Si vous arrivez à cette page, c’est que vous avez écouté la chronique de France Info « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? »
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Oui ? Alors ci-dessous, analyse de l’extrait point par point.
Voici un début d’analyse proposé par des membres du réseau CorteX.
- En vert, décorticage de Nicolas Gaillard.
- En bleu, décorticage de Nicolas Pinsault.
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Chronique France Info – « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? » – Janvier 2011.
1er minute
« Trouver une alternative au tout médicament, c’est probablement une des raisons qui pousse de nombreux parents à aller consulter un ostéopathe avec leur nourrisson »
J’ajouterais que le terme « probablement » est ici particulièrement mal choisi puisqu’il ne s’agit que d’un a priori sans fondement.
Le chroniqueur présente Carole Renucci, rédactrice en chef d’Enfant magazine et fait référence à l’article du mensuel de janvier 2011 « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ?»
Cette présentation de l’article est encore une pétition de principe qui m’oblige à accepter la prémisse que l’ostéopathie peut faire du bien tout court, ce qui est très discutable. « Pourquoi l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé ? » sous-entend « l’ostéopathie peut faire du bien à votre bébé et nous allons vous expliquer comment… »
En couverture du fameux mensuel Enfant magazine de janvier 2011 : « L’ostéopathie, ça marche aussi pour les petits »
Idem, le « ça marche aussi » implique que ça marche tout court.
L’affirmation « ça marche » n’est pas très claire. Que faut-t-il comprendre ? « C’est efficace », « ça me soulage », « c’est prouvé », « j’y crois » ou encore « il y a un effet significatif » ? Cette ambiguïté permet surtout de contourner la question de fond : y’a-t-il un effet thérapeutique spécifique ?
« Est-ce qu’on peut parler d’engouement pour cette médecine douce aujourd’hui ? »
« En 2005 un chiffre émanant de l’Académie d’ostéopathie donnait 200.000 visites pour les tout petits, pour les nourrissons, ce qui effectivement est massif et pose beaucoup de questions. Ce chiffre est sans doute lié à l’intensification des propositions, c’est à dire qu’il y a une légalisation du titre et de la profession au cours de la décennie dernière qui a permis effectivement à cette offre de s’amplifier. »
Indiquer que de nombreuses personnes consultent, que cela s’amplifie et que l’exercice de l’ostéopathie est légalisé, ancre l’acceptation d’une certaine légitimité qui peut m’amener à conclure ensuite « donc c’est efficace ». D’ailleurs l’argument est définitivement posé plus loin. Cependant, la preuve sociale, l’effet Panurge (beaucoup de gens consultent) ou légale ne sont pas des arguments de validité de la pratique. Voir le même argumentaire pour l’homéopathie [1].
Le mode de calcul utilisé ici pour ces affirmations pose questions. Pour cela il suffit de se procurer le rapport de la commission pédiatrie de mai 2006 disponible sur le site de l’Académie d’ostéopathie de France. On constate alors que l’on est loin des standards de l’épidémiologie. L’enquête se fait par questionnaire auprès d’ostéopathes exclusifs (n’exerçant ni la médecine, ni la kinésithérapie) tirés au sort dans un registre contenant 1774 noms. L’échantillon retenu au final est de 97 praticiens déclarant avoir vu, en moyenne, 148,8 nourrissons au cours des 12 derniers mois. En multipliant ce nombre par la population de praticiens de départ dans le registre ils arrivent à la conclusion que 217 000 nourrissons ont consulté et que cela représente 470 000 consultations (et non 200 000 comme évoqué, pourquoi un tel écart ?). Alors poussons le raisonnement jusqu’au bout pour souligner son aspect bancal : en multipliant le nombre moyen d’enfants vus par le nombre d’ostéopathes estimé (médecins (10000), kiné (4000) et ostéopathes exclusifs (1774)). On arrive à plus de 2,3 millions de nourrissons vus par les praticiens, soit plus de 4 fois le nombre de nourrissons présents sur le sol français à la même période (source INSEE).
2ème minute : qu’est ce que l’ostéopathie ?
« C’est une médecine douce, ça veut dire qu’elle prend dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique »
On retrouve ici la connotation très problématique de médecine « douce » (voir l’article Faire un atelier-débat – médecine « douce », « alternative »… sur ce sujet). En outre, l’utilisation de termes creux comme « dans sa globalité l’être humain, tant sur le plan psychique que physique » est très imprécise, voire vague : c’est donc à l’auditeur d’y mettre du sens. C’est un exemple d’effet puits.
C’est une pétition de principe : cela sous-entend que les médecines « pas douces » ne prennent pas l’individu dans sa globalité.
« Elle renvoie à une thérapie manuelle qui consiste à manipuler les personnes de façon à retrouver ou à prévenir d’une dysharmonie ou d’un déséquilibre au niveau des fonctions et notamment des structures – tout ce qui concerne les muscles, l’articulation, le squelette. »
« Dysharmonie » et « déséquilibre » sont des mots paillasson qui créent un effet puits dans cette phrase.
« [une séance] se déroule très bien, […] pour les enfants en tous cas c’est très léger »
On poursuit sur le mode « médecine douce ». Pourtant les pathologies nécessitent parfois de ne pas être « doux ». Le traitement d’infections comme la bronchiolite par exemple nécessite des techniques de kinésithérapie qui paraissent très choquantes pour un parent qui voit son enfant manipulé vigoureusement et forcé à tousser.
Interrogatoire sur les conditions de grossesse, de naissance et utilisation du dossier médical.
Je peux soupçonner ici un danger de corrélations erronées entre les conditions de grossesse et/ou de naissance et des troubles. C’est le genre de biais fallacieux très répandu dans tout un tas de thérapies douteuses qui trouvent toujours une raison aux troubles de l’enfant, que l’on valide subjectivement, faute de preuve. Imaginez un enfant dont la naissance a été compliquée. On sera alors tenté de faire le lien en permanence avec d’éventuels troubles qui surviendraient durant son enfance. C’est un véritable risque de déterminisme.
Je suis d’accord. En outre pour être complet sur le sujet, les ostéopathes ne sont pas des professionnels de santé. Ils ne répondent donc pas aux mêmes obligations légales. Leur confier son dossier médical me semble questionnant.
« C’est un rééquilibrage, […] problèmes de sommeil, enfants qui pleurent, qui sont ronchons pour lesquels on ne voit pas vraiment la raison. »
« Rééquilibrer » quoi ?
« Geste réalisé de façon douce et précise »
Cela connote encore une opposition négative médecine « douce », médecine « conventionnelle » en bonne/mauvaise. En outre, les gestes ne seraient-il pas « précis » en dehors de l’ostéopathie ?
3eme minute
« Aujourd’hui on compte 4000 médecins parmi les ostéopathes, 10000 kinés ; la formation est supervisée par la faculté de médecine, donc je pense qu’on peut lui attribuer tout le sérieux qui lui revient. »
Il arrive assez fréquemment à des figures illustres ou des institutions non moins illustres de légitimer des techniques se révélant très légères par la suite, voire pseudo-scientifique. C’est un argument d’autorité qui ne dit rien sur la validité de la pratique ; les figures d’autorité ne peuvent pas remplacer les preuves scientifiques. C’est encore une pirouette argumentative similaire à l’homéopathie [1].
J’entends « homéopathe » à la place « ostéopathes » (?!) D’accord pour l’argument d’autorité qui n’apporte rien au débat, d’autant que ce qu’elle dit est faux. C’est bien là d’ailleurs tout le problème de l’ostéopathie : seules les formations destinées aux médecins sont proposées dans le cadre de facultés de médecine. L’essentiel des formations en France sont des écoles privées sans lien avec une structure universitaire. Pour être complet des dispositions réglementaires récentes ont établi une liste des établissements agréés à délivrer le diplôme, en se basant notamment sur la quantité des enseignements dispensés. L’Académie de médecine, elle, s’exprime sans ambiguïté au sujet de l’ostéopathie dans un rapport rendu en 2006 selon ces termes : « Peut-être vaudrait-il mieux enseigner la médecine en tenant un plus grand compte de sa composante « humaniste », essentielle mais insuffisamment donnée en exemple, plutôt que d’officialiser des pratiques qui cherchent à s’en éloigner en s’appuyant sur des a priori d’inspiration, en grande partie, purement philosophique. »[2].
« D’autres médecins se méfient de l’ostéopathie, sans l’estimer dangereuse, mais ils doutent de ses effets […] Il n’y a rien de mieux que la pratique pour le vérifier. »
Le témoignage ne vaut pas une preuve. Je pense qu’on a ici une généralisation abusive.
« Les études n’ont pas été vérifiées sur le plan purement scientifique, néanmoins elle connaît un engouement au plan mondial […] les visites se multiplient ce qui veut quand-même dire, je pense, qu’il y a un effet. »
Préparé en amont, l’argumentum ad populum ou principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque-chose ou agissent d’une certaine manière, mieux vaut se conformer à cela en vertu de l’idée « qu’autant de gens ne peuvent tous se tromper ». Voir Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum.
« Pour certaines pathologies, notamment chez l’adulte, notamment les lombalgies, on n’est pas loin de penser que c’est la meilleure technique pour les solutionner. »
Qui est ce « on » qui pense ? N’inversons pas ici la charge de la preuve : jusqu’à présent aucune revue de littérature scientifique ne semble démontrer que les manipulations seraient plus efficaces qu’autre chose (pour approfondir, voir « Spinal manipulative therapy for chronic low-back pain ». Rubinstein SM, van Middelkoop M, Assendelft WJ, de Boer MR, van Tulder MW. Cochrane Database Syst Rev. 2011 Feb 16;(2):CD008112. Review. )
« Dans certaines maternités on propose déjà une séance d’ostéopathie, ça fait partie des actes courants, pour les personnes, les équipes qui en sont convaincues […] ce qui est certain c’est que ça fonctionne bien, même si évidemment cela génère des craintes du côté des adultes »
[1] Sophismes et rhétorique – TP Analyse de documentaire sur l’homéopathie
[2] Rapport « Ostéopathie et Chiropraxie » de l’Académie de médecine de 2006.