Science et religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Ceci est une sorte d’introduction pour bâtir un cours sur les intrusions spiritualistes en science, sujet assez épineux. Ceci est une manière que j’utilise dans les stages d’initiation à l’enseignement supérieur, avec des doctorants – d’un bon niveau, donc.

En science ou en zététique, on s’intéresse à la connaissance scientifique, pas à l’acte de foi, qui relève de l’intimité de chacun. Qu’un chercheur croit en un dieu ou pas, peu importe ! Tant que ce dieu n’entre pas dans des scénarios explicatifs, chacun balaye son chat à midi devant sa porte, chacun est libre de trouver l’inspiration même pour ses travaux dans les options métaphysiques, spirituelles ou artistiques qu’il choisit.

Demander à un chercheur s’il croit en un dieu est donc une question qui n’a pas de sens. Si on me la pose lors d’une soirée ou entre amis, je dois répondre en mon nom propre, subjectivement car donner une expertise sur dieu en tant que chercheur reviendrait à demander le sens de la vie à une géographe, le pourquoi du comment à un garagiste. Parler de dieu en tant que scientifique, est comme émettre un jugement sur la technique de Van Gogh en tant que fromager, ou donner son expertise sur le camembert quand on est peintre : on est dans l’escroquerie intellectuelle, en quelque sorte. C’est le genre d’escroquerie que les médias orchestrent avec entrain car on est assuré en glissant dieu de-ci de-là de faire une certaine audience. Par contre, au passage, on prend le risque de décérébrer tout le monde ; car si la frontière entre les « scénarios de foi » (créationnisme, fine-tuning, intelligent design, etc.) et les théories est cassée, il va être impossible d’endiguer les croyances diverses qui ne manqueront pas, sur la base argumentative de la « démocratisation des idées » (cf. sophisme) de se déverser dans le frêle esquif de la connaissance. Dernier exemple en date : la première conférence catholique annuelle sur le…. géocentrisme, annoncée pour le 6 novembre 2010 sous le titre « Galilée avait tort. L’Église avait raison ». À quand un colloque sur la Terre plate ?

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C’est pour cela que j’en veux à L’Express, à Ciel & Espace, à Le Point, à Sciences & Avenir, qui pour s’assurer de confortables ventes, n’hésitent pas à faire dans le racolage et sabotent les quelques rares concepts d’épistémologie que le public a difficilement construit comme rempart à l’imposture. Il y a une crétinisation des masses, avec des couvertures comme les suivantes – dont chacune peut servir de support d’enseignement, tant par le montage de l’image, que le titre en faux dilemme ou les scénarios concordistes ou en pseudo-combat.

 Le cas Bogdanov

Autre porte d’entrée vers un ramollissement intellectuel : celui de présenter les frères Bogdanoff comme des experts scientifiques, à l’image de la mise en scène du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010).

Eux qui ont menti sur leurs titres pendant des années, qui ont « scénarisé » leur intelligence, leur QI, leur origine russe, eux qui ont poussé hors de la scène médiatique tous les autres intervenants de physique deviennent désormais les instituteurs de la France, à grand coups de Téra-électrons-volt et surtout de réconciliation de dieu et du big bang. Mais le danger est surtout là : en utilisant des arguments de fine-tuning que ne renieraient pas les groupes comme la Fondation Templeton ou l’Université Interdisciplinaire de Paris, l’association de Jean Staune1, ils réintroduisent la religion dans la connaissance, là où la pensée s’escrime à la virer depuis environ quatre siècles. Pas étonnant que l’ancien ministre de l’éducation, le chrétien et sotériologique Luc Ferry acclame le dernier livre des deux frères. (Dieu, la science et le big bang).

Le cas Hawking

On frise même le mauvais goût au plus haut niveau avec le dernier cas en date, le cas Hawking. Grand savant que ce Stephen Hawking, c’est évident, même s’il semble au moins aussi connu pour ses théories que pour son handicap. Que ce soit de son fait ou non, vous remarquerez qu’il est toujours présenté comme titulaire de la chaire de Newton, comme si c’était le fait d’être assis sur le trône qui vous conférait du génie. Il est représenté comme l’esprit désincarné, la pure intelligence, c’est à lui qu’on pense pour écrire l’équation universelle, la théorie du tout, et il s’en faut de peu qu’on ne lui demande pas à lui qui sait tout, de retrouver nos clés perdues.

Là où un personnage m’agace le plus, c’est quand (de son fait ou non) on construit sa légende en direct : ainsi, dans le cas de Stephen Hawking, alors que son choix de bosser sur la physique fondamentale est venu très tôt, on raconte désormais dans les chaumières que sa vocation lui est venue de son handicap, comme un défi de l’esprit transcendant le corps, etc.

Voir sur ce point le TP Fabrication du héros & syndrome Professeur Simon.

Il présente dès lors lui-même sa quête d’une équation ultime, ou d’une théorie du tout, comme un défi à Dieu – Hawking défendant des idées déistes jusqu’alors. Et si le Pape lui demandait en 2006 de ne plus travailler sur l’origine de l’univers, Dieu lui semblait l’encourager en feignant d’écrire ses initiales dans le ciel (cf. les images du satellite Cobe, dans l’article de Fabrice Neyret, POZ N°56 février 2010).

Seulement, cette fois, Hawking n’est vraiment pas gentil avec Dieu. Pourquoi ? Parce que dans son dernier livre The grand design , il a écrit une phrase qui fâche : « Dieu n’a pas créé l’univers. », titrent Le Times, puis Le Monde du 3 septembre) . L’Express renchérit : « pour Stephen Hawking, Dieu n’a finalement pas créé l’univers ». Sacrée nouvelle.

D’un, l’avis d’un scientifique sur Dieu est anecdotique.

De deux, il y a mélange scénario – théorie. Le sous-titre du livre « Nouvelles réponses sur les questions ultimes de la vie » ne fait qu’alimenter le brouet.

De trois, il s’agit d’une phrase unique, pratiquement à l’avant-dernière (page p 180) du livre.

De quatre, il s’agit d’une phrase mal traduite. La phrase réelle est :

« Il n’est pas nécessaire d’invoquer Dieu (…). L’Univers peut et s’est créé lui-même à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, la raison pour laquelle l’Univers existe et nous existons. »

En gros, pas grand chose de plus que Laplace répondant à Bonaparte il y a deux siècles2.

De cinq, et c’est peut être le plus atroce, il semble que l’état de santé de Hawking ne lui permette plus réellement d’écrire, depuis quelque temps. On espère que le livre n’a pas été confectionné, à l’instar de l’affaire Rom Houben, par les méthodes désolantes de la Communication Facilitée (cf. POZ N°58).

Qu’en tirer ? Tout d’abord je rejoins l’analyse de Sylvestre Huet dans Libération (Hawking versus Dieu, 16 septembre 2010) : on est en plein dérapage intellectuel, et pour reprendre les termes d’Étienne Klein, on frise « le degré 0 de l’épistémologie ».

 Je fais une hypothèse : sachant que Dieu est une sauce qui s’accommode avec tout, et que Hawking, quoi qu’il écrive, est une poule aux œufs d’or, est-il plausible ou probable que la maison d’édition ait instrumentalisé le personnage et créé artificiellement du scoop ? Fabriquer de la fausse connaissance à des fins marketing, ça devrait porter un nom, et j’hésite entre publicisation mensongère et délit intellectuel.

Nous sommes dans la construction hagiographique des figures de la science. Ortoli & Witomski3 les appellent des « baignoires d’Archimède » ces mythes et légendes qui émaillent nos livres d’histoire, depuis le Eurêka jusqu’au nombre d’or. Éloge de l’intuition subite, du génie qui saisit d’un coup comme tombe la pomme, cette réécriture de la science trompe le lecteur en gommant la construction lente et pénible des connaissances. Que Newton aime, une fois vieux, narrer l’histoire de la pomme semble n’être qu’une coquetterie, mais elle nous fait croire que primo, pour faire avancer les connaissances il faut être génial, et secundo que ça vient d’un coup, comme le serpent de Kékulé qui lui insuffla la forme cyclique du benzène.

On déhistoricise la science, on la dépolitise, on l’appauvrit, de la même façon que les deux ex machina déhistoricisent l’histoire des peuples (à ce propos voir ici).

Et quand par dessus cela, se greffent des tentatives d’incrustations spiritualistes ou religieuses en science, nous frisons effectivement le degré zéro de l’épistémologie.

  1.  On lira sur l’UIP La croisade de l’UIP contre le matérialisme par Alexandre Hendoir – SPS n° 268, juillet-août 2005, et surtout Le providentialisme dans les sciences, par Guillaume Lecointre.
  2.  

    Célèbre anecdote que celle de la discussion entre Laplace et Bonaparte. L’astronome Hervé Faye (1814-1902), dans son ouvrage Sur l’origine du monde, théories cosmogoniques des anciens et des modernes (1884), rapporte l’histoire ainsi :

    « Comme le citoyen Laplace présentait au général Bonaparte la première édition de son Exposition du Système du monde, le général lui dit : “Newton a parlé de Dieu dans son livre. J’ai déjà parcouru le vôtre et je n’y ai pas trouvé ce nom une seule fois.” À quoi Laplace aurait répondu : “Citoyen premier Consul, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse.” »

    Relevons que si cette anecdote est vraie, l’hypothèse en question n’est pas Dieu, mais l’intervention divine en un point déterminé. Cependant l’histoire est un peu trop belle. D’une part est-elle prêtée ausi à d’autres, comme au mathématicien Lagrange ( chez Walter William Rouse Ball, Histoire des mathématiques, Librairie Scientifique A . Hermann, 1906, pp. 104-105.), ce qui illustre l’effet Stigler ; d’autre part des réponses de Laplace ne sont pas les mêmes selon les auteurs. Blanchet par exemple affirme que Laplace aurait répondu à l’empereur : « Dieu est une jolie hypothèse qui explique bien des choses » (Félix Blanchet, « Étude sur Lucrèce », Œuvres complètes de Lucrèce, Paris, 1861; p. 20). Mais ni Blanchet ni Faye ne furent contemporains de Laplace, l’anecdote étant située en 1802. Ne l’est non plus la journaliste scientifique Sharon McGrayne, qui en 2011 précise même que la causette eut lieu lors d’une réception au château de Malmaison, dans la roseraie de Joséphine ( dans le livre The Theory That Would Not Die: How Bayes’ Rule Cracked the Enigma Code, Hunted Down Russian Submarines, and Emerged Triumphant from Two Centuries of Controversy, 2011, p. 30).

    Quoi qu’il en fut, Laplace ajouta le nom de « Dieu » dans les éditions suivantes de son Exposition du Système du monde. L’analyse du passage semble confirmer que le débat ne portait pas directement sur l’existence de Dieu, mais sur la nécessité de son intervention directe et spéciale pour maintenir le monde dans l’ordre.

  3.  Witkowski N., Ortoli S., (1998) La Baignoire d’Archimède, petite mythologie de la science, Points Science, Seuil.