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10 et 11 mai 2011 Grenoble – Soutenances Zététique & autodéfense intellectuelle, saison 12

Les soutenances sont publiques, moyennant discrétion, car elles se déroulent devant un jury.
Voici le programme.

Mardi 10 mai 2011, amphi F

  • 16h15 La kinésiologie : protocole expérimental

Madelon Alexia, Mourier Amélie, Pelloux Alizée & Tournier Julien

  • 16h45 L’agriculture biodynamique, des légumes sains dans un champ sain ?

Barrand Chloé, Dalban-Pilon Coralie & Decker Manon

  • 17h15 Powerbalance vs Zététique – protocole expérimental autour du bracelet d’équilibre

Cambon Delavalette Victor, Gilardy Hugo, Martineau Killian, Poulin Vivian & Wünsche Anaël

  • 17h45 Influence d’un terme scientifique sur notre jugement – le MDHO

Carel Thibault, Cattel Dorian, Coste Emilie, Herment Laura & Pardo Julie

  • 18h15 Influence de la pleine lune : y a-t-il des pics de crimes les nuits de pleine lune ?

Barrau Clara, Gentil Solène, Tudo Charles, Vallet Emmanuelle & Victorion Thomas

  • 18h45 Le triangle de la Burle

Charlon Laura, Fortecoef Elena, Garrione Mathilde, Gueret Robin, Koyoudjan Amélie & Lacroix Juliette

  • 19h15 La combustion humaine spontanée – L’auto-combustion humaine

Belin Mégane, Crottet Cécile & De Witt Clément
 
Mercredi 11 mai 2011, amphi F
 

  • 16h30 Médias : vecteur ou sculpteur de l’information… exemple de Fukushima

Delubac Dorian, Felix-Faure Jim & Perrigault Brian + Morisseau Nicolas

  • 17h Impact du détournement d’attention : êtes-vous si observateur que vous le prétendiez ?

Builly Anaïs, Gozel Bülent, Royer Emilie, Tressol Florian & Veyret Thibault

  • 17h30 « Mens-moi si tu peux » : la détection des mensonges dans « Lie to me » est-elle valide ?

Alberti Céline, Arthaud Christopher, Ballet Sandrine & Lecollier Louis

  • 18h Les préjugés sur les Noirs et Arabes relèvent-ils de la science ?

Baffou Thibault, Billat Anne, Chaudier Ludivine, Naanani Soumaya & Rey Candice

  • 18h30 Analyse d’une information télévisée sur TF1, France 3 et M6

Brachet Lucie, Boucher Simon, Caputo Martin, Leiser Ingrid & Richard Julien

  • 19h Les professionnels de santé confrontés à la réalité scientifique de l’homéopathie

Bellot Jimmy, Bocquet Alexandre, Gachet Alexiles, Rhone Simon & Schulz Alexis.
 
 
Pour se rendre au bâtiment F du DLST (ancien DSU) :c’est le petit rectangle vert tout seul
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Si vous êtes en retard, entrez par le haut de l’amphi, merci.

RM

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Avril 2011 Le CorteX sur Hoaxbuster (Richard Monvoisin)

altMembre fondateur du Cortex (partenaire HB), docteur en didactique des sciences, chercheur associé au laboratoire Zététique, il enseigne depuis 2004 la pensée critique à l’Université de Grenoble. En clair : avec un cursus en physique, chimie et philosophie, Richard décortique les pseudo-sciences et nous invite à aiguiser notre esprit critique.

Bonjour Richard, peux-tu brièvement te présenter et nous expliquer ce qu’est la Zététique ?
 
Je m’appelle Richard, j’ai 34 ans, je suis spécialisé dans l’étude scientifique du « paranormal », et l’analyse des théories et des croyances les plus bizarres.
Vous voulez toute l’histoire ? Tout a démarré vers l’âge de 13-14 ans : j’étais persuadé qu’il y avait une autre réalité, et que pour y accéder il fallait des techniques plus ou moins ésotériques, plus ou moins aventureuses : l’hypnose, la méditation, les drogues, la recherche de signaux de l’espace, la fréquentation de gens ayant des « dons ». J’ai tout essayé, même hypnotiser mon chat.Je n’étais pas mauvais pour apprendre tout seul ; le seul domaine où j’avais vraiment besoin d’aide était la science, avec son formalisme et ses équations. Alors j’ai fait de la physique, avec à l’esprit l’idée de trouver la réponse à toutes les interrogations qui, je l’apprendrai plus tard, taraudent pas mal de monde : pourquoi suis-je là, à cette époque, pourquoi moi, quel est mon destin, etc. ?
Lors de mes études en sciences physiques,  je continue néanmoins à lire des bouquins bizarres, notamment ces deux-là : L’herbe du diable et la petite fumée (Carlos Castaneda), et Histoire naturelle du surnaturel (Lyall Watson). Jusqu’au jour où j’ouvre par inadvertance Le paranormal, bouquin signé par celui qui deviendra mon directeur, Henri Broch. J’ouvre la page qui concernait les « pierres champignons » du Mexique, dont parlait Watson, et me prends une superbe baffe ! Sans rentrer dans le détail, j’ai vécu une vraie leçon de science. Je me rends compte alors que ces sujets de connaissances ésotériques ou paranormaux nécessitent autant de rigueur que les autres.
J’oublierai cette rencontre avec la zététique (« méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses » selon le Littré, et devenue sous la plume de Henri « méthode d’investigation scientifique des phénomènes réputés paranormaux ») jusqu’en 1998 où je fais un DEA en didactique des sciences / épistémologie. J’ai alors contacté le laboratoire Zététique (LZ) pour demander s’ils avaient déjà accueilli des thésards sur la question, Henri Broch me répond que je suis le bienvenu et en 2003 je commence mon doctorat.
Quel a été ton rôle au sein de cette communauté  Zététique et de combien de phénomènes paranormaux as-tu été le témoin ?
 
 Dans le monde de la zététique, il y a un seul et unique laboratoire universitaire, à Nice, dont je suis chercheur associé. Mais gravitent plus ou moins près des associations, dont la plus active est probablement l’Observatoire Zététique (OZ), à Grenoble. Créée en 2003, l’idée était de rompre un peu avec le ton cassant que beaucoup de sceptiques avaient vis-à-vis des défenseurs des thèses bizarres. Nous voulions tester des allégations paranormales mais rester courtois avec les gens et diffuser l’esprit critique et la vigilance vis-à-vis de sirènes parfois trop belles. J’ai été secrétaire de cette association, au départ.
Ai-je été témoin de phénomènes paranormaux ? Impossible de répondre à cela, tout dépend de ce qu’on entend par « paranormal ». Ai-je vu des choses bizarres ? Oui. Même à jeun 🙂
Mais je me méfie de mon expérience personnelle, car je sais que mes sens, mes perceptions, mes témoignages, mes souvenirs même peuvent largement me tromper. Et puis je suis très circonspect sur les coïncidences bizarres par exemple. On en vit tous. Elles sont un peu comme le Loto : gagner le gros lot nous parait miraculeux, alors qu’il n’était pas miraculeux que quelqu’un gagne.
Tout ce que j’ai pu voir ou vivre d’étrange pouvait s’expliquer par d’autres raisons que paranormales. Il y avait toujours une explication plus simple pour expliquer la chose. Mais je ne suis peut-être pas au bout de mes surprises, et entre nous, j’aimerais bien observer quelque chose d’inconnu.
Quel constat fais-tu aujourd’hui sur la rigueur scientifique et journalistique ?
 
 La question est bien posée je trouve, car la mécanique est sensiblement la même : une info journalistique doit pouvoir se vendre, car elle est une denrée commerciale. Pour se vendre, elle doit être choisie, elle doit être proche du vécu des gens, doit se mettre en scène, avoir des mots-clés, une image qui « claque », et flatter une idée reçue. Pire, elle doit être fraîche, comme du poisson sur les étals. Alors on n’a plus le temps de vérifier les sources. A part du très rare journalisme d’investigation, forcément plus lent, l’information journalistique est devenue un marché atroce.
En science, j’ai découvert durant ma thèse que c’est pratiquement la même chose : pour pouvoir être financé, un scientifique doit être publié, donc doit jouer des coudes et surtout présenter une info, une trouvaille, qui soit « vendeuse » pour la revue, en terme d’espoir que la découverte peut donner, ou en terme de polémique. Une fois que la publication est passée, c’est au tour des médias de vulgarisation de se jeter dessus, de l’assaisonner, de la digérer, et de la mettre en scène. Ce qu’il en reste à la fin est un objet manufacturé, façonné, qui n’a plus grand chose à voir avec la trouvaille de départ. Et la sauce à laquelle on finit par passer la nouvelle est très souvent « paranormaliste », mystérieuse, ou sur le thème de l’énigme, quitte à entretenir des idées fausses, mais dont on sait qu’elles font de l’audience.
La zététique, comme méthode pour farfouiller des théories étranges, est très efficace dans les deux cas : elle encourage à la rigueur dans les affirmations, à la précision, à réduire au maximum la subjectivité. J’y ai trouvé une méthode d’autodéfense intellectuelle, comme dit Chomsky, une méthode enseignable facilement.
Les pseudo-sciences sont-elles appréhendées différemment d’un continent ou d’un pays à l’autre ? Le réseau Zététique se limite-t-il à la France ?

Pour savoir ce qu’il se passe précisément sur le plan des croyances dans un pays, il faut y vivre, pénétrer la langue. Je n’ai donc qu’un avis « de surface ».
Le point commun que je retrouve partout, Amérique, Afrique, Europe, est celui-ci : les croyances de type « pseudo-scientifiques » naissent toujours d’un besoin intime. D’une quête de sens métaphysique ou politique, de la perte d’un être cher, d’une maladie vécue comme injuste, la croyance vient servir de béquille. C’est pour cela qu’il faut à tout prix éviter de shooter dans cet appui, au risque de déstabiliser grandement la personne.
Il y a bien quelques différences, mais qui sont dues au contexte économique ou culturel : de part la religiosité, il est plus difficile d’analyser des miracles en Italie ou en Espagne qu’en France, par exemple. Il est plus délicat de critiquer les créationnismes dans les pays fortement chrétiens comme en Amérique du Nord ou dans les pays très islamiques qu’en France. Il est plus compliqué de critiquer des thérapies de marabouts ou de karamokos au Sénégal ou en Guinée-Conakry qu’en France, car ce sont des thérapies populaires – au sens de peu onéreuses. A l’inverse, il est plus difficile de critiquer la psychanalyse en France qu’ailleurs. Il y a même en France des sujets qu’il est plus difficile d’aborder à l’Est qu’à l’Ouest, comme les barreurs ou coupeurs de feu, qui ont le « secret ».
J’espère que dans le réseau CorteX naissant, on retrouvera la diversité propre à chaque pays. Nous avons déjà quelques collaborateurs belges, québécois, ou sénégalais par exemple.
Peux-tu nous donner quelques exemples de sophismes (raisonnements incorrects) largement répandus ?

Bon, j’en prends deux parmi les pires. Un qu’on fait parfois tout seul et un autre qu’on nous inflige dans les débats.
Le premier consiste à penser qu’une chose venant après une autre, on à l’impression que la 1ère est la cause de la 2ème. Un exemple pas grave : j’éternue, et hop, l’ampoule de la lampe grille ! On sera surpris, mais on ne sera pas nombreux à faire un lien causal entre les deux. Un exemple plus grave : je suis une thérapie contre un cancer, un jour je vais voir un thérapeute qui me fait des passes magnétiques, et quelques temps après, je guéris. J’aurais envie, très envie de penser que c’est non par le traitement médical, mais grâce à ces passes magnétiques que je dois ma guérison. Mais s’il y a rechute, la tendance sera forte de se tourner exclusivement vers ce qui nous semble avoir été la cause de notre guérison. Et si la cause n’était pas réelle, la mort peut nous attendre au bout. Cette erreur de corrélation, on l’appelle le Post Hoc (raccourci de Post hoc ergo propter hoc, en latin juste après, donc conséquence de).
Le second sophisme, très pénible dans les discussions, est appelée technique de l’épouvantail. En gros, ton interlocuteur va grimer ton propos, te faire dire quelque chose de très différent de ce que tu as vraiment dit, faire une copie grossière, puis va tourner en ridicule cette copie, pour finalement affirmer… qu’il a forcément raison. Ça c’est très exaspérant ! Moi je vois rouge quand on me fait ça.
Quel est pour toi l’intérêt d’une démarche sceptique ?

Je pense qu’une certaine éducation à la pensée critique est primordiale, pour tous. Elle permet de ne pas tomber dans les arnaques commerciales ou publicitaires, de ne pas verser dans les lieux communs comme les préjugés raciaux ou sexistes, elle te donne des moyens d’éviter les aliénations mentales et les dérives sectaires, elle te permet de faire tes choix en connaissance de cause. Je me fiche royalement de ce que les gens autour de moi choisissent comme thérapie, même les plus saugrenues, si je sais qu’ils ont eu toute l’information disponible et contradictoire sur le sujet.
En ce sens, alors oui, la pensée critique rend plus exigeant en terme d’information. Le public est moins prompt à obéir, à gober les journaux télévisés, à suivre les modes. L’esprit critique permet de poser rationnellement les arguments et de les soupeser, de faire des choix plus éclairés. On est moins à la merci des préjugés, des publicités mensongères, des lieux communs, que ce soit chez le garagiste, le médecin ou le député. Il y a un peu d’émancipation là-dedans, et si on appelle progrès la diminution de la souffrance générale, cela permet un progrès social indéniable.
Le créationnisme est en pleine expansion outre-Atlantique, penses-tu que le phénomène puisse se diffuser en Europe ? Faut-il l’enseigner au même titre que la théorie de l’évolution ?

Il se diffuse déjà en Europe, au Royaume-Uni, en Espagne, et même en France, sous une version qui tente de passer pour scientifique (l’Intelligent Design). Il est évident qu’il suit de près les pratiques religieuses des gens.
Le créationnisme, qu’il soit chrétien, musulman ou juif, est une manière d’expliquer le monde par un Dieu, et selon les textes sacrés. Chacun est bien sûr libre de croire en ce qu’il souhaite. Par contre, si l’objectif de l’enseignement est de fournir une information scientifique aux élèves, alors le créationnisme n’a rien à faire là. Il y a des millions de preuves à l’appui de la théorie de l’évolution.
Il n’y a pas de preuve (et il n’y a pas à en produire il me semble) à l’existence de Dieu. Dieu est une affaire privée ne nécessitant pas de preuve, la connaissance scientifique une affaire publique et nécessite des preuves.
En clair, on oppose faussement deux choses qui n’ont rien à voir : une théorie scientifique, qui se prouve, peut se faire réfuter si quelqu’un vient avec des éléments solides ; et un scénario, quelque chose qu’on prend pour vrai quelles que soient les preuves, et que rien ne réfutera jamais. Il y a une forme d’escroquerie intellectuelle derrière cela. C’est comme si je demandais à ce que dans les cours de géographie soit enseigné au même titre la Terre, avec sa forme ronde, ses pôles, et un modèle d’une terre plate portée par quatre éléphants, eux-mêmes debout sur une tortue.
La psychanalyse connaît de plus en plus de détracteurs, quel est l’avis des zététiciens à ce sujet ?

Je ne sais pas s’il y a plus de détracteurs qu’avant, par contre on en parle davantage, suite au travail d’Onfray. Avant, il y avait déjà des gens qui râlaient, Van Rillær et la bande du livre Noir, mon ami Jean-Louis Racca de l’OZ, Borch-Jacobsen, Benesteau. Mais on les écoutait moins. Il faut dire que la psychanalyse était tellement ancrée chez les post-68 qui font actuellement le monde médiatique, qu’il n’est pas étonnant que personne n’ait fait écho des contestations de la théorie plus tôt.
Il y a autant d’avis que de zététiciens, donc je ne te donne que le mien, que je me suis forgé sur les connaissances actuelles. Je tends à penser que la psychanalyse lacanienne est un non-sens, la branche jungienne est d’un mysticisme qui n’a rien de libérateur. La psychanalyse freudienne peut encore certainement « faire du bien » à quelques personnes, mais sur le plan conceptuel, elle est tellement entachée de fausses preuves, de concepts simplistes et irréfutables, de faiblesse théorique, d’absence d’efficacité que je ne vois pas ce qui va l’empêcher de sombrer. Sur le plan plus sociétal, c’est une théorie conservatrice, assez fortement sexiste, sensiblement homophobe, et très élitiste, tant financièrement qu’intellectuellement. Je n’y vois rien de vraiment séduisant.
Comment oeuvres-tu et comptes-tu oeuvrer dans le futur pour diffuser la « pensée critique » ?

Avec mes collègues, on va tout faire pour que des cours se créent, accessibles à tous, à la fac, chez les profs, en prison, en MJC. Nous allons essayer avec le CorteX d’être la suite du laboratoire zététique, en se servant de la pédagogie liée au paranormal, mais en en sortant, en allant vers des sujets plus sociétaux. Par exemple, l’une de mes complices, Guillemette Reviron, s’est faite une spécialité de décortiquer les chiffres dans les médias, et surtout dans les affirmations économiques et politiques. L’ami Denis Caroti lui est féru de pédagogie. Nicolas Gaillard est un fin analyste des dérives thérapeutiques, en particulier dans le champ de la psychologie et du travail social.
Henri Broch nous aide en cela. Reste à savoir si l’université est capable de créer des postes sur ce genre de sujet. Alors en attendant, avec cortecs.org, nous offrons à qui veut des contenus de cours que nous testons. Je pense qu’un ou deux ouvrages spécifiques ne seraient pas de trop, encore faut-il trouver le temps.
La question piège : être zététicien et croyant, c’est possible ?

Tu veux dire : peut-on être zététicien et croire en quelque chose d’étrange ? C’est sûr ! Il suffit de faire deux pas hors du labo, et je peux te sortir une bêtise, tomber dans un lieu commun. Zététicien, ce n’est pas un label, ni une vertu qu’on porte avec soi, et l’esprit critique s’use… dès qu’on ne s’en sert pas.
Si tu veux parler de la croyance en Dieu, alors… pareil ! Même si ce n’est pas (plus) mon cas, je connais des gens qui concilient les deux, sans les mélanger. Il suffit de bien dissocier entre ce qu’on aime penser que le monde est, et ce qu’il est réellement. Droit au rêve, comme dit Henri, mais devoir de vigilance.
Enfin, comment as-tu connu le site HoaxBuster.com ? De quelle manière envisages-tu le partenariat entre nos sites ?

HoaxBuster (HB) est mon fidèle lien lorsque je cherche à sourcer une information ou une rumeur. J’y ai eu recours des dizaines de fois, depuis 2002 ou 2003, quand je cherchais de la documentation sur des légendes urbaines. Je trouve que le travail qui y est fait est collégial, et basé sur les mêmes critères que la démarche zététique, en particulier la vérification des sources. Quand je n’ai pas de nouvelles théories bizarres à me mettre sur la dent, ou lorsque je veux me mettre à la page des dernières rumeurs, je surfe sur le site, et j’en trouve tout le temps.
Je vois le CorteX comme une branche universitaire qui peut fournir à HB des données scientifiques. Et HB est un puits sans fond de sujets potentiels exploitables par des enseignants qui souhaitent être « à la page ». Un véritable échange, pour le plus pur bénéfice du lecteur lambda.
Merci Richard d’avoir répondu à ce questionnaire et souhaitons-nous, comme tu l’indiques, une collaboration profitable pour le plus grand nombre !

Interview réalisée par Nico – Hoaxteam
Propos recueilli le 8 mars 2011.

 
 

5 mai 2011, Paris – Journée d'étude Les démarches d'investigation à travers les disciplines

Notre ami Jean-Yves Cariou co-organise au nom du CRREF (Centre de Recherches et de Ressources en Éducation et en Formation, IUFM de Guadeloupe) la journée d’étude « Les démarches d’investigation à travers les disciplines », au Palais de la Découverte.

 

La première occurrence du terme investigation en français date du début du XVe siècle. D’emblée, la procédure en impose : c’est elle, nous dit Christine de Pisan en 1404, qui emporte l’adhésion de Charles V à propos de la légitimité du pape Clément, le roi n’y croyant fermement que « lorsqu’une investigation suffisante et sage en eût été faite ». Il importait notamment d’être « convaincu de l’exactitude de tous les faits ». C’est donc en histoire et à propos du contrôle de faits qu’apparaît ce terme, repris ensuite par Rousseau (1750) qui, dans un autre domaine, en pointe les difficultés : « Que de dangers, que de fausses routes dans l’investigation des sciences ! »
Aujourd’hui, dans l’investigation journalistique ou policière –le I de FBI–, c’est la loupe, tenue au-dessus de traces de pas sur le sol ou de plumes sur le papier, qui symbolise le mieux la notion d’investigation. Investigare, c’est justement suivre les empreintes (vestigium), pister, traquer : « investigation, c’est une espèce de quête où l’esprit suit à la piste les traces d’une cause ou d’un effet, présent ou passé » (Diderot).
Contrôle d’assertions ou d’idées par la consultation directe ou indirecte de données : les démarches d’investigation, primordiales pour l’accès à la connaissance dans les différentes disciplines (sciences naturelles, formelles, humaines et sociales), ont toute leur place dans les enseignements correspondants, répondant à la notion d’enquête (inquiry) de Dewey.
Une dérive du sens du terme démarche d’investigation est cependant déjà perceptible dans l’enseignement des sciences : toute activité, même imposée aux élèves et sans initiative de leur part, peut se trouver ainsi étiquetée.
Cette journée d’études a pour objectifs de mieux cerner ce que peut recouvrir, sans se limiter au domaine scientifique, la notion de démarche d’investigation et de considérer les manières dont elle peut se traduire par la mise en oeuvre d’authentiques enquêtes, mettant en jeu les propres forces intellectuelles des élèves, dans différentes disciplines universitaires et scolaires.
Public
Cette journée, et le colloque international qui la prolongera en 2012, visent à réunir celles et ceux qui, de par leur activité professionnelle ou leurs études, portent un intérêt particulier à la démarche d’investigation et à un regard croisé des disciplines sur cette notion : formateurs d’IUFM, enseignants des deux degrés et du supérieur, membres des corps d’inspection, chercheurs en didactiques et des différentes disciplines (sciences naturelles, formelles, humaines et sociales), animateurs et médiateurs scientifiques et culturels, étudiants en Master, doctorants.

Trois conférences plénières permettront de faire le point sur les connaissances actuelles sur les démarches d’investigation dans différentes disciplines

– Des illusions à l’épistémologie de l’investigation, par André Giordan

– Les tâches complexes… Différence entre problèmes et situations-problèmes – toutes disciplines, par Gérard De Vecchi

– L’observation comme activité d’investigation, par Jack Guichard.

Puis trois ateliers pris en charge par un animateur permettront des débats ouverts visant à définir et à cerner les enjeux des questionnements actuels dans ce domaine (avant une synthèse en séance plénière) :

– Les démarches d’investigation, pour quels objectifs (entre épistémologie, savoirs et compétences) ?

– La part des élèves dans les investigations dans les différentes disciplines ; –

La démarche d’investigation en didactique et en médiatique des sciences : approche comparative.

Pour en savoir plus, téléchargez le descriptif et les intervenants ici.

Veuillez confirmer votre inscription (gratuite) à cette journée par mail à : jy.cariou@wanadoo.fr

RM

conférence "La Nature"- par Guillemette Reviron, Grenoble 15 avril 2011

La Nature au service du racisme, du sexisme et de l’écologisme… En quoi l’idée de Nature conforte-t-elle parfois des pensées conservatrices ?

Bien que le sens du mot naturel puisse paraître évident, quand on prend un stylo et qu’on essaie d’en donner une définition, on en arrive assez rapidement à se tordre les neurones. Sur quelles idées reposent les différentes définitions de la Nature que l’on rencontre régulièrement dans les médias grand public ou les publicités ? Quelles sont les représentations qu’elles créent dans nos esprits ? Nous verrons que, loin d’être anodines, ces idées peuvent induire non seulement certaines adhésions pseudo-scientifiques, mais surtout des catégorisations sociales dites essentialistes, où l’on postule la nature d’un individu pour le classer selon des critères racialistes ou sexistes.alt
Des thérapies naturelles au retour vers la nature, de la nature de l’espèce humaine à l’essence de la féminité, nous verrons ainsi en quoi les concepts naturels sont des vecteurs de certaines idéologies qu’on penserait disparues.
L’exposé se veut ludique et accessible à tous et toutes.

 
Antigone – 22 rue des violettes – Grenoble  Horaire : 20h
Tramway C : arrêts Vallier-Catane ou Dr Calmette

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Mode d’emploi – Atelier / débat & démocratie participative

L’objectif de cet atelier/débat est de définir « scientifiquement » la notion de démocratie et de montrer que la participation des citoyens, qui est normalement la définition même du concept de démocratie, est présentée comme une avancée – ce qui semble un peu paradoxal.
Ayant la chance d’avoir une intervenante qualifiée, j’ai pu utiliser des ressources pointues, sachant que nous reviendrions ensuite sur les définitions.

Introduction « douce »

J’ai d’abord commencé par cette image tirée d’Astérix en Corse, qui m’avait beaucoup marqué étant plus jeune, et qui se passe de commentaire.

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Puis, pour poser un cadre agréable, j’ai utilisé un extrait de Enfermé dehors, d’Albert Dupontel (2006).

Ensuite, nous sommes allés directement sur la démocratie proprement dite, sous un angle général, en tournant autour.

Nous avons passé une rafale de trois documents :

  • Alain Badiou, extrait audio sur la liberté, la démocratie et le vote – France Inter, Là-bas si j’y suis, 15 septembre 2009.
  • Nuance démocratie / oligarchie, par Hervé Kempf, dans Ce soir où jamais, de janvier 2011

  • Noam Chomsky : reflexion sur la démocratie, extrait de Chomsky : les Médias et les Illusions Nécessaires (1993)

S’ensuivit une présentation rapide par Amélie de la démocratie au cours des trois derniers siècles, en particulier avec les courants « Rousseau » et « Montesquieu ». Puis vinrent une première série de questions, qui nous permirent d’arriver à la notion de démocratie participative proprement dite.

Nous avons alors pioché dans les documents ci-dessous.

  • Démocratie participative : nouveau créneau politique ? JT, TV8 Mont Blanc, juin 2010

  • Démocratie participative à Grigny (69), extrait de HumaTV

  • Démocratie participative à Grenoble : les faux débats de la CNDP sur les nanotechnologies, extraits des JT de France 3 Grenoble, 1er et 2 décembre 2009

  • Démocratie en science : Jacques Testard, Pierre-Henri Tavoillot sur France Inter (3 septembre 2010)
  • Serge Halimi, extrait de L’encerclement – La démocratie dans les rêts du néolibéralisme, extrait du documentaire de Richard Brouillette

Pour finir, voici un petit lien vers une sympathique brochure des Renseignements Généreux

Sommes-nous en démocratie ? A télécharger ici, ou à imprimer en format livret .

Richard Monvoisin

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16 avril 2011, Grenoble – Pascal Picq en conférence

Pas­cal Picq est paléoan­thro­po­logue, maître de confé­rences au Col­lège de France. Il a publié de nom­breux ouvrages sur les ori­gines de l’humanité, le com­por­te­ment des grands singes ou encore l’apparition du lan­gage. Dans Les Ori­gines de l’homme expli­quées à nos petits-enfants (Seuil, 2010), il com­bat, grâce aux acquis de la géné­tique com­pa­rée et de la lin­guis­tique, les idées reçues sur la place de l’humain sur terre et l’histoire de son évolu­tion. En actualisant et vulgarisant la pensée de Darwin, il lutte, tout comme nous, contre les archaïsmes et fon­da­men­ta­lismes pas­sés et actuels. Si vous êtes dans les environs, venez jeter un oeil, puis l’autre, à ses propos !
RM
Hoaxbuster

La Vitamine C stimule… les idées reçues

La vitamine C est à l’origine de beaucoup d’idées reçues. Qu’en est-il réellement ?

La première d’entre elles, et certainement la plus grave, concerne le traitement du cancer. On la doit entre autres au prix Nobel Linus Pauling, qui, certainement influencé par les théories étranges de la « médecine orthomoléculaire » défendues par le biochimiste Irwin Stone, popularisa la consommation massive de vitamine C. Il s’agissait d’abord de prévenir les rhumes, et Pauling déclara dans Vitamin C and the Common Cold que prendre 1 000 mg de vitamine C par jour allait réduire l’incidence des rhumes par 45% pour une majorité de personnes (sachant que les Apports Nutritionnels Conseillés en 2011 en France sont de 110 mg pour un adulte). La nouvelle édition de 1976 de son livre, ré-intitulé Vitamin C, the Common Cold and the Flu, suggéra des doses encore plus élevées, cette fois-ci pour la grippe, avant qu’un troisième livre, Vitamin C and Cancer n’avance que des doses élevées de vitamine C pouvaient être efficaces cette fois contre le cancer.

En 1976 puis 1978, deux publications cosignées par Pauling présentaient des expérimentations sur l’effet de l’administration d’acide ascorbique chez des patients cancéreux (Cameron & Pauling 1976). Sans compter sur un autre livre, How to Feel Better and Live Longer, qui prétendait que de fortes doses de vitamine « peuvent améliorer votre santé générale… augmenter votre joie de vivre, contribuer à prévenir des maladies cardiaques, du cancer, d’autres pathologies, et ralentir le processus de vieillissement » (Pauling 1986). Pauling lui-même prenait selon ses dires au moins 12 000 mg de vitamine C par jour et avait coutume d’augmenter la dose à 40 000 mg s’il sentait un rhume arriver.

Malheureusement, des études pourtant contemporaines de Pauling ne montrèrent aucun intérêt significatif de cette vitamine C dans le traitement ni du rhume, ni du cancer (entre autres Creagan & al. 1979 et Moertel & al. 1985). Il semble que seul son effet antihistaminique réduirait un tout petit peu la sévérité des symptômes au début d’un rhume, et encore. Quant à l’effet anti-oxydant préventif de cette vitamine, il semble malheureusement qu’il se rapproche de zéro.(1)

Il n’y a pas de grande morale à cette histoire. Car Linus Pauling était un type brillant, qui pour l’anecdote est l’un des rares à avoir cumulé deux prix Nobel, l’un en chimie et l’autre pour la paix – ayant milité longtemps contre la prolifération des armes nucléaires, contre la guerre et l’interventionnisme US. Il est certainement tombé dans ce que nous appelons le syndrome Formule 1 : de même qu’un pilote chevronné sort rarement de la route, lorsqu’un scientifique puissant sort de la route, il termine sa course… bien loin dans le décor. Linus Pauling est mort d’un cancer de la prostate en août 1994 (2).

Une orange avant de dormir, ça énerve

Un exemple bien moins grave d’idée reçue sur l’acide ascorbique (autre nom de la vitamine C) est pourtant courante dans nos chaumières : celle d’excitant. Certaines personnes évitent ainsi de manger des oranges au repas du soir, de peur que la vitamine C contenue dans ces fruits provoque des insomnies et nuise à une nuit paisible et réparatrice.

En fait il n’en est rien. Selon la revue Prescrire (N°58, 1986) :
« Il est habituel de dire que la vitamine C perturbe le sommeil. Nous avons cherché à vérifier cette impression dans la littérature internationale par l’interrogation d’experts et de laboratoires producteurs de vitamine C. Rien ne permet d’affirmer que la vitamine C perturbe l’activité cérébrale pendant le sommeil. Au contraire, une étude réalisée chez 18 volontaires sains rapporte les enregistrements EEG diurnes et nocturnes après prise au coucher de 4 grammes de vitamine C ou de placebo (Note : équivalent de 10kg d’oranges ou de pamplemousses). Aucune modification des cycles ou de l’organisation du sommeil n’est retrouvée chez ceux qui ont absorbé la vitamine C. Aucun trouble fonctionnel n’est rapporté au réveil. Une autre étude réalisée en 1975 chez 54 volontaires étudiants en médecine de Strasbourg a comparé l’effet sur le sommeil du sécobarbital, de la vitamine C et du placebo : 1 gramme de vitamine C au moment du coucher n’a eu aucun effet statistiquement significatif sur le sommeil. » (3)

Cela n’empêche pas un grand nombre de gens, souhaitant gérer « naturellement » leur santé, d’acheter soit des compléments alimentaires d’acide ascorbique (voir la petite mise en garde de N. Gaillard, les compléments alimentaires), soit de gros stocks hivernaux d’oranges, souvent issues d’une agriculture concentrationnaire exploitant une main d’oeuvre corvéable et bon marché du sud de l’Espagne. Pendant ce temps, meurt en touffe le persil qui est en soi une bien meilleure réserve de vitamine C, et se dilue bien mieux dans la soupe (100g de persil apportent 200mg de vitamine C, contre environ 55mg pour 100g d’orange).

A part pour les pirates qui souhaitent éviter le scorbut, inutile donc de se supplémenter à forte dose.

Richard Monvoisin

(1) Bjelakovic G & al., Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention: systematic review and meta-analysis, JAMA. 2007 Feb 28;297(8):842-57.
(2) pour en savoir plus, lire Stephen Barrett de Quackwatch : High Doses of Vitamin C Are Not Effective as a Cancer Treatment (traduit ici) et The Dark Side of Linus Pauling’s Legacy
(3) La publication citée est Kerxhalli JS., Vogel W., Broverman DM., Klaiber EL., Effect of ascorbic acid on the human electroencephalogram, J Nutr. 1975 Oct;105 (10):1356-8. Des compléments sur le mythe de la vitamine C sont accessibles ici)

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Effet Pangloss, ou les dangers des raisonnements à rebours

Dans la Traverse N°2, revue des Renseignements Généreux parue en mars 2011, a été publié un article de Richard Monvoisin initulé L’effet Pangloss, ou les dangers des raisonnements à rebours..En voici le pdf ! Merci aux Renseignements Généreux et à la graphiste Clara Chambon.
Et pour s’entraîner, on pourra aller vite fait ici.
Note : en 2010, des doctorants-moniteurs ont réalisé un excellent Zétéclip sur le raisonnement panglossien. Voir ici.

Effet Pangloss : les dangers des raisonnements à rebours

Aujourd’hui je vous propose de regarder de près un raisonnement qui a l’air tout à fait anodin mais qui peut se révéler terrifiant. Ce raisonnement consiste à penser à rebours. À la manière de ces poils qui poussent à l’envers et s’enkystent dans la peau, il est agaçant et difficile à éliminer, quelle que soit la dose de crème dont on l’enduit. Il est bien plus répandu qu’on ne le pense, et nous allons essayer de le débusquer au travers de quelques exemples.

Le Loto

Je vais partir de la loterie nationale française, ledit Loto. Ayant pour objectif de nous soutirer jusqu’à nos derniers sous en nous faisant miroiter une lointaine et peu probable carotte, ce jeu, nous allons le voir, ressemble à une forme élaborée de soumission librement consentie. Si nous avons un élève de terminale scientifique à portée de main, demandons-lui d’évaluer nos chances de nous faire détrousser, c’est à son programme de maths. Sinon, nous allons le faire ensemble, ce n’est pas très compliqué.

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« Le loto, c’est facile, c’est pas cher, et ça peut rapporter gros ». Slogan de 1984.

Depuis 2008, le nouveau Loto (qui est plus difficile à remporter que l’ancien si l’on compare) demande d’obtenir 5 numéros parmi 49, ainsi que le numéro « chance » tiré parmi 10. Le nombre de tirages possibles se calcule ainsi : frac{ 49 times 48 times 47 times 46 times 45 }{ 1 times 2 times 3 times 4 times 5} times frac{10}{1}= 19068840

Sachant qu’il y a trois tirages par semaine (le lundi, le mercredi et le samedi), une personne dotée d’une espérance de vie à la naissance de 2010 en France (moyenne Femmes-Hommes : environ 82 ans) et qui, chose invraisemblable, jouerait dès le berceau à tous les tirages aura rempli le jour de sa mort 82 (ans) x 52 (semaines) x 3 (tirages) soit quelque chose comme 13000 grilles, en voyant large. Ça lui donne un peu moins d’une chance sur mille de gagner une fois la cagnotte. C’est peu.

Pour avoir un autre ordre d’idée, nous pouvons prendre le taux annuel moyen de mortalité d’un individu garçon de 33 ans vivant en France comme moi, qui est de 119 sur 100 000 (soit 1 sur 840) – qui signifie qu’un type en France a une chance sur 840 de mourir dans l’année de ses 34 ans. Partons du principe que la probabilité de mourir est uniforme tout le long de l’année. Lorsque j’achète un billet de loto j’ai autant de « chances » de mourir dans les 24 minutes qui suivent que de gagner le gros lot. Si j’avais 90 ans, j’aurais autant de chance de gagner le gros lot que de ne pas survivre 9 secondes à l’achat du billet1.

En clair, un individu guidé par sa seule raison refuserait de claquer ses étrennes comme ça. Mais l’humain n’est pas toujours rationnel, loin de là. Et à l’orée du bois, les tire-laine guettent.

altMonique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, deux sociologues ont décrypté le comportement des vainqueurs du Loto dans Les millionnaires de la chance (Payot, Paris, 2010). Ils expliquent que certains individus jouent au Loto en sachant bien que les chances de gagner sont minces, mais… moins minces que celles de changer de classe sociale. En d’autre terme, il serait plus probable pour les classes pauvres de devenir riche en cochant les cases qu’en travaillant d’arrache-pied – ce qui fait réflechir sur le  « mérite » et les encouragements à travailler plus.

Où est le raisonnement à rebours ? Il arrive.

Et les 100% de perdants ?

L’argument massue qui a été employé pour nous faire jouer pendant des années était, rappelons-nous : « 100% des gagnants auront tenté leur chance ».

Ce slogan, à bien y regarder, ne veut pas dire autre chose que ceci : « tous ceux qui ont gagné ont joué », ce qui ne nous apprend rien : on ne gagne pas au loto, au football ou au poker à l’insu de son plein gré – quoi que, lors des matchs nationaux de football, on en voie certains hurler en ville « on a ga-gné » alors qu’ils n’ont pas joué, que voulez-vous, c’est le charme chauvin du sport.

Le séduisant de l’affaire est qu’on nous édicte une règle sur les gagnants. Et comme vous et moi voudrions tous gagner, on se dit tiens, comment ont-ils fait ? Ont-il trituré un trèfle, un fer à cheval ? Eh bien non, ils se sont contenté de jouer. Ils ont tenté leur chance. Voilà. Mais si on y pense, la même chose est valable pour les perdants. Car, c’est ce que la Française des jeux ne nous dit pas : « 100% des perdants ont eu aussi tenté leur chance ! ». Et comble des choses, le 100% des perdants est vachement plus nombreux que le 100% des gagnants. Il n’y a pas beaucoup de gagnants, alors qu’il y a plein de perdants. Mathématiquement, ça se calcule, on a une chance de gagner le gros lot sur 19 millions et quelques (voir le tout premier calcul).

Chercher des raisons

Examinons maintenant ce qui se passe dans la tête d’un joueur lambda.

Quand il perd, il a une forte tendance à se dire quelque chose comme « la chance n’était pas là », puis à shooter dans une boîte de conserve qui traîne. C’était la normalité, qu’il ne gagne pas, il n’était pas dupe, il conclut parfois d’un l’air las « je ne gagne jamais, de toute façon » ou « de toutes les manières je n’ai jamais eu de chance au jeu ». Mais là où le perdant a somme toute un côté assez pragmatique, le gagnant lui, pas du tout ! Il en est même agaçant : il commence déjà par être content de lui, ce qui est une réelle faute de goût. Puis il se trouve plein de bonnes « raisons », comme « je le méritais », ou alors « j’ai joué les bons numéros », « je le sentais », etc.

C’est là que commence le raisonnement à rebours.

Les psychologues sociaux mettent des mots à cela, et c’est bien pratique : le perdant aura un « locus de contrôle » externe (la cause de son échec est le manque de chance, extérieur à lui), tandis que le gagnant aura un « locus de contrôle » interne (il attribue sa réussite à ses qualités propres, ce qui est horripilant). Depuis les travaux de Miller & Ross en 1975, on parle de biais d’autocomplaisance.

Rebours, rebours et ratatam

À chercher une raison pour avoir gagné, la tendance est forte à aller la trouver dans son mérite personnel, comme si le Hasard personnalisé se souciait d’évaluer nos mérites respectifs. Ou dans un coup du sort, comme une espèce d’ange gardien qui veille sur nous. Cela rejoint, vous vous rappelez peut être, le biais du monde juste (cf. Traverse N°1).

C’est effectivement le hasard (sans H majuscule) qui fait la différence entre le gagnant et le perdant. Si les 19 millions et quelques combinaisons possibles sont jouées, la probabilité que quelqu’un gagne est de 1 (on dit 1, mais ça veut dire 100%, tout comme une proba de 0,5 veut dire 50%).

Qu’il y ait un gagnant dans ces cas-là n’est pas une surprise. C’était même quasi-certain. L’incertain, c’est sur qui ça va tomber. Que ça tombe sur moi ou un inconnu, au fond, ce n’est qu’un aléa : il n’y a logiquement aucune conclusion à tirer, ni sur la beauté du monde, ni sur les numéros joués. Pourtant, c’est trop dur : devant la rareté statistique, on cherche une raison à rebours. Alors on se dit au choix

  • qu’on a de la veine,
  • qu’on s’est levé du pied droit,
  • qu’on avait touché sa patte de lapin,
  • que Dieu est bon,
  • que malheureux en amour, heureux au jeu,
  • que le hasard est gentil,

On se dit que quelque part (où ?) quelque chose (immatériel ?) comme la Chance lui a souri (avec quelles dents ?).

Mais le hasard n’est pas gentil. Ni méchant. En tant que volonté, il n’ « est » pas. Il n’obéit à rien, il se contrefout royalement de vous et de moi. Il ne se « contrefout » même pas.

Le sentiment d’avoir déjoué la volonté du Destin est d’ailleurs telle que bien peu veulent rejouer la semaine suivante la combinaison qui a déjà gagné, comme si elle était usée – ce qui n’a pas de sens, les tirages étant indépendants les uns des autres (on appelle ça le sophisme du joueur, je le dis pour l’anecdote).

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Raisonnement à rebours sur la bière, selon frère Joseph (extrait de Jean Van Hamme, Francis Vallès, Les maîtres de l’orge, vol. 1 1854, Charles).

Un balcon sur la tête de Tante Olga

Ce raisonnement à rebours nous arrive aussi en cas de coup dur. On a tous une histoire tragique en stock, comme un balcon qui se décroche juste au dessus de la tête d’une Tante Olga. Alors que la « normalité » est de ne pas se prendre le balcon sur la face (tout comme perdre au Loto), là, on se dit qu’il a « manqué » quelque chose à Tante Olga, du pot, de la veine, de la baraka, du cul bordé de nouilles. On se hasarde même à penser que les desseins du Seigneur sont impénétrables, ou que rien n’arrive par hasard, ou que c’était son karma, et qu’elle paye des vies antérieures plutôt fautives. Il se trouvera bien un vieux voisin un peu aigri, une vieille voisine grincheuse pour dire qu’au fond, entre nous, elle ne l’a pas volé2. Mais l’erreur est toujours la même : on se retrouve à raisonner à rebours sur ce cas seulement, et on oublie de replacer le cas dans la statistique de toutes les tantes (ou oncles) du monde qui se sont promenées un jour en passant sous un balcon et à qui il n’est rien arrivé, surtout pas un balcon.

Le TSD (tri sélectif des données)

Allons plus loin. Imaginons qu’à la terrasse d’une taverne, seul-e comme un menhir, vous jouez à pile ou face. Quelle est la probabilité d’obtenir cinq fois pile d’affilée ? Facile. 1 chance sur 2 au premier lancer (soit 0,5), pareil pour le deuxième, etc. Ça donne : 0,5×0,5×0,5×0,5×0,5 = 0,0312 environ, ça veut dire environ 3 chances sur 100.

Imaginons maintenant que dans 64 autres tavernes, 64 autres comme vous s’emmerdent à mourir et fassent la même chose. Là, la probabilité que vous fassiez 5 fois pile est toujours la même, mais la probabilité que l’un d’entre vous fasse 5 fois pile est, quant à elle, immense : il est quasiment certain que l’un des joueurs fera ce résultat. Et s’il est tout seul et ne regarde que sa lorgnette, il va conclure qu’il est quand même sacrément doué.

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On a envie de sourire, tellement c’est simple, et pourtant, cette erreur qui consiste à extraire le résultat extraordinaire de sa souche statistique et de le brandir comme un étendard est à la base de tout un tas de « miracles ». En voici quelques-uns.

Ötzi la momie

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Prenons la malédiction de la momie Ötzi : ce chasseur vieux de cinq milles ans retrouvé congelé en 1991 dans les alpes italo-autrichiennes aurait causé la mort de six personnages l’ayant approché de près, trois scientifiques, un journaliste, un guide de haute montagne, etc. Sachant le nombre conséquent de gens qui ont gravité autour du corps, depuis les expertises lors de sa découverte jusqu’aux visiteurs du musée italien de Bozen-Bolzano où il réside désormais, est-il si extraordinaire que six d’entre elles meurent, surtout lorsqu’elles sont soit pas spécialement jeunes (cinq sur six avaient plus de 50 ans) soit une profession à risque (guide de haute montagne, tué par une avalanche) ? Si l’on compare le nombre de morts rapporté au nombre de personnes qui ont approché Ötzi et sont restées vivantes, l’hypothèse de la malédiction, tout comme les dents de la momie, se déchausse.

Paul le poulpe

Il était une fois une pieuvre qui, durant la coupe d’Europe 2008 et la coupe du Monde 2010 de football masculin, a su déterminer douze des quatorze résultats d’épreuve qui lui ont été demandés. Certaines mauvaises langues disent que la pieuvre aurait actuellement moins d’un an (fin 2010), ce qui implique soit que le poulpe remonte le temps, soit qu’il y a eu deux poulpes, mais enfin peu importe.

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Ce poulpe mâle, appelé Paul a mérité son surnom d’oracle d’Oberhausen en choisissant, soit disant avec une chance sur deux l’une des deux boîtes affublées des couleurs de chaque équipe (voir l’illustration) En évaluant ce que représentent 12 bonnes réponses sur 14, et en partant du principe qu’il ne pronostique pas les matchs nuls, la probabilité de réussite du poulpe par hasard était de 0,56 %, en gros une chance sur 200. A priori balèze, donc, l’octopode ! Mais bien peu ont enquêté sur le nombre de céphalopodes, de poissons, oiseaux ou autres bestioles de part le monde à qui on s’amuse à poser la question. Si un allemand sur 400 000 fait le coup avec un animal quelconque, on est assuré d’avoir au moins un labrador, un iguane ou un canard cendré qui aura un tel résultat par pur hasard. Suffit de placer ensuite le projecteur des médias sur l’œil humide du vainqueur, en évinçant tous ceux qui ont échoué, et le scénario de l’animal extraordinaire au tentacule malicieux peut se dérouler dans notre vitreux petit écran.

Est-ce risqué d’aller à Lourdes ?

C’est sensiblement le même processus pour les miracles de guérison de Lourdes. On ne peut que s’extasier des 67 miracles revendiqués par l’Église catholique sur le lieu saint depuis les visions de Bernadette Soubirous en 1858, mais posons-nous la question : y-a-t-il réellement plus de guérisons extraordinaires là-bas qu’ailleurs ?

Comme les chiffres sont assez imprécis, nous allons faire une simple estimation.

La principale étude de guérisons considérées comme miraculeuses en milieu hospitalier, là où on trouve un grand nombre de malades, a été réalisée dans le titanesque travail d’archives de O’Regan et Hirshberg3. Leurs résultats sur 128 ans indiquent que, le « taux de miracle » en hôpital est d’environ un cas sur 100 000. Comme la Commission médicale internationale de Lourdes ne prend pas en compte les 70 % de rémissions liées au cancer (car elles sont généralement précédées d’une thérapie, ce qui dilue la part du miracle), il nous reste quelque chose comme un cas de rémission pour 333 000 personnes dans les hôpitaux. Autrement dit, il y a dans les hôpitaux un cas « comme à Lourdes » sur 333 000.

Puisqu’une bonne partie des miracles eut lieu avant de véritables expertises scientifiques, et sont peu fiables même de l’avis de médecins de la Commission d’expertise, nous allons raisonner sur les cinquante dernières années, lors desquelles 5 miracles eurent lieu. Pour se donner une idée, pensons que le dernier en date, reconnu en 2005, porte sur une dame appelée Anna Santaniello, miraculeusement guérie en … 1952. Gardons tout de même ces 5 derniers cas.

Le secrétariat général des sanctuaires estime à plus de 6 millions le nombre de visiteurs de Lourdes par an – dont 1% sont malades. Sur les 50 dernières années, cela donne 300 000 000 visiteurs. Parmi eux, 1%, donc 3 millions de malades plein d’espoir. Retirons comme le fait la Commission de Lourdes les non-atteints de cancer, cela fait 30% des 3 millions, soit environ un million de personnes malades sans cancer, donc susceptibles de vivre un miracle pouvant être homologué.

Cinq miracles sur un million, c’est à peine supérieur à la moyenne des miracles en hôpitaux. La moyenne des hôpitaux étant une moyenne, on comprend bien qu’il y en a affichant des scores meilleurs, d’autres des scores moins bons, et que cela forme une sorte de résultat en cloche autour de la moyenne. Le résultat de Lourdes tombe dans les résultats de cette cloche, et les matheux avec leur langage diraient que son résultat n’est pas significatif. Il semble donc que Lourdes ne soit pas un endroit plus propice aux miracles que l’hôpital près de chez nous, et que si nous en avons l’impression, c’est parce que chaque cas Lourdais est fortement médiatisé.

Certaines mauvaises langues ajoutent que si l’on compte le nombre de gens qui se sont tués sur la route pour aller à Lourdes, alors il semble en fin de compte plutôt risqué d’y faire pèlerinage.

Une pente panglossienne

Quel est le lien entre le « chanceux » au Loto et les frères Bogdanoff ?

Quel est le trait commun entre Paul le poulpe et les créationnistes « scientifiques » ?

Quel est le fil conducteur entre le « miraculé » de Lourdes et la fameuse main invisible du marché ?

Il s’appelle Pangloss. C’est, peut être vous rappelez-vous, le precepteur de Candide, dans le conte de Voltaire. Il enseigne la métaphysico-théologo-cosmolonigologie, et répète à qui mieux-mieux qu’ admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce monde qui est le meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.

Pangloss dit surtout :

« Il est démontré (…) que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux. »….4.

Il s’agit d’une resucée de ce que le XIXe siècle a appelé la métaphore de l’horloger, que l’on doit au philosophe William Paley, et qui dit ceci

  1. Si l’on regarde une montre, on comprend très vite que la finesse de cette fabrication a nécessité quelqu’un pour la penser, — en l’occurrence un horloger.
  2. Si l’on regarde un phénomène naturel incroyablement fin / complexe / beau / rare / étrange / miraculeux on est contraint (au nom de l’horloger) de penser que la finesse / complexité / beauté / rareté / étrangeté de ce phénomène a nécessité quelque-chose pour la penser, pour la vouloir, c’est-à-dire un créateur intelligent ou un dessein cosmique.
  3. Donc un créateur ou un dessein existe.

Le melon, le schtroumpf, les Bogdanoff

Les exemples de cette dérive panglossienne se comptent par centaines. Cela démarre par des trucs rigolos, comme le melon, qui, selon Jacques-Henri Bernardin de Saint Pierre « a été divisé en tranches par la nature afin d’être mangé en famille. La citrouille étant plus grosse peut-être mangée avec les voisins.» 5

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Cela fait tout de suite moins rire quand des créationnistes chrétiens, juifs, ou plus récemment musulmans comme Harun Yayah viennent expliquer dans certaines écoles que l’œil humain, la synthèse des protéines, ou l’apparition de la conscience ne sont pas le produit d’une évolution mais d’un créateur et que l’Humanité a été créée par la volonté de Dieu. Cela fait vite frémir quand, de la même manière que le gagnant du Loto croit qu’il est élu par la Chance, Igor et Grishka Bogdanoff, ou Trinh Xuan Thuan le physicien bouddhiste croient l’univers trop finement réglé pour être le fruit du hasard physique (ce qu’ils appellent le fine-tuning, ce que d’autres appellent l’irréductible complexité).

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On vient par cette occasion implanter une lecture finaliste des choses, l’idée qu’avant que toute chose démarre il y a comme un plan, une idée préconçue, une main invisible qui guide le processus et qui, implacablement, place chaque élément à sa juste place. C’est beau, c’est frais, c’est rassurant… mais c’est la fin de la connaissance, et c’est l’entrée des explications simples. Car finalement, dans quelque univers que l’on vive, même différent, on pourrait conclure la même chose : que tout est bien dans le meilleur des mondes, et que madame la baronne est la meilleure des baronnes possibles. Tout être vivant, qu’il soit Paul le poulpe, une bactérie ou un martien, pourrait conclure lui-aussi qu’il est le but ultime du Dessein Intelligent, d’une volonté cosmique. C’est irréfutable.

Dans un épisode des Schtroumpfs, on voit un des personnages décocher une flèche avec son arc les yeux fermés, puis chercher sa flèche. Une fois trouvée, il s’applique à peindre une cible autour du lieu de l’impact et… repart tout fier.

Pangloss et la fin des « possibles »

On trouve également Pangloss caché derrière l’idée que si le capitalisme s’est imposé, c’est qu’il le fallait, inexorablement, et que la main invisible du marché veille au grain. Pangloss passe par la porte quand les anciens rapports coloniaux affirmaient que puisque les Noirs étaient corvéables un peu partout, c’est qu’il devait y avoir un ordre naturel des choses. Pangloss se glisse dans la cuisine en instillant que si les femmes s’occupent des enfants et font le ménage, c’est qu’elles sont « faites » pour ça. Pangloss revient par la fenêtre quand il nous murmure à l’oreille que c’est dans l’ordre des choses que nous torturions d’autres animaux. Pangloss se tortille dans nos postes de télévision quand, on conclue parmi tous les possibles que tout est de la faute de la CIA, de la maffia russe, du lobby gay et lesbien, de la Mondialisation, des Francs-Maçons, des Sages de Sion… Éloge du scénario simple pré-écrit par des groupes supérieurs inaccessibles.

Le raisonnement des Bogdanoff des défenseurs du fine-tuning, des créationnistes, d’une bonne part des scénarios capitalistes, des théories racistes, sexistes et spécistes6 est le même : il vient essentialiser l’état actuel du monde comme une nécessité, comme une sorte de destin. Pangloss, que ce soit en jouant sur un tri des données ou sur un tri des « possibles », vient troquer la connaissance contre une croyance. C’est en cela qu’il est trompeur et séduisant : en faisant miroiter un finalisme facile, il évince notre capacité à repenser notre vie, nos actes et nos préjugés. Il nous gèle intellectuellement et nous nourrit de scénarios implacables, de karma, de mektoub, autant de chapes de plomb contre lesquelles on nous fait croire qu’on ne peut pas se révolter.

Richard Monvoisin

1 Statistiques disponibles ici.

2 Eh oui, vous l’aviez reconnu, c’est encore le biais du monde juste ! (cf Traverse N°1).

3 Ils ont recensé 1574 cas dans le laps 1864 – 1992. O’Regan, Hirshberg, Spontaneous Remission: An Annotated Bibliography (1993).

4 Voltaire, Candide et autres contes V (1758).

5 J-H. Bernardin de Saint-Pierre, Etude de la nature XI (1784).

6 Spéciste : qui vise à poser que l’humain est fondamentalement différent de l’animal, avec un ordre moral.

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Les éditions Matériologiques ont vu le jour !

altLorsqu’on enseigne ou promeut l’esprit critique en science, il est nécessaire de bâtir un cadre philosophique solide à ses propos. L’équipe de Matériologiques fournit ces outils en posant les fondements du matérialisme méthodologique et « naturaliste »*. Collection Essais, collection Science & Philosophie, mais aussi la revue Matière première qui porte bien son nom.

L’éditeur est un ami, Marc Silberstein, et son équipe éditoriale est tout à fait stimulante – certains noms reviennent déjà régulièrement dans les pages du site Cortecs (Lecointre, Deleporte, Brosseau, et d’autres à venir). De quoi évincer lentement mais sûrement les trames des pensées « spiritualistes » et proto-religieuses qui tentent de pénetrer le monde de la connaissance objective. En clair, une oeuvre de salubrité publique. Abonnons-nous à leur newsletter, et nourrissons-nous intellectuellement, en dehors des sentiers battus et rebattus du relativisme cognitif et du postmodernisme à la mode.

Pour les fins connaisseurs et connaisseuses, les personnes qui contribuent sont dans le droit fil des désormais célèbres publications Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences (2001), Les Matérialismes (et leurs détracteurs) (2004), et Histoire des philosophies matérialistes (2007), et sont en grande partie groupées dans l’Assomat, l’association pour les études matérialistes.

Longue vie, et forte collaboration !

RM

 
*au sens de non-surnaturaliste.

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Atelier corrigé – Recherche de la source de l’information – Origine des cinq sens

Nous vous proposons une collection de travaux pratiques simples à usage des élèves ou étudiants souhaitant se former à la recherche de la source d’une information, d’un concept ou d’une rumeur. Parmi ces TP, celui-ci : d’où provient l’idée que l’humain possède cinq sens ?

Cette recherche m’a pris environ 10 mn. Voici la méthode que j’ai (RM) employée.

Partir de Wikipédia français, et anglais car souvent plus fourni pour des sujets de ce genre. Mais pour trouver la bonne entrée, je recommande de commencer en tapant « wiki » et « cinq sens » (avec guillemets). On aboutit alors à « Sens ». Pour passer à l’anglais, même lorsqu’on n’a pas idée du terme équivalent, il suffit de faire défiler les différentes langues côté gauche, pour aboutir à la page en anglais du même terme – ici en l’occurrence Sense.

  • 1ère piste : dans la page française, on trouve une référence à Aristote.
  • 2ème piste : dans la page anglaise, on trouve une référence à la littératue bouddhiste.

Creusons la première piste : placer Aristote et « cinq sens » dans le moteur de recherche.
On obtient en farfouillant un peu Aristote et son ouvrage De l’âme, livre II.
Puis on tombe sur le site de Corinna Coulmas, qui indique :

« Connu dans la littérature rabbinique en référence au Psaume 115, 5-7, le concept des cinq sens a été utilisé par Platon et pour la première fois analysé en détail par Aristote« 

Et hop ! Nous avons donc trois sources.

Source N°1 : Aristote, De l’âme, II. Deux clics et nous sommes sur le texte traduit en français du site de Philippe Remacle. Anecdote : livre III, il introduit même un 6ème sens, le sens commun !

Source N°2 : Platon. Si l’on tape Platon et « cinq sens » on sait que les textes anciens étant tous accessibles en ligne, on trouvera la citation exacte – qui est dans le dialogue Théétète (daté de 369 avant l’ère commune), sous cette forme : « Est-il acceptable, demande Platon, que tout ce que nous savons provient uniquement de nos cinq sens?« . Encore un surf et on se retrouve sur le livre Théétète en français ici.

Source N°3 : Psaume 115, 5-7. Deux clics et on obtient les bibles en ligne, dont on extrait les versets.

«5. Elles ont une bouche, et ne parlent point; elles ont des yeux, et ne voient point.

6. Elles ont des oreilles, et n’entendent point; elles ont des narines, et ne sentent point.

7.Elles ont des mains, et ne touchent point; elles ont des pieds, et ne marchent point; de leur gosier elles ne font entendre aucun son.»

Ces versets sont-ils antérieurs à Aristote ? Cherchons la date de création, si elle est connue.
Directement, on apprend que « la tradition les attribue au Roi David, (soit -1000) mais beaucoup de critiques modernes estiment qu’il s’agit d’une composition collective et anonyme« . Quand bien même, ces psaumes ne furent écrits parchemin qu’au VIe siècle avant l’ère commune, ce qui semble précéder légèrement Platon et Aristote.
La seconde piste maintenant.

Si l’on a des problèmes pour traduire une page en anglais, passer par un logiciel de traduction en ligne, type systran. Je recommanderai bien sûr les logiciels dits « opensource »( car il y en a au moins un, me si je ne suis pas habitué à son fonctionnement : Linguaphile).

On trouve une référence aux pañcannaṃ indriyānaṃ avakanti,les cinq facultés matérielles, sous la forme de 5 chevaux conduisant le chariot du corps, dans le Katha Upanishad, daté approximativement du 6ème siècle avant EC.
Voilà. Ceci montre que cette notion est floue et archaïque, et que parler de cinq sens aujourd’hui est une commodité qui ne doit pas cacher la complexité de notre appareil sensitif (qui compte chez l’humain des sens à part entière, comme la sensation de faim, la nociception, la proprioception, etc.)

Toute idée ou suggestion est la bienvenue.

Richard Monvoisin


PS : j’utilise volontairement av./ap. EC (avant / après l’ère commune) même si la notion d’ère commune est discutable. Je le fais pour introduire l’idée que le calendrier ne va pas de soi, a été l’enjeu de débats importants, et porte un certain ancrage idéologique. C’est pour cela que je ne souhaite pas dater à partir de la naissance de Jésus Christ – si tant est qu Jésus Christ soit réellement né, ce que des historiens discutent encore.
Clin d’oeil de l’histoire : s’il est né, il serait probablement né en … 4 avant Jésus Christ !  Nous ferons un article sur ce sujet.