Peut-on évaluer scientifiquement la naturopathie ?

Cet article (6/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce sixième article, il s’agira d’explorer la possibilité et la nécessité d’évaluer scientifiquement la naturopathie.

Selon certain.es naturopathes, la naturopathie ne pourrait pas être évaluée par la science, parce que les outils de la méthode scientifique ne permettraient pas de saisir l’essence de la force vitale qui est à l’œuvre1. Mais prouver l’efficacité de la naturopathie, ce n’est pas prouver l’existence de la force vitale : c’est prouver que la prise en charge naturopathique a bien les effets annoncés en terme de santé. Certes, cela demande du temps et des ressources, mais il est tout à fait possible d’évaluer si les prétentions de la naturopathie sont réalistes… ou pas.

Des études sur le sujet, il y en a quelques unes déjà, mais à ma connaissance aucune dont la méthodologie soit franchement rigoureuse. De ce fait, les conclusions qui en sont tirées sont de très faible niveau de preuve. Pourtant, étudier l’efficacité de la naturopathie, c’est possible. Par exemple, on pourrait partir des prétentions avancées par un organisme représentatif de la profession, comme la Féna, fédération française de naturopathie. D’après la Féna, la naturopathie est une approche complémentaire à la médecine (elle ne s’y substitue pas) qui permettrait de retrouver, maintenir ou renforcer la santé. Et tout cela, c’est testable scientifiquement, même si les fondements invoqués, ne sont, eux, pas testables, comme par exemple les lois naturelles ou la force vitale.

Si on devait résumer de manière assez basique un éventuel protocole pour tester l’efficacité de la naturopathie, il s’agirait de donner un maximum de chance à l’étude de montrer un effet s’il existe, tout en minimisant les risques d’être trompé.e par de la variabilité, du bruit ou des biais. Pour tirer des conclusions fiables en termes de causalité, il pourrait par exemple s’agir d’une étude interventionnelle2 sous forme d’essai clinique contrôlé3 randomisé4 en double aveugle5

Trois groupes de personnes seraient nécessaires, chaque groupe comprenant un nombre élevé de personnes pour assurer des résultats statistiquement représentatifs. Puisque la naturopathie prétend apporter quelque chose de complémentaire, quelque chose que la médecine n’apporte pas, il s’agirait d’observer :

  • En premier lieu, l’évolution de l’état de santé d’un premier groupe, qui bénéficierait d’un suivi médical conventionnel standard (donc avec des médecins généralistes, médecins spécialistes, diététicien.nes, psychologues, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, etc.).
  • A côté, on observerait l’évolution de l’état de santé d’un deuxième groupe, qui aurait accès à un suivi médical conventionnel standard (tout comme le premier groupe) ET à un suivi régulier par des naturopathes. On pourrait même imaginer que ces naturopathes soient désigné.es par la fédération française de naturopathie pour s’assurer de leurs niveau de compétences.
  • Et enfin, on observerait l’évolution de l’état de santé d’un troisième groupe, qui aurait accès à un suivi médical conventionnel, mais adapté, c’est à dire présentant les caractéristiques non spécifiques de la naturopathie : augmentation du temps accordé aux patient.es, écoute empathique, conseils d’hygiène de vie non spécifiques etc. C’est la présence de ce troisième groupe qui permettra de conclure (ou pas) à l’efficacité propre de la naturopathie, indépendamment de ses effets contextuels.6

Sur une durée la plus longue possible, on étudierait l’évolution de ces groupes appartenant à une population spécifique, en privilégiant l’analyse de critères cliniques pertinents objectifs et en justifiant le choix des critères choisis selon l’objet de l’étude (des marqueurs biologiques par exemple).

Le protocole de l’étude serait bien évidemment déposé avant le début de l’étude sur un serveur d’enregistrement dédié à cela, et l’analyse des données récoltées devrait se faire conformément à ce protocole enregistré, de manière à éviter de torturer les données a posteriori pour orienter les conclusions.

Au regard de la complexité à mettre en œuvre une ou plusieurs études interventionnelles, il pourrait s’agir également d’études observationnelles7, avec un suivi très long mené sur des populations de grande taille (même si ce genre d’études expose à un risque de biais plus important).

Bref, mener une étude fiable, c’est faisable même si ce n’est pas si simple… Et malheureusement, ce que l’on peut lire actuellement, ce sont surtout des études qui comparent les effets de la naturopathie avec… rien. C’est vraiment affligeant, et surtout, ça ne permet pas de conclure quoi que ce soit de sérieux.

Je peux comprendre que les organismes qui promeuvent la naturopathie ne souhaitent pas engager des fonds pour mener ce type de recherche, notamment parce que les personnes qui adhèrent à la naturopathie sont généralement peu regardantes à ce sujet : elles n’ont pas besoin de preuves scientifiques pour se former, consulter ou même ouvrir une école de naturopathie. Mais il serait tout de même à leur avantage de faire cet effort de démonstration, notamment au regard de la volonté affichée de s’intégrer au parcours de soin médical (la « médecine intégrative » citée précédemment). Car certains outils qui ont un temps été considérés comme pseudo-scientifiques et qui ont amené la preuve de leur efficacité (avec des études à la méthodologie rigoureuse qui ont pu être répliquées pour consolider leurs résultats) sont désormais pleinement intégrés aux outils de la médecine. C’est le cas par exemple de l’hypno-sédation, employée en parallèle des traitements médicamenteux.8

Cependant, même en l’absence d’études rigoureuses sur la naturopathie dans sa globalité, on peut raisonnablement douter des prétentions affichées par la discipline… En effet, de nombreux outils utilisés en naturopathie ont déjà été évalués par la science, et pour beaucoup d’entre eux, il en résulte qu’il ne permettent pas d’atteindre les objectifs préventifs ou thérapeutiques mis en avant par la naturopathie : protocoles détox9, fleurs de Bach10, acupuncture11, homéopathie12, réflexologie plantaire13, soins énergétiques, compléments alimentaires divers et variés14

Pour ce qui concerne la diététique, qui est la composante majeure des recommandations naturopathiques, on peut dresser le même constat d’absence de pertinence des prétentions avancées. Cela concerne tout particulièrement les recommandations habituelles d’alimentation alcalinisante, de régime hypotoxique, de régime dissocié, de crudivorisme, de monodiètes, de jeûne, d’alimentation sans gluten ou bien encore d’alimentation sans produits laitiers de vache… Aucun de ces régimes alimentaires restrictifs n’a apporté la preuve de sa pertinence en termes de prévention ou de traitement des maladies.

Au sujet des recommandations d’aromathérapie ou de phytothérapie, il s’agit de faire preuve d’une certaine nuance, car l’efficacité des compléments proposés dépend beaucoup du choix de la galénique15 (plante à infuser, poudre de plante, teinture-mère, gemmothérapie, extrait de plantes standardisé, huile essentielle…), du dosage en principes actifs (extraits titrés ou pas), du mode d’administration (voie orale, voie cutanée, voie respiratoire), de la fréquence et durée de la prise. Mais malgré une littérature abondante à ce sujet, force est de constater que les prétentions avancées par les naturopathes sont très souvent excessives par rapport à ce que l’on connaît de l’effet des plantes étudiées.16

Pour lire les articles précédents et suivants de cette série sur la naturopathie : cliquer ici.

  1. Sur les principaux arguments opposés par les tenant.es des médecines alternatives et complémentaires opposé.es au fait de les éprouver scientifiquement : Ernst E. What’s the point of rigorous research on complementary/alternative medicine? J R Soc Med. 2002 Apr;95(4):211-3. doi: 10.1177/014107680209500416
  2. Dans ce type d’étude, il s’agit d’évaluer les effets d’une intervention à but thérapeutique, ici la prise en charge naturopathique.
  3. Il est nécessaire de prévoir un ou plusieurs groupes contrôles du fait de l’évolution spontanée et de la variabilité.
  4. La randomisation permet de rendre les différents groupes de l’étude comparables, l’affectation à l’un des groupes se faisant de manière aléatoire, indépendamment des caractéristiques du ou de la patient.e.
  5. Les participant.es de l’étude et les chercheureuses doivent ignorer qui appartient à quel groupe, de manière à neutraliser un potentiel effet placebo/nocebo différentiel.
  6. Le placebo dans tous ses états : entretien avec Nicolas Pinsault : https://www.youtube.com/watch?v=fHvoxkubbtc
  7. Dans ce type d’études, les chercheureuses mesurent l’exposition au facteur étudié (ici la naturopathie), ainsi que la force de son association avec l’événement ou la maladie étudiée.
  8. Sur la scientificité de l’hypno-sédation : https://youtu.be/N6Yl_3H6mmo?t=3059
  9. Klein AV, Kiat H. Detox diets for toxin elimination and weight management: a critical review of the evidence. J Hum Nutr Diet. 2015 Dec;28(6):675-86. doi: 10.1111/jhn.12286. Epub 2014 Dec 18. PMID: 25522674.
  10. Sur les élixirs floraux de Bach : https://cortecs.org/la-zetetique/elements-de-critique-des-pseudomedecines-exemple-des-elixirs-floraux-de-bach/
  11. Sur l’acupuncture : https://www.afis.org/La-verite-sur-l-acupuncture
  12. Sur l’homéopathie : https://www.youtube.com/watch?v=wcxvv7EEOt0
  13. Sur la réflexologie plantaire : https://sohan-tricoire.fr/reflexologie-plantaire-demelons-le-vrai-du-faux/
  14. ANSES – Les compléments alimentaires sont-ils utiles pour notre santé ? https://www.anses.fr/fr/content/les-compl%C3%A9ments-alimentaires-sont-ils-utiles-pour-notre-sant%C3%A9
  15. Une forme galénique (du nom de Galien, médecin grec du IIe siècle), ou forme médicamenteuse, ou forme pharmaceutique, est la forme sous laquelle sont mis les principes actifs et les excipients (matières inactives) pour constituer un médicament (https://fr.wikipedia.org/wiki/Forme_gal%C3%A9nique)
  16. Sur les quelques effets éprouvés de l’aromathérapie : Freeman M, Ayers C, Peterson C, Kansagara D. Aromatherapy and Essential Oils: A Map of the Evidence. Washington (DC): Department of Veterans Affairs (US); 2019 Sep. PMID: 31851445.