« Pilules roses – De l’ignorance en médecine » de Juliette Ferry-Danini (Note de lecture)

Avec « Pilules roses », la philosophe de la médecine Juliette Ferry-Danini nous livre son enquête édifiante sur un scandale entourant le Spasfon, et plus généralement le phloroglucinol, sa molécule active. Faisant partie des médicaments les plus prescrits et vendus (principalement) en France, et en majorité à des femmes, il se trouve qu’il n’a pourtant jamais fait la preuve de son efficacité selon les critères méthodologiques qui sous-tendent de nos jours la mise sur le marché d’un produit de santé. Les origines de cette situation d’ignorance ainsi que les conditions de son maintien dans le temps sont multiples, mais mettent au jour des défaillances tout autant épistémologiques qu’éthiques, le tout profondément imprégné d’un sexisme systémique dont l’institution médicale, des essais cliniques eux-mêmes jusqu’aux professionnels de santé en passant par les campagnes de publicité de l’industrie pharmaceutique, constitue la courroie de transmission.

L’ouvrage débute avec une image très parlante et pédagogiquement puissante de la façon avec laquelle les différents types de connaissances et de pratiques en médecine s’encapsulent les unes dans les autres : des boites gigognes, à l’intérieur desquelles s’entremêlent à la fois des questions épistémologiques (qui ont trait aux connaissances et à leur justification) et des questions éthiques (qui ont trait à ce qu’il convient moralement de faire). La boite qui contient toutes les autres, la plus visible, représente la façon avec laquelle le ou la professionnel-le de santé va informer son ou sa patient-e pour mener à une décision de santé éclairée. Elle dissimule toutes les autres boites, non moins importantes. D’abord, comment un-e professionnel-le de santé s’informe sur les différents médicaments à disposition et sur les données soutenant (ou pas) leur efficacité. Puis, comment ces données sont elles-mêmes produites. Cette dernière question en renferme deux autres : comment mener des essais cliniques sans produire de souffrance inutile et, finalement, à quelle méthodologie un essai clinique doit-il se plier, et pourquoi. Cette vision en boites gigognes donne sa structure à l’ouvrage, où chaque question est abordée l’une après l’autre. En plus d’être une étude de cas à propos du scandale entourant le Spasfon, il constitue donc également une très riche introduction à des questions plus générales concernant l’institution biomédicale dans son ensemble, du laboratoire de recherche au cabinet de consultation. Dans cet article, nous en présentons de manière très résumée certains aspects en particulier, mais le but étant de vous donner envie d’aller lire le livre, sachez que nous sommes loin d’être exhaustifs.

L’origine du problème

Tester un médicament, ça coûte de l’argent et ça prend du temps, deux éléments qui étaient pourtant à disposition (et plus qu’il n’en faut) des différentes entreprises qui ont commercialisé le Spasfon depuis sa mise sur le marché. En effet, commercialisé depuis les années 60, il est rapidement devenu un énorme succès industriel. C’est à mettre en rapport avec le nombre extrêmement faible d’études cliniques produites depuis plus d’un demi-siècle – sans parler de celles, encore plus rares, qui respectent une méthodologie un tant soit peu rigoureuse. Il semble qu’au moment de sa mise sur le marché, le médicament n’avait été testé que sur une poignée de personnes, dont une majorité de femmes, et qu’il ait profité d’un certain laxisme, probablement parce que les pathologies qu’il était censé traiter étaient dès le départ considérées comme principalement féminines. A cette époque, les contraintes pour mettre sur le marché un médicament étaient certes moins fortes qu’aujourd’hui mais, d’une part, cela n’a jamais été régularisé par la suite alors que des essais cliniques auraient pu être réalisés – et auraient du être exigés de la part des autorités – et, d’autre part, certaines expérimentations (où il s’agissait, en particulier, de provoquer volontairement des douleurs) ont été pratiquées alors qu’elles violaient des principes éthiques fondamentaux, même pour l’époque. La philosophe se fait alors historienne et met au jour des archives de l’époque pour appuyer son propos de manière convaincante.

Les mécanismes de maintien de l’ignorance

Pour comprendre comment une telle situation d’ignorance caractérisée a pu émerger et surtout se maintenir aussi longtemps, différents éléments sont à prendre en compte. En plus des essais cliniques déjà peu convaincants, d’autres études censées appuyer l’efficacité du Spasfon portaient en réalité uniquement sur des mécanismes biologiques (perçus comme) plausibles, ce qui constitue un niveau de preuve très faible en regard des standard actuels, loin derrière les essais contrôlés randomisés et les méta-analyses, par exemple – d’autant plus que certains de ces mécanismes étaient supposés agir sur les « spasmes » et les calmer, phénomènes dont l’existence même est très controversée. En réalité, comme le souligne l’autrice, il ne s’agirait probablement que d’un mythe comme il en existe d’autres autour du fonctionnement physiologique féminin, rappelant par exemple la fameuse « hystérie » psychanalytique, et dont une conséquence importante est la minimisation des ressentis – et en particulier de la douleur – des femmes. Un problème reposant sur un mythe, donc, ainsi qu’une solution toute trouvée pour le résoudre, toute aussi mythique mais qui peut pourtant convaincre par sa simplicité.

On voit un biais sexiste à l’œuvre déjà à au moins deux endroits ici : dans le laxisme concernant les conditions de la mise sur le marché d’un médicament censé prévenir ou soulager des maux perçus comme principalement féminins, et dans les conditions même de justification de l’efficacité d’un traitement, quand bien même celle-ci repose déjà sur des bases très fragiles. Mais ce n’est pas fini. Il reste également à expliquer comment le succès du Spasfon a pu se maintenir dans le temps en dépit de son inefficacité probable – il est également affaire de discriminations et de présupposés sexistes ici. Imaginez que vous vouliez faire de votre médicament un succès commercial. Une fois qu’il est mis sur le marché, vous pouvez faire de la publicité pour convaincre directement les patients et les patientes de son efficacité, mais c’est long, coûteux, sans certitude que cela soit vraiment efficace. Vous pouvez aussi, et c’est la stratégie que l’autrice s’attache à décrire ici, concentrer vos efforts sur les professionnel-les de santé, par exemple en payant très cher le fameux « office de vulgarisation pharmaceutique » pour faire inscrire votre médicament dans le dictionnaire pharmacologique de référence (en France) : le Vidal, ou bien pour qu’il fasse votre publicité directement auprès des professionnel-les de santé. (Ici, nul besoin de supposer un quelconque lavage de cerveau : simplement contrôler l’information disponible et la façon avec laquelle on la perçoit est beaucoup plus efficace.) Ensuite, une fois que celleux-ci sont enclin-es à prescrire votre médicament en masse, le fait qu’en général les patients et patientes font confiance aux professionnel-les de santé qu’ils et elles consultent fera le reste. De plus, concernant les traitements visant à soulager la douleur chez les femmes, le fait que les professionnel-les de santé ont tendance à minimiser systématiquement celle-ci permettra également de protéger votre médicament de la réfutation de son efficacité : si la patiente n’a plus mal, c’est bien la preuve que votre médicament est efficace ; si elle a encore mal, c’est probablement « psychologique », ou dû au fait que « les femmes ont tendance à exagérer leur douleur », rien à voir avec l’inefficacité de votre médicament. Ainsi, le risque est minime qu’on cherche à le remettre en question en produisant, par exemple, de nouvelles études cliniques. L’ignorance à la base du problème se reproduit donc d’elle-même – et le tout s’auto-entretient.

Il faut bien sûr prendre ceci pour ce que c’est : un modèle, forcément simplifié, d’un mécanisme possible de reproduction des discriminations expliquant le maintien dans le temps d’un tel produit de santé sans efficacité propre. Pour autant, il capture déjà des aspects essentiels du processus. Pour une vision plus fouillée et complète, nous vous invitons bien sûr à lire l’ouvrage.

Secret de Polichinelle et éthique du placebo

Finalement, il apparaît que l’inefficacité du Spasfon serait plus ou moins un secret de polichinelle chez les professionnel-les de santé. Comme montré dans le livre, beaucoup le savent très bien ou du moins s’en doutent fort, et pourtant continuent de le prescrire. Nul besoin de supposer qu’iels sont payé-es directement par l’industrie pharmaceutique pour ça : encore une fois, l’inertie de l’habitude couplée d’une rationalisation du type « les patientes sont habituées » ou « dans tous les cas on peut jouer sur l’effet placebo, ce qui ne fait jamais de mal », suffit à expliquer cette situation. Et justement, c’est sur ce dernier point – l’utilisation des placebos en médecine – que l’autrice clôture son ouvrage. Elle se prononce en effet en défaveur de leur utilisation, pour plusieurs raisons en accord à la fois avec les recommandations issues des meilleures méta-analyses sur les effets supposés de l’administration d’un placebo et sur des travaux fondamentaux en éthique du biomédical, dont elle est d’ailleurs spécialiste. Allant à l’encontre d’une idée reçue (qui semble intuitive de prime abord) souvent entendue en défense des traitements qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité spécifique, elle montre que non, l’administration d’un placebo n’est pas (toujours) sans danger. D’une part, il peut y avoir des effets directs de l’administration d’un placebo, notamment lorsque celui-ci est « impur » – c’est-à-dire qu’il y a un principe actif, c’est juste qu’on a de bonnes raisons de penser que ce principe n’agit pas sur la pathologie que l’on veut traiter. Quant aux placebos purs (qui ne contiennent aucun principe actif), les meilleures études sur le sujet montrent que l’effet placebo a été surestimé pendant des décennies, et qu’en réalité, quand il existe, il est assez faible, trop faible pour apporter un bénéfice thérapeutique substantiel – vous ne pouvez pas guérir grâce à un placebo, mais son administration couplée à certains éléments de contexte thérapeutique peut avoir un effet sur certains de vos symptômes, comme par exemple la douleur. Mais d’autre part, il y a aussi des effets indirects : certains médicaments prescrits comme « placebo » peuvent être achetés sans ordonnance, et donc la croyance dans leur efficacité peut mener à de l’automédication, éloigner les personnes de traitements efficaces et donc diminuer leurs chances d’être soignées correctement. De plus, du point de vue éthique, administrer un placebo à un ou une patient-e à son insu c’est aller contre leur consentement, puisqu’iels ne sont alors pas en mesure de prendre une décision éclairée. De nouveau, nous vous invitons à lire l’ouvrage pour une présentation bien plus riche et détaillée des raisonnements sous-jacents à cette discussion.

Conclusion

Puisant à la fois dans l’épistémologie, la philosophie, l’éthique, l’histoire et la sociologie de la médecine, l’ouvrage de Juliette Ferry-Danini apparaît donc incontournable pour toute personne désireuse d’aiguiser son esprit critique sur la production, la diffusion et l’application des connaissances en médecine. Celles-ci, d’un point de vue féministe, ne semblent pas pouvoir se départir de leurs conditions sociales et culturelles d’émergence où les logiques patriarcales et mercantiles, comme souvent, vont de pair dans la production et le maintien d’une ignorance stratégique.

Les principaux dangers de la naturopathie

Cet article (8/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce huitième article, il s’agira de détailler les principaux dangers de la naturopathie.

Certes, la naturopathie n’a pas apporté la preuve de son efficacité à prévenir ou guérir les maladies. Pour autant, certaines personnes assurent que cela ne représenterait pas un danger, que cela ne pourrait pas faire de mal. C’est d’ailleurs une des connotations de l’expression « médecine douce » : nous n’avons rien à craindre de la douceur, n’est-ce pas ?

Dans la réalité, la nuance est pourtant de mise. Car la naturopathie, au même titre que les autres médecines alternatives et complémentaires (MAC), expose à plusieurs risques importants. A commencer par un risque financier : il n’est en effet pas rare de voir certaines personnes dépenser des sommes très importantes pour être accompagnées sur la durée par des naturopathes et autres praticien.nes de MAC, sans bénéficier pour autant de cet accompagnement… Je pense également aux personnes qui, animées par de louables intentions, choisissent de se former en naturopathie et se délestent de plusieurs centaines voire milliers d’euros, au seul profit du business juteux des formations en naturopathie.

Un autre risque important, c’est le risque de développer des carences alimentaires et des troubles du comportement alimentaire en adoptant un régime restrictif sans aucune justification médicale ni encadrement adapté. Car rappelons-le : les naturopathes ne sont pas formé.es à prodiguer des recommandations diététiques fiables. Leur formation sur ce point est faible à la fois en termes de volume horaire (tout au plus quelques dizaines d’heures pour les plus formé.es), mais aussi en termes de validité scientifique. Leur formation est sans commune mesure avec celle des professionnel.les de santé que sont les diététicien.nes, qui bénéficient d’une formation de 2 à 3 années, basée sur les connaissances les plus actuelles qui se dégagent de la recherche scientifique et complétée par plusieurs mois de stages effectués en milieu hospitalier.

A ce sujet, il est également possible d’aggraver une situation pathologique en demandant des conseils diététiques à un.e naturopathe, car iels ne sont bien évidemment pas formée.es à la diététique thérapeutique (diététique spécifique à certaines pathologies comme le diabète, l’insuffisance rénale, l’hypertension artérielle, les MICI etc.). Pourtant, cette absence de compétence ne les empêche pas de prendre en charge des personnes souffrant de pathologies qui justifieraient le mise en place d’un régime adapté, et de leur recommander les habituels régimes promus en naturopathie (régime hypotoxique, diète alcalinisante, alimentation sans gluten etc.).

Pour ce qui concerne les compléments alimentaires recommandés par les naturopathes, ceux-ci exposent à d’autres risques, notamment un risque d’allergie, d’intoxication, ou d’interaction médicamenteuse. Ces risques sont souvent sous-évalués en raison du caractère « naturel » des compléments alimentaires. Or, chaque année on comptabilise des accidents graves liés à la consommation de compléments alimentaires de vitamines, plantes ou autres. Certains font l’objet de publications par l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), qui cherche à sensibiliser à ces risques. Risques qui sont par ailleurs mis en regard avec l’absence de nécessité de recourir à l’immense majorité de ces compléments.1

Pour ce qui concerne les plantes plus spécifiquement, les formations en naturopathie sont très superficielles et ne permettent pas de recommander un usage sécuritaire des différents compléments existants. Car les plantes, aussi naturelles soient-elles, ne sont pas dépourvues d’effets secondaires tout à fait comparables à ceux des médicaments lorsqu’elles contiennent des molécules très actives. Il existe un risque d’effets secondaires conséquent, mais aussi de nombreuses contre-indications (nourrissons, enfants, personnes enceintes ou allaitantes, situation pathologique), un risque d’allergie et de nombreux risques d’interactions médicamenteuses.2

Pour ne citer qu’un exemple à ce sujet, nous pouvons mentionner le risque d’hépatites liées à la consommation de compléments alimentaires contenant du curcuma3, plante très à la mode chez les naturopathes en raison de ses prétendus effets hépatoprotecteur, anticancéreux, anti-inflammatoire, anti-viral, antioxydant, anti-dépresseur, curatif de certaines pathologies neurodégénératives et des troubles de la mémoire, régulateur de la glycémie, amincissant, protecteur cardio-vasculaire, apaisant pour l’eczéma et le psoriasis, antihistaminique, antiparasitaire etc… (je m’arrête là mais vous l’avez compris : selon certain.es naturopathes, le curcuma guérirait tout sauf la mort)

Mais le risque principal de la naturopathie, c’est la perte de chance d’être soigné.e. En premier lieu car se tourner vers la naturopathie au lieu de solliciter l’accompagnement d’un.e professionnel.le de santé, c’est risquer un retard de diagnostic. Les naturopathes ne sont en effet pas formé.es à établir un diagnostic médical, ni même à détecter les signes qui doivent conduire à solliciter une prise en charge médicale rapide (voire urgente…). On peut ainsi passer des mois voire des années à être suivi.e par un.e naturopathe, en passant continuellement à côté de la cause réelle de nos souffrances.

Mais aussi car les discours naturopathiques sur le prétendu causalisme, sur l’hygiénisme, sur le vitalisme et les autres discours de défiance envers la médecine basée sur les preuves, peuvent conduire plus ou moins progressivement à un éloignement de la médecine*. En adhérant à ces croyances, on augmente en effet la probabilité de refuser ou arrêter un traitement médicamenteux, refuser la vaccination4 ou bien encore refuser ou retarder une intervention chirurgicale5. Et c’est bien là que réside le principal danger de la naturopathie : éloigner d’une prise en charge médicale efficace et éprouvée, au détriment de notre santé et de celles des personnes qui dépendent de nous.

Pour lire les articles précédents et suivants de cette série sur la naturopathie : cliquer ici.


*Focus sur l’éloignement de la médecine :

Il semblerait qu’il y ait une incompréhension à ce sujet puisque, selon certaines personnes, il suffirait de ne pas déconseiller à sa cliente de voir un médecin ou de prendre son traitement, de lui demander si elle est suivie par son médecin traitant et de s’interdire de suggérer l’arrêt d’un traitement… pour garantir que l’on est pas en train d’éloigner les gens de la médecine.

Sauf que, le plus souvent c’est beaucoup plus subtil que cela…

  • Suggérer qu’il y a pleeeeeein d’autres choses très efficaces à tester avant de prendre un traitement ou bénéficier d’une intervention chirurgicale. Par exemple de manger plus sainement, de jeûner ou de se gaver de compléments alimentaires plutôt que de prendre des antidépresseurs quand on a envie de se pendre.
  • Renforcer l’idée que seules les méthodes « naturelles » permettent d’être en bonne santé de manière durable, décrédibilisant ainsi de manière indirecte toute tentative non « naturelle » de se soigner (médicaments, vaccins, chirurgie…).
  • Évoquer sans cesse les effets secondaires indésirables des traitements médicamenteux et chirurgicaux, les exagérer, tout en minimisant les effets bénéfiques (voire carrément les nier). Ce qui encourage bien évidemment à se méfier des traitements médicaux. (à noter au passage que rares sont les naturopathes à connaître et présenter les effets indésirables parfois très graves des compléments alimentaires qu’iels recommandent à tour de bras…)
  • Émettre des doutes sur la vaccination en évoquant de possibles graves effets secondaires qui n’ont pourtant jamais été observés dans la réalité… Ce qui suscite bien évidemment des peurs qui conduisent les gens à refuser la vaccination alors qu’elle leur serait pourtant très profitable.
  • Exagérer l’influence des laboratoires sur le monde médical pour accroître la défiance généralisée envers la médecine et les professionnel.les de santé. (tout en passant sous silence l’influence des laboratoires sur les pseudo-médecines…)
  • Présenter la médecine comme ayant une approche strictement symptomatique, donc étant dans l’incapacité de guérir les causes des problèmes de santé.
  • Etc…

Autant de comportements et discours qui, de manière indirecte mais très efficace, conduisent à éloigner les gens de la médecine en développant une méfiance démesurée.

Pourquoi ça marche, la naturopathie ?

Cet article (7/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce septième article, il s’agira d’expliquer pourquoi la naturopathie, ça marche (parfois…).

Nous venons de voir que nous avions de bonnes raisons de douter de l’efficacité de la naturopathie. Pourtant, si on prend ne serait-ce que cinq minutes pour naviguer sur internet, on peut lire des dizaines de témoignages de personnes qui affirment avoir été soignées par la naturopathie. Que doit-on penser de cela ? Quelle importance accorder à ces témoignages ?

Précisons avant toute chose que nous ne remettons pas en cause la véracité de ces témoignages : les personnes qui en sont autrices vont mieux, et elles sont bel et bien persuadées d’avoir été guéries grâce à des recommandations naturopathiques. Ne nions pas leurs vécus et leurs ressentis.

Cependant, je dois souligner que les témoignages, aussi nombreux soient-ils, ne constituent jamais une preuve d’efficacité d’une pratique de soin. On parle de la faiblesse des preuves anecdotiques1, qui, en dehors de tout protocole expérimental rigoureux, exposent à de nombreux biais qui peuvent conduire à tirer des conclusions faussées : échantillon non représentatif (on ne prend pas en considération les personnes pour lesquelles la naturopathie n’a pas eu d’effets ou a eu des effets négatifs), généralisation abusive, présences de nombreux facteurs confondants non examinés2, confusion entre corrélation et causalité3… Sur ce dernier point, particulièrement fréquent dans les témoignages, il s’agit d’attribuer sa guérison à la récente mise en place de recommandations naturopathiques (faire un lien de causalité), sur la base du constat d’une guérison survenue peu de temps après avoir adopté ces changements (simple corrélation), sans imaginer qu’il pourrait y avoir d’autres raisons à cette guérison. Ces autres raisons peuvent être, par exemple, une autre intervention thérapeutique menée en parallèle, mais pas seulement…

Deux autres éléments importants qui peuvent conduire à conclure à tort à l’efficacité de soins non éprouvés (comme la naturopathie) en confondant corrélation et causalité sont :

  • Le caractère spontanément résolutif de bon nombre de pathologies : ces maladies qui guérissent seules après un certain temps, avec ou sans intervention de notre part (rhume, grippe, bronchite, lumbago, infections ORL virales, gastro-entérite, coliques du nourrisson, nausées de grossesse, 90 % des infections HPV…). On aurait alors tendance à penser, à tort, que notre intervention est la cause de la guérison, alors que la guérison serait de toute façon intervenue seule dans les mêmes délais.
  • L’alternance de phases de rémission et de poussées aiguës dans d’autres maladies (sclérose en plaques, maladie de crohn, lupus, rectocolite hémorragique, psoriasis, spondylarthrite ankylosante…) . On pourrait là encore penser à tort qu’un soin est la cause d’une rémission, alors qu’il s’agit de l’évolution naturelle de la maladie.

L’effet placebo (ou effets contextuels4) peut également expliquer les bénéfices que l’on a tirés d’une pratique de soin non éprouvée comme la naturopathie.

« L’effet placebo correspond au résultat psycho-physiologique positif (bénéfique) constaté après l’administration d’une substance ou la réalisation d’un acte thérapeutique, indépendamment de l’efficacité intrinsèque attendue du traitement. »

Effet placebo, Wikipedia

Divers paramètres influent en effet sur la manifestation des symptômes (notamment la douleur, mais pas seulement), sans pour autant que l’on suive un protocole de soin éprouvé. Par exemple la suggestion (cela fonctionne mieux si on nous assure que cela fonctionne), les attentes vis à vis du traitement (cela fonctionne mieux si l’on croit que cela va fonctionner), la notoriété du ou de la thérapeute et le prix de la consultation, l’assurance du ou de la thérapeute, ses discours rassurants…5

Mais pour ce qui concerne la naturopathie, soyons honnêtes, certains des outils employés ont bel et bien démontré leur efficacité ! C’est notamment le cas de certaines recommandations alimentaires (manger moins de viande, plus de légumes, moins de sucres, moins gras, moins d’alcool, moins de produits transformés…), certaines recommandations d’hygiène de vie (arrêt du tabac, encouragement à mettre en place activité physique régulière et adaptée), mais aussi certaines techniques de gestion du stress (le stress étant un facteur aggravant les symptômes de nombreuses pathologies). Mais, ne remarquez-vous pas ce qu’ont en commun ces outils à l’efficacité démontrée ?

En effet, vous avez vu juste : aucun d’entre eux n’est propre à la naturopathie. Notons également que ce sont des outils dont font usage quotidiennement les professionnel.les de santé et psychologues…

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Peut-on évaluer scientifiquement la naturopathie ?

Cet article (6/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce sixième article, il s’agira d’explorer la possibilité et la nécessité d’évaluer scientifiquement la naturopathie.

Selon certain.es naturopathes, la naturopathie ne pourrait pas être évaluée par la science, parce que les outils de la méthode scientifique ne permettraient pas de saisir l’essence de la force vitale qui est à l’œuvre1. Mais prouver l’efficacité de la naturopathie, ce n’est pas prouver l’existence de la force vitale : c’est prouver que la prise en charge naturopathique a bien les effets annoncés en terme de santé. Certes, cela demande du temps et des ressources, mais il est tout à fait possible d’évaluer si les prétentions de la naturopathie sont réalistes… ou pas.

Des études sur le sujet, il y en a quelques unes déjà, mais à ma connaissance aucune dont la méthodologie soit franchement rigoureuse. De ce fait, les conclusions qui en sont tirées sont de très faible niveau de preuve. Pourtant, étudier l’efficacité de la naturopathie, c’est possible. Par exemple, on pourrait partir des prétentions avancées par un organisme représentatif de la profession, comme la Féna, fédération française de naturopathie. D’après la Féna, la naturopathie est une approche complémentaire à la médecine (elle ne s’y substitue pas) qui permettrait de retrouver, maintenir ou renforcer la santé. Et tout cela, c’est testable scientifiquement, même si les fondements invoqués, ne sont, eux, pas testables, comme par exemple les lois naturelles ou la force vitale.

Si on devait résumer de manière assez basique un éventuel protocole pour tester l’efficacité de la naturopathie, il s’agirait de donner un maximum de chance à l’étude de montrer un effet s’il existe, tout en minimisant les risques d’être trompé.e par de la variabilité, du bruit ou des biais. Pour tirer des conclusions fiables en termes de causalité, il pourrait par exemple s’agir d’une étude interventionnelle2 sous forme d’essai clinique contrôlé3 randomisé4 en double aveugle5

Trois groupes de personnes seraient nécessaires, chaque groupe comprenant un nombre élevé de personnes pour assurer des résultats statistiquement représentatifs. Puisque la naturopathie prétend apporter quelque chose de complémentaire, quelque chose que la médecine n’apporte pas, il s’agirait d’observer :

  • En premier lieu, l’évolution de l’état de santé d’un premier groupe, qui bénéficierait d’un suivi médical conventionnel standard (donc avec des médecins généralistes, médecins spécialistes, diététicien.nes, psychologues, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, etc.).
  • A côté, on observerait l’évolution de l’état de santé d’un deuxième groupe, qui aurait accès à un suivi médical conventionnel standard (tout comme le premier groupe) ET à un suivi régulier par des naturopathes. On pourrait même imaginer que ces naturopathes soient désigné.es par la fédération française de naturopathie pour s’assurer de leurs niveau de compétences.
  • Et enfin, on observerait l’évolution de l’état de santé d’un troisième groupe, qui aurait accès à un suivi médical conventionnel, mais adapté, c’est à dire présentant les caractéristiques non spécifiques de la naturopathie : augmentation du temps accordé aux patient.es, écoute empathique, conseils d’hygiène de vie non spécifiques etc. C’est la présence de ce troisième groupe qui permettra de conclure (ou pas) à l’efficacité propre de la naturopathie, indépendamment de ses effets contextuels.6

Sur une durée la plus longue possible, on étudierait l’évolution de ces groupes appartenant à une population spécifique, en privilégiant l’analyse de critères cliniques pertinents objectifs et en justifiant le choix des critères choisis selon l’objet de l’étude (des marqueurs biologiques par exemple).

Le protocole de l’étude serait bien évidemment déposé avant le début de l’étude sur un serveur d’enregistrement dédié à cela, et l’analyse des données récoltées devrait se faire conformément à ce protocole enregistré, de manière à éviter de torturer les données a posteriori pour orienter les conclusions.

Au regard de la complexité à mettre en œuvre une ou plusieurs études interventionnelles, il pourrait s’agir également d’études observationnelles7, avec un suivi très long mené sur des populations de grande taille (même si ce genre d’études expose à un risque de biais plus important).

Bref, mener une étude fiable, c’est faisable même si ce n’est pas si simple… Et malheureusement, ce que l’on peut lire actuellement, ce sont surtout des études qui comparent les effets de la naturopathie avec… rien. C’est vraiment affligeant, et surtout, ça ne permet pas de conclure quoi que ce soit de sérieux.

Je peux comprendre que les organismes qui promeuvent la naturopathie ne souhaitent pas engager des fonds pour mener ce type de recherche, notamment parce que les personnes qui adhèrent à la naturopathie sont généralement peu regardantes à ce sujet : elles n’ont pas besoin de preuves scientifiques pour se former, consulter ou même ouvrir une école de naturopathie. Mais il serait tout de même à leur avantage de faire cet effort de démonstration, notamment au regard de la volonté affichée de s’intégrer au parcours de soin médical (la « médecine intégrative » citée précédemment). Car certains outils qui ont un temps été considérés comme pseudo-scientifiques et qui ont amené la preuve de leur efficacité (avec des études à la méthodologie rigoureuse qui ont pu être répliquées pour consolider leurs résultats) sont désormais pleinement intégrés aux outils de la médecine. C’est le cas par exemple de l’hypno-sédation, employée en parallèle des traitements médicamenteux.8

Cependant, même en l’absence d’études rigoureuses sur la naturopathie dans sa globalité, on peut raisonnablement douter des prétentions affichées par la discipline… En effet, de nombreux outils utilisés en naturopathie ont déjà été évalués par la science, et pour beaucoup d’entre eux, il en résulte qu’il ne permettent pas d’atteindre les objectifs préventifs ou thérapeutiques mis en avant par la naturopathie : protocoles détox9, fleurs de Bach10, acupuncture11, homéopathie12, réflexologie plantaire13, soins énergétiques, compléments alimentaires divers et variés14

Pour ce qui concerne la diététique, qui est la composante majeure des recommandations naturopathiques, on peut dresser le même constat d’absence de pertinence des prétentions avancées. Cela concerne tout particulièrement les recommandations habituelles d’alimentation alcalinisante, de régime hypotoxique, de régime dissocié, de crudivorisme, de monodiètes, de jeûne, d’alimentation sans gluten ou bien encore d’alimentation sans produits laitiers de vache… Aucun de ces régimes alimentaires restrictifs n’a apporté la preuve de sa pertinence en termes de prévention ou de traitement des maladies.

Au sujet des recommandations d’aromathérapie ou de phytothérapie, il s’agit de faire preuve d’une certaine nuance, car l’efficacité des compléments proposés dépend beaucoup du choix de la galénique15 (plante à infuser, poudre de plante, teinture-mère, gemmothérapie, extrait de plantes standardisé, huile essentielle…), du dosage en principes actifs (extraits titrés ou pas), du mode d’administration (voie orale, voie cutanée, voie respiratoire), de la fréquence et durée de la prise. Mais malgré une littérature abondante à ce sujet, force est de constater que les prétentions avancées par les naturopathes sont très souvent excessives par rapport à ce que l’on connaît de l’effet des plantes étudiées.16

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Naturopathie et médecine : une relation ambiguë

Cet article (5/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce cinquième article, il s’agira d’explorer la relation ambiguë entre naturopathie et médecine…

Les naturopathes tentent d’imposer sur le devant de la scène un concept propre aux médecines alternatives et complémentaires (MAC) : la « médecine intégrative ». Il s’agit de valoriser une prétendue complémentarité des MAC avec la médecine, et de faciliter l’intégration pleine et entière de ces dernières dans le parcours de soin médical. Sont donc envisagées des collaborations étroites entre professionnel.les de santé et praticien.nes de MAC, en libéral mais aussi à l’hôpital.

Mais cette prétention de complémentarité peine à faire écho avec les discours des naturopathes sur la médecine… Comme évoqué précédemment, les naturopathes alimentent une méfiance démesurée envers les traitements médicamenteux (notamment les chimiothérapies, les anti-inflammatoires et les antidépresseurs), les vaccins et les chirurgies. En dehors des rares situations que les naturopathes considèrent relever de l’urgence vitale, le dénigrement de la médecine est constant.

On retrouve ce dénigrement distillé de manière plus ou moins subtile dans leurs prises de position publique (sites internets, blogs, vidéos en ligne, livres…), et de manière plus franche lorsque le contexte est plus privatif (de vive voix, en formation… ou en consultation). La tendance est à l’exagération des effets secondaires (quel naturopathe ne dénonce pas la iatrogénie1 tout en passant sous silence la toxicité des compléments alimentaires qu’iel recommande à tour de bras ?…), à la minimisation des effets bénéfiques des traitements, voire à l’affirmation de leur inutilité. En lien avec le causalisme affiché de la naturopathie, les naturopathes se dressent en opposition à la médecine, dont iels affirment qu’elles ne traiterait que les symptômes, voire qu’elle rendrait malades les patient.es.

Cette posture ambiguë vis à vis de la médecine (volonté de partenariat / dénigrement systématique) se remarque également dans les références que les naturopathes font aux médecins. En effet, on remarque que dans leurs publications, conférences, ouvrages ou formations, de nombreux.ses médecins servent de références. Mais toustes ne sont pas logé.es à la même enseigne…

Lorsque des médecins sont évoqués dans un contexte naturopathique, c’est rarement en dehors de l’un des quatre cas suivants :

  • En premier lieu, les médecins de l’antiquité, qui sont mentionnés pour être glorifiés dans leur approche « naturelle » et « traditionnelle » de la santé. Pythagore et Hippocrate notamment.
Fleurs de Bach
  • Des médecins plus récents sont souvent pris en exemple : des médecins dont les travaux et hypothèses alimentent une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Et ce, même si la preuve de l’invalidité de ces travaux et hypothèses a été apportée, parfois même de leur vivant. Je pense par exemple à Samuel Hahnemann, inventeur de l’homéopathie2, Antoine Béchamp et sa théorie des microzymas3, Pierre Delbet et Auguste Neveu sur le chlorure de magnésium et ses prétendues vertus curatives4, Jean Seignalet et son régime hypotoxique5, Catherine Kousmine et sa médecine orthomoléculaire6, Mirko Beljanski (qui est lui docteur en biologie, pas en médecine) et ses remèdes miraculeux contre le cancer et le Sida7, Edward Bach et ses élixirs floraux8 et de nombreux autres médecins dans cette lignée. Les naturopathes se prévalent de ces méthodes ou théories aux apparences scientifiques, en se reposant sur l’argument d’autorité9 que constitue le titre de médecin de leurs auteurices. Mais étonnamment, les naturopathes ne s’encombrent pas du fait que les chercheur.ses attaché.es à la rigueur scientifique considèrent par contre que ces méthodes ou théories n’ont strictement aucune validité. Dans cette même logique, les naturopathes se prévalent des paroles de médecins contemporains qui se sont distingués pendant la pandémie de Covid19 par leur interprétation très libre des publications scientifiques, leurs discours sans fondement et leur méthodologie frauduleuse…
  • Le troisième contexte dans lequel les naturopathes font référence à des médecins, c’est pour en travestir les travaux et les paroles, afin de servir une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Vision que ces médecins dénonceraient sûrement haut et fort s’ils étaient encore en vie. Car on leur invente parfois des citations, et on fait dire à leur travaux… le contraire de ce qu’il en ressort en réalité. Le plus célèbre d’entre eux est Claude Bernard, médecin du 19ème siècle qui a permis d’énormes avancées dans la science expérimentale, et à qui la naturopathie emprunte la notion de « milieu intérieur »10 pour calquer dessus sa notion de « terrain »11, et utilise à tort et à travers la notion d’ « homéostasie » qu’il a développée.
  • Et enfin, certains médecins sont cités pour être critiqués sans argumentation valable, car leurs travaux sont perçus comme nuisibles à la santé : le meilleur exemple en est Louis Pasteur et son implication dans l’essor de la vaccination, perçue par les naturopathes comme une pratique néfaste.

Si je résume un peu, les médecins cités par les naturopathes le sont principalement dans quatre contextes différents : pour mettre en avant une vision de la santé qui prévalait il y a plus de 2000 ans, pour valoriser des pratiques de santé et des théories qui sont la risée de la communauté scientifique, pour travestir les travaux de médecins célèbres, ou bien encore pour être critiqué.es sans fondement.

Un autre aspect de la médecine très souvent critiqué par les naturopathes, c’est le poids des intérêts économiques des laboratoires pharmaceutiques et de l’industrie agro-alimentaire dans les divers aspects du monde médical : formation des médecins, influence exercée sur la recherche, lobbying auprès des médecins en exercice, conflits d’intérêts entre l’industrie et le milieu médical, lobbying auprès des décideurs politiques, influence sur la tarification des médicaments et actes médicaux…

Et pour le coup, je ne peux pas leur donner tort à ce sujet. Sauf que… cette critique est rarement formulée de manière rationnelle, comme elle l’est par exemple par l’association Formindep pour ce qui concerne les laboratoires pharmaceutiques, et par les auteurs de l’ouvrage « Des lobbys au menu »12 pour ce qui concerne l’industrie agro-alimentaire. Les exagérations des naturopathes en la matière contribuent à un sentiment de défiance généralisée vis à vis de la médecine et à éloigner plus encore des chances de guérison (ou de prévention) offertes par la médecine.

D’ailleurs, puisque les naturopathes sont particulièrement enclin.es à dénoncer l’influence des laboratoires sur la médecine, on pourrait légitimement penser que leur indépendance vis à vis des laboratoires « naturels » est assurée de manière exemplaire. He bien non, pas du tout… Ce serait même plutôt l’inverse, car les naturopathes n’ont pas l’obligation de déclarer d’éventuels conflits d’intérêt, contrairement aux professionnel.les de santé, qui doivent les déclarer publiquement depuis 2013 (voir le site Transparence Santé). Pourtant, les conflits d’intérêts sont légion13 : les représentant.es de laboratoires qui sont également chargé.es de cours dans des écoles de naturopathie, les écoles qui louent leurs locaux aux laboratoires, les associations professionnelles de naturopathes qui nouent des dizaines de partenariats avec des laboratoires, les sollicitations incessantes des naturopathes en exercice par des laboratoires, les visiteur.euses de laboratoires qui viennent promouvoir leurs produits auprès des naturopathes, les nombreux avantages concédés aux naturopathes par les laboratoires (produits offerts ou remises sur les produits, formations et repas offert.es, remise de supports d’aide à la prescription, commissions sur les produits vendus…). Et nous ne parlons pas là de petites sociétés coopératives locales anticapitalistes amoureuses de la Nature. Nous parlons d’entreprises à but lucratif dont la rentabilité n’a rien à envier à celles des laboratoires pharmaceutiques. Mais étonnamment, rares sont les naturopathes à s’indigner de l’ingérence des laboratoires dans leur discipline…

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Les cinq piliers de la naturopathie

Cet article (4/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce quatrième article, il s’agira de présenter les cinq piliers de la naturopathie.

L’approche naturopathique se fonde sur cinq piliers que l’on pourrait qualifier de philosophiques et qui sont étroitement liés entre eux. Ces fondements sont partagés avec bon nombre d’autres médecines alternatives et complémentaires. Je vais détailler sommairement chacun d’entre eux, avant de présenter quelques éléments critiques à ce sujet.

  • Le vitalisme, qui pourrait se décrire comme la croyance en l’existence d’une énergie vitale (ou force vitale, parfois nommée souffle divin), qui serait à l’œuvre chez tous les êtres vivants, et dont l’altération pourrait se manifester par des problèmes de santé. La plupart des naturopathes vont jusqu’à assurer que c’est cette énergie vitale qui commande le bon fonctionnement des organes et assure le maintien des constantes biologiques : l’homéostasie est en effet perçue comme une manifestation de l’activité de cette force vitale. C’est cette même force vitale qui serait à l’origine des processus d’auto-guérison de l’organisme.
  • L’hygiénisme1, qui voudrait que notre état de santé dépende de notre degré d’adhésion aux “lois de la Nature” (autrement nommées lois naturelles, ou lois divines). Ainsi, notre santé dépendrait principalement (si ce n’est exclusivement) de nos choix alimentaires et d’hygiène de vie (activité physique, repos, exposition au soleil, pratiques méditatives etc), et lorsque celle-ci est altérée, il conviendrait de se tourner vers des techniques “naturelles” de santé (par opposition aux solutions chimiques, artificielles ou synthétiques2).
  • Le causalisme, caractérisé par la recherche (et le traitement) des causes profondes des maladies (voire la cause de la cause de la cause, comme se plaisent à le dire certain.es naturopathes), dont les symptômes ne sont que la conséquence. Cette vision de la santé est présentée par les naturopathes comme opposée à celle de la médecine, caractérisée de symptomatique (elle ne traiterait que les symptômes, mais pas les causes, donc ne soignerait jamais vraiment).
  • Le holisme, qui consiste à envisager les individus et leur santé dans leur globalité, donc à prendre soin de leur enveloppe charnelle, mais également des autres plans qui composent les êtres vivants, à savoir le plan émotionnel, le plan mental, le plan psychologique, mais aussi les plans spirituel et énergétique. Encore une fois, cette vision se construit en opposition avec la médecine, qui aurait une approche partielle de la santé, en ce qu’elle ne se focaliserait uniquement sur la dimension physique (voire parfois en n’envisageant qu’une partie de l’organisme, notamment par les médecins spécialistes).
  • L’humorisme, hérité de la théorie des humeurs d’Hippocrate et mis au goût du jour pour constituer désormais une vision de la santé basée sur l’équilibre du « terrain » individuel. Cet équilibre tiendrait notamment à la quantité de surcharges et toxines accumulées dans l’organisme. Les naturopathes empruntent également à la théorie des humeurs la notion de « tempéraments », outil incontournable du bilan naturopathique.

Amenons désormais quelques éléments critiques de ces piliers fondateurs de la naturopathie.

La conception vitaliste3 de la santé (et du vivant dans sa globalité) est une conception datée. Elle a été fortement mise à mal par les avancées scientifiques de ces derniers siècles. En effet, la recherche a peu à peu permis d’expliquer par des phénomènes physico-chimiques les mécanismes qui pendant longtemps ont été attribués à l’activité d’une mystérieuse force vitale impalpable (notamment avec la découverte des microbes permise par l’invention du microscope). Pourtant, cette conception vitaliste continue à servir de fondement à de nombreuses médecines alternatives et complémentaires. Sûrement parce qu’il est plus séduisant d’envisager notre existence avec une part de “divinité” que d’admettre que nous ne sommes finalement pas si différent.es des carottes que l’on passe à l’extracteur de jus (sentience mise à part… mais c’est un autre sujet4).

L’humorisme souffre des mêmes critiques. C’est d’ailleurs sûrement pour cela que les naturopathes ne se revendiquent pas de la théorie des humeurs directement, mais de son adaptation : l’humorisme. Là encore, les progrès de la médecine réalisés ces derniers siècles ont permis de démontrer que les maladies ne découlaient pas des surcharges métaboliques induites par l’engorgement des organes dits émonctoires, ces organes en charge d’éliminer nos déchets5. Cette conception de la santé nie clairement la dimension multi-factorielle des pathologies en proposant une vision simpliste de la santé. Notez également que si vous interrogez un.e naturopathe sur la nature des toxines et leurs mécanismes d’élimination, vous n’obtiendrez que des réponses très vagues et évasives. Et pour cause : les protocoles détox tant promus par les naturopathes n’ont aucun fondement sérieux et n’ont jamais pu apporter la preuve de leur efficacité.6 On leur connaît par contre plusieurs risques, selon la pratique employée : malnutrition (en cas de diète détox déséquilibrée), hépato-toxicité (en cas de consommation excessive de certains compléments alimentaires), déplétion électrolytique (en cas de chélation) et perforation du colon (en cas d’hydrothérapie du côlon).7

Un autre outil emprunté à la théorie des humeurs et encore largement employé par les naturopathes, ce sont les tempéraments hippocratiques (lymphatique, sanguin, bilieux et nerveux). Ces tempéraments seraient déterminés par des aptitudes physiques données, des comportements spécifiques et une certaine morphologie. L’intérêt de déterminer le tempérament dominant d’une personne dans le cadre d’un « bilan de santé » naturopathique serait de révéler ses points forts, ses points faibles, ainsi que sa façon de fonctionner. Cela permettrait, en complément de l’évaluation de l’état du terrain et de la vitalité de la personne, de prodiguer des conseils d’hygiène de vie adaptés, de régler les problèmes de l’instant présent, ceux du passé, et de prévenir les problèmes à venir. Sauf que… là encore, rien n’a jamais permis de démontrer la pertinence de cette classification ni son intérêt pour la prise en charge thérapeutique. J’avais d’ailleurs mené une petite expérience à ce sujet, qui concluait à l’impossibilité de faire ressortir un tempérament dominant, contrairement aux prétentions des naturopathes.8

L’hygiénisme, quant à lui, voudrait que la cause des maladies réside dans le non-respect des lois divines ou naturelles (lois concernant l’alimentation, l’hygiène de vie, mais aussi la morale). Les « traitements » proposés sont donc des recommandations alimentaires et d’hygiène de vie, mais aussi de foi, de développement personnel, de spiritualité ou de morale. Ce qui serait censé agir sur les causes des maladies et donc les faire disparaître. Cette approche présentée comme responsabilisante (nous aurions le pouvoir de regagner la santé si nous le souhaitions vraiment) est en réalité culpabilisante (si nous sommes malades et souffrant.es, c’est parce que nous n’aurions pas fait les efforts nécessaires pour obéir aux lois naturelles/divines9). Dans le même temps, cela conduit à romantiser la maladie : les naturopathes envisagent en effet la maladie comme quelque chose de positif, une façon d’être alerté.e sur nos déviances et de nous rappeler le bon chemin à suivre.

C’est culpabilisant, mais ça pourrait avoir du sens si les maladies avaient pour causes uniques une alimentation déséquilibrée, une mauvaise hygiène de vie ou une morale considérée comme déviante. Sauf que, dans la réalité, ça ne fonctionne pas ainsi. Si les maladies de civilisation10 sont en effet causées ou aggravées par une mauvaise alimentation et hygiène de vie, les causes de maladies sont plurielles et de nombreux facteurs ne dépendent pas de notre seule volonté : des prédispositions génétiques, l’environnement de notre lieu de vie ou de travail, des causes accidentelles, des causes infectieuses, ou bien encore des événements de vie traumatisants, entre autres choses… La moralité ou la spiritualité, quant à elles, ne confèrent pas non plus une immunité ou une longévité spécifique.

La promotion exclusive de méthodes naturelles, reposant également sur la dimension hygiéniste, relève quant à elle de ce que l’on nomme un appel à la nature11 : ce qui est naturel serait, par essence, meilleur pour la santé que ce qui ne l’est pas. Notons au préalable la difficulté à distinguer avec précision ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. On pourrait en effet pertinemment questionner la naturalité de la plupart des compléments alimentaires promus par les naturopathes, au regard des nombreuses opérations de transformation et de conditionnement opérées en laboratoire et à l’usine, du transport pour acheminer ces produits (parfois depuis l’autre bout du monde), et à leur commercialisation via des sites internets ou poins de vente qui n’ont rien à envier à la grande distribution.

Mais au-delà de cette frontière floue entre « naturel » et « non naturel », on peut aisément penser à des éléments non « naturels » mais dont personne n’oserait contester les bénéfices en termes de santé : par exemple les lunettes de vue, les anesthésies, les fauteuils roulants, ou bien encore l’insuline de synthèse qui permet aux diabétiques de type 1 de survivre. Il existe par ailleurs de nombreuses circonstances dans lesquelles ce qui est naturel n’est pas meilleur que ses alternatives « chimiques », synthétiques ou artificielles.12

Pour ne citer qu’un exemple, prenons la reine de prés, présentée comme une alternative naturelle à l’aspirine en raison de sa teneur en acide salicylique. Pour les raisons qui suivent, il me semble qu’il est immensément plus pertinent de synthétiser l’acide acétylsalicylique (aspirine) que de promouvoir la reine des prés. Je n’ai pas de certitude absolue à ce sujet, mais il me paraît plus que probable, que la production d’aspirine soit moins coûteuse et très possiblement plus écologique, notamment au regard de la quantité de reine des prés qu’il faudrait ingérer pour avoir des effets comparables à ceux de l’aspirine, et de la quantité énorme nécessaire pour couvrir les besoins mondiaux (l’aspirine étant l’un des médicaments listés comme essentiels par l’organisation mondiale de la santé). De plus, l’aspirine est dosée précisément en principe actif, donc plus sûre : le risque d’intoxication est amoindri car on connaît les dosages précis à ne pas dépasser, et les effets secondaires sont connus et étudiés. Le dosage précis de l’aspirine la rend également plus efficace, car la quantité de principe actif est connue et fixe, ce qui permet de proposer une posologie plus pertinente et efficace qu’en procédant à l’aveugle avec de la poudre de reine des prés ou des tisanes. Avec la reine des prés, on a en effet aucune certitude d’atteindre la dose minimale efficace ou de ne pas dépasser la dose toxique.

La synthèse de l’acide acétylsalicylique (solution non naturelle) permet donc de faire profiter le plus grand nombre de ses nombreuses propriétés (antalgique, antipyrétique, anti-inflammatoire et anti-agrégant plaquettaire) de manière plus sûre, plus efficace, et très probablement plus écologique et économique que de recourir à la reine des prés sous sa forme naturelle. Cet exemple permet d’illustrer la logique selon laquelle, de manière tout à fait rationnelle, il convient parfois (souvent…) en matière de santé de préférer une solution « non naturelle » et de mettre de côté certains a priori essentialistes sur ce qui serait « naturel ». Tout simplement car le critère de naturalité ne permet pas de déterminer si une chose est bonne ou meilleure.

Pour ce qui concerne les médicaments justement, la dimension hygiéniste de la naturopathie conduit à développer une méfiance démesurée envers les traitements médicamenteux (notamment les chimiothérapies, les anti-inflammatoires et les antidépresseurs), les vaccins et les chirurgies, à travers notamment une exagération des effets secondaires et du risque de toxicité et une minorisation des effets bénéfiques. Peu de naturopathes l’écriront sur leurs sites internet ou le déclameront dans des communications publiques, mais la plupart tiennent des discours qui tendent (a minima) à faire douter de la pertinence de la prise de médicaments et qui peuvent aisément conduire une personne à renoncer à un traitement voire à une intervention chirurgicale.

Pour ce qui concerne la dimension holistique et causaliste de la naturopathie, rien dans les fondements et outils de cette discipline ne permet de conclure qu’elle permette de prendre en charge les personnes d’une manière plus globale et plus causaliste que la médecine. Au contraire, l’approche naturopathique passe très souvent complètement à côté des causes réelles des maladies et troubles pris en charge, en se focalisant sur le traitement des symptômes. Et ce, faute de savoir établir le bon diagnostic pour en traiter la cause : les naturopathes ne sont en effet pas formé.es à établir un diagnostic médical et n’ont aucune compétence en physiopathologie13 ou en sémiologie14. Mais aussi en raison de cette tendance à inventer des causes émotionnelles ou énergétiques, à mettre en avant une improbable influence des lois naturelles ou bien encore une prétendue surcharge toxinique qui causerait des maladies. En plus de cette difficulté à cerner les causes des maladies, les naturopathes peinent aussi à traiter les symptômes, puisqu’iels promeuvent des traitements qui, pour la plupart, sont sans effets (nous y reviendrons…).

Campagne de sensibilisation et de dépistage du cancer du sein

Au contraire, la médecine agit aussi bien sur les symptômes que sur les causes (lorsqu’elles sont connues), en se basant que les connaissances abondantes que nous avons désormais sur de nombreuses pathologies et de leurs mécanismes de développement. La médecine inclut également une large dimension préventive, souvent complètement occultée par les tenant.es des médecines alternatives et complémentaires : campagnes de vaccination, campagnes de dépistage (IST, diabète, hypertension artérielle, certains cancers…), campagnes médiatiques de sensibilisation et de prévention des risques, conseils d’hygiène de vie et d’équilibre nutritionnel…

Pour ce qui est de la dimension « globale » de la prise en charge médicale, force est de constater que certains aspects sont clairement négligés ou sous-estimés : l’équilibre alimentaire, l’équilibre émotionnel et psychologique et l’activité physique notamment. Cela ne tient pas à la médecine à proprement parler, mais aux choix politiques qui conditionnent la façon dont la santé publique est abordée. Par exemple, le choix de ne pas faire prendre en charge par la sécurité sociale l’accompagnement effectué par les psychologues et les diététicien.nes limite fortement la portée de leurs compétences en matière de santé…

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