui me parait assez peu satisfaisante.

Ainsi, si vous posez le gâteau sur la table il y a de très fortes probabilités que celui-ci soit rapidement englouti ! Parce que si l’ontologie du gâteau n’implique pas la gourmandise des enfants, on peut estimer que celle-ci est fortement attendue.

Ce que coupe réellement la guillotine de Hume

Faites usage de la guillotine de Hume, c’est Richard Monvoisin (du moins son t-shirt) qui le dit !

Attention ! Ce développement ne disqualifie pas la guillotine de Hume, bien au contraire ! Elle est un principe indispensable mais il faut en connaître la portée. La distinction descriptive/prescriptive est tout-à-fait pertinente dans une analyse critique d’un sujet, mais dès lors qu’un énoncé, aussi descriptif soit-il, est plongé dans un contexte humain il faut s’attendre à ce que celui-ci interagisse avec un certain nombre de sous-entendus prescriptifs. Cela devrait nous pousser à prêter une attention particulière aux normes sociales dominantes, à nos propres valeurs morales et à comment des énoncés scientifiques peuvent les conforter ou les bousculer !

[David] Science et engagement

À travers les petites et grandes histoires, nous avons eu une grande diversité de rôle de la science dans l’engagement.
Il semble même que toutes les acceptions courantes de « sciences » aient été représentées : certain·es nous parlaient de leur amour de la méthodologie d’une discipline scientifique, d’autres de discussions avec des scientifiques amateurs, avec des logiciens du quotidien, ou avec des professeurs, d’autres encore de leur découverte de savoirs scientifiques, ou d’autres enfin des impacts de technologies dans leur vie, voire de décisions politiques dans lesquelles le lien avec la science devenait lointain (et c’est tant mieux, l’important dans l’atelier était de livrer des pépites tant qu’on ne dérivait pas trop).

Sans prétendre qu’il soit possible de faire de la sociologie ni de la psychologie à partir de cet exercice, je souhaitais partager un constat qui m’inquiète.
Il semble qu’au sein du mouvement « sceptique », une conception de la science comme d’un objet neutre et potentiellement détaché de la société soit courante et défendue. Il est curieux que des personnes qui réfléchissent à l’irrationalité humaine semblent supposer que lorsqu’ils énoncent un fait celui-ci sera traité par un agent sans vécu, sans désir, sans préférence.
Je m’inquiète de ce que cela peut produire comme engagement.

Si vous consommez du contenu « sceptique », vous avez certainement déjà entendu des affirmations comme « la méthode scientifique est objective », « la science est auto-correctrice », « la science est le moins pire des moyens pour approcher de la vérité ». Voire même des variantes de « Si l’humanité s’éteignait demain et laissait la place à de nouveau êtres intelligents, ils développeraient la même science que nous » : si l’expérience de pensée est intéressante, la conclusion proposée dénote d’une vision positiviste et réaliste naïve (à savoir : les sciences avancent inexorablement dans la même direction et découvrent la vérité du monde).
Cette conception de la science élude les débats autour du réalisme ainsi que la part socialement construite des sciences.

Que faire d’une telle conception de la science dans le champ politique ?
Le risque, en concevant la science comme un objet autonome et lui conférant un certain pouvoir d’énonciation du réel, est de perdre le sentiment de légitimité à s’insurger contre des productions issues des sciences, de n’agir qu’à condition d’avoir des données scientifiques, et de cesser d’envisager exercer un contrôle sur la science, comme on le ferait pour d’autres objets sociaux.
Je ne dis pas qu’il faut tout casser, mais comprendre que la production scientifique (sous forme de discours, de techniques et de technologie) est omniprésente et forme un cadre de pensée qu’on ne questionne plus (comme le fait d’utiliser un grille-pain branché sur un réseau électrique, pour reprendre un exemple concret).
Je ne dis pas qu’il faut balancer toute rationalité et agir spontanément par intuition, mais que la science si avancée soit-elle ne pourra jamais répondre à certaines questions, qui resteront à jamais des décisions humaines et arbitraires (les questions morales notamment). Certaines raisons de croire resteront à jamais non épistémiques.
Je ne dis pas qu’il faut soumettre les découvertes au vote à main levée, mais considérer que la science est pleinement insérée (dans toutes ses acceptions) dans une société et que celle-ci a toute légitimité à décider de l’utilité qu’elle en aura : que veut-on étudier ? Sous quel angle ? Dans quel but ? Avec quels moyens ? Que ne veut-on pas étudier ?

Certains sceptiques (ils ne sont pas les seuls cela dit) ne comprennent pas que l’on puisse défendre des positions « radicales » et le rôle qu’ils donnent à la science dans l’engagement y est peut-être pour quelque chose. Les positions radicales ne sont pas « anti-science », elles tentent de comprendre un sujet au-delà des aspects étudiés par les sciences, d’envisager sa complexité, ce qui est largement compatible avec la prise en compte des données scientifiques à disposition.
Une idée radicale ne découle donc pas forcément d’un raisonnement « scientifique », en tout cas pas entièrement, et elle assume ce fait.
Ainsi il me semble qu’une conception de la science telle que décrite ci-avant entrave certaines formes d’engagement, pour en favoriser d’autres qui négligent des aspects axiologiques et politiques et finalement réduisent le réel tout en pensant détenir la moins pire des méthodes pour le capter.

[Nicolas] Existe-t-il une partie de l’activité scientifique qui soit dépourvue d’arbitraire ?

À travers les différents éléments que nous avons entrecroisés ici, l’idée était de montrer que l’activité scientifique (y compris de vulgarisation scientifique) interfère avec le reste de la vie publique :

  • En amont du travail scientifique : dans les directions de recherche et dans le choix des développements techniques ; dans la structure des institutions, des laboratoires ; dans le budget alloué ; dans l’accessibilité aux études scientifiques ; …
  • En aval du travail scientifique : dans la manière dont les résultats sont formulés et publiés ; dans l’utilisation qui découlera des objets techniques comme des connaissances produites ; dans la communication qui est fait du travail auprès du grand public ; …

Chacun de ces éléments répond à un certain nombre de choix politiques. On pourrait tout de même espérer qu’entre cet amont et cet aval demeure une partie de l’activité scientifique qui se soustrait des choix arbitraires. Entre le moment où le sujet passe les portes du laboratoire et le moment où il en ressort par exemple. Mais même là, des choix demeurent : Est-ce au thésard ou au directeur de travailler sur telle question ? Quel temps alloué aux manipulations et à la rédaction ? Quelle partie de la bibliographie prendre en compte ? Quelles données utiliser ? Quels résultats est-il intéressant de présenter ? Comment la sociologie de la discipline influence la manière de présenter un résultat ? Dans quel journal faut-il publier ? Dans quel séminaire ?
On pourrait alors restreindre et imaginer qu’il existe un moment spécifique, presque sacré, où on se retrouve seul·e face à la méthode scientifique, sans plus aucun choix à faire. Il faudrait peut-être regarder dans différentes disciplines si cela est possible, mais j’imagine que pour chacune il existe à nouveau un certain nombre de choix à faire, de modèles à privilégier, de variables à négliger, de fonctions à optimiser…

Ces arbitrages-là peuvent être influencés par des réalités politiques. Pas toujours de manière saillante évidemment, mais il nous semble que l’ensemble du processus scientifique est soumis, au moins potentiellement, à des choix humains, sociaux, économiques et donc in fine politique.

Il est surement utile de les réduire au maximum. Mais, en tout cas, il nous semble délétère de faire comme si ils n’existaient pas.

L'équipe du Cortecs au REC

« La science est-elle politique ? » 1/2 – On pose des questions tabous aux REC, et ça se passe bien !

L'équipe du Cortecs au REC

Le Cortecs était-il aux REC 2023 ?
Quatre membres – Vivien, Sohan, Nicolas et David – ont pu faire le déplacement, donc on peut dire que oui ! Mais officiellement, rien n’a été décidé quant à l’implication de l’association dans l’événement. Nous n’avions rien à proposer, en tant que structure, comme stand ou activité. Sohan est intervenue sur la table ronde « Dérives thérapeutiques : un business juteux » alors que Vivien, Nicolas et David ont animé des ateliers sous la bannière de leurs collectifs (respectivement Cinétique, Rasoir d’Oc et Les Dubitaristes). Nous laissons ici Nicolas et David raconter les ateliers qu’ils ont animés en commun.
La seconde partie de cet article disponible ici exposera notre opinion sur une des questions débattues pendant les ateliers : « La science est-elle politique ? »

Des ateliers, pourquoi ?

Pourquoi proposer des activités dans un événement déjà si grand et si riche ? De quoi avions-nous envie de parler ? Comment mettre en forme cette envie ? Avions-nous déjà, tout simplement, quoi que ce soit d’intéressant à dire ?
Peut-être pas. En tout cas nous avions un grand intérêt à discuter d’esprit critique, de doute réflexif et du rapport entre science et politique.

Pour susciter ces discussions dans de bonnes conditions, rien de mieux selon nous que de bons vieux outils d’éducation populaire !
Sans prétention aucune, il s’agit de mettre en place un cadre qui favorise toute prise de parole et l’écoute active. On y expose nos expériences vécues, nos réflexions propres et nos opinions (nos « savoirs chauds »), on y convoque des références scientifiques, des théories et des figures faisant autorité (les « savoirs froids »), ce qui donne un joyeux mélange de pratiques illustrant la théorie et de théories nourrissant la pratique (quoi que ça donne, ça ne s’appelle pas « savoirs tièdes », bien essayé).

Il ne s’agit pas de dire qu’on va reconstruire des savoirs universitaires en causant pendant une heure. À travers nos discussions, on se confronte à des visions auxquelles on n’aurait jamais eu accès autrement. Notre esprit critique est mis à rude épreuve.

C’est aussi l’occasion de proposer une alternative au format conférences/tables rondes qui sont majoritaires au REC1. Que retire réellement le public de ce genre de format ? Après un jour, après une semaine ou après un mois quelle quantité d’information est retenue ? C’est une vraie question. 
Le risque serait que ce soit la passivité confortable de ces formats couplée à la satisfaction d’entendre un sujet et/ou un·e intervenant·e famillièr·e qui fasse le succès de ces formats plutôt que leur pertinence pédagogique.
Au contraire, il nous semble que les ateliers participatifs permettent davantage de bousculer les participant·es et demandent un vrai travail actif. Évidemment c’est plus coûteux (en énergie, en temps, en ressource cognitive…) et on imagine difficilement un week-end entier à faire des ateliers sans finir avec le ciboulot fondu.
Les deux formats sont probablement complémentaires et nous militons pour que les seconds ne soient par trop relégués au second rang et finissent dans des placards à balais (avec tout le respect qui se doit pour la salle dans laquelle nous animions).  

Voici un déroulé des ateliers proposés. Faciles à mettre en place, nous encourageons à s’en saisir pour exercer nos esprits critiques à peu de frais !

Des ateliers, comment ?

Atelier « débats et discussions »

Dans ce premier atelier l’idée était d’expérimenter différentes modalités de débat. En l’occurence nous en avons testé trois : le débat mouvant, le débat mouvant en deux dimensions et le groupe d’interviews mutuelles.

Commençons par un débat mouvant. Nous lançons à nos participant·es une affirmation clivante, aux termes volontairement polysémiques et non définis, limite malhonnête. Dans un premier temps, ils et elles doivent se positionner spatialement dans la zone « d’accord » ou dans celle « pas d’accord », sans possibilité de nuance. Le doute n’est pas permis !
Une fois dans leurs groupes, les participant·es ont quelques minutes pour construire ensemble les arguments qui soutiennent leur accord ou leur désaccord avec l’affirmation. C’est l’occasion de réfléchir au sens qu’on met derrière chaque mot de l’affirmation.
Enfin, le débat commence et chaque « camp » a l’opportunité, à tour de rôle, de donner un argument.
À n’importe quel moment, toute personne est libre de changer de camp : elle entend un argument qui la touche, elle change d’avis radicalement, elle admet qu’un argument était bien tourné, elle rumine ses propres pensées, elle entend une aberration dans son propre camp, etc. Pas besoin de se justifier, ici le fait de passer d’un camp à l’autre n’est à interpréter que comme la manifestation d’une réflexion. Et montrer qu’on réfléchit, voire qu’on est prêt·e à se remettre en question, c’est quand même la grande classe.

Pour lancer le débat mouvant, nous avions proposé plusieurs affirmations, et c’est la dernière que nos participant·es ont choisie :
– La science recherche la vérité
– Il y a des questions bêtes
– Il faut prouver ce qu’on dit
– On a besoin de croire
La science est politique

Remarquons l’honnêteté intellectuelle de certaines personnes, qui ont systématiquement argumenté en se plaçant dans le même camp, mais qui ont su rejoindre le camp opposé quand des arguments pertinents leur étaient exposés. Les débats se sont fait de manière très sereine et le cadre ludique permet probablement cette légèreté. Tout le monde s’écoute, que l’on soit zététicien·ne troisième dan ou visiteur·euse d’un jour. L’idée principale qui est revenue régulièrement au cours du débat c’est que la réponse dépend ce que l’on entend par « science » et par « politique » (voire de ce qu’on entend par « est »).
Nous revenons plus en détail sur ce débat dans la seconde partie de l’article.

Nous enchaînons avec un second débat mouvant, mais avec une variante.
Nous avons proposé l’affirmation « Il faut douter de tout » qui commencait de la même façon : deux camps, des arguments, du mouvement.
Après quelques prises de paroles, nous introduisons une dimension supplémentaire en faisant remarquer que certains arguments énoncés jusqu’ici nous semblaient plutôt commenter l’affirmation « On peut douter de tout ». Ainsi, si certain·es avaient pu interpréter la phrase dans un sens prescriptif/normatif, d’autres l’avaient fait dans un sens plutôt descriptif (que leur acception de « pouvoir » soit celle de la capacité ou du droit).
Nous proposons alors qu’au lieu de deux camps, les participant·es se placent à présent dans quatre cases :
– Il faut douter de tout, mais on ne peut pas le faire
– Il faut douter de tout, et on peut le faire
– Il ne faut pas douter de tout, et de toute façon on ne peut pas le faire
– Il ne faut pas douter de tout, mais on pourrait le faire

La parole circule de case en case, les participant·es aussi au gré des arguments. À chaque argument énoncé, c’était un sens différent de « pouvoir », « falloir » et « douter » qui était mobilisé.

Le plus difficile, finalement, c’est de terminer le débat : c’est frustrant parce qu’on imagine encore plein d’arguments, on ne sait pas où se placer, et la question demeure en suspens.

Dernière activité, le groupe d’interviews mutuelles. Nos participant·es se groupent par trois et nous leur demandons de raconter, chacun·e leur tour au sein du groupe, une expérience de vie ou une anecdote.
Chaque personne dispose de cinq minutes tandis que les autres ne peuvent pas l’interrompre ou engager la discussion. Elles et ils écoutent attentivement et relancent.
Nous leur avons demandé de raconter un changement d’avis, quel que soit le sujet ou le temps que ça a pris.

Pour conclure, nous avons exposé quelques expériences en plénière pour capter la diversité de ce que nous considérions comme des changements d’avis.
Cela a été l’occasion de se demander ce qui occasionnait le changement d’avis.

Atelier « Petite histoire / Grande histoire »

Le second atelier que nous avons animé s’intitule « Petite histoire / Grande histoire » et est aussi un classique d’éducation populaire.
Dans un premier temps, les participant·es disposent de petits papiers sur lesquels elles et ils doivent écrire deux « petites histoires » et une « grande histoire ». La petite histoire est personnelle, c’est une expérience vécue qui ne concerne que soi-même. La grande histoire est aussi une expérience vécue, mais dans le cadre d’un événement plus large : un événement politique, sportif, une catastrophe, voire un événement du millénaire dernier mais qui constitue une référence culturelle.
Ces histoires avaient pour contrainte de raconter « le rôle que la science a pu jouer dans votre engagement ». Là aussi, tous les termes sont à comprendre aussi largement que possible.

Impossible de résumer la diversité des histoires racontées, en tout cas on a eu de tout ! Notamment, beaucoup de rencontres de scientifiques et de discussions ont manifestement contribué à changer les visions du monde de nos participant·es (et de nous-mêmes, car nous participions !)

Petits bonus sur l’éducation populaire

Un petit éclaircissement sur l’éducation populaire est certainement le bienvenu.
Comme introduit plus haut, l’éducation populaire convoque à la fois les savoirs « chauds » de nos vécus et les savoirs « froids » théorisés. On ne se prive d’aucun savoir, ni d’aucune source source possible de savoir, qu’il s’agisse de savoir-connaissance, de savoir-faire, de savoir-être ou de savoir-penser.
On retrouve là deux acceptions de l’éducation qui correspondent à deux étymologies latines possibles2 : educere, qui signifie « conduire hors de », et educare, qui signifie « nourrir ».
L’éducation peut ainsi se concevoir comme une transmission de savoirs et/ou comme un processus collectif amenant d’un état à un autre.

Un contre-sens possible est de penser que l’éducation populaire, c’est de l’enseignement pour les pauvres.
On vient de voir que l’éducation populaire ne se limitait pas à l’enseignement. En théorie elle n’utilise même pas cette notion. Les savoirs issus d’une expertise, d’une théorisation, sont toujours convoqués en contexte pour éclairer des situations précises, ce qui correspond davantage à la notion d’apprentissage. Ce n’est pas le maître qui vient donner, c’est l’apprenant qui vient chercher.
Si « populaire » est synonyme de « pauvre » dans certains contextes, ici c’est au sens large de « tout le monde » qu’il faut le comprendre. Gardons en tête que ce « tout le monde » fait aussi débat3, car employé naïvement il risque de gommer les inégalités de classe, de genre, de race, d’âge, de capital, etc.

Qu’on pratique l’éducation populaire ou non, on court souvent le risque d’inverser les moyens et les fins, en cantonnant l’éducation populaire à ses « outils ». « Débats mouvants« , « Groupes d’interviews mutuelles », « Petite histoire grande histoire« , sont des noms d’outils qui circulent dans les associations. Ils sont séduisants mais peuvent faire perdre de vue leur finalité.
L’éducation populaire est avant tout un processus, qui passe parfois par des outils. Mais il ne suffit pas d’organiser un débat mouvant pour produire un échange émancipateur de savoirs ni pour engager une réflexion de long terme. Il faut veiller à la pertinence de l’organiser dans le contexte, à son animation, à la façon dont on se saisit collectivement de ce qui en sort. Sinon on se contente de passer un bon moment (ce qui est déjà pas mal !).

C’est pour ça que l’éducation populaire n’est pas neutre. Qu’on mobilise ses outils ou non, son objectif est de produire de la transformation sociale. Par essence, cette transformation sociale bénéficie aux personnes dominées4 et aux groupes minorisés, mais pas aux dominants qui eux n’ont aucun intérêt à ce que le monde change.

Il me semblait important d’apporter ces quelques notions pour éviter des incompréhensions fâcheuses à propos de l’éducation populaire. Il convient de se poser sérieusement les questions, avant de prétendre la pratiquer : Est-ce le bon endroit ? Pour qui on le fait ? Qu’est-ce qu’on souhaite collectivement ? Quels sont les rapports de domination en jeu ?

Pour aller plus loin et développer tous ces aspects, voici quelques ressources :

Le blog d’Adeline de Lepinay, intervenante en éducation populaire. Ce site regorge de théorie et d’outils pratiques.
L’autrice a également écrit le livre « Organisons-nous ! », qui est d’une très grande richesse concernant la réflexion sur les luttes sociales et la place de l’éducation populaire en leur sein. Elle y aborde l’histoire de l’éducation populaire et les différents courants qui existent, les limites du concept, les risques de dérive et de récupération. Elle analyse et catégorise différentes méthodes d’action et d’organisation de collectifs, notamment en les mettant en relation avec leur place vis-à-vis du pouvoir contre lequel ils luttent.

Sans l’avoir lue, je conseille la thèse d’Alexia Morvan, souvent citée dans les milieux d’éducation populaire.

La conférence gesticulée de Hugo Fourcade est un entremêlement de témoignages et de théorie, qui montre, entre autres à travers l’histoire de l’Université Populaire de Bordeaux, là où peut mener la volonté de diffuser les savoirs librement.

Feu la SCOP Le Pavé a publié plusieurs petits cahiers, issus de processus d’éducation populaire. Ils incarnent donc magnifiquement leur propos. Celui sur La Participation offre témoignages, typologies, histoire, outils, réflexions incarnées… Il est un indispensable pour penser ce qui se passe dans n’importe quelle association.

Le Petit manuel de discussion politique part du constat que le fond des discussions politiques dépend beaucoup de la forme de celles-ci. Il questionne l’objectif de la discussion et son contexte, pour proposer différentes manières de l’organiser, toujours en cherchant à garantir de l’horizontalité, de la prise en compte de tous les points de vue, et d’engager des perspectives collectives à partir des propos tenus.

Enfin le Petit manuel critique d’éducation aux médias (qui ne parle pas un seul instant de fake news ou de théories du complot, quelle fraîcheur bienvenue !) alterne entre réflexions d’universitaires, récits d’associations œuvrant dans l’éducation aux médias, et pastiches de « fiches pratiques ». On y voit différentes manière d’éduquer aux médias « par le faire », en partant des pratiques réelles et des volontés des participant·es.

Journalisme – atelier titres de presse

Depuis septembre 2012, je donne un cours « Esprit critique & autodéfense intellectuelle » à l’Université Inter-Âge du Dauphiné. L’une de mes « étudiantes », Yolande Vallon, anime elle-même un atelier « Revue de presse » et m’a demandé un exposé participatif sur la question des titres d’articles. C’était le 15 mai 2013. Voici comment je m’y suis pris. Puisse ceci faciliter la tâche de toutes celles et ceux qui voudraient faire de même.


Je savais que j’allais avoir pendant une heure et demie une quinzaine d’habitué-es (qui s’avérèrent près d’une trentaine) majoritairement retraités. Un public retraité qui vient se former est généralement un public déjà pointu, et il faut bien intégrer le fait que nous n’avons pas affaire à des « perdreaux de l’année tombés de la dernière pluie ». Les exemples que j’ai choisis étaient donc assez pointus, volontairement. Pour un public jeune (pré-bac), je déconseille donc le matériel de presse employé ici, et enjoins à en choisir du plus facile.

Une heure et demie, avec le temps d’installation, est un temps court. Aussi ai-je opté pour l’efficacité.
J’avais la possibilité de projeter, aussi ai-je concocté un diaporama sous Libre office.
Voici la trame que j’ai employé.

Introduction

J’ai expliqué la notion de fabrique du consentement (E. S. Hermann et N. Chomsky 2008) et j’ai précisé que la manufacture de l’opinion commence dès le choix d’un titre, souvent percutant, court, de manière à être « apéritif », mais truffé de non-dits et d’implicite.

1ère partie : introduction des notions de base

J’ai exposé l’effet paillasson, puis l‘effet impact, en montrant pour chacun des exemples simples, puis plus complexes, et en parlant des risques inhérents à ces effets.
Pour l’effet paillasson : des tautologies, des définitions peu claires et l’encouragement au raisonnement « à la hache », par gros paquets stéréotypaux. Dans mon illustration sur la délinquance, j’ai repris un TP de G. Reviron (ici) ainsi que des articles de Laurent Mucchielli (entre autres ).
Plus de détails ici : effet paillasson.

Pour l’effet impact : l’appel à l’émotion plus qu’à la raison. J’ai entre autre repris ce remaniement de la langue suggéré dans un amendement de la loi Loppsi 2 transformant vidéosurveillance en vidéoprotection, moins « anxiogène ».
Plus de détails là : effet impact.
J’ai ensuite introduit la notion de Mots fouines (voir Baillargeon 2005), ainsi que l’exposé sur les mots à effet puits et la langue de bois de Franck Lepage, de la SCOP d’éducation populaire Le Pavé.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=oNJo-E4MEk8]
Vinrent les carpaccios journalistiques ou arts de mettre en scénario préfabriqué l’information qui passe (appel à la peur, à l’espoir, et fabrication du scoop), avec quelques exemples appuyés.
J’ai terminé par la notion de plurium interrogationum, ou effet gigogne, art de cacher dans une question une prémisse non négociée.

2ème partie : discussion sur quelques titres de presse du jour

J’ai misé sur la fraîcheur de mes exemples et je ne voulais pas être suspecté d’avoir fait un biais de sélection des exemples les plus pertinents. Par conséquent, j’ai attendu le matin même, et ai choisi trois quotidiens célèbres, de subjectivité politique évidente pour deux d’entre eux : Libération, socio-démocrate assez mou, et le Figaro, gaulliste-conservateur libéral. Le troisième, Le Monde, est célèbre pour un certain opportunisme politique, et une ligne éditoriale fluctuante et assez peu lisible.
J’ai alors prélevé trois informations, et leurs traitements respectifs dans chaque journal. J’ai fait les copies d’écran que voici, classée dans l’ordre précité Libération, Figaro, Le Monde. 

  15 mai 2013 Récession – Libération, Figaro, Le Monde
CorteX_France_recession_Libe_15.5.2013
CorteX_France_recession_Figaro_15.5.2013
CorteX_France_recession_Monde_15.5.2013
 15 mai 2013 PSG / Trocadéro – Libération, Figaro, Le Monde
 CorteX_emeutes_PSG_Libe_15.05.2013
CorteX_emeutes_PSG_Figaro_15.5.2013
CorteX_emeutes_PSG_Monde_15.5.2013
15 mai 2013 Cours d’anglais à l’Université – Libération, Figaro, Le Monde.
CorteX_Anglais_libe_15.05.2013
CorteX_Anglais_Figaro_15.05.2013
CorteX_Anglais_Monde_15.05.2013

Je ne rentrerai pas dans le détail du commentaire de ces titres, puisque c’est le public qui l’a produit. On peut toutefois dire que la ligne politique est assez simple à décrypter pour qui connaît le contexte politique en cette fin de première année de mandat de président du PS François Hollande – les articles de Libération sont plus complaisants, ceux du Figaro plus vindicatifs, et ceux du Monde plus modérés.

Je ne peux qu’encourager l’enseignant à faire sa propre moisson de captures d’écran. Je hasarde toutefois un conseil : dans un TP comme celui-ci, il faut bien garder la barre et n’analyser que les titres et non le sujet de l’article en tant que tel. Peu importe notre avis sur la « récession » par exemple, il s’agit de voir la différence de traitement pour une même information. Le risque est grand chez un public politisé de voir un débat hors-sujet démarrer comme un feu de broussailles.
Voici mon diaporama complet.
N’hésitez pas à partager ici-même vos propres ressources.

Richard Monvoisin

Brève bibliographie :
E. S. Herman & N. Chomsky, La fabrication du consentement – De la propagande médiatique en démocratie, Agone (2008)
F. Aubenas & M. Benasayag, La fabrication de l’information, Les journalistes et l’idéologie de la communication, La découverte (1999)
N. Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux (2005)
R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, thèse, Univ. Grenoble (2007)
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